La communication s’intéresse à un peintre méconnu, le Toulousain Henri BONIS (1868-1921), qui a décoré à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle des monuments prestigieux à Paris comme à Toulouse (la salle du Conseil municipal au Capitole, par exemple). Sa peinture décorative, marquée d’abord par le symbolisme, se déploie ensuite de manière remarquable dans les formes nouvelles, radicalement modernes, du postimpressionnisme.
Par ailleurs, cet artiste à la personnalité complexe rejoint en 1893 la franc-maçonnerie dans laquelle il s’implique et, fait tout à fait exceptionnel, il produit trois dessins majeurs qui deviennent des icônes de la symbolique maçonnique, encore appréciées aujourd’hui.
Esquisse du plafond Les Arts, vers 1906, Petit-Palais, musée de la Ville de Paris
Présents : Mme Czerniak, Présidente, MM. Cabau, Directeur, Ahlsell de Toulza, Trésorier, Mmes Napoléone, Secrétaire générale, Machabert, Secrétaire adjointe ; Mmes Haruna-Czaplicki, Merlet-Bagnéris, Pradalier-Schlumberger, MM. Balty, Garland, Garrigou Grandchamp, Péligry, Penent, Peyrusse, Pradalier, Surmonne, Tollon, membres titulaires ; Mmes Balty, Ledru, MM. Kerambloch, Mange, Terrasson, membres correspondants.
Excusés : Mmes Cazes, Dumoulin, Fournié, Lamazou-Duplan, Rolland Fabre, MM. Cazes, Macé, Sournia.
Invitée : Mme Marie-Dominique Labails.
Après avoir ouvert la séance, la Présidente fait circuler parmi les membres présents le catalogue de l’exposition « Cathares », Toulouse dans la croisade (éditeur In Fine, 472 p.). L’exemplaire a été offert par Mme Barthet, conservatrice du Musée Saint-Raymond, en échange de trois volumes des Mémoires que la Présidente lui a remis pour la remercier de la visite qu’elle nous avait proposée le 11 octobre.
Puis le Directeur revient sur la séance précédente afin de compléter son propos. À l’issue de la communication d’Émilie Nadal sur les dessins du manuscrit de la Chanson de la Croisade, il avait fait observer que ce manuscrit était connu depuis le début du XIXe siècle. Le premier éditeur du texte, Claude Fauriel, a fait reproduire en frontispice une des miniatures illustrant le Concile de Latran, avec, à gauche, l’assemblée des prélats et, à droite, le pape Innocent III. Ce dessin, d’origine non précisée, est probablement l’œuvre d’un jeune aristocrate, Tristan de Villeneuve-Arifat, membre d’une famille toulousaine avec laquelle Du Mège était en relation. Ainsi, dans sa réédition de l’Histoire générale de Languedoc, Alexandre Du Mège a fait reproduire les calques pris sur le manuscrit par ce dessinateur. Patrice Cabau présente la première des miniatures, issue du quatrième tome (1841) et titrée : « L’auteur W. de Tudèle lisant son manuscrit ». Du Mège affirme que la reproduction est fidèle. Notre Directeur souligne qu’il ne s’agit toutefois que d’une copie, et Louis Peyrusse ajoute que c’est ici une interprétation lithographique. Patrice Cabau montre ensuite une photographie publiée en 1931 par Eugène Martin-Chabot dans sa propre édition de la Chanson de la Croisade ; malgré la mauvaise qualité du cliché, il est possible d’y voir, à gauche, Guillaume de Tudèle devant un pupitre et tenant dans sa main droite un calame. La légende donnée par Martin-Chabot précise qu’il est en train d’écrire sa Cansos. P. Cabau insiste sur l’intérêt d’avoir une série de reproductions aussi lisibles que possible pour mieux comprendre ce que représentent ces dessins. Guy Ahlsell de Toulza indique qu’il a commencé à travailler en ce sens avec Émilie Nadal : il a déjà effectué différents essais de traitements des images afin de proposer des reproductions de qualité à publier dans nos Mémoires.
Dans un second temps, le Directeur évoque le manuscrit conservé à la Bibliothèque nationale d’Autriche (Cod. 2210*, Collectio documentorum urbem Tolosanam concernentium), présenté par Émilie Nadal lors de la séance du 15 octobre en vue de l’acquisition par la Société d’une version numérique. Il signale que ce manuscrit est connu à Toulouse par la publication faite par John Hine Mundy en 1954. Il s’avère qu’il s’agit d’un troisième cartulaire semblable aux premiers cartulaires municipaux, du Bourg et de la Cité, publié en 1931 par Robert Limouzin-Lamothe. Mundy en a fait une recension extrêmement serrée : sur 77 textes, 74 se retrouvent dans le cartulaire du Bourg (AA 1), trois autres n’étaient pas connus. Ces textes sont des actes de la commune de Toulouse ou des chartes diverses. Si Mundy a laissé quelques imprécisions (notamment sur des feuillets déchirés), il a bien établi que ces documents étaient dus à des notaires différents des équipes qui avaient travaillé sur les deux autres manuscrits de ces cartulaires municipaux. L’acquisition des clichés numériques de cet exemplaire viennois permettra de mieux apprécier la valeur de ce manuscrit par rapport à ceux qui sont déjà connus depuis longtemps.
Avant de poursuivre, la Présidente accueille notre invitée du jour qui a pris place : Mme Marie-Dominique Labails, conservateur honoraire du Patrimoine de la ville de Toulouse. Elle ajoute que la Société serait honorée de pouvoir la compter parmi ses membres et l’invite à présenter sa candidature au titre de membre correspondant.
Suivant l’ordre du jour, il est ensuite procédé à la présentation de trois candidatures au titre de membre correspondant.
Henri Pradalier expose le parcours de Florian Gallon. Puis Patrice Cabau donne lecture de son rapport sur la candidature de Georges Depeyrot. Enfin, Virginie Czerniak présente la candidature de Clémentine Stunault. Les membres titulaires sont appelés à voter à bulletin secret. Les trois candidats sont élus membres correspondants à l’unanimité.
La Présidente cède ensuite la parole à Christian Mange pour une communication longue consacrée à Henri Bonis (1868-1921), peintre maçon.
La Présidente remercie notre confrère et remarque la grande qualité de l’œuvre d’Henri Bonis. Étonnée par la précocité de l’artiste, elle demande s’il y a concordance entre son intégration à une loge maçonnique et l’obtention de ses premières commandes publiques. L’hypothèse d’une introduction dans le milieu artistique d’Henri Bonis par le biais de ses liens maçonniques ne peut être écartée, répond Christian Mange. Il ajoute qu’en 1892-1893, le peintre n’a que peu de références, il n’a pas fait d’exposition et aucune expérience n’apparaît sur son C.V. S’il ne se présente pas au Prix de Rome en 1893, c’est qu’il se consacre alors à l’apprentissage de la peinture.
Henri Pradalier revient sur la chronologie : Henri Bonis entre dans la maçonnerie en 1893, or il obtient sa première commande pour l’Hôtel de ville de Paris en 1892, c’est donc qu’il se distingue par ses qualités de peintre. Christian Mange explique que la seule référence qu’il peut faire valoir devant un jury à cette date, est le décor de la salle de bal réalisé alors qu’il est élève à l’École des Beaux-Arts de Paris. Ce travail témoigne déjà de son sens du décor. Notre confrère poursuit : en considérant que la maçonnerie ne joue pas de rôle, il est frappant de remarquer que, dès 1888, en sortant de l’École des Beaux-Arts de Toulouse, il se présente à de nombreux concours, il fait de même en sortant de l’École de Paris en 1892, sans doute poussé par ses professeurs dans cette direction. En cette période favorable de « politique décorative » portée par le gouvernement, les opportunités sont nombreuses et le tour du jeune Toulousain finit par arriver. Notre confrère appuie : Henri Bonis mène un parcours d’excellence aux Beaux-Arts et, lors du premier tour du concours pour l’Hôtel de ville en 1892, il est classé premier, devant Henri Martin. Ces éléments peuvent laisser penser que le peintre n’a pas été aidé par le réseau maçon.
Henri Pradalier souhaite connaître les autres décorateurs de l’Hôtel de ville de Paris. Christian Mange mentionne, notamment, la participation d’Henri Gervex et celle de Benjamin-Constant.
Interrogé par Henri Pradalier au sujet de la famille de l’artiste, notre confrère indique que la maison du peintre à Sengouagnet (Haute-Garonne) a été conservée comme résidence d’été. Actuellement, il est en contact avec Robert Ravaut, un des petits-fils d’Henri Bonis installé à Bordeaux. C’est lui qui a transmis la documentation inédite présentée au cours de la communication. Toutefois, les archives sont dispersées parmi les descendants, et notre confrère pense que des esquisses de concours restent à découvrir.
Louis Peyrusse s’interroge sur les raisons qui ont poussé Henri Bonis à proposer une iconographie évocatrice dont il savait qu’elle ne pourrait être reçue par le jury pour le concours de la salle à manger de l’Hôtel de ville de Paris. Christian Mange concède que les seules informations proviennent de l’article de Benoît Marcel qui n’apporte aucune explication. Louis Peyrusse demande alors s’il existe des informations dans les P.-V. des commissions aux Archives de la Ville de Paris. En effet, la procédure du concours devait conduire à la production d’une grande quantité et d’une diversité de projets, d’artistes renommés comme d’étudiants. Par ailleurs, notre confrère est interpellé par la volonté d’éducation populaire revendiquée par Henri Bonis : coïncide-t-elle avec les Universités populaires ? Christian Mange décèle dans l’expression de l’artiste le souhait de s’adresser aux classes « normales » et supérieures. Il ajoute que, comme les Universités populaires, les Cercles étaient des cours du soir. Ils s’inscrivent donc dans un schéma courant pour l’époque, confirme Louis Peyrusse. Ce dernier souligne l’éclectisme du peintre. Il développe : des inflexions Art nouveau se manifestent parfois, tandis que sa touche divisée emprunte au néo-impressionnisme ; toutefois son dessin est parfaitement académique, ses figures allégoriques sont très proches de la statuaire classique. Ce style est caractéristique de l’art officiel du temps. Malgré son opposition théorique aux « plafonds plafonnants », les réalisations d’Henri Bonis demeurent dans la tradition des décors publics, remarque également Louis Peyrusse. Christian Mange explique que le peintre a dû faire des concessions pour obtenir des commandes.
Henri Pradalier résume : Henri Bonis n’est donc pas à l’avant-garde, il suit, au fur et à mesure de leur apparition, les tendances pointillistes, symbolistes et Art nouveau. Christian Mange nuance : son approche murale du pointillisme le place à l’avant-garde. Son aîné Henri Martin adopte cette technique dans ces mêmes années, complète Louis Peyrusse.
Guy Ahlsell de Toulza suggère que le milieu de l’École des Beaux-Arts de Toulouse a pu pousser les jeunes médaillés à participer aux concours parisiens, autant que la franc-maçonnerie. L’implantation d’artistes toulousains dans les institutions nationales a pu faciliter l’accès des plus prometteurs aux chantiers de l’État. Il appuie à son tour : Henri Bonis est pleinement de son temps ; fidèle aux modèles iconographiques des grands décors de la IIIe République. Christian Mange précise que, dans sa trajectoire picturale, du symbolisme vers le post-impressionnisme, l’artiste remet en cause les principes artistiques tandis que son esprit contestataire s’exprime dans son inscription maçonnique. Guy Ahlsell de Toulza note ainsi que l’idéal d’un art éducateur et social que Bonis défend s’illustre tant dans son appartenance à la franc-maçonnerie que dans sa conception du rôle du peintre de grands décors.
Françoise Merlet-Bagnéris se dit étonnée par le parcours d’Henri Bonis. En effet, en étudiant l’histoire de l’École des Beaux-Arts de Toulouse à cette époque, elle a pu observer que les professeurs toulousains dont beaucoup adhéraient à l’idéal républicain de solidarité poussaient les meilleurs élèves à se présenter directement au prix de Rome. L’École est ainsi fière de ne pas faire subir une formation spécialisée à ses élèves venus de province. En revanche, elle n’a pas connaissance de jeunes Toulousains qui se rendent à Paris et accèdent aussitôt aux chantiers de décors publics. D’autre part, au sujet de l’affiche sur la guerre de 1914-1918 qui a été montrée, elle rappelle que l’École est restée longtemps vide parce qu’elle était transformée en hôpital militaire, tout comme durant la Seconde Guerre mondiale.
Louis Peyrusse s’intéresse au Traité de perspective écrit par Henri Bonis et se souvient que le peintre avait également rédigé un traité sur le chromisme pour les apprentis lithographes de la maison Sirven. Christian Mange confirme cette information.