Société Archéologique  du Midi de la France
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Autour de Saint-Sernin de Toulouse : quel projet ?

par Daniel Cazes, président de la S.A.M.F.
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Le 29 juin dernier, une série de panneaux explicatifs, trilingues, a été apposée sur les grilles qui protègent la basilique Saint-Sernin. Leur but semble être l’information des passants sur le monument. Leur lecture montre cependant qu’ils ont été composés pour soutenir le projet de réaménagement des abords de Saint-Sernin élaboré par l’urbaniste catalan Joan Busquets, dont une simple esquisse (fig. 1), répétée deux fois, ouvre et clôt un discours soigneusement mis en page et illustré. Le commanditaire, « Toulouse-Métropole » (municipalités de Toulouse et des villes qui l’entourent), timbre ambitieusement ces panneaux d’un « Toulouse en grand ! », qui laisse attendre une réalisation hors du commun.

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Un projet qui reste à bâtir

Le projet ne paraît en fait pas bien fixé, ni dans son ensemble ni dans ses différentes composantes. La mairie de Toulouse l’a reconnu – « …il s’agit bien d’une esquisse et non d’un projet finalisé… » – tout en rappelant le but poursuivi : « une mise en beauté de la basilique, joyau de notre ville, avec un pavement de la place et un aménagement paysager pour matérialiser l’emplacement de l’ancien cloître. » [1] Nous est donc offerte ici l’une de ces séduisantes images qui veulent nous faire admettre ou vendre quelque alléchante réalisation. Le texte affiché ne révèle ni les intentions exactes de « Toulouse-Métropole » ni celles de l’urbaniste. Il dit seulement que le projet confié à ce dernier est « l’occasion d’apporter un soin particulier à la découverte des vestiges archéologiques ensevelis ». Pour en savoir plus, le passant n’a guère que la possibilité d’analyser la vue graphique.

Que deviendra la place Saint-Raymond, que l’on y voit vaguement plantée de quelques arbres, sans autre chose : la fontaine, par exemple, que l’on y attendrait pour le rafraîchissement des oiseaux et des humains ? Quel sera le sort des grilles et jardins actuels, dont une partie semble avoir disparu sur ce dessin ? Que deviendra le point de vue exceptionnel dominé à l’Est par le chevet de la basilique ? Est-il loisible d’attendre quelque pensée prospective sur l’emplacement de l’ancienne abbaye, au Nord de l’église, devenu un des lieux publics – on n’ose dire place – le plus ingrats du centre ancien de Toulouse ? Sur l’esquisse susdite, un petit carré vert, centré sur une gloriette d’orangers, évoque pauvrement le grand cloître roman disparu, mais ne correspond ni à ses dimensions ni à son implantation. Partout ailleurs, de longs tracés, comme ces hachures dont on barre les croquis, et des alignements d’arbres se distinguant peu de l’existant laissent une impression de vacuité et d’incertitude. Et nous amènent à nous poser la question : où est le projet ?

Ceux qui vivent autour de Saint-Sernin, visitent la basilique et le musée des Antiques, ou réfléchissent un tant soit peu sur l’extraordinaire évolution du site, de l’Empire romain à nos jours, restent sur leur faim. La Société archéologique du Midi de la France a fait part de ses interrogations, en votant, le 17 mars 2015, une motion, envoyée au maire de Toulouse et président de « Toulouse-Métropole », Jean-Luc Moudenc. Elle a aussi constitué en son sein une commission spéciale, qui tient à la disposition de tous, sur son site internet, un dossier alimenté par ses membres, historiens, archéologues, historiens de l’art, architectes. Le « Collectif Sauvegarde Saint-Sernin » , formé de bénévoles qui accueillent les visiteurs de la basilique et d’habitants du quartier, a lancé le 21 juillet une pétition, diffusée par « change.org » : « Pour la valorisation de la place Saint-Sernin de Toulouse et la sauvegarde de son site archéologique millénaire. » Au mois d’août, elle avait déjà recueilli plus de neuf cents signatures, souvent assorties de commentaires qui montrent l’intérêt, en France et dans le monde, pour Saint-Sernin et son site. Une pétition complémentaire, sur papier, a aussi rassemblé plusieurs centaines de soutiens. C’est donc que ce projet suscite incompréhension, méfiance et désir d’éclaircissement.

Résoudre tous les problèmes, mais avec un cap bien défini

Pourquoi réaménager les abords de Saint-Sernin ? S’agit-il seulement de renouveler une voie publique vieillissante et d’en revoir le mode d’utilisation ? La croissance de la métropole et l’augmentation du tourisme mondial – un phénomène de société qui marque déjà et concernera toujours plus notre siècle – font qu’il devient indispensable d’adapter les abords de Saint-Sernin à toutes les demandes. Ces attentes, aujourd’hui mal ou pas du tout satisfaites, sont plus nombreuses qu’on ne le croirait : culte catholique, mariages, obsèques, prière et méditation ; éducation, culture, tourisme ; étude, conservation, entretien et restauration du patrimoine ; grand orgue Cavaillé-Coll, musique, concerts ; promenade, repos ; véhicules (urgences, riverains, livraisons…) ; animaux ; espaces verts ; eau et hygiène ; marchés, activités, droits de place ; vie professionnelle et commerciale ; nettoyage et ordures ; accès pour tous, sécurité et éclairage. C’est donc bien le moment de repenser tout cela, et il ne s’agit pas que d’un problème de voie publique. Le lecteur se rendra compte de la complexité du tout.

Cependant, il est une chose sur laquelle l’on devra s’entendre. Au sein d’une ville de quelque 12000 hectares et d’une agglomération plus étendue encore, ce qui permet tout de même de faire tout ce que l’on veut, la fonction principale des abords de Saint-Sernin doit rester patrimoniale. Parce qu’il n’y a qu’un Saint-Sernin sur notre planète et que Toulouse a le privilège de le posséder. C’est un atout-maître, mais qui engendre respect et obligations. Saint-Sernin est le monument majeur de la ville. Son statut de Monument Historique de la France lui fut octroyé par l’État dès 1838, celui de basilique mineure par le Vatican en 1878, avant que l’UNESCO ne l’associe en 1998 à son Patrimoine Mondial au titre de son appartenance aux chemins de Saint-Jacques de Compostelle.

Pour un « Grand Saint-Sernin » original et ambitieux

Il faut réinscrire pleinement le monument dans son contexte signifiant et lui redonner ainsi toute sa valeur. Pour cela, cessons de l’isoler dans un environnement urbain fabriqué en fonction de normes étrangères à l’esprit du lieu, qu’elles soient dictées par l’urbanisme du XIXe siècle (d’ailleurs partiellement suivi ici) ou par le « tout granit » inséparable d’un mobilier banal et déjà vu. Il est urgent de trouver autre chose, qui soit spécifique de Saint-Sernin et plus imaginatif. Il n’y a d’autre option que de commencer par une fouille archéologique programmée complète des abords de la basilique, qui n’a rien à voir avec les sondages rapides et peu profonds que l’on vient de faire. Elle donnera les orientations indispensables à la mise en place du projet. Cela veut dire accepter d’emblée l’idée que les découvertes, ne seraient-ce que les fondations des bâtiments historiques disparus, guideront les tracés des futurs aménagements, comme autant de lignes conductrices vers le sens de la basilique qui s’élevait autrefois au milieu de ceux-ci. Une telle démarche est fondamentalement différente du placage d’un revêtement moderne sur une superposition de vestiges dont on ne veut rien savoir. Et comme, avant d’entreprendre cette fouille, la documentation existante permet de repérer quelques points forts, il est permis d’avancer déjà des propositions.

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Les terrains où s’élevaient l’abbaye et le cloître de Saint-Sernin (fig. 2) devraient être affectés à un jardin public des vestiges. L’aire complète du cloître en serait la zone la plus ouverte, comme elle l’était lors de l’édification de l’église. Le sinistre terrain aujourd’hui bien vide au débouché de la rue Gatien-Arnoult, où se dressaient autrefois plusieurs constructions abbatiales, devrait être réservé au musée de l’œuvre de Saint-Sernin, dont l’idée existe depuis 1988. Tout cela formerait, avec la basilique et l’emplacement de ses cimetières (où l’on attend un traitement végétal et paysager), une « unité fonctionnelle » dont l’activité, religieuse, éducative et touristique, serait ainsi grandement améliorée. Quant au musée de l’œuvre, indispensable pour l’accueil et l’information des visiteurs, il est un défi extraordinaire à relever pour Toulouse. Comme il est, pour un architecte de notre temps, un appel à une création de premier plan, dialoguant en beauté avec un monument-clef de l’Europe méridionale.

Un grand projet qui intègre tout l’environnement de Saint-Sernin

Il en va différemment de ce qui est à l’ouest de Saint-Sernin, où tout s’organise autour de la place Saint-Raymond (fig. 3), centre de gravité secondaire. Là, l’évolution des XIXe et XXe siècles a concerné deux autres monuments, mineurs certes par rapport à la basilique, mais d’un intérêt complémentaire : l’ancien collège universitaire Saint-Raymond et l’hôtel Dubarry. Le second, avec son parc, a été absorbé par le lycée Saint-Sernin. Il mérite une ouverture permanente au public, en raison de sa valeur pour la connaissance du Siècle des Lumières à Toulouse, des surfaces d’exposition qu’il offre et de sa situation au sein du pôle patrimonial et touristique de Saint-Sernin. Cette dernière considération vaut aussi pour le musée des Antiques de Toulouse, installé dans le bâtiment subsistant du collège Saint-Raymond.

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Mais, là, une adaptation aux temps présents a déjà été amorcée entre 1996 et 1999, avec la réalisation d’une première phase de réaménagement du musée. La phase suivante, une extension souterraine, déjà pensée dans un programme muséographique global dès les années 1990, tarde trop à être réalisée. Elle est pourtant un besoin vital pour ce musée et le pôle précédemment cité. L’idée forte pour le maintien des collections d’Antiques à proximité de la basilique Saint-Sernin est que cette dernière constitue aussi un formidable « ascenseur » pour remonter le temps, jusqu’à l’Empire romain, dont ce musée conserve un ensemble de sculptures parmi les plus importants du monde. Cette relation, judicieusement pressentie dès 1949 par Robert Mesuret et la Direction des Musées de France, est originale, positive et signifiante. Le musée, deuxième « moteur » de l’ensemble, en constitue la deuxième « unité fonctionnelle ». Après une fouille archéologique programmée intégrale de la place Saint-Raymond, il doit en investir le sous-sol. Nous avions même suggéré que ce parcours souterrain le mette en relation avec l’hôtel Dubarry. Une réflexion sur les différentes utilisations de ce dernier avait été poussée assez loin, avec les enseignants du lycée, leur proviseur Joël Olive, et la Région Midi-Pyrénées. C’est, de toute façon, cette complémentarité qu’il faut rechercher, de part et d’autre de la place Saint-Raymond, bien distinctement du musée de l’œuvre, qui a son lien avec l’abbaye disparue et la basilique.

Un « Grand Saint-Sernin » ne peut donc faire l’économie d’un projet d’ensemble, raisonné, planifié, volontaire, avant la moindre réalisation. C’est dire combien il faut éviter le coup par coup. L’ensemble doit être mené à terme dans la continuité – trop longuement interrompue depuis les derniers travaux de la basilique et du musée : quinze ans perdus… –, phase après phase, celles-ci étant parfaitement articulées. Toute l’utilité publique est là, y compris la maîtrise financière et le succès.

Daniel Cazes,
président de la Société Archéologique du Midi de la France
16 septembre 2015

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