Société Archéologique  du Midi de la France
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SÉANCE DU 04 JUIN 2019

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Communication longue de Jean-Luc Boudartchouk : « Histoire et archéologie des Goths de Toulouse  ».

Communication brève de Daniel Cazes « A propos de l’histoire de l’art wisigothique à Toulouse et ailleurs ».

Des hypothèses avancées récemment sur l’ancienne église de la Daurade à Toulouse et tout un questionnement, surtout dans la péninsule Ibérique mais aussi dans le Midi de la France, sur la nature d’un art wisigothique susceptible de s’être déployé, de Toulouse à Tolède, du Ve au VIIIe siècle, paraissent mériter quelques commentaires, dans l’attente d’une synthèse sur le sujet. Cette dernière est encore prématurée et sans doute y reviendrons-nous plus tard et plus longuement au sein de notre Société. Il nous semble cependant utile de rappeler brièvement, en coordination avec les recherches exposées précédemment par Jean-Luc Boudartchouk, certains principes pour aider à l’identification d’une telle création artistique.

"Les Goths, après leur entrée en Gaule en 412/413, s’installent rapidement à Toulouse, qu’il tiennent déjà avant 417. Ils y demeureront jusqu’au printemps 508, date où la conquête franque met un terme au royaume des Goths de Gaule, entité politique dont Tolosa était depuis longtemps la capitale. Le réexamen des données textuelles et l’apport récent de l’archéologie permettent de préciser la vision que l’on peut avoir, désormais, de la capitale des Goths et de ses environs".

Clôture de l’année académique.

 


Présents  : Mme Nadal, Présidente, MM. Ahlsell de Toulza, Trésorier, Cabau, Secrétaire général, Mme Napoléone Secrétaire-adjointe, M. Péligry, Bibliothécaire-archiviste ; Mmes Bessis, Cazes, Fournié, Haruna-Czaplicki, Jaoul, Merlet-Bagnéris, Vallée-Roche ; MM. Balty, Boudartchouk, Cazes, Garland, Garrigou Grandchamp, Macé, Peyrusse, Scellès, Sournia, Surmonne, Testard, membres titulaires ; Mmes Balty, Dumoulin, Jiménez, Queixalós, Viers ; MM. Darles, Landes, Laurière, Molet, Penent, Rigault, Suzzoni, membres correspondants.
Excusé  : Philippe Gardes.
Invitée  : Mme Alexia Aleyrangues, chargée de mission de l’Inventaire en pays de Quercy.

La Présidente fait circuler les six exemplaires de la revue Forum offerts à la Société par notre confrère Daniel Cazes (temes d’historia i d’arqueologia tarragonines) et nous présente un nouvel ouvrage d’André Czeski, Montségur, nouveau regard, histoire, archéologie, études sur le site, envoyé par les éditions 3 R pour un éventuel compte rendu. Elle donne ensuite lecture d’une lettre de candidature émanée de Mme Catherine Letouzey-Rety.

La parole est ensuite donnée à Jean-Luc Boudartchouk pour une communication longue intitulée Histoire et archéologie des Goths à Toulouse (413-508).
Émilie Nadal propose d’enchaîner avec le second exposé, une communication courte de Daniel Cazes : À propos de l’art wisigothique à Toulouse et ailleurs.

La Présidente remercie nos deux confrères et demande à Jean-Luc Boudartchouk des précisions au sujet des prétentions des Wisigoths sur l’église Saint-Sernin évoquées dans sa communication. À l’arrivée des Wisigoths à Toulouse, répond-il, il existe bien un édifice sur la tombe de saint Saturnin. Les deux textes mentionnés montrent qu’ils s’intéressaient à la puissance tutélaire du saint toulousain, et peut-être ont-ils voulu récupérer « sa » basilique, mais le récit qui en est fait à cette époque présente quelques difficultés d’interprétation. Il est probable que les relations ont été tendues entre les deux hiérarchies religieuses (nicéenne et arienne) ; cependant, les deux communautés avaient la même dévotion à Saturnin - rappelons qu’il existe deux tombes gothes à Saint-Sernin. Il y avait donc surtout convergence des enjeux de pouvoir. Maurice Scellès se demande si l’on connaît des exemples d’édifices religieux réutilisés par les Wisigoths. Non, répond Jean-Luc Boudartchouk. Mais s’il y avait un évêque arien, il y avait forcément une église cathédrale quelque part, réquisitionnée ou construite à ce moment-là. Émilie Nadal demande encore quels sont les éléments qui permettent d’attribuer des origines wisigothiques à l’église de la Daurade. Daniel Cazes précise tout d’abord que ce n’est pas un roi qui fait construire une église, mais un évêque. Quitterie Cazes continue en évoquant l’historiographie des Wisigoths qui, à l’instar de celle des Cathares, a produit une littérature abondante et pas toujours fiable d’un point de vue scientifique. Christian Darles revient sur la gravure de l’édifice publiée par dom Martin en 1727 et s’interroge sur l’oculus qui perce la voûte en son centre. Selon Daniel Cazes, la planche est sommaire, et elle ne permet pas de savoir de quand date cette voûte ; l’oculus situé à l’aplomb de l’autel a pu être aménagé pour faire passer les cordes permettant de sonner les cloches. Patrice Cabau précise que Jacques Martin, né à Fanjeaux en 1684, entré à 24 ans dans la Congrégation de Saint-Maur, prononça en 1709 ses vœux à la Daurade ; il partit plus tard pour Saint-Germain des Prés, et la mention « Envoyé de Toulouse » portée par la gravure montre qu’il avait dû conserver des relations dans le prieuré toulousain. Maurice Scellès rappelle que la gravure ne figure pas les passages et Daniel Cazes précise que si les trois registres sont sûrs, la forme des arcs est moins certaine. Christian Landes se demande enfin si la comparaison des plans apporte des informations quant à la dimension des pans coupés de l’édifice. Oui, répond Daniel Cazes, mais ils n’apportent pas d’indications sur la coupole.

Émilie Nadal donne à nouveau la parole à Jean-Luc Boudartchouk, qui se fait le porte-parole de Philippe Gardes pour une question d’actualité : Léon Joulin avait raison. La fortification gauloise de Vieille-Toulouse.

À une question de Louis Peyrusse concernant l’existence d’autres traces d’occupation gauloise dans la zone indiquée, notre confrère répond que l’on a connaissance de puits, autrefois dits funéraires, d’habitations et d’activités artisanales. Il précise encore que le rempart repéré constitue un monument dont le système est complexe mais cohérent. Christian Darles se demande s’il ne peut s’agir d’un rempart médiéval. Jean-Luc Boudartchouk répond que les reprises de cette époque sont bien connues et que les deux ensembles ont été bien différenciés. Laurent Macé demande quels sont les équivalents connus et si cela permet de faire de cette agglomération la capitale des Volques. Notre confrère cite les exemples du Mont-Beuvray, de Manching, en plus de ceux connus en Europe centrale, et il confirme que les dimensions du site en font certainement une grande capitale, à l’échelle d’un des peuples majeurs du sud de la France, ce qui explique la façon dont on en parle dans les textes anciens.

Une seconde question d’actualité est présentée par notre consœur Marie-Vallée Roche : L’apport de l’étude épigraphique à la datation de l’autel de Saint-Guilhem-le-Désert (Hérault).

Lors de la table ronde qui s’est tenue en août 2002 autour de l’autel médiéval et de la fondation de l’abbaye de Gellone, Cécile Treffort avait étudié deux inscriptions, gravées, l’une sur la tranche droite de l’autel, l’autre sur la dalle latérale gauche, indiquant chacune une date, pour la première : « p(ri)ma die aug(us)ti », et pour la seconde : « die .II. aug(us)ti ». Deux dates donc, 1er et 2 août, gravée d’une écriture similaire, dont on peut penser qu’elles sont contemporaines. L’absence de vocable et la discrétion des inscriptions ne permettent probablement pas d’y voir une date de consécration. D’ailleurs, ces dates ne correspondent nullement à la consécration de la basilique Saint-Sauveur, qui a eu lieu le 14 décembre 805, ni à celle de la nouvelle basilique, le 30 septembre 1039. L’événement auquel se rapportent ces inscriptions reste donc mystérieux. Quant à leur datation, « malgré une écriture en minuscules carolines, l’écartement net entre les mots et la présence d’un signe diacritique sur le i n’apparaissent ni dans les inscriptions ni dans les manuscrits avant la seconde moitié du XIe siècle. » [1].

La table d’autel comportait-elle d’autres « graffitis », comme c’est le cas sur de nombreuses tables d’autel dans la région ? Une observation minutieuse révèle qu’une notable partie de sa surface a été abrasée, rendant probablement impossible toute réelle étude épigraphique. On peut rapprocher cet état de celui de l’autel de Saint-Pierre de Lauriol (conservée aujourd’hui au musée d’Aix-en-Provence) dont la table a été abrasée au XXe s. ne permettant plus d’y lire les signatures relevées au XIXe s. par l’abbé Barges.

Néanmoins subsiste en dehors de cette surface un nom qui se détache très clairement, car il a été profondément gravé : on peut lire WIR. Cette inscription est surprenante, car il semble s’agir d’un nom/racine germanique, jusqu’à présent inconnu dans les « graffitis » du Midi de la France et de la Catalogne. Le W est-il un M à l’envers ? Mir est en effet un nom bien attesté localement. Cependant, si les confusions graphiques existent dans ce type d’inscriptions, il n’existe actuellement aucun exemple d’une confusion M/W. L’épigraphiste catalan Salvador Alavedra, qui a recensé 82 formes gravées du M sur les autels de Catalogne, n’en connaît aucune qui permettrait la confusion avec un W. [2].
La technique utilisée (l’usage du poinçon pour délimiter les extrémités des lettres, voire leur point central, en préalable au tracé lui-même) et la forme des lettres elles-mêmes rapproche cette écriture de celles de certains signataires de Minerve (Hérault), personnages attestés dans le dernier tiers du IXe siècle [3]. Certes, une datation par le style d’écriture est toujours aléatoire ; il conviendrait donc de replacer cette inscription dans un vaste corpus de signatures d’autels pour vérifier si la remarque est pertinente. Mais s’il s’agit bien d’un nom de personne, sa forme germanique renvoie au haut Moyen Âge, et son caractère simple montre qu’il n’est pas postérieur au début du XIe siècle. D’ailleurs tous les graffiti sur tables d’autel dans le Midi de la France étudiés jusqu’à présent sont antérieurs à la réforme grégorienne [4].

Cette inscription est sans doute à mettre en relation avec les graffiti que l’on peut voir aujourd’hui sur les colonnes du cloître. Ce type de signatures se trouve toujours dans le sanctuaire à proximité de l’autel et des reliques. À Saint-Vincent de Bielle (Pyrénées-Atlantiques) les quatre colonnes engagées de la maçonnerie de l’abside reconstruite au XVIe s. sont couvertes de « graffitis » : elles devaient être à l’origine destinées à soutenir le baldaquin d’un ciborium [5]. Les colonnes et chapiteaux de la crypte de Montmajour (Bouches-du-Rhône) comportent plus d’une centaine de noms gravés [6]. Le fragment de colonne en marbre blanc visible dans l’église de Minerve, graffité comme l’autel, pourrait être un pied d’autel ou un morceau de ciborium. Si l’on se réfère à tous ces exemples, les colonnes du cloître de Saint-Guilhem sont un réemploi ; elles devaient être à l’origine situées dans le sanctuaire, à proximité d’un autel reliquaire.

Emmanuel Garland trouve curieux que les inscriptions décrites n’aient pas été copiées depuis le XIIe siècle, mais il reconnaît qu’il y a souvent de grands mystères, comme celui l’épitaphe de Saint-Bernard [?], dont l’écriture est carolingienne et que les textes ne mentionnent pas avant la fin du XIe siècle. Notre consœur confirme que l’on peut en effet trouver plusieurs arguments à ce silence des sources et précise que pour l’instant elle ne prétend rien faire de plus que d’ouvrir le dossier.

La Présidente nous informe que le fragment d’un bréviaire de chœur d’Agen daté de 1300, que nous avions présenté en question d’actualité lors d’une séance précédente, a finalement été acquis par la Bibliothèque municipale d’Agen. Le feuillet concerné est lié à saint Augustin et on sait que l’ouvrage avait été commandé par Bertrand de Got.

Émilie Nadal donne enfin la parole à Maurice Scellès pour une dernière question d’actualité portant sur des Demeures médiévales de la ville de Saint-Antonin-Noble-Val. Il nous annonce que la maison Muratet, dans laquelle fut trouvé un décor peint appliqué sur une cloison en pans de bois datée par dendrochronologie de 1250 environ, a été acquise par la Mairie avec un projet qui reste à définir. On pense à la création d’un musée éclaté éventuellement mis en place sous la direction de la Communauté de Communes. Maurice Scellès propose à l’assemblée d’attribuer une médaille à la municipalité pour l’acquisition de cette demeure. En évoquant l’exemple de Grandselve et de La Salvetat-Saint-Gilles, Daniel Cazes insiste sur l’utilité de l’attribution de ces médailles. Maurice Scellès attire cependant notre attention sur la maison de la rue de Cayssac, toujours à Saint-Antonin-Noble-Val. En effet, cette demeure, qui a livré de nombreux vestiges intéressants, est actuellement mise en vente pour la somme de 50 000 euros. Notre invitée, Alexia Aleyrangues, chargée de mission de l’Inventaire en pays de Quercy, nous présente l’édifice.

Maurice Scellès demande ce qu’il est possible de faire de cette maison peu accessible et peu aménageable pour l’habitation. Il pense en revanche que dans le cadre d’un projet de musée éclaté, elle pourrait trouver sa place. Cependant, il est peu probable qu’après l’acquisition de la maison Muratet la municipalité puisse acheter cet édifice. Pourtant, les problèmes d’aménagement de cette demeure se poseront toujours, pense-t-il, jusqu’à ce qu’elle tombe dans le domaine public. Que peut faire la S.A.M.F. ? Elle peut l’acheter, mais la charge d’entretien est trop importante. Il est possible de solliciter la Société des Amis du Vieux Saint-Antonin lors de notre visite le 22 juin, mais il est préférable d’en débattre entre nous auparavant. Daniel Cazes rappelle que le problème touche la France de façon générale, et demande quelle commune a un programme pour son patrimoine ; il prend pour exemple les démarches infructueuses qu’il avait effectuées pour la demeure sise au n° 7 de la place Saint-Sernin ; le problème, poursuit-il, est que les élus n’ont pas conscience de l’existence et de la valeur de ce patrimoine. Quitterie Cazes précise que la situation peut être différente entre les grandes et les petites villes. En effet, pour ces dernières, le patrimoine peut être une chance, un atout pour le tourisme. Elle ajoute que la S.A.M.F. peut acheter la maison et la donner à la Mairie, mais il n’est pas sûr que celle-ci en veuille. Pierre Garrigou Grandchamp approuve ce que vient de dire notre consœur et note que cet édifice a un gros défaut dans son état actuel : le rez-de-chaussée appartient à une autre maison. Il pense par ailleurs que la parcelle médiévale devait s’étendre jusqu’à la place. Pour revenir aux problèmes de gestion du patrimoine, il déclare qu’il faut opérer une sorte de révolution auprès des élus en faisant comprendre qu’un bâtiment est un document exceptionnel au même titre qu’un parchemin. Il évoque enfin le système de fonds de dotation mis en place à Cluny il y a quelques années, qui a permis d’acheter une maison romane, de financer des fouilles et des restaurations. Cette entreprise a suscité un grand intérêt de la part du public, mais il est nécessaire ajoute-t-il qu’il y ait des acteurs sur place. Alexia Aleyrangues déclare que la Société des Amis du Vieux Saint-Antonin est intéressée, mais qu’elle manque d’expérience. Il est certain cependant que la municipalité, déjà engagée pour la maison Muratet, ne peut guère faire plus. Il est nécessaire de faire comprendre à la Mairie que l’on peut procéder par étapes, ajoute Maurice Scellès : le plus important est de mettre l’édifice hors d’eau ; on peut attendre pour le reste que les fonds soient récoltés. Louis Peyrusse conclut qu’il est donc important que l’Association des Amis du Vieux Saint-Antonin connaisse l’utilisation du fonds de dotation à Cluny. Maurice Scellès précise qu’il a déjà eu un contact avec le Président de cette association, mais qu’il voulait au préalable que nous en discutions entre membres de la Société. Christian Landes ajoute enfin que le problème se pose pour tout le patrimoine et pense qu’il y a une cassure entre le pouvoir et le public ; il faudrait selon lui commencer par éduquer le pouvoir, et il faudrait que l’amateur du patrimoine ait un statut.

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