Société Archéologique  du Midi de la France
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Séance du 15 octobre 2024

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Communication longue d’Émilie Nadal, Un enlumineur toulousain pour la « Chanson de la croisade » ? Nouvelles pistes

Grâce à l’exposition "Cathares" qui se tient toujours au Musée Saint-Raymond et au couvent des Jacobins de Toulouse, les Toulousains et Toulousaines ont pu découvrir en personne le rare exemplaire médiéval de la Chanson de la Croisade albigeoise (la Canso en occitan), manuscrit probablement fait dans le Languedoc au début du 14e siècle, désormais conservé à la bibliothèque nationale de France (ms. français 25425). La lumière jetée sur ce manuscrit exceptionnel nous permet de proposer pour cette séance de rentrée une communication sous forme d’échanges autour de son remarquable décor enluminé, son éventuel caractère inachevé et une proposition de rattachement à un atelier qui sera soumise à la discussion.

Présents : Mme Czerniak, Présidente, MM. Cabau, Directeur, Ahlsell de Toulza, Trésorier, Mmes Napoléone, Secrétaire générale, Machabert, Secrétaire adjointe ; Mmes Fournié, Haruna-Czaplicki, Nadal, Pradalier-Schlumberger ; MM. Péligry, Peyrusse, Pradalier, Sournia, Surmonne, Tollon, membres titulaires ; Mmes Jimenez, Rolland Fabre, Vène ; MM. Imbert, Kerambloch, Mange, Terrasson, membres correspondants.
Excusés : Mmes Balty, Cazes, Dumoulin, Ledru ; MM. Balty, Cazes, Garland, Garrigou-Grandchamp, Macé.
Après avoir ouvert la nouvelle année académique, la Présidente présente les nouveaux ouvrages qui sont venus enrichir la Bibliothèque de la Société. Nous recevons du Centre Lauragais d’Études Scientifiques, un ouvrage de Jean Ramière de Fortanier, Deux baronnies du Haut-Languedoc (2023), l’envoi est accompagné d’un prospectus de présentation des publications de la Maison des associations. Louis Peyrusse offre le Dictionnaire de l’ameublement et de la décoration par Henry Havard (quatre volumes, Paris, Maison Quantin). Enfin, notre Trésorier a remis au bibliothécaire l’ouvrage de la collection « Duo » de la DRAC Occitanie : Les Virebent à Launaguet, une vitrine des arts décoratifs au XIXe siècle de Nelly Desseaux, ainsi qu’un volume sur le VIIe centenaire de la fondation de l’Université de Toulouse, 1229-1929, auquel toutes les Académies avaient participé.
La Présidente remercie les donateurs et poursuit avec diverses informations. Vendredi 11 octobre, les membres ont profité d’une visite exceptionnelle de l’exposition « Cathares ». Toulouse dans la Croisade guidée par la conservatrice du Musée Saint-Raymond, Laure Barthet, et notre confrère, Laurent Macé. La Société va offrir à Madame Barthet, en remerciement, les trois derniers volumes des Mémoires. L’exposition se tient jusqu’au 5 janvier 2025, conjointement au Couvent des Jacobins et au Musée Saint-Raymond. Pour ceux qui auraient l’occasion de s’y rendre à nouveau, plusieurs membres conseillent d’effectuer la visite avec les audioguides qui proposent, sur une base scientifique, une vision décalée de l’exposition.
La Présidente évoque ensuite la situation de la chaîne Youtube créée au printemps dernier. Après que les directeurs du Master Art et communication de l’UT2J ont décidé d’arrêter l’expérience, une nouvelle solution a été trouvée pour pérenniser le projet. Dans le cadre d’une convention de stage, un étudiant de l’école de cinéma de Ramonville va prendre en charge l’enregistrement des podcasts, leur montage et leur diffusion. Cependant la chaîne n’est, à ce jour, pas accessible depuis le site de la Société. En outre, nous rencontrons de nombreuses difficultés pour gérer ce site. Aussi, un webmaster va être engagé afin de régler ces problèmes.
Concernant le fonctionnement interne de la Société, la Présidente rappelle que le poste de Bibliothécaire est actuellement vacant. Catherine Peoc’h, pressentie, ne sera disponible que dans plus d’un an. Les candidats volontaires peuvent toujours se manifester pour assurer la fonction dans l’intervalle. Dans l’attente, Christian Péligry et Jacques Surmonne continuent, généreusement, de s’occuper du catalogage, notamment pour les périodiques entrants. En revanche, la permanence du mardi est suspendue, la bibliothèque sera désormais ouverte sur rendez-vous. Des membres du Bureau se tiennent disponibles pour honorer ces rendez-vous. Si d’autres membres sont volontaires pour assurer l’accueil des chercheurs, ils sont invités à se manifester auprès de la Présidente. Les rendez-vous seront pris par mail, et l’information devra être mise à jour sur le site.
Trois candidatures au titre de membre correspondant sont ensuite annoncées. La première est celle de Clémentine Stunault. Sa thèse sur l’histoire de l’alimentation à Toulouse au Moyen-Âge, réalisée sous la direction de Sophie Brouquet, a été récompensée d’un prix spécial de la SAMF lors de la séance publique de l’année 2024. Virginie Czerniak se propose de réaliser le rapport sur cette candidature. Georges Depeyrot, numismate ancien directeur de recherches au CNRS, a également émis le souhait d’intégrer notre Société. Patrice Cabau est désigné pour présenter sa candidature. La troisième candidature est celle de Florian Gallon, maître de conférences en histoire médiévale à l’UT2J, spécialiste de l’Espagne et des rapports entre le monde islamique et le monde chrétien. Henri Pradalier est chargé du rapport. Ces candidatures seront soumises au vote des membres titulaires lors de la prochaine séance, le 5 novembre.
Avant de laisser place à la communication longue du jour, un point est effectué sur les acquisitions en cours et à venir. La Présidente informe que le Bureau a souscrit à la proposition d’Émilie Nadal d’acquérir les images numériques d’un manuscrit conservé à la bibliothèque nationale d’Autriche (Cod. 2210* Collectio documentorum urbem Tolosanam concernentium, http://data.onb.ac.at/rec/AC13951345). Notre consœur précise qu’il s’agit d’un ensemble de 76 documents au contenu varié, datés de 1141 à 1210. La notice du catalogue contient une image d’un des feuillets qui semble comparable à celles qui illustrent les cartulaires du Bourg et de la Cité de Toulouse. Elle ajoute que les enluminures du début du XIIIe siècle sont rares. La version numérisée acquise entrera dans les collections de la bibliothèque et notre consœur nous en proposera une présentation en séance.
Le Trésorier indique par ailleurs avoir fait l’acquisition, pour l’Académie des Jeux Floraux, de trois portraits. Deux sont des portraits ovales de François Bertier, père et fils. Les deux hommes ont été Présidents au Parlement de Toulouse et mainteneurs des Jeux Floraux. L’un des tableaux est daté vers 1650, l’autre vers 1700-1710. Ils proviennent du château de Pinsaguel et viennent d’être présentés en salle des ventes à Saint-Jean-de-Luz. Le troisième portrait est une œuvre de Durand, peintre des capitouls dont l’une des toiles est exposée dans la salle Clémence-Isaure. L’œuvre, acquise à Paris, est signée et datée au dos « 1636 ». Elle représente un jeune homme à l’âge de 28 ans, il semble s’agir d’un clerc. Notre Trésorier souligne que les portraits signés de cet artiste sont rares. La Présidente profite de cette discussion pour rappeler que le Portrait d’Émile Cartailhac peint par sa fille Madeleine Cartailhac en 1926, actuellement conservé au Musée Archéologique de Saint-Bertrand-de-Comminges, va être transféré dans nos locaux grâce à une convention de dépôt.
Après l’évocation de ces divers points, la Présidente donne la parole à Émilie Nadal pour la communication longue du jour intitulée : Un enlumineur toulousain pour la « Chanson de la Croisade » ? Nouvelles pistes.
La Présidente félicite notre consœur pour sa passionnante communication et la convaincante mise en parallèle de l’exemplaire du manuscrit de la Chanson de la Croisade albigeoise (Paris, BNF, ms. français 25425) avec un manuscrit contenant le Décret de Gratien (Paris, BNF, ms. Latin 3898). Virginie Czerniak s’intéresse à la suite donnée à cette étude. Émilie Nadal explique qu’elle souhaite aller consulter les documents à la BNF Afin de faciliter la comparaison, elle aimerait pouvoir les observer côte à côte, si cela lui est permis. Elle attend également l’avis de François Avril, qui lui a indiqué un autre manuscrit enluminé par le Maître du Décret de Gratien, passé en vente aux enchères et lié à Montpellier.
Louis Peyrusse demande si, au moyen de traitements informatiques, il n’est pas possible d’isoler les lignes des dessins et ainsi améliorer leur lisibilité. Guy Ahlsell de Toulza signale qu’un traitement est possible grâce au logiciel Photoshop, il en a fait l’expérience. Les traits de dessin peuvent être détachés des lignes de texte et rendus parfaitement lisibles. Notre Trésorier poursuit en soumettant une comparaison avec la Chanson de la Grande Croisade de Palestine dont il possède un fac-similé qu’il souhaite offrir à la Société. Il y remarque les mêmes scènes de guerre, hors-marge et en bas, ainsi que le même type de traitement, au trait et sans couleurs.
Bernard Sournia demande des précisions sur la technique employée : le trait est-il à la plume ou à la mine d’argent ? Selon lui, il semble plutôt s’agir de mine, ce qui plaide en faveur d’un travail en cours.
Henri Pradalier remarque que les architectures représentent majoritairement des tours de plan carré, ce qui est typiquement méridional puisque les tours rondes ont été apportées dans la région par les ingénieurs royaux (nous en conservons un bel exemple à Carcassonne). Ces tours carrées témoignent ainsi, soit d’une fidélité à la représentation des forteresses du Midi, soit d’une conception de la défense qui est celle des Méridionaux. Virginie Czerniak revient sur le parallèle effectué par notre consœur avec certains éléments d’architecture de la chapelle Saint-Antonin des Jacobins et note que, dans ce cas, plus abouti, il s’agit plutôt d’architectures fantasmées (proches de Giotto et Cimabue). Guy Ahlsell de Toulza observe sur un des dessins une tour ressemblant à une tour toulousaine polygonale surmontant un portail, et positionnée hors des remparts. Il s’agit peut-être d’une interprétation de Saint-Sernin. En ce sens, Henri Pradalier indique qu’il y a une allusion directe à Saint-Sernin dans le texte.
Guillaume Terrasson questionne notre consœur sur le lien entre le texte et les illustrations : le texte étant de deux mains, y-a-t-il de même une différence dans la mise en page et l’illustration des deux parties du texte ? Émilie Nadal répond qu’aucune différence n’apparaît, les illustrations semblent être de la même main.
Guy Ahlsell de Toulza s’interroge : si le manuscrit est inachevé – hypothèse unanimement admise par les membres – comment s’explique cet état ? Il poursuit : habituellement les cahiers sont répartis entre plusieurs mains, or il semble qu’ici une seule main ait réalisé tous les cahiers. Émilie Nadal répond que l’observation des manuscrits devrait apporter des précisions ; il faudrait notamment faire une étude codicologique. Henri Pradalier signale qu’il existe beaucoup de manuscrits inachevés.
Patrice Cabau rappelle qu’avant François Avril en 1978 les nombreuses illustrations de ce manuscrit était déjà connues. En effet, lorsque Eugène Martin-Chabot a publié le texte (1931-1961), il l’a accompagné de l’ensemble des planches, certes mal reproduites. Elles sont de meilleure qualité sur les fac-similés réalisés au XIXe siècle et qui illustrent l’Histoire générale de Languedoc rééditée par Alexandre Du Mège dans les années 1840. Presque toutes les miniatures étaient reprises sur douze planches au trait rendant très lisibles les dessins montrés en séance. Virginie Czerniak demande si ces dessins sont fidèles. Patrice Cabau répond que ces dessins sont de qualité et très fidèles.
Hiromi Haruna-Czaplicki souligne l’intérêt de la mise en parallèle des deux manuscrits. Tous deux sont d’une grande importance dans l’histoire de l’enluminure toulousaine. Leur comparaison permet d’aborder la question de la datation du manuscrit de la Canso. La date de 1275 d’abord proposée a été réévaluée, repoussée vers 1290 par François Avril, puis au début du XIVe siècle par Alison Stones. Notre consœur admet la difficulté à développer la comparaison entre les manuscrits en raison des différences de support et de l’état des dessins. De plus, la comparaison stylistique porte sur un seul élément : le visage de la page 81. Toutefois, ce point constitue, selon elle, un rapprochement très intéressant, elle évoque une analyse morellienne du style et mentionne l’oreille ou le coin des lèvres appuyé. Notre consœur remarque par contre que l’arc des sourcils du visage de la page 81 est plus prononcé que dans le Décret de Gratien. Hiromi Haruna-Czaplicki évoque alors la peinture de l’église des Jacobins et la vocation de saint André. Le dessin de la Canso a un air plus ancien que celui du Décret de Gratien, ajoute Hiromi Haruna-Czaplicki. La Présidente demande à Hortense Rolland Fabre si les sourcils en forme d’accent circonflexe se retrouvent dans l’église des Jacobins. Notre consœur répond qu’il existe effectivement des visages avec ce type d’arcs de sourcils marqués dans les peintures de l’ancienne chapelle Saint-Pierre-et-saint-André. Ces peintures sont datées de l’extrême fin du XIIIe ou du début du XIVe siècle.
Guillaume Terrrasson revient sur la liste d’étudiants de l’Université de Toulouse liés au Décret de Gratien montrée par Émilie Nadal : il est interpellé par le fait que ces étudiants venaient tous de Gascogne et intéressé par les références, que notre consœur précise.
Émilie Nadal tiendra informée la Compagnie des résultats de ses investigations à la BNF.

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