Société Archéologique  du Midi de la France
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LES COMPAGNIES DE L’HÔTEL D’ASSÉZAT

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Dans le chœur populaire qui constitue pour Toulouse son hymne « national » — s’il est permis de s’exprimer de la sorte — le premier couplet du poème occitan de Lucien Mengaud débute ainsi : « Que ièu soui fier de tas academios ! », ce qui veut dire « Que je suis fier de tes Académies ! »

UN PROBLÈME DE LOGEMENT

Peu de villes en France comptent, en effet, autant de doctes Compagnies, au sein desquelles toutes les disciplines, toutes les sciences, toutes les formes de la curiosité ou du savoir sont à l’honneur. Toulouse, qui s’enorgueillit de l’exceptionnel privilège de posséder la plus ancienne des Académies littéraires du monde — l’Académie des Jeux floraux fondée en 1323 — est la cité de prédilection des savants, des humanistes, des chercheurs et des érudits. Tout au long des siècles, et singulièrement depuis la fin du XVIIe siècle, divers groupements se sont constitués pour permettre une émulation du savoir par la réunion d’hommes de bonne compagnie, soucieux de parfaire leur culture en contribuant à celle de leurs « confrères » académiques.

Parmi ces « Sociétés savantes » toulousaines, il en est de fort illustres et de plus humbles, de riches (en toute relativité) et de pauvres, et le problème du logement, du lieu des réunions s’est toujours posé pour elles avec plus ou moins d’acuité. Les Capitouls, soucieux de leurs devoirs envers la culture, les ont parfois hébergées soit à l’Hôtel de Ville — comme ce fut le cas pour l’Académie des Jeux Floraux qui avait son « Salon », à côté de la Galerie des illustres — soit dans les immeubles communaux plus ou moins convenables. L’incertitude de ces Sociétés ou de ces Académies quant à la stabilité de leur siège a constamment préoccupé ceux qui avaient mission de les animer, jusqu’au jour où un mécène estima qu’il importait de ne pas laisser ces groupements au hasard des dispositions parfois versatiles de la Municipalité, et de leur assurer un siège commun digne de leur notoriété et de leur prestige.

THÉODORE OZENNE

Théodore Ozenne n’était pas méridional. D’origine normande, il était né en 1814 à Paris où sa famille tenait un commerce, mais les affaires n’étant guère brillantes, son instruction ne fut pas celle qu’auraient souhaitée l’intelligence éveillée et le désir d’apprendre du jeune garçon. Tout d’abord employé de commerce, il connut de modestes débuts, mais son patron ayant discerné ses réelles qualités le chargea bientôt d’entreprendre à travers la France des caravanes mercantiles afin de faire connaître les lainages qu’il vendait. Nouvel Argonaute partant à l’aventure vers la conquête de la Toison d’or, voici que Ozenne passant à Toulouse, fut séduit par cette ville, à tel point qu’il décida de s’y fixer. Une fée propice, qui se nommait sans doute Clémence Isaure, lui permit de passer assez rapidement de la modeste situation de commis à celle de riche négociant, et il ne tarda guère à compter parmi les notables de la cité qui l’avait adopté. Établi aux Quatre coins des Changes, le commerce de bonneterie qu’il avait fondé, sous l’enseigne Au Bonnetier Parisien, connut un essor considérable. Marié à la fille d’une honorable famille de Castanet, Théodore Ozenne devint l’intermédiaire des hommes d’affaires qui avaient recours à son expérience et à son crédit. Par des opérations de bourse, il accrut ses bénéfices et ne tarda pas à devenir directeur du Crédit Agricole, ce qui lui permit d’entrer au Tribunal de Commerce, à la Chambre de Commerce, dont il fut Président, au Capitole en qualité d’adjoint au maire de Toulouse.
Cet homme rangé, honnête, scrupuleux, eut cependant une passion : il tomba amoureux de... Clémence Isaure. D’aucuns on dit que la vierge sage qui restaura les Jeux Floraux fit, avec le président Ozenne, un mariage de raison... voire d’argent. Rien n’est moins exact. Dans l’éloge qu’il a prononcé du Mainteneur disparu, à la séance publique du 12 mai 1898, le comte Fernand de Rességuier, secrétaire perpétuel de l’Académie des Jeux Floraux, a pu dire : « Naïve et de vocation romantique, Clémence Isaure ne saurait être accusée d’avoir, en cette circonstance, vendu son cœur. Elle fit réellement un mariage d’inclination », et d’ajouter que ce sentiment s’était graduellement développé « par fréquentation réciproque et sympathie grandissante ». Ce qu’ignorait Clémence Isaure, c’est que ce riche négociant toulousain, comblé de tous les honneurs, envisageait de la loger dans un palais de la Renaissance afin qu’elle soit certaine d’avoir perpétuellement la demeure qu’elle méritait. Après un aimable flirt prolongé par une assiduité exemplaire aux séances publiques de l’Académie, celle-ci ouvrit ses portes à Théodore Ozenne en lui attribuant le cinquième de ses quarante fauteuils.

L’HÔTEL D’ASSÉZAT ACCUEILLE LES ACADÉMIES ET SOCIÉTÉS SAVANTES

Le discours prononcé par le nouveau Mainteneur, le 19 avril 1891, prouva que ce choix était judicieux. Il s’avéra fort bénéfique lorsque, brusquement, le Conseil municipal de Toulouse vint à décider de supprimer tout subside à l’Académie des Jeux Floraux jugée trop « réactionnaire ». Ozenne qui, n’ayant point d’enfant, avait disposé de tous ses biens en faveur de la Ville et de fondations charitables, entrouvrit alors son testament et, de son vivant, fit don à l’Académie des libéralités qu’il lui réservait après sa mort. Il fit mieux encore. Ayant acquis de la famille Gèze l’Hôtel d’Assézat détourné de son affectation résidentielle par de nombreux commerçants qui y avaient établi leurs entrepôts, il décida d’affecter cette noble demeure aux principales Académies et Sociétés savantes de Toulouse. À cet effet, par testament du 30 août 1895, il légua à la Ville l’Hôtel d’Assézat sous la condition expresse et formelle que le nom de Clémence Isaure y serait ajouté, et que l’immeuble recevrait la destination qu’il lui assignait, à peine de révocation de son legs :

« Les Sociétés Savantes devront y être parfaitement et gratuitement installées, écrivait-il. Chacune d’elles devra y trouver les locaux nécessaires pour ses réunions et ses archives. La préférence dans le choix des locaux sera laissée à l’Académie des Jeux Floraux ; après elle, viendront l’Académie des Sciences, Inscriptions et Belles-Lettres, l’Académie de Législation, la Société de Géographie et, s’il se peut, les Sociétés de Médecine et d’Archéologie.
« La Ville sera expressément tenue de faire, à ses frais, tous les travaux, modifications et améliorations nécessaires à cette installation.
« La Ville devra aussi établir une grande salle où auront lieu les réunions générales et publiques données par ces diverses Sociétés.
« Je demande qu’il ne soit jamais traité de questions politiques ou religieuses, car j’aime tout ce qui réunit les cœurs et je déteste tout ce qui les divise. Ma fondation actuelle n’a d’ailleurs qu’un but exclusivement littéraire et scientifique.
« En donnant au susdit Hôtel d’Assézat le nom de Clémence Isaure, je me suis inspiré de ce nom gracieux qui a donné à Toulouse le doux rayon de gloire qui l’embellit depuis plusieurs siècles. »

C’est dans ces conditions que la Ville fut autorisée à accepter ce legs et en exécute depuis les charges avec libéralité.
Mais des travaux importants de consolidation et de réparation étaient nécessaires et urgents ; ils furent entrepris et dirigés par le doyen Antoine Deloume, secrétaire perpétuel de l’Académie de Législation, exécuteur testamentaire de Théodore Ozenne dont il était l’ami. M. Deloume présida de la façon la plus intelligente et la plus généreuse à l’aménagement des locaux mis à la disposition des Sociétés.

ACADÉMIES ET SOCIÉTÉS

Chacune des six Compagnies désignées par Ozenne conserve entière indépendance et autonomie, mais afin de maintenir entre elles l’entente la plus étroite en vue de l’œuvre voulue par le testateur et pour mieux assurer les droits qu’il a entendu leur conférer, elles ont, sur l’initiative du doyen Deloume, confié à un Conseil d’Administration le soin de veiller à leurs intérêts communs. Aux termes du règlement adapté par les six Compagnies, le Conseil d’Administration est composé de deux représentants pour chacune d’elles, dont l’un est de droit le Secrétaire perpétuel ou général. Son Président, élu pour trois ans, est Administrateur de l’Hôtel. Les Compagnies ne peuvent tenir des séances publiques extraordinaires, en dehors de leurs usages constants, sans l’approbation du Conseil. Seules, les Compagnies habitant l’Hôtel peuvent tenir des séances publiques ou privées dans la salle commune ou dans leurs locaux respectifs. Néanmoins, le Conseil peut autoriser des Congrès régionaux, nationaux ou internationaux ayant un caractère ou un objet exclusivement scientifique, artistique ou littéraire, dans la mesure où les organisateurs de ces Congrès s’engageront à respecter la recommandation faite par Théodore Ozenne d’éviter toute discussion politique ou religieuse.

Nous ne reparlerons point de l’Académie des Jeux Floraux, première bénéficiaire des libéralités d’Ozenne, et à laquelle ses sœurs académiques doivent, indiscutablement, d’être logées dans l’Hôtel d’Assézat et de Clémence Isaure. M. Le Professeur Marcel Sendrail vient d’évoquer les sept siècles de glorieuse histoire de cette Compagnie, mais il semble nécessaire de dire un mot des deux autres Académies et des trois Sociétés — toutes reconnues d’utilité publique — qui ont ici leur siège.

L’Académie des Sciences, Inscriptions et Belles-Lettres pourrait invoquer une pittoresque origine. Dès 1640, les hommes de science et les beaux esprits de Toulouse avaient l’habitude de se réunir, après souper, chez le Conseiller au présidial Gabriel de Vendages de Malapeyre, en son hôtel de la rue du Canard. Comme les rues étaient alors fort obscures et peu sûres, ils se dirigeaient à la lueur d’une lanterne, et on aurait pris l’habitude de les désigner sous le nom de « Lanternistes ». Le Mercure Galant de juin 1698 rapporte l’anecdote, ce qui prouve que la réputation de ces doctes personnages était parvenue jusqu’en la capitale. Lucerna in nocte (une lumière dans la nuit), telle était leur devise. Les réunions chez le Conseiller de Malapeyre cessèrent ensuite, jusqu’au jour où l’abbé Maury, bel esprit cherchant à briller, reconstitua la Société des Lanternistes et, avec le bienveillant appui du Premier Président Gaspard de Fieubet, obtint des Capitouls un local pour ses réunions dans l’une des maisons nouvellement édifiées par la Ville sur la place du Pont-Neuf. La rue dans laquelle se trouvait la porte d’entrée de cet immeuble s’appelait dès 1359 : rue Lanternières. Ces érudits ne dédaignaient pas d’organiser, eux aussi, des concours de poésie, et ils discutaient sur les lettres aussi bien que sur les sciences, à tel point que les Mainteneurs des Jeux Floraux voyaient d’un assez mauvais œil cette concurrence qui prit fin lorsque les lettres patentes de Louis XIV précisèrent, en 1694, les buts de l’Académie des Jeux Floraux. À partir du début du XVIe siècle, les anciens Lanternistes s’orientèrent donc plus délibérément vers les sciences — botanique, physique, chimie, astronomie, sans négliger cependant la philosophie au sens large et les belles-lettres, à l’exclusion de la poésie. Louis XV témoigna sa sollicitude envers la Société des Sciences et, pour reconnaître ses mérites, en 1746, il l’érigea en Académie Royale des Sciences, Inscriptions et Belles-Lettres. En 1750, le marquis de Chalvet, sénéchal de Toulouse, obtint que l’hôtel de la Sénéchaussée, à l’angle de l’actuelle rue Furgole, fut donné à la Compagnie afin qu’elle put y établir ses salles, ses laboratoires et ses jardins botaniques. L’avancement des sciences ainsi que l’enseignement des mathématiques, durent beaucoup à l’activité féconde de la nouvelle Académie, et c’est dans son sein que se retrouvèrent les premiers archéologues qui se penchèrent sur l’étude des monuments antiques. Supprimée par la Révolution, qui confisqua ses biens, l’Académie fut reconstituée sous le signe de Pierre de Fermat, par arrêté préfectoral du baron Desmousseaux le 30 octobre 1807. Divisée en deux classes : celle des Sciences (elle-même subdivisée en deux sections : Sciences mathématiques et physiques ; Chimie, Sciences naturelles et Médecine) et celles des Inscriptions et Belles-Lettres, l’Académie connaît, par la valeur de ses travaux (122 volumes déjà publiés), la richesse de sa bibliothèque de 40.000 ouvrages, et le nombre de ses correspondants à l’étranger, une renommée internationale.

L’Académie de Législation est une des originalités de Toulouse, car elle est unique en son genre parmi les Compagnies académiques ou Sociétés savantes de France. Elle invoque le patronage de Cujas, bien qu’elle n’ait été fondée qu’en mai 1851, et elle tient du Ministre de l’Instruction Publique l’honneur de juger, dans un concours suprême, les lauréats de toutes les Facultés de Droit de France, dérogation peu commune aux grands principes de centralisation nationale.

La Société Archéologique du Midi de la France, à forme académique avec ses quarante membres résidants, fut fondée en 1831, ce qui fait d’elle une des doyennes des Sociétés d’archéologie. Ses travaux, publiés dans vingt-six volumes de Mémoires et dans un Bulletin annuel, constituent une inestimable mine de renseignements sur l’histoire de l’Art méridional.

La Société de Médecine a été fondée en 1801 et, contrairement à bien des groupements de cette nature, elle possède une composition académique limitée à quarante membres résidants élus par cooptation.

La Société de Géographie a été fondée en 1884. Sa forme n’est pas académique puisqu’elle ne comporte pas un nombre limité de membres. Ouvertes au public, ses conférences dominicales connaissent toujours un très grand succès.

La présence en l’Hôtel d’Assézat et de Clémence Isaure de tant de lettrés, d’humanistes, de chercheurs, d’érudits, de savants, fait de cette maison une ruche laborieuse où, dans une libre confraternité, l’élite intellectuelle de Toulouse se réunit, loin des tumultes du forum et en dehors de toutes coteries, afin de maintenir à cette Ville un renom de culture qui, bien plus que le nombre sans cesse croissant de ses habitants, la prospérité de ses industries ou la vitalité de son commerce, assure son rayonnement et son prestige.

Extrait de Sendrail (Marcel), Gorsse (Pierre de) et Mesuret (Robert). L’Hôtel d’Assézat. Toulouse, E. Privat, 1961.

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