Communication longue de Jules Masson Mourey, Les graffitis navals de la chapelle du Saint-Sépulcre à Peyrolles (Bouches-du-Rhône).
La chapelle du Saint-Sépulcre, à Peyrolles-en-Provence (Bouches-du-Rhône), est un petit chef-d’œuvre d’architecture romane. Les peintures murales des XIIe et XIIIe siècles qui couvrent ses murs, à l’intérieur, sont elles-mêmes recoupées par un intéressant ensemble de graffitis, encore inédit. Paires de ciseaux, marelles, patronymes, dates et... bateaux, composent le corpus. Probablement, ces images de caraques, incisées à la pointe du couteau, remontent-elles à la fin du Moyen Âge, et doivent-elles être interprétées comme des ex-voto. Elles complètent utilement l’inventaire, déjà bien fourni, des graffitis navals (à vocation religieuse ou non) que compte la Provence, depuis l’Antiquité jusqu’à l’Époque contemporaine.
Communication courte de Louis Peyrusse, Une Marianne toulousaine en 1873.
En 1873 paraît à l’imprimerie lithographique Salettes (où Louis Bordieu a publié toutes ses estampes et son livre Les Litanies de la très Sainte Vierge en 1868) une figure de la République universelle, en déphasage avec l’Ordre moral et les représentations tolérées et très sages de Marianne, brillamment analysées par Maurice Agulhon. Comment cette Marianne, qui foule aux pieds les emblèmes de la royauté, s’articule-t-elle avec la carrière de l’artiste, infatigable décorateur d’églises et créateur de vitraux ? De quoi s’interroger sur le danger des catégories hâtives...
Présents : Mme Czerniak, Présidente, MM. Cabau, Directeur, Ahlsell de Toulza, Trésorier, Mmes Napoléone, Secrétaire générale, Machabert, Secrétaire adjointe ; Mme Haruna-Czaplicki ; MM. Cazes, Garrigou Grandchamp, Peyrusse, Scellès, Sournia, Testard, Tollon, membres titulaires ; Mmes Hénocq, Ledru, Rolland Fabre, MM. Imbert, Kerambloch, Mange, Masson-Mourey, membres correspondants.
Excusés : Mmes Balty, Cazes ; MM. Balty, Garland, Penent.
Invitées : Agathe Desmars, Docteur en archéologie de l’Université Aix-Marseille, IRAA ; Audrey Roussel, Docteur en Préhistoire de l’Université de Nice, CEPAM.
La Présidente ouvre la séance et rappelle qu’une séance foraine est organisée le samedi 15 juin à Saint-Bertrand-de-Comminges. Le rendez-vous est fixé à 10h50. Nous serons accueillis et guidés par la Conservatrice du Musée archéologique pour une visite de la basilique Saint-Just de Valcabrère, du site archéologique voisin, puis du Musée archéologique départemental et de son exposition temporaire consacrée à l’archéologie de la Garonne. Les membres souhaitant participer à cette sortie sont invités à se manifester auprès de la Présidente avant le lundi 10 juin. Cette rencontre sera l’occasion d’échanger avec la Conservatrice du Musée de Saint-Bertrand-de-Comminges autour du programme des festivités pour le Bicentenaire de la Société. Notre Trésorier propose de lui offrir des tirages des photographies qu’il avait réalisées du vieux musée.
Puis Virginie Czerniak présente les invitées du jour et donne la parole à Jules Masson-Mourey pour la première communication courte du jour, intitulée Les graffitis navals de la chapelle du Saint-Sépulcre à Peyrolles (Bouches-du-Rhône).
La Présidente remercie notre confrère pour sa présentation et signale un exemple très intéressant dans le Sud-Ouest : l’église de Villeneuve-d’Aveyron (avec un noyau primitif similaire). Puis Virginie Czerniak s’interroge sur l’emploi du terme « ex-voto ». Elle doute que dans le cas de l’édifice étudié il puisse s’agir d’ex-voto, notamment en raison de la présence de peintures. Des ex-voto peints sont connus pour les XIVe et XVe siècles : elle cite ceux du parvis de Notre-Dame de Rocamadour, véritable espace ad sanctos. Ces ex-voto peints sont travaillés et élaborés, intégrés dans le décor : ce ne sont pas des graffitis. Des formes caractéristiques de mise en œuvre apparaissent qui autorisent l’usage de ce terme. Le mot ne semble pas pertinent pour des graffitis du type de ceux présentés, si tant est que ceux-ci soient de la fin du Moyen Âge, ce dont notre Présidente n’est pas certaine. Elle revient ensuite sur les représentations des peintures, décrites comme une procession de saints, et demande si d’autres éléments sont lisibles. Jules Masson-Mourey répond que ces peintures n’ont à sa connaissance pas été étudiées. Virginie Czerniak indique qu’il ne s’agit pas de fresque mais de détrempe, et que ces peintures murales ne peuvent dater du XIIe siècle, mais plutôt de la fin du Moyen Âge. Selon elle, il est nécessaire de rester très prudent avec l’emploi du qualificatif d’ex-voto pour ces graffitis de la fin du XVe siècle faits sur des peintures qui, elles-mêmes, datent peut-être de la fin du Moyen Âge. Elle ajoute que par ailleurs des manifestations spontanées existent très tôt : par exemple, des tracés aux doigts dans l’enduit sont visibles dans les tribunes de la basilique Saint-Sernin. La notion d’ex-voto pour la fin du Moyen Âge est donc à relativiser dans ce cas. Jules Masson-Mourey souligne la particularité de la récurrence de la représentation du bateau dans les édifices religieux. Notre Présidente demande si d’autres motifs sont identifiés, notamment à l’abbaye de Montmajour. Notre conférencier mentionne, à Peyrolles, des paires de ciseaux, renvoyant certainement à la profession de drapier. À Montmajour, il n’a pas observé directement les graffitis, mais les principaux motifs sont des bateaux également. Cette récurrence est donc étonnante. La chapelle du Saint-Sépulcre a, semble-t-il, été abandonnée à un certain moment de son histoire, ce qui peut expliquer qu’elle ait fait l’objet de représentations moins soignées. Notre Présidente corrige ensuite : contrairement à ce qui a été dit en introduction, il ne s’agit pas d’un campanile mais d’un clocher-mur.
Maurice Scellès rappelle que les graffitis sont très fréquents, y compris dans des châteaux et que, dans notre région, des représentations de bateaux sont connues le long de la Garonne, au bord de la Dordogne (Lot : Le Roc…). Dans de nombreux édifices la présence de graffitis laisse supposer un changement de statut des pièces, comme c’est sans doute le cas au château de la Caze dans l’Aveyron, où de très nombreux graffitis, dessins et inscriptions, ont été gravés sur des décors peints. Quant à leurs auteurs, certains résident à l’évidence dans le château, d’autres sont probablement de passage.
Pierre Garrigou Grandchamp revient sur le rapprochement entre la date 1571 renvoyant à la bataille de Lépante et les bateaux représentés : il n’est pas exclu que ce type de bateaux à voiles ait été aussi utilisé, car si les galères servaient au combat, il fallait compter aussi sur les autres navires qui accompagnaient la flotte pour la logistique.
Guy Ahlsell de Toulza se montre intéressé par l’utilisation du logiciel évoqué par notre confrère ; il aimerait être initié à cette technique. Puis il mentionne le spectaculaire exemple des graffitis du château de Tarascon. Un prisonnier y a gravé une véritable armada sur les murs de la tour où il se trouvait enfermé. Songeant à l’utilisation des graffitis en prison, le Trésorier évoque un exemple postérieur connu à Rabastens. En 1806, le prieuré de la ville y est transformé en mairie et une prison est construite dans une des ailes. Des graffitis de bateaux et de locomotives y ont été réalisés par les détenus dans les années 1850. Ces dessins symbolisent là l’évasion. Aussi, la chapelle de Peyrolles, lors de son abandon, a pu servir de prison pendant les Guerres de religion et un prisonnier connaissant les bateaux de haute mer a alors pu effectuer ces dessins.
La Présidente demande à Jules Masson-Mourey s’il a travaillé dans les archives afin d’en savoir plus sur un éventuel changement de destination de l’édifice. Le conférencier répond par la négative ; ses recherches sont encore en cours.
L’hypothèse du lieu d’enfermement lui paraît plausible ; il note que les représentations de bateaux sont très détaillées, ce qui est surprenant si elles sont l’œuvre de gens de passage. Il ajoute que s’il s’agit finalement d’un désir d’évasion représenté sur la paroi, cela renvoie donc à un ex-voto. Virginie Czerniak nuance et rappelle que dans la notion d’ex-voto il y a le principe de commande avec une volonté d’offrir une image de qualité. De plus, la dimension religieuse est importante dans ce type de production. Le terme doit donc être employé avec précaution.
Au sujet de la date de 1571, Guy Ahlsell de Toulza pense peu probable qu’elle soit une référence à la bataille de Lépante. Le conférencier confirme : il s’agit d’un hasard. Dans ce cas, cela peut correspondre à un prisonnier enfermé dans ces périodes troublées, et la date serait une coïncidence. La Présidente ajoute que la configuration du site est favorable à cet usage : isolée sur un piton rocheux, la chapelle est facile à surveiller.
Louis Peyrusse demande s’il n’est pas possible de mieux dater les peintures. Notre Présidente propose à Jules Masson-Mourey de lui envoyer des photographies afin qu’elle puisse les étudier de plus près et affiner une datation. Si ces peintures sont de la fin du Moyen Âge, ainsi qu’elle le suppose, les graffitis sont alors postérieurs. Le terme d’ex-voto devient impropre : à cette époque ces représentations sont très soignées et non spontanées. Notre confrère concède qu’il manque des symboles explicitement religieux ; néanmoins cette théorie est appuyée par un certain nombre de graffitologues qui considèrent presque systématiquement ces graffitis navals dans les édifices religieux comme des ex-voto.
Après ces échanges, la Présidente invite Louis Peyrusse à nous présenter la seconde communication courte du jour consacrée à Une Marianne toulousaine en 1873.
La Présidente remercie notre confrère pour cette découverte très intéressante et demande s’il pouvait s’agir d’une image destinée à un éventuel programme pictural ou un vitrail. Louis Peyrusse répond par la négative. Ces images, diffusées par la lithographie, se vendaient bon marché aux sympathisants républicains. Il existe de la même manière de nombreuses images religieuses. En dehors des Litanies de la très Sainte Vierge, publiées en 1868, la production lithographique de Louis Bordieu se résume à une douzaine de numéros : ce n’était pas son activité principale. L’iconographie de cette représentation de Marianne, piétinant la main de Justice et la Couronne, est forte, souligne Virginie Czerniak.
Bernard Sournia fait remarquer que si le projet de Viollet-le-Duc pour l’Opéra a été éliminé, c’est qu’il était mauvais ; l’architecte a en revanche travaillé pour la famille impériale, avec notamment la restauration du château de Pierrefonds et la décoration du train impérial. Louis Peyrusse précise son propos : Viollet-le-Duc n’a rien construit dans le Paris d’Haussmann. Un architecte de sa renommée aurait pu obtenir de grands chantiers, ce qui n’a pas été le cas.
Daniel Cazes se dit frappé par le côté statuaire de cette Marianne, peut-être faudrait-il se tourner vers les images allégoriques de la Tragédie toujours très impérieuses et à la mode, à la fois au XVIIIe siècle et au XIXe. Louis Peyrusse explique que ces modèles sont dérivés de La République de Jean-François Soitoux, monumentale et impérieuse. Louis Bordieu abandonne le glaive de la Justice pour l’équerre de l’Égalité et lui donne un allant extraordinaire.
Devant cette image Guy Ahlsell de Toulza pense au concours de 1848 où étaient montrées des séries d’allégories de la République plus « maternelles ». La lithographie de Bordieu lui évoque une suite logique de la Commune, avec le détail violent du piétinement des regalia. Le regard, courroucé, appuie en ce sens et contraste avec la référence à l’antique du drapé. Louis Peyrusse précise toutefois que la mention publiée dans la presse en 1873 indiquant que Louis Bordieu n’a pas fait partie de l’Internationale signifie bien qu’il n’a pas été communard. Cette image de la République n’en demeure pas moins éminemment revendicatrice.
Notre confrère explique que l’historien Maurice Agulhon, dans son étude sur l’imagerie de Marianne, s’est essentiellement intéressé aux figurations sculptées de la vie courante et traite très peu les images éditées. Or l’estampe présentée aujourd’hui prouve qu’il en existait, en dehors des images de presse. Cet exemple est d’autant plus intéressant qu’il est signé d’un artiste, spécialiste du décor d’église, qui ne produisait habituellement pas ce type d’iconographie.
La Présidente donne enfin la parole à Céline Ledru pour une question d’actualité. Notre consœur a été interrogée par un collègue préhistorien, Joël Malassagne, sur l’architecture du château de Baravit, qui se trouve dans la commune de Gragnague (Haute-Garonne). Sur ce sujet, elle sollicite l’analyse des membres spécialistes pour répondre aux questions suivantes : quelle est la caractérisation - esthétique ou utilitaire - des deux ouvertures en forme de serrures inversées situées sur les tours ? Une datation stylistique des ouvertures de la façade et de la porte d’entrée peut-elle être avancée ? Des vues, générales et de détail, de la façade du château sont présentées. Après observation, notre Trésorier résume : il s’agit d’un château du XVIIe siècle revisité au XVIIIe. Les fenêtres de la façade ont alors été refaites, celles des tours sont d’origine. Les ouvertures en question sont des bouches à feu, typiques de la première moitié du XVIIe siècle. Elles présentent la particularité d’être positionnées sur la face antérieure des tours, alors qu’elles sont normalement plutôt flanquantes, sur les murs rentrants. Par ailleurs, elles sont habituellement situées sous les fenêtres de l’étage. Elles ont initialement une fonction défensive ; ici leur rôle est plus probablement dissuasif. Les fenêtres de la façade ont été agrandies, le décor constitué par les trois briques formant larmier au-dessus des fenêtres des tours a disparu. Le modèle de ce château est extrêmement classique. Bruno Tollon indique que le château en contrebas de Mourvilles-Basses est de modèle identique. Il dispose par contre de défenses ébrasées dans le flanquement. Guy Ahlsell de Toulza ajoute que le plan est standard, généralement carré ou rectangulaire, à deux ou quatre tours. Des informations complémentaires, vues aériennes et des autres façades, permettraient de préciser l’analyse.
La Présidente remercie les membres pour leur expertise et donne rendez-vous le mardi 18 juin pour la dernière séance de l’année académique qui se clôturera autour d’une collation.