Communication longue de Jean-Charles Balty, Le “jeune homme” de Montmaurin : un haut fonctionnaire du patrimonium de l’empereur ?
Toujours très brièvement décrit à différentes reprises, le buste de « jeune homme » mis au jour dans la villa de Montmaurin n’a jamais fait, jusqu’ici, l’objet d’une étude détaillée ; celle-ci s’impose, de toute évidence, plusieurs chercheurs ayant récemment suggéré qu’il puisse n’être qu’une imago maiorum, un de ces portraits d’ancêtres que l’on gardait dans les riches domus de l’aristocratie sénatoriale romaine — ce que la documentation archéologique, tant à Montmaurin que dans les autres villae du Sud-Ouest, n’autorise nullement à envisager. Le torse nu, un paludamentum replié sur l’épaule gauche, l’œuvre appartient à un type de buste relativement rare et le plus généralement limité à Rome même. Une mise en série aussi complète que possible, menée en parallèle avec un groupe de portraits également caractérisés par le port d’un paludamentum mais dont le torse est barré d’un baudrier en diagonale, invite à reconnaître, dans les bustes du type de celui de Montmaurin, des affranchis de l’empereur (Augusti liberti) gérant les affaires du prince tant dans l’administration de l’Etat que dans celle des domaines du patrimonium impérial, dans les autres, des membres de l’ordre équestre dont plusieurs furent les gouverneurs de provinces dépendant directement de l’empereur. Les membres de la classe sénatoriale, notamment les consuls, ne portent aucun de ces signes distinctifs. On ne peut que s’étonner qu’un passage de Dion Cassius (LIII, 13), parfaitement clair à cet égard, n’ait jamais été invoqué pour rendre compte de ces différences de statut juridique ; d’autres textes antiques, latins cette fois-ci et tout aussi négligés, vont exactement dans le même sens.
Présents : Mme Czerniak, Présidente, MM. Cabau, Directeur, Ahlsell de Toulza, Trésorier, Mmes Napoléone, Secrétaire générale, Machabert, Secrétaire adjointe ; Mmes Haruna-Czaplicki, Nadal, Pradalier-Schlumberger, MM. Balty, Cazes, Garrigou Grandchamp, Lassure, Péligry, Penent, Peyrusse, Pradalier, Surmonne, membres titulaires ; Mmes Balty, Stunault, MM. Depeyrot, Kerambloch, Mange, Terrasson, membres correspondants.
Excusés : Mmes Cazes, Fournié, Merlet-Bagnéris, Rolland Fabre, MM. Testard, Tollon.
Invité : M. Valentin Mallet.
La Présidente ouvre la séance et souhaite la bienvenue à deux nouveaux membres correspondants : Mme Clémentine Stunault et M. Georges Depeyrot. Elle accueille également notre invité du jour : M. Valentin Malet, étudiant à l’ISPRA (École formant aux métiers de l’audiovisuel) chargé des enregistrements des podcasts pour notre chaîne Youtube cette année. Pour rappel, trois épisodes sont programmés : notre confrère Christian Mange débutera le cycle avec une présentation des peintures du XIXe siècle de Notre-Dame du Taur, en cours de restauration ; Michelle Fournié interviendra ensuite au sujet des dévotions à l’église de la Daurade ; enfin, Anne-Laure Napoléone traitera des maisons médiévales de Toulouse. La Présidente souhaite rencontrer la Direction de l’ISPRA pour discuter de la possibilité de pérenniser ce partenariat. Par ailleurs, les démarches pour le recrutement d’un webmaster sont engagées.
Elle poursuit par un point d’actualité : le vitrail de Jean-Michel Othoniel ornant le grand oculus de la façade occidentale de la Basilique Saint-Sernin a été inauguré samedi 30 novembre. Certains des membres ayant assisté à l’évènement partagent leur appréciation de cette œuvre, jugée conforme au projet qui nous avait été présenté par M. David Madec, Directeur des Musées et Monuments.
La parole est ensuite à Jean-Charles Balty pour une communication longue intitulée Le « jeune homme » de Montmaurin : un haut fonctionnaire du patrimonium de l’empereur ?
La Présidente remercie notre confrère pour sa brillante et passionnante démonstration. Elle est totalement convaincue par le magistral développement proposé autour des bustes héroïsés portant, sur l’épaule gauche, un paludamentum avec fibule. Elle le remercie également pour la découverte des réseaux de fonctionnaires proches de l’empereur. La Présidente demande des précisions quant à la date de la restauration du buste de Montmaurin. Elle est très récente, répond Jean-Charles Balty, qui signale attendre des photographies de l’œuvre juste avant sa restauration. Il a trouvé une reproduction de mauvaise qualité de l’état antérieur dans un document publié par la mairie. Les cassures y sont nettement visibles. Notre confrère pense qu’une partie des épaufrures et griffes a également été masquée lors de la restauration. Il ajoute n’avoir jamais vu un épiderme de marbre de cette apparence, presque « saucé » ou ciré. De plus, l’emplâtre ajouté sur la tempe droite interrompt le tracé des mèches très fines visible sur l’autre côté. Le parti adopté pour la restauration de cette œuvre est pour le moins curieux.
Virginie Czerniak remarque que le modèle de Montmaurin semble très juvénile en comparaison des autres portraits montrés, notamment celui de Sancaize (Nièvre). Notre confrère est prudent sur la question de l’âge, toujours subjective. De manière générale, il est toujours difficile de donner un âge à un portrait romain. Il rappelle l’exemple du portrait d’Auguste type Prima Porta créé en 27 avant Jésus-Christ et reproduit pendant 40 ans, jusqu’en 14 après Jésus-Christ, exactement à l’identique, sans la moindre indication de vieillissement de l’empereur. D’autre part, dans le cas d’un buste héroïsé, ou même funéraire, les traits peuvent être enjolivés.
Daniel Cazes trouve très intéressant le parcours des procurateurs qui peuvent avoir exercé leur pouvoir sur plusieurs grands domaines, et il relève que Montmaurin et Chiragan se situent dans deux provinces distinctes, la Narbonnaise et l’Aquitaine. Il demande alors : ces procurateurs pouvaient-ils avoir un commandement « à cheval » sur deux provinces différentes ? Jean-Charles Balty rappelle que les limites de la Narbonnaise et des provinces voisines sont incertaines. Daniel Cazes se réfère aux écrits de Michel Labrousse dans sa thèse, repris par Robert Sablayrolles, et confirme le manque d’informations sur ces limites et leurs fluctuations. Le raisonnement actuel se fonde sur les limites des diocèses d’Ancien Régime. Notre confrère se souvient avoir échangé avec Robert Sablayrolles au sujet du Couserans et des Convènes qui, peut-être, à l’époque d’Auguste, étaient dans la Transalpine (future Narbonnaise) puis sont passés dans l’Aquitaine. C’est donc un secteur où il y a eu beaucoup de mouvement. Daniel Cazes conclut : l’explication convaincante avancée par notre confrère pourrait correspondre à une redéfinition territoriale de la zone de la haute vallée de la Garonne et de ses affluents hauts-pyrénéens. En raison des extraordinaires ressources en matériaux de ces régions, une sorte de synthèse commerciale et économique a pu commencer. Jean-Charles Balty avoue ne pas avoir pensé à ce problème de passage éventuel d’une frontière entre Montmaurin et Martres. Toutefois, la distance entre les deux sites n’excède pas 30 km. Notre confrère concède que cet élément pourrait effectivement être une difficulté sur ce point précis de la démonstration. À titre comparatif, il lui semble que sous réserve de l’expertise d’un spécialiste de l’administration de l’Empire le procurateur d’un tractus regroupant plusieurs domaines (comme il en existe en Afrique) ne peut l’être d’un territoire limitrophe mais appartenant à la province d’à côté. Dans le cas de Montmaurin et Martres, la frontière demeure difficile à préciser. Ces deux Cités étudiées par Raymond Lizop sont limitrophes de la Narbonnaise, et c’est tout ce qu’il est possible d’affirmer.
Pierre Garrigou Grandchamp résume : le « jeune homme » de Montmaurin figure soit un représentant de l’ordre équestre soit un affranchi de la maison de l’empereur ; puis il demande : parmi les observations relevées, des indices permettent-ils de privilégier une des hypothèses ? Jean-Charles Balty répond par la négative et explique que, du point de vue administratif, les deux carrières sont absolument parallèles. Les études sur ces deux types de cursus sont nombreuses (les principales étant la thèse de Hans-Georg Pflaum, Les Procurateurs équestres sous le Haut-Empire romain et celle de Gérard Boulvert, Domestique et fonctionnaire sous le Haut-Empire romain). La thèse de Boulvert montrait parfaitement ce parallèle entre les deux carrières. Il faut rappeler que ces personnages sont de véritables fonctionnaires : ils sont payés pour exercer un officium et peuvent gravir des échelons si celui-ci est bien exercé. Boulvert a relevé des différences d’âge importantes entre des personnes au même échelon. La reconstitution de ces carrières est parcellaire. Toutefois, les travaux de Pflaum et Boulvert ont notamment révélé que les salaires entre les représentants de l’ordre équestre et les anciens affranchis étaient parfois très proches. De plus, le procurateur en second d’une province équestre peut remplacer le procurateur lui-même, ajoute Jean-Charles Balty. Tous ces éléments de proximité entre les deux carrières le font hésiter entre les deux hypothèses.
Pierre Garrigou Grandchamp remarque que le fonctionnement de la Maison de l’empereur, dont les affranchis fournissent une partie de l’encadrement de l’Empire, peut rappeler celui observé, 1300 ans plus tard, dans l’Empire ottoman, où la classe des janissaires (composée d’enfants prisonniers grecs, albanais, du Caucase…) administre l’Empire et ont des carrières étonnantes jusqu’à devenir parfois vizirs. Jean-Charles Balty confirme ce parallèle : ces personnages étaient sans doute aussi polyglottes. D’ailleurs, dans le cas romain, le plus grand nombre est au secrétariat, proche de l’empereur. Ils sont a libellis ou ab epistulis græcis ou ab epistulis latinis : ce sont eux qui traduisent, de latin en grec, les décrets impériaux. Ils sont à la chancellerie, au plus près du pouvoir. Jean-Charles Balty conclut : en l’état actuel de la documentation, sur des milliers de portraits romains, il n’existe qu’une soixantaine de bustes dont le type à paludamentum (avec ou sans baudrier) soit le décalque exact de la tenue de l’empereur. Ce parti est surprenant et atteste le caractère exceptionnel de cette catégorie de gens, peu connue jusqu’alors en dehors des textes. Cela confirme le très grand intérêt de la présentation de ce jour, souligne la Présidente.
Au titre des questions diverses, Guy Ahlsell de Toulza revient sur les démarches engagées pour le sauvetage de l’église Saint-Amans de Rabastens. Lors de sa dernière visite, il a découvert des trous dans la toiture, dont une partie menace de s’effondrer. Il rappelle que l’édifice est implanté au bord du Tarn. L’église, carolingienne, est construite sur un cimetière mérovingien. Son architecture, caractéristique du Haut Moyen Âge, présente notamment un portail étonnant avec un tympan en oméga. Tout autour de l’édifice, notre confrère avait repéré des cercles qui s’avèrent être des cadrans canoniaux, ainsi que l’a révélé un article de la Revue du Tarn. En effet, entre le VIIIe siècle et le XIIe, des cadrans solaires avec des rayons étaient gravés sur les édifices religieux afin de marquer les heures de prière pour les chanoines. À l’invitation de notre confrère, l’auteur de l’article, Didier Benoît, s’est déplacé à Rabastens. Une dizaine de cadrans a finalement été recensée sur l’église. Didier Benoît se propose de réaliser une étude de ces gravures. Guy Ahlsell de Toulza espère que cet élément nouveau, qui ajoute un intérêt supplémentaire à l’église, permettra d’attirer l’attention des Services des Monuments Historiques pour envisager une protection du bâtiment et des peintures murales qu’il abrite.
Puis notre Trésorier fait circuler parmi les membres trois objets provenant du même ensemble que les deux boucles en bronze doré évoquant les gargouilles de Notre-Dame de Paris qu’il nous avait présentées lors d’une précédente séance. La fonction du premier objet reste à définir. De forme conique et percé, il apparaît trop malléable pour être l’extrémité d’un carreau d’arbalète. Les deux autres pièces sont des boucles gravées. L’une est ornée d’une tête de chien, deux clous servant à maintenir une lanière de cuir sont fixés sur le côté. L’autre plaque est décorée d’une aigle à deux têtes inscrite dans un écu. L’objet présente des traces de dorures, peut-être y avait-il également un décor damasquiné ou émaillé. Ces pièces ont été trouvées lors de labours sur une parcelle à proximité du Tarn, à l’emplacement du village disparu de Villoverde. Ces boucles remises par un agriculteur vont rejoindre les collections du Musée de Rabastens dirigé par notre confrère.
Daniel Cazes termine par un point d’actualité concernant les travaux en cours dans l’Hôtel Delfau, rue de la Bourse. À l’issue de la séance précédente, accompagné d’Henri Pradalier et Maurice Scellès, il a pu pénétrer dans le couloir voûté de l’entrée de la demeure et ainsi observer les murs. Jérôme Kerambloch l’a par ailleurs informé que des relevés avaient été effectués. Les Services archéologiques (Toulouse Métropole et INRAP) devraient également être présents lors de l’excavation de la cour. Le côté droit du couloir est désormais crépi. Nos confrères conservent des photographies de l’état avant restauration. Daniel Cazes s’interroge sur la nécessité de recrépir ces surfaces situées à l’intérieur du bâtiment. Il regrette que les enduits masquent des informations importantes de l’histoire de cette demeure du XVe siècle. La Présidente rappelle que les relevés et les photographies permettent de garder des traces utiles pour les futurs chercheurs. Afin de préserver ces données, elle suggère à nos confrères de réaliser un bref article illustré qui sera inséré dans notre Bulletin.