Société Archéologique  du Midi de la France
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SÉANCE DU 06 NOVEMBRE 2018

Séance privée
separateur

Communication longue de Jean Penent :«  Les fantômes de la Renaissance toulousaine ».

Des peintures à jamais perdues des artistes des XVe et XVIe siècles, ont été conservées quelques traces, à travers de modestes mais précieuses reproductions que nous allons découvrir ou redécouvrir. Elles ont été réalisées par Jean Chalette, Hilaire Pader, Jean-Pierre et Antoine Rivalz...

L'entrée du dauphin Louis Portrait de Guilhem de Catel Pons et Gulhem, Catel

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Présents  : Mme Nadal, Présidente, MM. Ahlsell de Toulza, Trésorier, Cabau, Secrétaire général, Mme Napoléone, Secrétaire-adjointe, Péligry, Bibliothécaire-archiviste ; Mmes Haruna-Czaplicki, Jaoul, Merlet-Bagnéris, Pradalier-Schlumberger, Watin-Grandchamp, MM. Cazes, Julien, Peyrusse, Sournia, Tollon, membres titulaires ; Mmes Jiménez, Joy, Vène, MM. Marquebielle, Penent, Suzzoni, membres correspondants.

Excusés : Mmes Balty, Czerniak, Queixalós et Sénard ; MM. Balty, Garland, Garrigou Grandchamp, Macé, Scellès et Surmonne.

La parole est donnée à la Secrétaire-adjointe pour la lecture des procès-verbaux des deux premières séances. Ceux-ci sont adoptés après l’ajout de quelques précisions.

Valérie Dumoulin est élue membre correspondant.

Émilie Nadal donne ensuite la parole à notre confrère Jean Penent pour une communication longue intitulée, Les fantômes de la Renaissance toulousaine.
En remerciant le conférencier, elle note que les fantômes qu’il évoque sont heureusement bien évocateurs. Dominique Watin-Grandchamp fait remarquer que l’on doit à Bernadette Suau d’avoir fait racheter par les Amis des Archives départementales un certain nombre de miniatures des Annales disparues, actuellement conservées aux Archives municipales. Par ailleurs, concernant les peintures de Saint-Sernin, elle avoue ne pas être convaincue par l’interprétation qu’il donne de l’intervention du peintre Rolin et par l’affirmation que ce n’est pas Dieu le Père qui est représenté. Pascal Julien reconnaît l’importance du sujet et regrette de n’avoir pas pu le traiter à l’occasion de l’exposition sur la Renaissance qu’il a dirigée l’année précédente, cela n’ayant pas été possible faute de place. Il annonce toutefois que ce beau sujet fait partie d’une thèse aujourd’hui en cours. L’enluminure de Marmottan Monet dont il a été question a pu figurer dans le catalogue, mais il n’a pas été possible de la faire venir pour l’exposition, la dation dont elle est issue excluant toute possibilité de prêt. On sait par ailleurs que de nombreuses œuvres sont dispersées dans des collections particulières : tout n’a donc pas été brûlé à la Révolution. Pascal Julien met en garde le conférencier sur les confusions possibles entre les peintres Antoine de Raulin et Nicolas Rolain, piste qu’il a déjà suivie. Il revient ensuite sur l’iconographie de la voûte de Saint-Sernin et sur la question du Père sous les traits du Fils, chère à Marcel Durliat, nous renvoyant à ce qu’il a écrit sur le sujet dans sa thèse. Jean Penent répond que Renée de France, fille de Louis XII, épouse du duc de Ferrare Hercule d’Este, écrit en 1528 aux capitouls pour leur recommander le peintre « Nicolas Raulin ». Celui-ci est reçu avec honneur à Toulouse et dispensé de chef-d’œuvre en 1530 pour être admis à la maîtrise, c’est-à-dire pour obtenir le droit d’exercer son métier à Toulouse. [Il est témoin en 1531 de François Malcorresa pour le chef-d’œuvre que celui-ci doit exécuter d’après un modèle : un Dieu le Père sur son trône.] En 1536, il reçoit enfin 18 écus d’or pour avoir fourni le modèle des peintures de la voûte du chœur de Saint-Sernin. Que faisons-nous de tous ces éléments ? La peinture en question présente un personnage qui possède le visage traditionnel du Christ, il est assis sur un trône, inscrit dans la mandorle, il présente le livre de la main gauche et dresse verticalement la main droite (on voit mal la position de ses doigts qui devrait indiquer à la fois sa double nature divine et humaine, et le signe de la Trinité). Il est entouré des symboles des Évangélistes. N’est-ce pas là l’image même du Christ en majesté, le Christ qui évoque en même temps la figure de Dieu le Père ? [Ce sujet complexe sera désigné dans les documents par une synecdoque : « Dieu le Père ».]
Pascal Julien précise que tout est conforme au contrat, la peinture moderne ne faisant que remplacer la peinture romane qui était à cet endroit-là et qui représentait déjà « un grand Dieu le père avec quatre évangélistes », selon une description antérieure aux travaux. De plus, on ne peut soupçonner aucune dérive d’interprétation dans la rédaction du contrat ni d’exécution des peintures, car celle-ci fut surveillée de près par les chanoines, notamment pour l’orthodoxie de l’iconographie. [Quant à la confusion entre Nicolas Rolain, reçu maître en 1530, et Antoine de Rolin, qui est payé très cher en 1536 pour affiner des dessins à Saint-Sernin, elle est impossible à faire car elle n’est pas conforme aux textes qui distinguent clairement ces deux personnages.]
Patrice Cabau intervient à propos de l’attribution à Laurent Robyn (alias Roby, Robi, Robin, ou Robini) des figures qui ornent l’ouvrage de Guillaume de Catel consacré à l’Histoire des Comtes de Tolose. Il y a là pour lui un raccourci assez peu exact, qu’ont accrédité les assertions approximatives de divers auteurs.
Sur mandat du 10 décembre 1491, le peintre toulousain Laurent Robyn reçut 9 livres tournois per la istoria qu’a fayta en lo libre de las istorias en lo qual libre son istoriatz totz los contes de la present villa de Tholoza. Dans le Livre des Histoires (devenu le premier registre des Annales manuscrites), sur deux feuillets en vis-à-vis, la miniature précédant la chronique de l’année capitulaire 1490-1491 illustrait la généalogie (en grande partie supposée) de ces comtes, avec leurs effigies enluminées « dans un même tableau, avec l’abrégé de leur vie, écrit en caractère gothique, & en langage gascon ». Ce tableau, « un des plus précieux qui soient dans ces Registres » selon Jean Raynal, a disparu depuis l’autodafé du 10 août 1793.
Un peu avant 1600, le Président aux Enquêtes Matthieu de Chalvet (1528-1607), comme beaucoup de parlementaires grand amateur d’ouvrages anciens, fit voir au conseiller Guillaume de Catel (1560-1626) « vn ancien Liure manuscrit » contenant « les noms, & les effigies des Comtes de Tolose, auec vn sommaire, ou eloge fort petit, de ce qu’ils ont faict, & combien de temps ils ont tenu la Comté : il est en langage Tolosain ».
Jacques de Chalvet lui ayant offert l’album précédemment possédé par son grand-père, Guillaume de Catel le fit reproduire à la suite de son Histoire, imprimée in-folio en 1623 : Les Comtes de Tolose. Auec leurs pourtraits tirez d’vn vieux liure manuscrit Gascon. « Les Comtes de Tolose y sont en l’ordre, & en la forme que ie les ay faict representer ; sauf que dans l’ancien Liure les pourtraicts sont illuminez de diuerses couleurs ». Les dix gravures en taille-douce, certaines signées par Huguet et d’autres par Jean Étienne Lasne, ont été mises en couleurs dans l’exemplaire de l’auteur, qui le fit relier à ses armes.
Catel assure que la série des comtes était la même dans son album que dans le registre de la maison de Ville, où leurs portraits se voyaient « en petit volume », et Germain de Lafaille témoigne que le tableau des Annales représentait les comtes « conformes pour les habitudes [lire habits] au manuscrit gascon rapporté par Catel ».
Il y avait cependant une différence notable entre le tableau de Robyn peint au Livre des Histoires et la suite des images imprimées reproduisant la galerie des figures de l’album manuscrit : on était passé d’une page (41 cm x 27 cm) double à dix pages (34 cm x 21 cm), soit une multiplication par plus de trois de la surface utile maximale. Sauf à douter de la fidélité des œuvres d’Huguet et de Lasne, il faut concevoir que l’album qu’ils ont copié était issu d’une recomposition des miniatures originelles.
Sur les gravures imprimées, les personnages sont mis en scène dans des décors d’architecture, les uns posés sur des socles, d’autres comme « en lévitation », ainsi que François Bordes l’a noté pour deux d’entre eux. Si leurs costumes peuvent appartenir à la fin du XVe siècle, les ordonnances et les ornements des arrière-plans évoquent plutôt le milieu du XVIe, moment probable de la réalisation du manuscrit publié par Catel.
[Jean Penent répond que les gravures aient été exécutées d’après la miniature des Annales ou d’une réplique « identique » présentée en album ne change rien à son propos.]

Émilie Nadal donne ensuite la parole à Magali Vène, qui nous informe qu’une enluminure d’Antoine Olivier provenant de l’antiphonaire de Mirepoix a été mise en vente. Il s’agit d’une Crucifixion, et son prix est très élevé (96 500 euros).

Enfin, au titre des questions diverses, Guy Ahlsell de Toulza nous montre avec de nombreuses illustrations l’avancement de l’extraordinaire chantier de restauration du château de Bournazel (Aveyron). Pascal Julien partage l’enthousiasme de notre confrère, se réjouissant des nombreuses questions que pose une telle entreprise, notamment d’ordre déontologique. Il avoue cependant que certaines choses lui paraissent dérangeantes. Dans le suivi de chantier, il n’est jamais question de fouilles archéologiques, alors que de nombreuses excavations sont pratiquées. Par ailleurs, il regrette que la surveillance du chantier par l’Architecte honoraire, M. Voinchet, soit un peu lointaine. Louis Peyrusse note que les chantiers de restitution d’édifices de cette ampleur, rares en France, se pratiquent couramment en Europe centrale et en Russie. Bruno Tollon rappelle que les restaurations du château de Bournazel s’appuient sur une documentation faite de dessins et de descriptions, et sur la découverte de vestiges d’architecture comme les bases de pilastres géants. Le portail inférieur a fait par ailleurs l’objet de restaurations visibles à partir des éléments conservés en mauvais état. Pascal Julien précise que, s’agissant des réserves qu’il a exprimées, il ne tient bien sûr en aucun cas les propriétaires pour responsables ; il trouve d’ailleurs admirable de s’être lancé dans un tel projet et il a tenu à donner une place à ce monument et à sa restauration dans l’exposition sur la Renaissance. Il précise par ailleurs que tous les travaux ont été fait de façon légale sous l’égide des Monuments Historiques et que les entreprises qui y travaillent sont exemplaires.
Daniel Cazes revient sur l’aspect financier de l’entreprise : il s’agit d’un monument privé ayant reçu des subventions publiques importantes et qui aurait dû, selon lui, bénéficier de fouilles archéologiques.


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