Société Archéologique  du Midi de la France
FacebookFlux RSS

Séance du 6 décembre 2022

separateur

Communication courte de Laurent Macé, Quand les Picard portaient des peaux de bêtes à Toulouse.
La galerie lapidaire du musée des Augustins de Toulouse recèle un certain nombre de trésors lapidaires. L’une de ces inscriptions, présentée dans le cadre de l’exposition Toulouse 1300-1400. L’éclat d’un gothique méridional qui se tient en ce moment-même au musée de Cluny (Paris), mérite tout particulièrement l’attention. Tout d’abord, parce qu’elle est demeurée inédite jusqu’à ce jour ; ensuite, parce qu’elle livre l’épitaphe d’un marchand de fourrures ; enfin, parce que ce document, en apparence bien anodin, est singulier à bien des égards. Une simple notice de quelques lignes dans un catalogue d’exposition ne suffira donc pas à livrer la totalité des informations qui se dégage de cette inscription gravée dans la pierre.

Communication courte de Dominique Watin-Grandchamp, Des franciscains dans un tiroir.
Des Franciscains dans un tiroir
A l’occasion de la restauration d’un meuble de sacristie à l’église de la Daurade, à Toulouse, le restaurateur et la conservatrice du Patrimoine de la ville de Toulouse Marie-Dominique Labails ont découvert que les fonds de tiroir du meuble étaient constitués de planches peintes en réemploi. Elles représentent des personnages, crucifiés, en habit de moine. Les cartels qui sont sur les croix portent des noms, « latinisés », qui ont permis d’identifier quatre des six frères franciscains figurant parmi les vingt-six victimes d’un massacre de religieux à Nagasaki (Japon), en 1597. Les martyrs de Nagasaki ont été béatifiés en 1627 par le pape Urbain VIII puis canonisés, en 1862, par le pape Pie IX
L’iconographie de cet épisode se diffuse dans la chrétienté par des gravures, comme celle de Jacques Callot (1627), qui ont fortement inspiré le décor peint datable du XVIIe siècle.
Le meuble de sacristie semble réalisé au début du XIXe siècle et il utilise des bois de récupération. Nous n’en avons plus que des vestiges fragiles mais il est possible que cet ancien décor de lambris ou de petit retable provienne du couvent des Cordeliers de la Grande Observance de Toulouse, dépecé entre 1790 et 1802.

1-Meuble de sacristie XIXe à la Daurade (Toulouse)
2-Moine franciscain crucifié, peint sur une planche de fond de tiroir (réemploi)
3-Martyre de 6 franciscains, parmi 26 religieux, à Nagasaki (Japon) en 1597
(Gravure de Jacques Callot en 1627)

Présents : Mme Czerniak, Présidente, MM. Cabau, Directeur, Ahlsell de Toulza, Trésorier, Mme Machabert, Secrétaire-adjointe, M. Péligry, Bibliothécaire-archiviste ; Mmes Fournié, Jaoul, Watin-Grandchamp, MM. Cazes, Garland, Macé, Peyrusse, Scellès, Sournia, Surmonne, membres titulaires ; Mmes Dumoulin, Ledru, Rolland, M. Carraz, membres correspondants.
Excusés : Mme Napoléone, Secrétaire générale ; Mmes Cazes, Lamazou ; MM. Garrigou Grandchamp, Kerambloch, Penent, Tollon.

La Présidente ouvre la séance en évoquant la mémoire de notre confrère Jean-Luc Boudartchouk, dont nous avons appris la disparition avec une immense tristesse. En hommage, la Présidente lit le texte de Dominique Garcia, Directeur de l’INRAP, retraçant la brillante carrière de Jean-Luc Boudartchouk. Virginie Czerniak ajoute qu’il était un des piliers de notre Société, très actif, disponible pour proposer des communications passionnantes, et répondant toujours présent aux sollicitations. Jean-Luc Boudartchouk était un conférencier exceptionnel, un collègue fabuleux, qui nous manquera considérablement. Pour Daniel Cazes, Jean-Luc Boudartchouk était un membre très important de notre Société, qui a procuré des publications nombreuses, toujours brillantes. Ses qualités humaines sont unanimement rappelées. Nombreux sont ceux, au sein de la Société, à le compter comme un ami, trop tôt disparu. Daniel Cazes l’avait rencontré à Toulouse, lors de la fouille, déterminante dans la carrière de notre confrère, du palais des Wisigoths à Larrey, en 1988. Après ce chantier, il s’est passionné pour cette période et il a participé à des découvertes sensationnelles : celle du podium du temple du Capitole place Esquirol reste la plus importante. Son apport en matière archéologique est considérable. La Présidente revient sur son rôle déterminant dans la connaissance de la Toulouse antique : les fouilles de la place Esquirol, les travaux sur l’hagiographie de saint Antonin… Nombreux sont les chercheurs qui ont pu bénéficier de son travail scientifique exemplaire et de son sens du partage, au service du bien commun. Après ces quelques mots, c’est, submergée par une vive émotion, que l’assemblée observe une minute de silence. En cet instant bouleversant, nos pensées sont tournées vers les proches de Jean-Luc Boudartchouk et en particulier vers sa compagne, Anne-Laure Napoléone. Nous lui témoignons tout notre soutien et l’accompagnons de notre sincère affection dans cette épreuve.

La Présidente souhaite la bienvenue à Damien Carraz, nouveau membre. Puis elle signale les dons d’ouvrages faits par Maurice Scellès pour la bibliothèque : Camille Enlart, Manuel d’archéologie française depuis les temps mérovingiens jusqu’à la Renaissance. Première partie : Architecture. II Architecture civile et militaire, Paris, Picard, 1904 ; Sébastien Poignant (dir.), L’habitat médiéval de Comble Male, Nadillac (Lot), 2 vol., SRA-DRAC Midi-Pyrénées, 1999 ; Marcenaro Mario, Il battistero paleocristiano di Albeng ; le origini del cristianesimo nella Liguria, Recco (Genova), 1994 ; Albert Gleizes, Vers une conscience plastique, la forme et l’histoire, Paris, Jacques Povolozky, 1932, exemplaire numéroté.

Notre Présidente donne ensuite la parole à Laurent Macé pour sa communication courte : Quand les Picards portaient des peaux de bêtes à Toulouse. À propos d’une inscription lapidaire du XVe siècle.
Virginie Czerniak remercie notre confrère pour sa présentation. Elle rappelle que les armes de Dominique Grima dans la chapelle Saint-Antonin du couvent des Jacobins sont également très personnelles et allusives puisqu’il introduit en partie inférieure la barque qui fait référence à la translation miraculeuse des reliques de saint Antonin, le saint patron de l’évêché de Pamiers, dont il occupe le siège épiscopal à la fin de sa vie. La structure est ainsi similaire à celle présentée ici. L’exemple est donc intéressant : l’usage ne diffère pas pour les clercs.
Michelle Fournié intervient au sujet de la représentation de saint Jacques sur l’épitaphe présentée à titre de comparaison (musée de Brive). Elle signale que saint Jacques a été figuré en apôtre avant de l’être en pèlerin. Emmanuel Garland mentionne une première trace dès 1210 à Mimizan. Michelle Fournié poursuit en précisant que le lien de Jacques le Majeur avec la mort est très développé dans les travaux de Denise Péricard-Méa, auteure d’une thèse sur le culte de saint Jacques. Cette dernière développe notamment l’idée d’un saint Jacques psychopompe, conducteur des morts ; aussi, s’il s’agit bien de saint Jacques, l’iconographie présentée ici peut y faire référence. D’autre part, dans le Registre d’inquisition de Jacques Fournier (1319-1323) certains témoins racontent que les défunts accomplissent post mortem un pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle, ce qui est une croyance bien répandue dans le Midi de la France. Par ailleurs, il existe à Toulouse plusieurs confréries Saint-Jacques, dont les archives sont conservées : le registre de la confrérie Saint-Jacques du Bourg ne concerne malheureusement pas le secteur de Saint-Michel, mais 1 200 noms de confrères de la fin du XIIIe et du début XIVe siècle y sont énumérés. Le registre de Saint-Jacques de la Cité est, quant à lui, conservé à Cracovie, mais il est numérisé. Ce sont peut-être des pistes pour retrouver des traces de ce « Guilheume de Paris ». Daniel Cazes demande si la « marque de marchand » peut avoir un caractère monogrammatique ? Laurent Macé par la négative, elle lui semble plutôt ressortir du domaine des seings de notaires. Concernant la date, Daniel Cazes remarque que souvent dans des écus médiévaux se retrouvent des marques de ce genre, chantournées, mais plutôt monogrammatiques avec des éléments de croix, des lettres enlacées… Il signale, par exemple, celles présentes sur deux écus de la sacristie des Augustins, des années 1320. En étudiant les collections du Musée des Augustins et en opérant des comparaisons, Daniel Cazes avait remarqué que ces signes monogrammatiques étaient surtout très fréquents dans le premier quart du XIVe siècle. Maurice Scellès se souvient en avoir trouvé dans les édifices religieux du Quercy et il ajoute que les albums de l’armorial général de Charles d’Hozier en donnent de nombreux exemples. Laurent Macé précise qu’il en existe aussi beaucoup sur les plafonds peints au XVIe siècle. Valérie Dumoulin indique qu’il existe une très nombreuse série de plafonds peints avec des marques de marchands pour l’année 1492, qui est une année-clé. Il y en a, dès 1450, à Pont-Saint-Esprit, puis après à Pomas et à Lagrasse, où beaucoup de commerces étaient installés. En l’absence de répertoire, ces marques n’ont pu être identifiées. La seule étude connue sur le sujet est un article de Géraud de Lavedan sur les marchands-pasteliers. En raison de l’absence de date, notre Directeur demande si l’exécution de cette épitaphe est antérieure ou postérieure à la mort ? Au vu du développement iconographique, il semble que le commanditaire en ait surveillé l’exécution. La réalisation aurait donc été effectuée de son vivant conclut Patrice Cabau. D’autres cas sont recensés. À titre d’exemple, notre confrère mentionne une épitaphe de Saint-Bertrand-de-Comminges, qu’il a revue la veille, sur laquelle seul manque le millésime de la mort.

La parole est ensuite donnée à Dominique Watin-Grandchamp pour la seconde communication courte du jour : Des Franciscains dans un tiroir.
La Présidente remercie notre consœur pour sa présentation passionnante. Elle revient sur la datation de ces peintures, probablement du XVIIe siècle. Dominique Watin-Grandchamp confirme cette hypothèse : pour elle, elles ont été exécutées peu de temps après la béatification en 1627. Il y a alors une circulation d’informations et une correspondance très vive entre les établissements franciscains, y compris d’un continent à l’autre. Aussi, l’iconographie se diffuse-t-elle très vite. Par ailleurs, le style des peintures est aussi caractéristique du XVIIe siècle. Les grisailles évoquent le travail d’un illustrateur ou d’un graveur, plutôt que celui d’un peintre. En effet, les positions des personnages sont un peu hiératiques, mais la minutie dans le détail est perceptible. Les flots de sang font penser aux stigmates, note Virginie Czerniak. La mise en parallèle iconographique n’est sans doute pas anodine dans le contexte franciscain. Ce sang apparaît blanc, renvoyant au sang des êtres pieux, ajoute Dominique Watin-Grandchamp. Cet élément est accentué par le fond rouge. Ces peintures sont, chromatiquement, très étudiées. Ainsi, elles auront été réalisées dans le deuxième quart du XVIIe siècle conclut Emmanuel Garland. « Que vont devenir ces panneaux ? », demande notre Présidente. Dominique Watin-Grandchamp répond que le meuble ne sera pas protégé ; par contre l’existence des panneaux est signalée et une restauration a été demandée afin d’éviter la disparition, à l’usage, d’un autre personnage peint. Les tiroirs sont actuellement condamnés et les peintures invisibles. Leur dépose n’est pas encore envisagée. Les panneaux auraient toute leur place au Musée des Augustins. Dominique Watin-Grandchamp revient sur le travail du menuisier, qui semble avoir volontairement rabouté les planches, même lorsqu’elles étaient incomplètes. Des traces au-dessus du chapelet de saint François montrent qu’un nœud de bois a été rebouché, ce qui signifie que la restauration a été « restaurée » dans les dernières années du XIXe siècle ou dans le courant du XXe. D’évidence, l’auteur du meuble a voulu conserver les panneaux peints, sinon la coupe ne serait pas aussi propre, complète Maurice Scellès, Leur positionnement en fond de tiroir n’est sans doute pas innocent, ajoute Dominique Watin-Grandchamp. Louis Peyrusse s’intéresse à la gravure de Sadeler montrée lors de la présentation. Le paysage et le positionnement des croix de cette composition rend crédible la proposition faite par une stagiaire pour restituer l’organisation des panneaux peints. Cet ensemble n’est pas nécessairement un décor de chapelle : il peut s’agir d’un décor à l’intérieur du couvent, dans un lambris. Dominique Watin-Grandchamp confirme : ces planches, par leur épaisseur et leurs cloutages, constituaient un lambris de petit module. Louis Peyrusse suggère qu’il peut s’insérer dans un couloir du couvent, au-dessus d’un meuble. Ou alors au-dessus d’un meuble de sacristie, complète Virginie Czerniak. La gravure est la source indirecte de ces peintures selon Louis Peyrusse. Notre Trésorier rappelle la présence, dans la sacristie de la cathédrale de Castres, d’un meuble composé de deux éléments ; dans sa partie supérieure sont intégrées des peintures ; la partie haute, en dosseret, permet d’éviter d’avoir les objets contre le mur. Cela expliquerait aussi les traces d’éclaboussures de cierges. Dominique Watin-Grandchamp poursuit en ce sens : le bas d’une des planches est laissé brut, ce qui permet d’imaginer une baguette de lambris et une planche encochées dans quelque chose qui les dissimule. Y-a-t-il des traces d’assemblages, des queues d’aronde, demande alors Virginie Czerniak ? Il n’y en a pas sur les planches ; d’ailleurs aucune n’est vraiment cohérente, répond Dominique Watin-Grandchamp. Par exemple, la planche figurant saint Pierre-Baptiste a été raboutée mais pas entièrement, et une partie de la représentation a été gommée. Ce qui irait dans le sens d’une volonté de conservation, souligne Maurice Scellès. Louis Peyrusse résume : d’une part le menuisier faisait des économies en réemployant ces planches, d’autre part il sauvait ces éléments peints sacrés. Daniel Cazes note un autre point intéressant, celui du choix de la grisaille, qui était à la mode au XVIIe siècle. Ainsi en est-il des peintures de François Fayet illustrant la vie de saint Bruno encore en place dans le chœur de l’église des Chartreux de Toulouse. Dominique Watin-Grandchamp constate que, malgré ces éléments stylistiques, il est difficile de savoir qui, dans le milieu toulousain de la période, travaillait de la sorte. Louis Peyrusse précise que si le modèle de la commande était la gravure de Sadeler, le peintre a dû s’y conformer. Tout dépend donc du marché passé. La qualité de la facture est indéniable : la représentation des pieds sur les sellettes et les jeux d’ombres jusqu’au choix de la polychromie. Guy Ahlsell de Toulza signale qu’un film retrace l’histoire de ces moines à Nagasaki. Mme Watin-Grandchamp rappelle le contexte : dès leur arrivée, les Franciscains ont une action sociale et de conversion immédiatement très efficace ; en 1596, ils sont arrêtés une première fois, accusés de préparer la venue de marchands ibériques ; un an plus tard, ils sont crucifiés à Nagasaki, sur le côté de la colline devant la mer, face à l’Occident – force du symbole !

Au titre des questions diverses, Maurice Scellès relaie un message de Jacques Lapart, Président de la Société archéologique du Gers, ancien membre de la Société archéologique du Midi de la France. Celui-ci nous transmet ces quelques lignes extraites d’un acte de notaire d’Auch et pouvant intéresser certains de nos membres :

« Le 27 mars 1672, accord entre Joseph Lacroix architecte et tailleur de marbre de St-Bertrand de C pour sr Gervais Drouet me architecte d’Auch … de luy faire un tombeau de marbre bien noir meslé de qque peu de blanc conformément au profil qui y a esté présentement bailhé … et lesd tombeau led Lacroix promet et s’oblige de l’avoir fait et parfait pour la feste de St Jean B prochain, poly, lustré et mis en place ds la ville de Thle dedans l’église du couvent des pères Cordeliers de la grande observance pour le tombeau de feu Monsieur le président Dauneville … pour 160 l » ( 3 E 2424 f° 76 v°, Me Desquac notaire d’Auch.)

Avant de clore la séance, la Présidente rappelle qu’une visite de l’exposition Toulouse 1300-1400, l’éclat d’un gothique méridional au Musée national du Moyen Âge - Cluny est au programme de nos activités, le samedi 14 janvier 2023. Celles et ceux qui souhaitent y assister sont invités à s’inscrire directement auprès d’elle.

Haut de page