Société Archéologique  du Midi de la France
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SÉANCE DU 19 MARS 2019

Séance privée
separateur

Communication courte de Magali Vène & Thomas Falmagne, "Naissance d’un fonds : plus de 400 nouveaux fragments manuscrits identifiés à la Bibliothèque municipale de Toulouse" .

Le recensement des fragments à la Bibliothèque d’Étude et du Patrimoine de Toulouse a été mené en deux phases différentes, dans les reliures de manuscrits et d’incunables d’une part et dans les reliures d’ouvrages imprimés du XVIe siècle de l’autre.

Toulouse, Bibliothèque municipale, M, Inc. Venise. 181 (frag. ms. 181)

Plus de 400 unités codicologiques différentes ont pu être ainsi isolées à ce jour et réparties selon la provenance des livres-hôtes. Je propose, après avoir exposé la démarche, de présenter les grandes catégories de sources concernées par les fragments, puis de montrer, qu’à côté du cas des Dominicains qui a fait l’objet d’une publication particulière, il existe d’autres fonds qui concentrent à certaines périodes plusieurs manuscrits démembrés, principalement les Augustins et les Franciscains. Je dirai ensuite un mot de la documentation restante qui a sans doute davantage à voir avec les manuscrits dépecés dans les cercles des imprimeurs-relieurs qu’avec l’histoire des bibliothèques toulousaines.

 

 

Communication courte d’Émilie Nadal : "La bibliothèque des dominicains de Toulouse : catalogue des imprimés conservés".

En plus des 126 manuscrits provenant de la bibliothèque des dominicains de Toulouse, il a été possible de repérer dans le fond de la Bibliothèque municipale plus de 1100 titres imprimés entre 1470 et 1783, ayant également appartenu aux dominicains.

Quelques imprimés de la bibliothèque des dominicains de Toulouse, avec leur étiquette caractéristique. Usages des livres, dominicains bibliophiles, marques de propriété diverses, recette de tisanes... cette collection, bien que partielle, donne un aperçu remarquable sur la vie du couvent et sur les usages du livre au fil des siècles .
légende illustration Nadal : Quelques imprimés de la bibliothèque des dominicains de Toulouse, avec leur étiquette caractéristique.

 

 

 

 

 

 


Présents  : Mme Nadal, Présidente, MM. Ahlsell de Toulza, Trésorier, Cabau, Secrétaire général, Mme Napoléone, Secrétaire-adjointe, M. Péligry, Bibliothécaire-archiviste ; Mmes Andrieu, Bessis, Czerniak, Fournié, Haruna-Czaplicki, Jaoul, Pradalier-Schlumberger, MM. Cazes, Garland, Garrigou Grandchamp, Peyrusse, Sournia, Stouffs, Surmonne, Testard, membres titulaires ; MM. Marquebielle, Mattalia, Penent, Rigault, Suzzoni, membres correspondants.
Excusés  : Mmes Balty, Cazes, Sénard et Vène, MM. Balty, Scellès et Tollon.
Invités : M. Thomas Falmagne (Bibliothèque Nationale du Luxembourg), Mme Imma Lorès (professeur à l’Université de Lérida).

La Présidente donne la parole à Louis Peyrusse pour la lecture d’un texte en hommage à Jacques Bousquet, membre libre de notre Société, décédé il y a quinze jours :

Jacques Bousquet (1923-2019)

Le 26 février dernier, on annonçait à Rodez la mort de notre confrère Jacques Bousquet dans sa 96e année. Le Rouergue perd un de ses enfants les plus attachés à leur province natale. Né en 1923, il fait ses études à Rodez et à Toulouse avant d’intégrer l’École des chartes et de suivre en parallèle l’enseignement de l’École du Louvre. Sorti premier de sa promotion, il passe trois ans au palais Farnèse à l’École française de Rome (1948-1950). Il soutient à son retour devant l’École du Louvre une thèse très neuve : Recherches sur le séjour des peintres français à Rome au XVIIe siècle, qui est toujours utilisée. L’auteur, partant des stati d’anime des fonds de l’Académie de Saint-Luc, de Saint-Louis des Français, documente les artistes, travail qui retentit sur l’histoire sociale et la connaissance précise des carrières.

De retour à Rodez, il devient archiviste en chef et le reste jusqu’en 1967. Il installe un musée pédagogique des archives pour lequel il rédige un guide copieux de 324 pages. Grâce à l’entregent de Jean Alazard, doyen de la Faculté des Lettres et conservateur du Musée des Beaux-arts d’Alger, il est nommé à titre bénévole conservateur du Musée Denys Puech, fait affecter à Rodez des œuvres de la Récupération artistique et développe, autant que faire se peut, le fonds régional, mais pas seulement. Jean Alazard, qui sollicite des dons pour le Musée d’Alger, se fait accompagner dans les ateliers d’artistes par Jacques Bousquet qui, à son tour, en sollicite pour Rodez.

Même si le musée dépourvu de tout moyen vivotait, Jacques Bousquet reçut comme une gifle la transformation de l’établissement en musée d’art contemporain sans qu’on daigne l’en prévenir ni lui adresser une lettre de remerciement pour le travail accompli.

Son travail d’archiviste à Rodez a été très abondant. On peut en juger par les articles donnés à la Revue du Rouergue dirigée par Pierre Carrère. On peut y lire les prémices d’une étude sur la sculpture entre Rouergue et Albigeois au XVe siècle.

Mais Jacques Bousquet n’est pas un érudit confiné dans son dépôt d’archives. Son goût très vif pour l’art lui fait organiser des expositions, même dans des lieux inattendus, comme en 1961 dans la Foire-Exposition du pays rouergat : un pavillon des arts accueillait 162 œuvres de 59 artistes rouergats et autres, allant de l’art traditionnel à l’abstraction sage (sans Soulages).

Dans l’hôtel des archives naissent trois ouvrages. Une publication de textes, dans la tradition chartiste, Enquête sur les commodités du Rouergue en 1552 (Privat, 1969). Un montage savant de textes, tirés d’un procès pour la fixation de l’impôt dû par la province, occupe 113 pages contre 127 pages d’« introduction » qui constitue en fait un vigoureux plaidoyer pour la reconnaissance d’un pays ouvert, non enclavé.

Jacques Bousquet utilise la dialectique savante entre texte et note infra-paginale, note dans laquelle s’avance parfois l’idée essentielle. Viennent ensuite deux thèses d’État sous la direction de Marcel Durliat, soutenues à Toulouse en 1972 : La sculpture à Conques au XIIe siècle, un millier de pages et la thèse complémentaire, qui n’était plus obligatoire, Le Rouergue aux XIe et XIIe siècles. Les pouvoirs, leurs rapports, leurs domaines. Pour l’auteur, cette dernière étude devait servir l’histoire de l’art : la montagne avait connu un âge d’or avec de vastes troupeaux, elle était animée de courants d’échanges, conditions favorables à la création artistique. La thèse principale, très polémique envers les datations de son directeur, remontait fortement la chronologie des ateliers de Conques, remettant l’abbaye en accord temporel avec les grands centres créateurs. Parenthèse : la thèse fut très mal reçue, mais je constate que dans la monographie publiée par le Congrès archéologique de l’Aveyron en 2009, Henri Pradalier et Eliane Vergnolle ne sont plus très loin des dates de Jacques Bousquet, pas plus que notre lauréat de 2019, M. Lei Huang.

Jacques Bousquet est nommé en 1967 chargé d’enseignement, puis professeur d’histoire de l’art médiéval à l’Université de Montpellier. Il y arrive avec les turbulences de mai 1968 et la difficulté d’un métier nouveau alors qu’est déjà installé à l’université Paul-Valéry un médiéviste reconnu, Robert Saint-Jean. Bousquet y enseigne durant vingt ans jusqu’en 1986, donnant beaucoup d’études (surtout des thématiques formelles) aux Journées romanes de Saint-Michel de Cuxa, sans déserter pour autant l’érudition rouergate, une trentaine de communications à la Société des lettres, sciences et arts de l’Aveyron. Depuis la maison de retraite ruthénoise, il écrivit à 89 ans pour un site électronique Artifex in opere une réflexion sur sa surprenante carrière.

Jacques Bousquet fut un grand savant, passionné par l’archive, rouergate ou romaine, passionné par le Rouergue dont il regrettait qu’il ne fût pas apprécié à sa juste place, la première. Chaleureux, volubile, il s’intéressait à tous les domaines, de la préhistoire aux caravagesques, des sculpteurs romans et gothiques à Denys Puech, au graveur Viala ou aux tableaux du XIXe siècle envoyés à la cathédrale de Rodez. Regrettons qu’il ait été trahi par l’édition. La thèse de l’École du Louvre déposée dans deux bibliothèques en 1951, utilisée par tous les chercheurs internationaux, n’a été imprimée qu’en 1970, grâce à des amis réunis dans une association ad hoc. L’étude sur Conques, photocopiée par l’Atelier des thèses de Lille III, fut condamnée à une diffusion confidentielle. Le Rouergue aux XIe et XIIe siècles fut édité dans les « Archives historiques du Rouergue » en 1992-1994 par la vaillante Société des lettres, sciences et arts de l’Aveyron. Vingt ans après.

Aujourd’hui, avec la diffusion des textes par l’internet, le rayonnement de Jacques Bouquet aurait été sans doute plus grand, et toujours mérité.

Émilie Nadal présente ensuite un dépliant publié par la mairie de Cahors sur les chantiers archéologiques menés dans la ville en 2018, que l’auteur, notre consœur Anaïs Charrier, donne à la bibliothèque de la Société.

Au titre des courriers reçus, elle nous signale la tenue d’un colloque sur le monachisme féminin qui se tiendra les 4 et 5 avril prochains à la Bibliothèque des études méridionales, rue du Taur. Elle nous donne également lecture d’un courrier qui nous a été enfin adressé par le Président de l’Académie des Arts et des Sciences de Carcassonne, confirmant que le logo de leur Société a bien été changé, mettant ainsi fin au contentieux qui nous opposait. Elle donne enfin la parole à la Secrétaire-adjointe pour la lecture du procès-verbal de la dernière séance, qui est adopté.

La Présidente introduit la première communication courte du jour, Naissance d’un fonds : plus de quatre cents nouveaux fragments manuscrits identifiés à la B.E.P. de Toulouse, en lisant le texte de présentation de Magali Vène, malheureusement empêchée ce soir, puis elle donne la parole à Thomas Falmagne.

Elle remercie le conférencier pour son exposé passionnant, témoignant d’un travail spectaculaire. Guy Ahlsell de Toulza s’étonne de voir que trois mots suffisent à reconnaître un texte. Thomas Falmagne répond que de nombreuses bases de données sont désormais disponibles, permettant très souvent de retrouver la source textuelle. Les textes les plus difficiles à reconnaître sont les écrits juridiques et médicaux, mais au moins est-il possible de savoir de quoi ils traitent. On peut effectuer une analyse fine ou globale, poursuit-il, passer plus ou moins de temps, mais le type de texte peut être facilement défini car la typologie est assez simple.

Dans un ensemble de manuscrits comme celui de Toulouse, il reste environ dix pour cent de fragments non exploitables. Louis Peyrusse remarque les comparaisons effectuées par le conférencier entre les fonds de Toulouse et du Luxembourg et demande si ce type de travail a été fait ailleurs. Thomas Falmagne dit avoir effectué ce type de recherche aux archives de Trèves, de Bar-le-Duc, sur l’ensemble des sources cisterciennes de Clairvaux et sur celles conservées à Troyes. Il mentionne également des entités provenant de différentes bibliothèques municipales, à Paris, ainsi que les sources de Cadouin et de Périgueux. Il note la raréfaction dans le sud de la France des registres susceptibles d’avoir réutilisé des manuscrits. Il précise enfin que les reliures sont rarement défaites et que les analyses sont faites sur les ouvrages tels qu’ils sont.

La Présidente, Emilie Nadal, enchaîne sur une communication courte dont elle est l’auteur : La bibliothèque des Dominicains de Toulouse. Catalogue des imprimés conservés. .

Thomas Falmagne relève quelques particularités du catalogue Laqueille, divisé en deux parties : celle de droite n’a de rayons que de A à D, et celle de gauche, jusqu’à S uniquement. Il propose de vérifier si les livres enchaînés sont les seuls à figurer dans le catalogue, car il lui paraît étonnant de constater l’absence de certains ouvrages dans cette liste.

Au titre des questions diverses Hiromi Haruna-Czaplicki nous présente La bible enluminée en quatre volumes de Moissac , inconnue, conservée à la BNF de Paris : manuscrit latin 37, fin XIIIe-début XIVe s.

Émilie Nadal remercie notre consœur et, devant les nombreuses pistes que présente ce document, estime qu’elle aurait matière à faire une communication longue suivi d’un article intéressant. Thomas Falmagne s’étonne que la conférencière limite son corpus aux bibles et demande si les artistes n’ont pas pu intervenir sur d’autres types de manuscrits. Hiromi Haruna-Czaplicki répond que ce choix facilite l’étude stylistique.

Une seconde intervention a été sollicitée par notre consœur Virginie Czerniak au sujet des restaurations effectuées sur les peintures murales du croisillon nord du transept de Saint-Sernin et récemment achevées : Les peintures romanes de Saint-Sernin de Toulouse : une restauration qui laisse perplexe.

La restauration d’une œuvre d’art, qu’elle soit mobilière ou monumentale, ancienne ou contemporaine, ne doit jamais être considérée comme une opération anodine.

Toucher une œuvre, intervenir sur sa matérialité, c’est toujours prendre le risque de la dénaturer, de trahir la création initiale. Il conviendrait donc, dans une sorte d’absolu idéal, de le faire toujours avec la plus stricte prudence et en mobilisant toutes les compétences requises (restaurateur, historien de l’art, architecte et techniciens des matériaux et de l’environnement) dans le respect de l’œuvre telle qu’elle nous a été léguée, marquée par les altérations du temps et d’éventuels accidents. Un professionnel de la restauration compétent devrait dresser son protocole d’intervention après consultation de ces multiples forces vives et de leurs connaissances spécifiques, en s’interrogeant sur le bienfondé de son action, car une restauration peut ne pas se révéler forcément nécessaire. La pertinence des regards croisés est l’unique garantie d’une opération respectueuse de l’intégrité de l’œuvre que l’on se doit de pérenniser en veillant à réfléchir puis à appliquer des mesures de conservation destinées à prévenir d’éventuelles dégradations ultérieures. Une restauration peut viser l’embellissement, mais elle doit aussi s’appliquer à la conservation.

Il nous revient malheureusement de constater que la restauration des peintures du croisillon nord du transept de la basilique Saint-Sernin qui vient de s’achever (les échafaudages ont été démontés vers le 15 février) ne répond en rien à ce cahier des charges utopique. La collégialité ne fut pas de mise, alors même que deux historiennes de l’art, une suisse et une française, travaillent sur ces peintures [1]. On ne peut que le déplorer car leur expertise aurait évité la perte d’un témoignage exceptionnel du travail du peintre des années 1120-1130, un magnifique repentir, c’est-à-dire une erreur du peintre corrigée par ses soins, témoignage ô combien émouvant du geste créatif et de la dimension empirique de la création picturale en ce début du XIIe siècle. Il est tout aussi regrettable que l’on ait gâché l’équilibre général de la composition peinte en soulignant de manière outrancière – sur quels critères ? Nul ne le sait – certaines parties des figures au détriment de l’ensemble. Par ailleurs, il ne nous est pas donné de savoir si l’on s’est interrogé sur les causes des altérations et les conditions de conservation actuelles.

Nous restons donc perplexes devant le déroulement de cette opération et ses résultats. La conservatrice du Musée Saint-Raymond expliquait que cette intervention n’avait pas pour but de recréer la peinture mais « de la nettoyer simplement du brouillard du temps » [2]. Cette restauration, sous la maîtrise d’œuvre de l’architecte en chef des monuments historiques n’a réussi qu’à brouiller la lecture archéologique de ces peintures, témoignages précieux de la décoration picturale d’origine de la grande basilique romane.

Michèle Pradalier-Schlumberger s’étonne de l’absence de comité constitué préalablement à ces restaurations alors qu’il en avait été formé un avant la restauration de la porte Miègeville. Daniel Cazes rappelle qu’il avait formé ce comité scientifique de haute lutte. Concernant la restauration des peintures du croisillon nord de Saint-Sernin, il recommande la prudence du jugement, tout en précisant que cette intervention est réversible. Il faut en tout cas, selon lui, replacer ce travail dans le contexte général du dossier actuel de Saint-Sernin : le plus grand monument de Toulouse et ses abords sont traités en fonction de considérations financières et électorales. On se demande à quoi sert la DRAC si elle n’exige ni ne favorise la constitution d’un véritable comité scientifique pour cette restauration. Il précise enfin que la commande passée par la Ville et le Musée Saint-Raymond aux architectes et restaurateurs était de rendre ces peintures plus lisibles par le public. On ne peut donc leur faire grief d’avoir réalisé une restauration en ce sens, dans la mesure où la déontologie professionnelle a été respectée. Pour Virginie Czerniak, les agents de la DRAC ne sont pas assez spécialisés pour suivre un tel chantier.

Louis Peyrusse rappelle que les restaurations de Pierre Bellin s’étaient limitées à une consolidation et au bouchement des piquetages, et qu’il n’avait effectué aucune retouche.

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