Société Archéologique  du Midi de la France
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SÉANCE DU 04 MAI 2021

Séance privée
separateur

Communication de Valérie Rousset : La grange cistercienne de Naucelle (Aveyron)
Séance en visio-conférence.

La grange de Bonnefon, au centre d’un grand domaine agricole de l’abbaye cistercienne de Bonnecombe fondée en terres rouergates par Raymond V, comte de Rouergue, et Hugues, évêque de Rodez en 1167, est un bâtiment roman du dernier quart du XIIe siècle (datation 14C de 1160 + 30 ans) caractérisé par une construction en briques épaisses (5,5 cm à 8 cm d’épaisseur) pouvant provenir du four d’un atelier découvert à quelques dizaines de mètres.
La production et l’utilisation de la terre cuite, exceptionnelle en Aveyron, s’explique par le substrat d’argiles à graviers du site, favorable à la culture des céréales et qui pourrait justifier l’implantation même du bâtiment. Ce grand quadrilatère de 130 m2 de superficie en grande partie détruit en 1964 – ne sont conservés que deux murs - s’élevait sur trois niveaux : on peut présumer que le rez-de-chaussée et le premier étage étaient voués aux fonctions agricoles liées au stockage des récoltes et que le second étage correspondait au logement. Cette grande construction qu’entourent deux levées de terre suggérant l’emprise d’une enceinte ou de bâtiments annexes, évoqués par une vue cavalière de 1667, conserve malgré sa ruine les traces d’un plafond et d’un enduit roman. La tour accolée à l’angle nord-est est peut-être due à une phase de construction dans le second quart du XVe siècle et comporte dans son niveau inférieur un espace de type silo qui l’apparente à une tour-grenier. Des traces conservées dans la construction de brique appartiennent sans doute à des travaux conséquents réalisés au XVIIIe siècle qui ont modifié le niveau du plafond du rez-de-chaussée et subdivisé en trois parties cet espace développé en un seul espace.

 

Communication de Gilles Séraphin : Nicolas Bachelier à Bruniquel (Tarn-et-Garonne).
Séance en visio-conférence.

Le château de Bruniquel a bénéficié d’importantes transformations après l’époque médiévale. Contrairement à ce que l’on a pensé jusqu’à présent, les indices stylistiques montrent qu’une part importante de ces transformations est à attribuer au second tiers du 16e siècle plutôt qu’aux siècles suivants. C’est le cas notamment de la tour d’escalier du « Château-Vieux » et de la grande galerie nord ouvrant sur la vallée de l’Aveyron. Les similitudes précises que ces deux ouvrages présentent avec les formes observées au château de Pibrac ou avec le portail de l’hôtel de l’Esquile à Toulouse suggèrent de les rapprocher de l’œuvre de Nicolas Bachelier ou de son entourage.


Séance du 4 mai 2021 (en visioconférence)

Présents : M. Peyrusse Président, MM. Ahlsell de Toulza, Trésorier, Péligry Bibliothécaire, Cabau, Secrétaire général, Mme Napoléone Secrétaire-Adjointe ; Mmes Cazes, Czerniak, Haruna-Czaplicki, Jaoul, Pousthomis-Dalle, Pradalier-Schlumberger, Watin-Grandchamp ; MM. Balty, Cazes, Garland, Garrigou-Grandchamp, Scellès, Sournia, membres titulaires ; Mmes Charrier, Ledru, Rousset ; MM. Le Pottier, Mattalia, Pousthomis, Séraphin, membres correspondants.

En ouvrant la séance, le président annonce aux membres que le volume 2017 de nos Mémoires est disponible à l’hôtel d’Assézat ; il félicite à nouveau notre directrice de publication ainsi que ceux qui ont participé à la confection de ce bel ouvrage.
Louis Peyrusse est par ailleurs ravi de nous apprendre que l’hôtel d’Assézat recommence à vivre en accueillant dans ses murs un colloque international intitulé « Corps et pouvoir : le corps dans l’art politique des temps modernes » qui se tiendra les 9, 10 et 11 juin. La conférence inaugurale sera donnée par un grand nom du CNRS : Victor Stoichita.
Il nous annonce ensuite une moins bonne nouvelle. En effet, on va porter gravement atteinte aux bâtiments de l’ancienne École Vétérinaire de Toulouse, labélisée « architecture remarquable du XXe siècle », conçue en 1929 par Charles Lemaresquier et bâtie entre 1932 et 1940. La fin du chantier correspondant avec le début de la guerre, les bâtiments furent réquisitionnés par le ministère de la guerre pour y loger les ingénieurs en construction aéronautique (CEAT, ENSICA). Derrière la première cour entourée de bâtiments en « U », se trouve une autre cour dite « des études » également bordée de constructions, le tout offrant une belle homogénéité au bas la colline de Jolimont. Une aile située à l’arrière va donc être détruite pour édifier en trois ans (2011-2014, l’opération est déjà lancée) pour 120 millions d’euro, une cité administrative. Le futur bâtiment sera élevé sur cinq niveaux et donnera sur une rue nouvellement créée ; sa façade sera en outre végétalisée. La différence de gabarit dénaturera l’ensemble qui constituait le chef d’œuvre de Charles Lemaresquier. Celui-ci (1870-1972) était un architecte célèbre parmi les académiciens, plusieurs fois logiste, il avait repris le cabinet de Victor Laloux avant d’être chef d’atelier à l’École nationale des Beaux-Arts. Son fils Noël Lemaresquier lui a succédé. Parmi les grands édifices qu’il a conçus, on lui doit le siège de Félix Potin rue Réaumur à Paris, le Cercle militaire, l’hôpital Saint-Anne, qui sont des bâtiments éclectiques, puis ayant pris le virage de la modernité, il avait bâti dans le style « Art déco » le Palais Berlitz à Paris, boulevard des Italiens et l’École Vétérinaire de Toulouse. On se désole de savoir que l’État est maître d’œuvre du chantier de cette Cité administrative.
Michelle Pradalier fait remarquer la qualité du décor intérieur et notamment des mosaïques qui sont de toute beauté.
Quitterie Cazes propose d’émettre une vigoureuse protestation, puisqu’aucune démolition n’a encore été faite, qui montrerait au moins la vigilance de la société.
Maurice Scellès partage cet avis et pense qu’il est important de faire une motion car celle-ci serait accompagnée d’un courrier immédiat publié ensuite dans nos Mémoires. Cela marquerait sans doute de façon solennelle la vigilance de la société qui aimerait bien, par exemple, être consultée pour ce genre de dossier.

Notre président fera donc un courrier en ce sens :
Toulouse, le 7 mai 2021

Monsieur Étienne Guyot
Préfet de la Région Occitanie
Préfet de la Haute-Garonne

Monsieur le Préfet,

La Société archéologique du Midi de la France souhaite attirer votre attention sur la grave atteinte qui va être portée à un bâtiment remarquable du XXe siècle à Toulouse. Il s’agit de l’ancienne École vétérinaire qui doit devenir la future Cité administrative.
Conçue par Charles Lemaresquier en 1929, construite de 1932 à 1940, elle fut réquisitionnée par le ministère de la Guerre pour y loger les ingénieurs en construction aéronautique. Ses bâtiments s’organisent sur deux cours : une cour d’honneur (sauvegardée dans le projet) et une cour des études. L’architecte qui disposait de vastes terrains (qui sont toujours là), a choisi de construire des bâtiments bas, de deux niveaux. L’ensemble, d’une rare cohérence a reçu le label « Patrimoine du XXe siècle, Architecture contemporaine remarquable » décerné par le ministère de la Culture. On va démolir la longue aile qui clôt la cour des études pour élever à sa place une construction neuve de cinq niveaux aux façades végétalisées. Son gabarit va rompre l’harmonie de la construction initiale.
Or cette École vétérinaire est un peu le chef d’oeuvre de Charles Lemaresquier. Cette grande figure de l’École des Beaux-Arts et de l’Institut adopte ici les codes de l’Art Déco. Il suffit de comparer sa façade sur la cour d’honneur de son palais des études vétérinaires et celle de la Bibliothèque municipale édifiée par Jean Montariol : le béton blanc, la sobre monumentalité des colonnes surmontées de têtes de bovidés qui rythment le pavillon central s’opposent à l’abondant décor brique et pierre de Montariol.
La construction du nouveau bâtiment ne peut que dénaturer gravement cet ensemble significatif des années 30. L’État qui lui a accordé un label Architecture remarquable se déjuge, comme s’il était un simple promoteur immobilier. La Société archéologique du Midi s’insurge contre cette atteinte au patrimoine public et vous demande de surseoir aux démolitions et de faire étudier des solutions plus respectueuses de la cohérence de cet ensemble monumental.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Préfet, l’assurance de ma très haute considération
.

Le Président
Louis Peyrusse

Jean Penent est élu membre titulaire de notre société.

Louis Peyrusse rappelle enfin que nous avons levé la dernière séance à 20h15, sans avoir pu discuter du problème de l’église de Saint-Amans de Rabastens que notre trésorier nous avait présenté au titre des questions diverses.
Guy Ahlsell de Toulza rappelle qu’un projet de lettre destiné à la Mairie a été rédigé avec le président. À l’heure actuelle un diagnostic est prévu et une réunion avec l’Association de protection des lieux. Des comparaisons possibles avec des églises préromanes du sud Aveyron confirment l’intérêt de l’édifice. Notre trésorier projette également de présenter prochainement l’édifice et tous les documents recueillis à l’association locale. Louis Peyrusse propose donc d’envoyer le courrier préparé au maire avec copie à la DRAC, au préfet du Tarn, au président du Conseil départemental, à l’A.B.F. et à la Revue du Tarn :

Toulouse, le 7 mai 2021
Monsieur Nicolas Géraud
Maire de Rabastens

Monsieur le Maire,

Voici dix ans, plusieurs membres de la Société archéologique du Midi avaient étudié l’ancienne église Saint-Amans, non loin de Rabastens. Une communication avait été présentée en séance et retenu toute notre attention. Un dossier de protection avait été ouvert à la Conservation régionale des Monuments historiques et devait être instruit.
Ce passionnant édifice, cité en 972 dans une donation à l’abbaye Saint-Michel de Gaillac, a été érigé à l’époque carolingienne sur un cimetière mérovingien, comme l’avait bien vu Elie Rossignol, dès 1865, dans ses Monographies communales. L’église rejoint en 1068 les possessions de l’abbaye de Moissac, puis devient une cure dépendant de Notre-Dame du Bourg. Restaurée par les Jésuites après les guerres de Religion, elle reçoit en 1625 une relique de saint Amans offerte par les consuls de Rodez. Sa vente après la Révolution l’a paradoxalement sauvée dans un usage dégradant : l’église est devenue grange. Saint-Amans est très proche des églises pré-romanes du sud-Aveyron qui dépendaient des vicomtes de Millau et d’Albi si l’on suit l’étude de Geneviève Durand publiée en 1989. Elle constitue en revanche un unicum dans le Tarn.
Nous apprenons que cette ancienne église est en vente et nous nous inquiétons pour son avenir. Nous espérons qu’à la suite du diagnostic demandé par la DRAC, la Ville de Rabastens pourra agir pour la préservation de ce monument plus que millénaire. Son intérêt archéologique est évident et doit retenir toute votre attention et celle de votre conseil municipal car le temps du vandalisme d’indifférence est passé.
Souhaitons qu’avec l’aide de l’État, des collectivités territoriales, de la Fondation du Patrimoine, voire du Loto du Patrimoine lancé par Stéphane Bern, vous trouverez une solution digne pour ce monument. La Société archéologique du Midi de la France suivra l’affaire avec un très vif intérêt.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Maire, l’expression de ma haute considération.

Le Président
Louis Peyrusse

Le président donne enfin la parole à notre consœur Valérie Rousset pour la première communication courte : Les vestiges de la grange cistercienne de Bonnefon à Naucelle (12) (de l’abbaye cistercienne de Bonnecombe).
Louis Peyrusse remercie notre consœur et constate que le bâtiment flanqué de sa tour est effectivement énigmatique ; il demande quelle était la fonction du rez-de-chaussée au Moyen Âge ? Valérie Rousset répond que faute d’éléments de comparaison, il reste difficile de le savoir. Le président reprend également l’hypothèse d’un silo dans la tour émis par notre consœur, qu’il a du mal à envisager en l’absence d’ouvertures. Maurice Scellès fait remarquer que l’édifice présenté fait penser à des bâtiments médiévaux dont la structure est fréquente avec un rez-de-chaussée dévolu au stockage alors que les pièces d’habitation sont aux niveaux supérieurs. Valérie Rousset pense que les photographies anciennes peuvent donner cette impression bien que le premier étage soit ouvert de très petites fenêtres. Maurice Scellès propose de voir alors deux niveaux de stockage et éventuellement un dernier étage d’habitation. Nelly Pousthomis évoque les granges cisterciennes du nord de l’Aveyron dont la silhouette en grosses tours quadrangulaires peut être similaire au bâtiment présenté, avec un ou deux niveaux bas consacrés au stockage et constituant le centre d’un domaine ; les grangiers demeurant sur place. Elle signale un travail universitaire effectué à Toulouse par Thomas Poiraud qui a d’abord fait un inventaire des granges sur la région de Midi-Pyrénées dans le cadre d’un Master 1, pour développer en Master 2 les structures de l’abbaye de Bonneval. Ce type de grange, poursuit-elle, est particulièrement bien représenté dans le nord du Rouergue, peut-être également chez les hospitaliers. Si l’on tient compte des traces d’arrachement de l’angle du bâtiment visible sur la tour, répond Valérie Rousset, le bâtiment devait avoir en effet la silhouette d’une tour quadrangulaire. Nelly Pousthomis ajoute qu’il existe une association de grangiers, composée de propriétaires de ces bâtiments cisterciens qui fait des recherches historiques ; ces travaux, ou des résumés, sont publiés annuellement. Cette étude a justement été motivée par cette association « Cisterciens en Rouergue » confirme Valérie Rousset. Dominique Watin-Grandchamp pense également à des édifices qu’elle a pu visiter dans le Tarn dont un étudié par Yves Granga où l’architecture des bâtiments de stockage apparaissait plus soignée que celle des logis des grangiers, sans doute à cause d’une nécessité de conservation et de centralisation sur un domaine important. Elle demande si des textes ont été trouvés sur le bâtiment, car 300 ha de terre devaient rapporter des revenus conséquents. Valérie Rousset reconnaît n’avoir travaillé que sur les écrits de P.-A. Verlaguet. Dominique Watin-Grandchamp demande enfin si l’on ne peut pas imaginer que le rez-de-chaussée de la tour ait servi de citerne ? Aucun vestige de traitement particulier des murs ne va pour l’instant dans ce sens, réplique notre consœur. Jean Le Pottier revient sur la datation de la fin du XIIe siècle donnée par le carbone 14 qui lui paraît bien précoce, l’abbaye vient à peine d’être construite, est-ce que l’on peut concevoir l’usage de la brique à une telle époque ? Valérie Rousset confirme qu’elle s’est appuyée sur les datations données par le carbone 14. Par ailleurs, l’usage de la brique ne doit pas surprendre ici dans la mesure où le substrat est constitué d’argile ; un four de tuilier a par ailleurs été trouvé non loin de là. Maurice Scellès témoigne de l’usage de la brique à Cahors dès la fin du XIIe siècle et plus précocement ailleurs. Notre consœur n’est pas étonnée par la date fournie par un charbon de bois extrait d’un mortier de pose, elle pense cependant qu’il serait possible de l’affiner avec des analyses de dendrochronologie sur la poutre muraillère conservée au rez-de-chaussée. Nelly Pousthomis fait remarquer cependant que si seul un morceau de charbon a été analysé, on ne peut exclure qu’il s’agisse d’une récupération, il aurait sans doute été plus prudent de faire analyser deux échantillons. Valérie Rousset répond que concernant les datations, elle ne disposait que d’une petite enveloppe budgétaire. Nelly Pousthomis voudrait savoir par ailleurs si le four de tuilier a été daté. Aucune datation précise n’a pu lui être donnée en 2017 déclare notre consœur. Comment explique-t-on, demande ensuite le président, que l’on ait utilisé la brique pour le bâtiment au Moyen Âge et le schiste plus tard pour bâtir la tour ? Valérie Rousset nous informe d’abord que le schiste n’est pas absent de la construction du XIIe siècle. En effet, il constitue une semelle isolant les élévations en brique du sol. Ensuite, l’abandon de la brique, à l’époque où on élève la tour peut s’expliquer par l’absence de structures artisanales à ce moment-là ; les constructions alentour montrent en effet que celle-ci n’est plus utilisée pour l’édification des bâtiments modernes. Maurice Scellès fait remarquer que la tour ronde qui flanque l’angle de la grange est une construction très médiocre à caractère vernaculaire. Le couvrement en tas-de-charge du rez-de-chaussée, ajoute Valérie Rousset, renvoie en effet aux techniques de constructions des cabanes en pierres sèches. Dominique Watin-Grandchamp voudrait savoir si d’autres constructions en briques ont été trouvées parmi les bâtiments de l’abbaye et si elles ont le même module. Notre consœur répond qu’il s’agit là d’un unicum. Revenant sur le four de tuilier qui a été fouillé, Maurice Scellès demande si les briques montrées dans le diaporama sont les seuls éléments connus. D’après Valérie Rousset, il existe aussi des photographies mais pas de relevés. Il a été dit qu’il s’agissait d’un four médiéval (il n’est pas gallo-romain) mais selon elle, il reste des vestiges et ce serait une fouille à refaire ; le module des briques trouvées dans ce four correspond en tous cas à celui utilisé pour la construction de la grange.

Louis Peyrusse passe enfin la parole à Gilles Séraphin pour la seconde communication courte : au temps de Nicolas Bachelier.
Le président remercie le conférencier pour ces nouvelles données et reconnaît que le premier titre de la communication l’avait surpris dans la mesure où la vie de Nicolas Bachelier est à ce jour bien connue. La porte du château vieux, poursuit-il, rappelle en effet celles construites par Bachelier, mais il constate qu’elle est défendue en hauteur par un assommoir tout à fait élémentaire. Est-ce que l’on est absolument sûr, demande-t-il, qu’il n’y a aucune possibilité de reprise car, à l’exception de la porte, le reste de la construction pourrait être qualifié de médiocre. Gilles Séraphin répond qu’à son sentiment, la construction est homogène, bien que, toujours selon lui, le sculpteur, ou le tailleur de pierre, ou le maître d’œuvre qui a fait la porte n’est pas nécessairement le même que celui qui a fait les fenêtres, ou que celui qui a fait les cheminées et le reste de la construction. Cette pratique est par ailleurs bien illustrée par les baux à besogne postérieurs à la guerre de Cent ans. On constate en effet une différence de qualité assez flagrante entre cette porte et ne serait-ce que les fenêtres, archaïques dans le détail des moulures, pour une œuvre des années 1540. Cependant, la maçonnerie est homogène, elle ne montre aucune trace de reprise. La présence d’assommoirs et de canonnières, reprend Louis Peyrusse n’est pourtant pas cohérente sur le plan de la poliorcétique. Il ajoute également que les restaurations du XIXe siècle sont très importantes, notamment dans la belle galerie construite au XVIe siècle. Cela pose évidemment de nombreux problèmes pour l’analyse des bâtiments et il en est de même pour le château de Pibrac qui a été cité et dont la construction est loin d’être homogène puisqu’il a été restauré deux fois au XIXe siècle ; l’authenticité des têtes de feuilles qui ont servi de comparaison dans la communication n’est donc pas assurée. Gilles Séraphin répond que la différence entre les originaux du XVIe siècle et les copies peut cependant être détectée, certaines copies remployant en outre des pièces originales (notamment à l’extrémité sud). Les reprises touchent entre autres les baies qui font communiquer la galerie avec les pièces arrière. Enfin, concernant les dispositifs défensifs, on peut noter que sur les maisons nobles du sud-ouest de la France, quelle que soit leur importance, aucun souci de cohérence sur le plan de la poliorcétique ne prévaut. On est en effet dans le domaine de « l’affichage ». Les canonnières ne sont évidemment pas fictives mais l’emplacement de celle qui garde à droite la tour d’entrée du château de Bruniquel montre qu’elle était inutilisable puisqu’elle se dirige vers un mur. Il s’agit donc d’une sorte de rhétorique noble dont on a un certain nombre de manifestations architecturales mais également des témoignages écrits jusqu’au XVIIe siècle dans des demandes d’autorisation de construire. Certains nobles requièrent en effet d’harnacher leur château de canonnières, de mâchicoulis, de bretèches, de pont-levis, de fossés et on ajoute souvent « de tout autre attribut de noblesse ». Donc, même si la bretèche au-dessus de la porte d’entrée a une logique, la redondance avec les canonnières ne doit pas faire illusion. D’ailleurs, durant les Guerres de religion, le château de Bruniquel ne résista guère ; les bastions situés au dehors de l’enceinte étaient certainement plus efficaces dans le cadre d’un siège. Louis Peyrusse s’avoue dubitatif et reste persuadé que les réfections du XIXe siècle sont très importantes. Il est par ailleurs agréablement surpris par la qualité du dessin des chambranles des portes situées à l’intérieur qui, elles, sont effectivement du XVIe siècle. Dominique Watin-Grandchamp trouve la proposition de datation logique et intéressante. Elle ne garde pas, pour sa part le souvenir d’une galerie très reprise, certains éléments en place lui paraissent en effet bien identifiables. En revanche, l’attribution à Bachelier ne doit pas, selon elle, être systématique, l’œuvre de l’architecte est désormais bien connue et d’autres artistes également doués réalisent de beaux bâtiments en ce milieu du XVIe siècle. Gilles Séraphin avoue s’être un peu emballé au début mais il est revenu sur cette attribution et pense qu’il n’y a finalement pas beaucoup d’édifices pour lesquels on est sûr de l’intervention de Bachelier, le château de Pibrac ne fait d’ailleurs pas partie de ce groupe. Ce qui ressort, selon lui, c’est un esprit général, une émulation. Des modèles ont pu être distribués par Bachelier, ou constituer des modèles communs entre des maîtres d’œuvre et ceux utilisés par Bachelier. Il y a donc « un milieu autour de Bachelier » dans les années 1540-1550 (Graves : 1543, Bournazel : 1545), où l’on voit des parentés et des modèles communs, peut-être également que des sculpteurs ont circulé dans tous ces chantiers. Dominique Watin-Grandchamp demande qui est la famille qui habite Bruniquel en 1540. Gilles Séraphin répond que ce sont des Comminges qui habitent à Toulouse. Il déclare pour finir que cette communication courte est une alerte destinée aux modernistes - lui ne fera pas l’étude du XVIe siècle à Bruniquel -, il pense cependant qu’il y a là un beau sujet pour les spécialistes de la période. Ceux-ci devront également se pencher sur le château jeune qui a aussi fait l’objet d’importants travaux au milieu du XVIe siècle. Il s’agit en particulier de reconstituer précisément les distributions. Pour conclure notre confrère pense que la chronologie des constructions a été jusque-là établie trop rapidement : il s’agit en fait d’une œuvre des années 1540, beaucoup plus homogène qu’on ne l’a cru, qui n’est pas une œuvre rustique ou rurale, mais qui appartient bien au groupe des constructions savantes. Louis Peyrusse remercie notre confrère pour ce nouveau regard qui relancera l’analyse des châteaux de Bruniquel qui sont malheureusement dans un triste état aujourd’hui.

 


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