Mémoires |
L'ÉGLISE SAINT-QUENTIN,
SIÈGE DE LA CORPORATION
DES IMPRIMEURS ET LIBRAIRES TOULOUSAINS
par Marie-Thérèse BLANC-ROUQUETTE *
Cette édition électronique respecte la mise en page de l'édition imprimée des Mémoires de la Société Archéologique du Midi de la France, t. LVI, 1996, dont nous indiquons la pagination. Certaines illustrations en noir et blanc dans l'édition originale ont cependant été remplacées par des illustrations en couleur. (Mise en page html : Cécile Glories, juin 1999.)
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Saint-Quentin dans lhistoriographie toulousaine
Parmi les plus
anciens lieux de culte qui, à Toulouse, ont disparu après la tourmente révolutionnaire,
figure léglise Saint-Quentin, souvent dite Saint-Quintin. Situé à la limite du
bourg et de la cité, dans un quartier appelé aux plus profondes transformations
puisquil se trouvait sur lemplacement de lactuelle place du Capitole, le
sanctuaire est inséparable du sort du rempart romain et de lune de ses portes
principales à laquelle il était accolé.
Tous les historiens se sont attachés à ce quartier marqué par
lenceinte de la cité puis centre de la vie municipale. Et dabord Nicolas
Bertrand avec lOpus de Tholosanorum gestis, publié dès 1515 par Jean
Grandjean, puis, dans sa traduction française, par le lyonnais Olivier Arnollet, et,
enfin, réédité, après avoir été revu par Guillaume de la Perrière, chez le
célèbre Jacques Colomiès en 1555. On se saurait omettre lHistoire tolosaine
quasi mythique dAntoine Noguier, due à Guyon Boudeville en 1556 et rééditée en
1559.
Puis au siècle suivant, avec les Mémoires de lhistoire de
Languedoc de Guillaume Catel et les précisions de lérudit Jean de Chabanel
(1), puis avec les Annales de Lafaille (2), léglise sort de lombre.
Elle continuera à passionner. Son emplacement, tout proche, croyait-on, du forum
antique, la lie à lhagiographie prestigieuse de saint Saturnin. Le voisinage de
léglise du Taur, lieu légendaire de la première sépulture du saint, conduisit
même à avancer quelle avait été bâtie sur les restes dun ancien temple de
Jupiter, théâtre du supplice de Saturnin. Thèses indéfiniment reprises par Du Rozoy
(3) qui a le mérite de descriptions précises et de dessins valables, puis, sans grandes
variantes par Du Mège (4), longuement retenues par Brémond (5), et encore par Lahondès
(6), voire par Ramet (7).
LHistoire de Languedoc, dans lédition
Privat, fait sur le sujet une excellente mise au point pour lépoque (8), puis Jules
Chalande (9) exprime ses réticences et reprend létude des cadastres (10).
* Communication présentée le 7 mai
1996, cf. infra « Bulletin de lannée académique 1995-1996 », p. 319.
1. Jean de CHABANEL publie dès 1608 chez la veuve de Jacques Colomiès
Des églises parochiales, et en 1621, chez son neveu Raymond, De
lantiquité de léglise de Nostre Dame de la Daurade.
2. LAFAILLE (Germain de), Annales de la ville de Toulouse depuis la
réunion de la Comté de Toulouse à la couronne, Toulouse, Colomiès, 1687-1701, t. 1
et 11.
3. DU ROSOY (B.), ou FARMIAN DE ROZOI, Annales de la ville de
Toulouse 1771, t. I et II, 1771, pl. h.t.
4. DU MÈGE (Alexandre), Monuments religieux des Volces-Tectosages,
Toulouse, Bénichet cadet et Paris, A. Jouhanneau, 1814, pl.
5. BRÉMOND (Alphonse), La semaine catholique de Toulouse,
essentiellement t. VI n° 17, 1866.
6. LAHONDÈS (Jules de), Les monuments de Toulouse, histoire,
archéologie, beaux-arts, Toulouse, Privat, 1920.
7. RAMET (Henri), Histoire de Toulouse, Toulouse, Tarride, 1935.
8. Histoire générale de Languedoc, par dom Devic et dom
Vaissette, t. IV, p. 213.
9. CHALANDE (Jules), Histoire monumentale de lHôtel de Ville
de Toulouse, Toulouse, 1922, notamment.
10. A.M. Toulouse, Jouvin de Rochefort, cadastre de 1680 :
Daurade-ville C 116, Saint-Pierre-des-Cuisine, C 1-ville.
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PLAN. 1. CADASTRE DE SAINT-SERNIN. Premier moulon. Saint-Quentin, rue de la Porterie Basse. (B.M. Toulouse). |
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La chapelle Saint-Quentin
La seule
représentation de Saint-Quentin connue jusquici est une gouache de Moretti, «
peintre dornement, darchitecture et de décoration ». Datée de 1774,
luvre, exposée le 30 juin au salon de lAcadémie Royale de Peinture,
Sculpture et Architecture de Toulouse, présente le monument dans son dernier état,
après les réparations consenties par la Corporation des libraires et imprimeurs
toulousains qui, layant choisie pour siège de leur Syndicat, lentoureront
toujours dune dilection particulière. Simple prieuré et non pas église
paroissiale, elle dépendait au spirituel du prévôt de Saint-Sernin mais la
municipalité semblait y conserver quelques droits Souvent exposée, cette gouache ne
donne quune vision de biais, mais charmante : « Une façade plate surmontée
dun clocher campanaire à deux arcs, percée dune porte et dune fenêtre
aux arcs surbaissés ». Ainsi la décrit Robert Mesuret après De Rozoy, semblable
à quelques-uns des plus aimables sanctuaires des entours de Toulouse avec leurs
clochers-murs. Elle souvrait alors par un portail large de plus de quatre mètres et
haut de huit mètres environ ; elle était couverte, sans doute depuis le legs de
Grandjean, dune voûte surbaissée. Elle reposait sur plusieurs niveaux de
maçonnerie antique ; on dira plus tard « murailhe vieilhe », sur laquelle elle avait
été bâtie.
On ne saurait y apercevoir les pierres de remploi que Catel signale
déjà : « En bastissant les murailles on y employa sans ordre danciennes pierres
entaillées de quelques figures ». La croix du célèbre ferronnier Ortet ny figure
pas davantage.
FIG. 1. LA PLACE
DU CAPITOLE EN 1774, peinte par Moretti |
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PLAN 2. SITUATION DE LA CHAPELLE SAINT-QUENTIN par rapport aux vestiges de la porte antique de la ville, à lemplacement de lactuelle place du Capitole. Dessin Quitterie Cazes, 1996. |
Lexacte situation du prieuré
La chapelle se
situait rue de la Porterie Basse. La rue de la Porterie, qui traversait en son milieu
lactuelle place du Capitole, était divisée en deux au XVe siècle précisément
par la ruelle Saint-Quentin, la Porterie Haute étant côté cité, la Porterie Basse
allant vers Saint-Sernin et le quartier des études. Cest la « Carriera de
Portaria » mentionnée pour la première fois en 1180, qui partait de léglise
Saint-Romain et aboutissait à la voie menant à Saint-Sernin, sinuant dans un
enchevêtrement de ruelles qui seront sans cesse remaniées ou supprimées.
Où se situait exactement léglise Saint-Quentin ? Catel, auquel
il convient de revenir, et repris du reste par la plupart des historiens, signale près de
léglise les ruines « de grandes tours », quil identifie comme
lantique porte de la ville, connue sous le nom de Porta castri (11) puis de Porta
arietis. Il revient à Jules Chalande le mérite davoir proposé un dessin de
léglise Saint-Quentin et de la Porterie par rapport aux cadastres anciens et à la
topographie actuelle (12). La mise au jour des vestiges de la porte antique en 1971 (13)
permet aujourdhui de préciser un peu plus les emplacements respectifs des deux
monuments (plan. 2).
Les dédicaces
Le patronyme de Saint-Quentin nétait pas rare dans le Midi ; on le trouvait à Narbonne et en Roussillon, ainsi quen Ariège, près de Galey en Ballongue, mentionné par le cartulaire de Montsaunès, ainsi que dans lactuel canton de Mirepoix, cité dans le cartulaire de Saint-Sernin (14). Saint-Quentin peut être le martyr du IIIe siècle fêté en Vermandois, ou « Quintinus » ou « Quintianus » évêque de Rodez, authentifié par sa présence à plusieurs conciles mais aussi retenu par Simon de Peyronet dans le « Catalogus » publié en 1706 (15). Le sanctuaire était dédié en outre à deux autres saints, saint Blaise, évêque de Sébaste, très vénéré dans la région, et saint Gilibert, ou Gilifort qui semble rappeler que, pendant un long temps, après 507, « les
11. DOUAIS (C.), B.1.B. acte 68.
12. CHALANDE (Jules), « Le rempart romain de Toulouse à la place du
Capitole », dans B.S.A.M.F., 1911, p. 57-62 et pl. h.t.
13. LABROUSSE (M.), « Une porte de lenceinte gallo-romaine de
Toulouse » dans Mélanges dhistoire ancienne offerts à W. Seston, Paris,
1974, p. 249-266.
14. On peut également se poser la question au sujet de la paroisse de
Quint (actuellement Quint-Fonsegrives) cédée à Saint-Sernin au XIIIe siècle. Rappelons
enfin quun lieu situé à lextrémité des possessions de Saint-Sernin, proche
de ce qui est aujourdhui léglise des Minimes, sest appelé « Terra
sancti Quintini ».
15. « Catalogus sanctorum et sanetarum Tolose », Toulouse, chez la
veuve de Jean-Jacques Boude, Claude-Gilles Lecamus et Jacques Loyou asociés.
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évêques de Toulouse seront obligés de compter avec Bourges, métropole de lAquitaine, au lieu et place de Narbonne » (16).
Lentrée dans lhistoire
On ne peut
passer sous silence malgré de manque de preuves, lassertion de lHistoire
générale de Languedoc qui signale dès 350 lexistence de Saint-Quentin
parmi dautres chapelles particulières (17).
En réalité, lentrée de Saint-Quentin dans lhistoire
officielle a lieu en 1119 : Calixte II confirme diverses possessions à Saint-Sernin, dont
Saint-Quentin, qui est également mentionné dans la détermination des limites de la
paroisse Saint-Sernin vers 1120-1130 (18).
Saint-Quentin et les débuts de la vie municipale
Nous arrivons
à la fin du XIIe siècle. Cest le moment où, en labsence dune «
maison commune », léglise va jouer un rôle dans la vie civile de la cité et
porter témoignage des toutes premières « libertés » toulousaines accordées à la
ville par le comte Alphonse Jourdain en récompense de sa fidélité lors des diverses
tentatives de prise de possession victorieusement repoussées en son absence. Une
véritable représentation consulaire existe dans le bourg aussi bien que dans la cité et
tous les historiens font mention du procès de 1176, (n.s.) entièrement relaté par dom
Devic et DomVaissette (19) : Dati mense Marci, Regnant Lodovico, Francorum rege et
Ramondo tolosane comite, episcopo sede vacante, ab anno incarnatione Domini 1175. Les
douze « capitulaires », représentant la cité et le bourg qui erant de
consilio capituli, commun conseil de la cité et du bourg enfin réunis congregati
se retrouvent dans Saint-Quentin ecclesia sancti Quintini
assistés de nombreux « prudhommes », cum multis probis hominibus qui sont
essentiellement des personnages proches du pouvoir. Ils doivent se prononcer sur une
sentence en divorce contre une certaine Babylonia, épouse de Forton de Molivernède
quelle a quitté pour suivre un mercenaire brabançon ou allemand parmi ceux
appelés pour la défense de la ville lors du siège de Louis VII ; ce qui, après tout,
eut été sans doute considéré comme mineur si elle navait emporté en même temps
« son argent, ses draps et ses vêtements et surtout son excellente cuirasse ». Jules
Chalande fait connaître la teneur de larrêt (20) : la dot et les biens de
lépouse adultère reviennent au mari, tandis que leur pacte de mariage est détruit
par le feu.
Ainsi le sanctuaire va-t-il servir de salle de réunion pour les
représentants dun pouvoir déjà « capitulaire ». Saint-Saturnin-du-Taur et
Saint-Pierre-des-Cuisines, situés dans ce même quartier, jouèrent également ce rôle
entre le xiie et la première moitié du XIIIe siècle.
Dès 1190 cependant, et jusquà 1204, les « capitulaires » vont
acquérir des terrains contigus à lantique muraille romaine, délimités par la rue
de la Porterie et la ruelle Saint-Quentin, laissant au comte et plus tard aux magistrats
du Parlement le cur de la cité. Ils font dans le même temps lachat à
Raymond Gautier de plusieurs immeubles, mais cette fois à lemplacement du Capitole
actuel (21).
Dautres événements sinscrivent dans lhistoire de
Saint-Quentin : ainsi en 1336 les capitouls y firent-ils célébrer une messe pour avoir
condamné sans en avoir référé au pouvoir royal, à une époque où le Parlement
nexistait pas encore, létudiant Bélanguier, coupable davoir causé la
mort du capitoul François de Gaure (22).
16. Histoire de Toulouse
sous la direction de Philippe WOLFF, p. 54. Pour saint Gilifort, cf. CORRAZE, loc. cit.,
et « Officium sanctorum » du XVIIIe siècle, approuvé par labbé dHéliot.
17. Histoire générale de Languedoc, t. IV, p. 350.
18. DOUAIS (C.), Cartulaire de Saint-Sernin, App. n° 5 et n°
68.
19. A.M. Toulouse, II, XXI. Pour tout ce qui concerne cette période,
consulter François GALABERT, cartulaire de la cité AA1, 12, 22, 72.
20. Histoire des rues de Toulouse, reprint 1980, II, n° 335.
21. A.D. 31, Saint-Sernin, reg. 130, 149, 183.
22. Rapporté par CAYRE, Bib 1, p. 204.
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Les aléas du service religieux au XVe siècle
Raymond
Corraze renseigne avec précision, daprès les archives de Saint-Sernin, sur
quelques-uns des prieurs qui sy succèdent au cours du XVe siècle. En septembre
1400, Amaury Nadal, professeur en décrets et abbé de Saint-Sernin, nomme prieur, après
résignation du bénéfice par Aymeric Serrata, un clerc du diocèse de Saint-Papoul :
Raymond-Bertrand de Montmaur, mais celui-ci préfère finalement une charge de chanoine à
la Collégiale de Castelnaudary.
Le 17 avril 1433, Foulques de La Royère, abbé de Saint-Sernin, nomme
Jacques Bonnot et, en signe dinvestiture, lui remet son anneau abbatial. Malgré ce,
lui aussi résigne le bénéfice. Alors, Vital de Sers, chanoine et précepteur,
accompagné de Bertrand Palice, syndic du monastère, vient reprendre possession de la
chapelle qui est alors fermée. Quelques jours plus tard, le même Bertrand Palice mit en
possession Jacques Bonnefoy. Le nouveau prieur conservera sa charge jusquen 1441,
mais le 14 janvier de cette même année, Pierre de Villapradel, aumônier de
Saint-Sernin, met en place Jean de Acuta « avec le cérémonial accoutumé ». Celui-ci
demeurera jusquen 1455, et, le 2 décembre, arrivera un nouveau titulaire nommé
Raymond de Genio. Dernier changement noté par Raymond Corraze, sans date cette fois :
après la mort de Guillaume Dumas, labbé Jean de Jaunhac nomme le prêtre Marc
Jimelli. Létat de la chapelle était-il la cause de ces changements ?
Inventaire du 26 janvier 1451
Au moment de
la prise de possession de la chapelle par Jean de Acuta, le chanoine Pierre de Villapradel
en fit faire un inventaire. Ce très intéressant document a été entièrement reproduit
par Raymond Corraze (23). Son premier mérite est de préciser le nom des saints qui y
étaient vénérés, et cest là que lon est quelque peu surpris de ne plus
rencontrer saint Blaise qui demeure au propre du diocèse, mais saint Michel, peut-être
parce quil protégeait de la peste.
Suit une description précise des ornements et objets de culte rangés
dans une armoire en noyer est-il précisé, placée dans la chapelle de saint
Gilifort : description détaillée des chapes, missels, calices. Dans une seconde armoire,
toujours placée sous la garde de saint Gilifort, une série de reliquaires, et enfin,
quelques détails sur la garniture des divers autels.
Saint-Quentin, siège de la communauté des libraires, imprimeurs et relieurs toulousains
Le prieuré fut-il atteint, comme certains lont prétendu, par le fameux incendie de 1463 qui na pas épargné le quartier du Taur ? Quoi quil en ait été, le 22 janvier 1510 souvre pour lui une nouvelle période et, curieusement, si cette ère se révélera heureuse, ce nest pas à sa vocation spirituelle quil le devra mais, comme à ses débuts, à sa place dans la vie civile. Ce jour-là donc, la chapelle Saint-Quentin devient le siège du tout nouveau Syndicat des Libraires de Toulouse, Syndicatus Libratorum Tholose, le mot « libraire » étant pris ici dans son sens le plus large ; dailleurs les trois métiers de libraire, dimprimeur et de relieur se complétaient et sentrecroisaient alors, avant de se déchirer. Successeurs des antiques corporations denluminayres ou imaginayres et de stationnaires, vingt-trois dentre eux apposent leur signature sur un document retenu par le notaire Guillaume de Podio (24). Seul, Jean Grandjean, premier imprimeur dorigine toulousaine, après les émules allemands ou lyonnais de Gutenberg, fût inscrit sous son titre. Élu syndic, ce grand typographe à qui lon doit notamment luvre de Nicolas Bertrand, Opus de Tholosanorum Gestis ab urbe condita, eut la charge de présenter le projet de statuts aux capitouls (25). Ce même
23. CORRAZE (R.), loc. cit.
24. CORRAZE, (R.), loc. cit.
25. CORRAZE (R.), Notes pour servir à lhistoire de la
librairie à Toulouse, 1550-1540, C.T.H.S., 1937.
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FIG. 2. PAGE DE TITRE DE LHISTOIRE TOULOUSAINE PAR HENRI NOGUIER, imprimé par Jean Boudeville, 1556. Encadrement gravé par Guiraud Agret. (B.M. Toulouse). |
jour, lensemble de la
corporation désigne également son patron : à linstar de leurs confrères
parisiens qui se réunissaient dans léglise Saint-André-des-Arts, les typographes
toulousains choisirent Saint Jean lÉvangéliste, dit aussi Saint-Jean devant la
Porte Latine, souvent représenté dans liconographie religieuse tenant un livre et
dont le nouveau syndic portait deux fois le nom. Latelier de Grandjean était
dailleurs voisin de la chapelle, occupant lun des coins de la rue, « in
angulo vie Portarietis ».
La corporation ainsi créée continuera à se réunir à la chapelle
Saint-Quentin jusquà la Révolution qui détruisit lune et lautre. Les
dons en sa faveur vont marquer ces débuts : Jean Grandjean le tout premier, qui disposait
dune solide aisance, linscrivit dans son testament pour cent livres tournois
destinées à la faire voûter (26). Limportant legs de Pierre Pasquier créa
quelques difficultés. À la fois notaire, scribe et enlumineur, Pasquier avait dû
abandonner son art pour devenir libraire, chemin que parcoururent la plupart de ses
confrères devant lirrésistible poussée de limprimerie. Il laissera par
testament, en 1514, une belle maison située rue de la Porterie entre léglise
Saint-Quentin et lhabitation de Françoise Laylle, veuve du médecin Henri de
Saxonia. En arrière, la célèbre hôtellerie des Balances souvrait sur la rue des
Argentiers à laquelle elle donnera plus tard son nom. Le 15 décembre 1514, les
représentants habilités de la Communauté prennent possession des lieux et choisissent
dès le lendemain quatre prêtres qui vont célébrer des messes de requiem pour le repos
de lâme du donateur. Ils sempressent de louer pour cinq ans cette demeure à
lun de leurs confrères, Guillaume Boysson, originaire dAuvergne (27).
Ce bachelier en droit installe dans sa nouvelle librairie des sortes de
« studios » avec chaises et tables destinées aux écoliers de lUniversité toute
proche, qui pouvaient ainsi consulter des livres sur place. Mais le seigneur direct de
limmeuble, Savary de Goyrans, exigea aussitôt des droits féodaux élevés, « deus
écus dor doblies annuelles » assortis dexigences diverses. Après un
long procès, la Communauté la confrérie comme disent encore les textes ,
décide de racheter limmeuble.
Au reste, les dissensions ne furent pas absentes dans la vie de la
chapelle, quasi-inévitables étant donné sa double appartenance. Ainsi, le 7 mai 1524,
la Communauté dût requérir le prieur de Saint-Quentin non en tant que tel mais en tant
que simple prêtre pour la célébration de la grand-messe en lhonneur de Saint-Jean
de la Porte Latine. Or elle avait toujours le privilège du choix en ce qui concernait ses
propres offices et, naturellement, en assumait la charge, le prieur ne pouvant pas aller
contre les statuts. On retrouve déjà là le souci constant quauront, pendant tout
lAncien Régime, libraires, imprimeurs et relieurs de faire respecter lun des
droits qui faisaient leur fierté. Le conflit nempêcha même pas que se tienne,
comme chaque année le jour de la fête patronale, devant le porche de léglise, un
grand marché qui assurera, au cours des ans, lun de ses revenus solides à la
Communauté.
26. CORRAZE (R.), « Jean
Grandjean maître imprimeur toulousain, 1460-1519 », Bull. philo. et hist.
1936-1937, p. 85 et suiv.
27. CORRAZE (R.), « Le testament de Jean Grandjean », LAuta,
Nouv. série, juin 1941.
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Quelques noms dans le cadastre
Cest à
travers les compte-rendus du notaire Podio et les réunions à Saint-Quentin que lon
peut dabord se rendre compte du nombre considérable dimprimeurs et libraires
qui, gravitant dans le quartier de la Porterie, travaillèrent à Toulouse au long du XVIe
siècle, réalisateurs parfois dune seule uvre, pour celles qui ont survécu.
Les libraires, nous dirions aujourdhui les éditeurs, assumaient alors les frais de
limpression, se réunissant souvent à plusieurs comme lindiquent nombre de
contrats. Les listes établies par Raymond Corraze ou Anatole Claudin (28) sont également
extrêmement longues et lon continue à trouver au hasard des recherches dans les
fonds darchives, registres notariaux ou paroissiaux, des noms jusquici
inconnus. Une idée peut en être donnée par louvrage de Mégret et Desgraves (29)
qui relèvent soixante-six noms que justifient plus de 900 titres douvrages
imprimés à Toulouse et figurant dans les bibliothèques.
Nous en évoquerons quelques-uns signalés comme étant proches de
Saint-Quentin : Jacques de Fleurs, certainement apparenté à ce Jean de Fleurs, libraire
« éditeur » qui fit travailler le célèbre Guyon Boudeville entre 1546 et 1554 et fut
lun des rares à nêtre pas inquiété lors des « événements » de 1562,
ceux-ci ayant fait plus de vingt victimes chez les gens du livre. Nicolas, fils de
Jacques, vend, le 11 mars 1606, à Dominique Bosc qui fait alors son entrée parmi les
imprimeurs et sera lun des quatre plus célèbres du siècle qui souvre. On ne
sait si Élie Mareschal (30) est apparenté ou non à Eustache Mareschal, fils dun
imprimeur lyonnais qui, installé à Toulouse, entre 1519 et 1543, rayonna largement dans
la région. Il est signalé sur les registres dimposition de Saint-Sernin-le-Taur,
soit dans la maison de Jean Galop, soit, plus tard, dans celle dHélias de Manso, et
enfin dans la maison de Rességuier. Henri Mareschal fut lun des rares libraires à
exercer, les Colomiès mis à part, après 1562. Pour Élie ou Hélie, il est cité parmi
douze autres dans les listes des imprimeurs libraires visités entre 1619 et 1620, au
moment même où la corporation obtient de Louis XIII ses statuts à linstar de la
corporation parisienne, ce qui marque son importance. Si le grand Colomiès nest pas
épargné, il nest rien retenu contre Élie qui, vers cette époque, sadonne,
en collaboration avec Jean Canut, à la mode nouvelle du roman dit à la grecque avec Les
tragiques amours du fidèle Ylion et de la belle Pasilhae. Quant à Jean Dambas ou
Dembat, un autre des éditeurs de Guyon Boudeville, on ne le retrouve plus après la date
fatidique de 1562. Enfin, dIsaac Salles, seul son gendre, Maffre-Treulé, époux de
sa fille Dominiquette, a laissé sa trace, figurant sur la liste des libraires visités en
1619-1620.
Si lon songe que les grands de la librairie et de
limprimerie toulousaines habitent également soit la rue de la Porterie, soient
celles immédiatement voisines, les Colomiès, par exemple, près de léglise du
Taur, Boudeville à lombre du collège de Foix, que Boude et ses successeurs
occuperont encore après la Révolution le coin de la rue, vers la cité, on comprend la
destination de saint-Quentin et le nom de « rue des libraires » donné plus tard à la
rue Saint-Rome.
Voisinaient également dans ce quartier quelques grandes familles
capitulaires, tels les Puget dont lhôtel était situé à larrière de la
chapelle, ou les Mandinelli, dont lun des membres compta parmi les plus illustres
victimes des « événements », bien que catholique.
Les transformations du XVIe siècle
Dans les années 1551 et 1554, les Regestres du concistoyre et tréshoyrerie ou comptes de la ville et, plus tard leur contrôle (31), font état de travaux importants sur la rue de la Porterie autour du prieuré et plus particulièrement sur le portail de celui-ci et son soubassement. Travaux rendus indispensables par 1extention du trafic, de plus en plus gêné par lempiétement des abords de Saint-Quentin. La chapelle dût donc être reculée de deux mètres
28. A.D. 31., notaires 2483, f°
84-88.
29. CLAUDIN (Anatole), Les enlumineurs, les relieurs, les libraires
et les imprimeurs de Toulouse aux XVe et XVIe siècles, 1480-1530, 1893 et Les
libraires, les relieurs et les imprimeurs de Toulouse au XVIe siècle daprès les
registres dimposition, 1895.
30. MÉGRET (Jacques), et DESGRAVES (Louis), Répertoire
bibliographique des livres imprimés en France au seizième siècle, 1 51,
Toulouse-Baden-Baden, 1975. (Bibliotheca Bibliographica Aureliana).
31. Pour cette célèbre famille dimprimeurs lyonnais, consulter
BAUDRIER, et pour les travaux à Toulouse, MÉGRET et DESGRAVES, supra 37.
M.S.A.M.F., T. LVI, page 177
environ. Cest alors
quelle va revêtir laspect fixé par Moretti, étant cependant surmontée à
lest dun clocher ou tour ? dont les textes affirment que les
parties hautes étaient « caducque et ruyneuses ».
Ainsi, le 22 juin 1551, le trésorier a rétribué 10 sols tournois
Guilhaume Guérin, Pierre de Naves et Bernard de Subréville, « maistres massons de
Tolose pour avoir faict la visite des maisons joignantes à la glise (sic) de
Saint-Quentin à la Porterie en présence de nos (sic), cappitolz du Pont-Vieulx, et
Saint-Pierre-des-Cuisines ». Interviendra ensuite Pierre Juge, maître fustier, qui sera
rétribué à son tour pour travaux entrepris dans les « maisons qui ont esté desmolies
joignant léglise Saint-Quintin en la rue de la Porterie pour agrandir ladicte rue
». À Pierre de Naves « de continuer et parachaver toute la massonnerie des maisons qui
ont estées abbattues et reculer et mettre à fleur le devant de ladite église ».
Viendra enfin le « lignement du portail de ladite église ».
Cest en 1552, « le 11e jour du mois daoût », quen
présence des « cappitols » Génoulard, Bosredon, Pastoreau et de Gailhac, intervient
Guirault Mellot, « maistre masson de Tolose » pour examiner « le fondement du portail
de ladite église [
] trouvé du cousté du canton de la rue de Servynières », nom
qui désigne alors la rue Saint-Rome. La façade serait luvre de Pierre
Obéron. Tout cela dût être déblayé par Antoine Faure, « tombarelayre » qui reçoit,
le 22 avril 1554, une somme de 24 sols 7 deniers pour avoir emporté « 37 tombareiz de
terre tirés des maisons ». Les comptes furent ensuite contrôlés au sein du
Consistoire. Pour léglise seule qui désormais a une surface équivalent à 114 m,
et plus de 21 m de haut, les remaniements furent effectués dans le cours de lannée
1553. On retrouve là les noms dentrepreneurs parmi les plus connus travaillant
habituellement pour les capitouls (32).
En 1599
Un texte
découvert aux Archives Municipales daté de 1599 (33) va permettre de dire que ces
travaux considérables ne suffisaient encore pas pour redonner à Saint-Quentin ni même
aux immeubles de la rue de la Porterie elle-même toute la solidité désirable.
Le 15 janvier 1599, en effet, trois habitants proches de la chapelle,
« noble Guillaume Daigueplatz et Jehan Poget, marchand et Vital Cabardos marchand
libraire », se sont présentés « à deux heures après midy » devant les capitouls
Germain et Du Puget pour les informer dun accident survenu une dizaine de jours
auparavant « au canton ouest devant leglise Sainct-Quentin ». Pendant la nuit,
l'immeuble appartenant au libraire Ancelin, dizainier du capitoulat de Saint-Sernin, connu
par ailleurs pour quelques productions agréables, sétait effondré. Ancelin et son
épouse y avaient laissé la vie et des immeubles du voisinage avaient été endommagés.
Craignant pour leur propre sécurité, tous trois viennent de vérifier que les murs
extérieurs de léglise ne présentaient aucun danger provenant « de ce
quelle nestait entretenue de couverts ». En « experts » ils sont ensuite allés
visiter la maison de Pierre Puiboube, bourgeois, pour examiner notamment « les muralhes
de la tour quest joignant ladite esglise ». Au cours de cette visite, ils sont descendus
« dans le chay ou cave de la boutique du dict Puyboube » et ont examiné les lieux «
jusques au plus haut ». Ils nont rien trouvé dinquiétant « jusques au plus
haut de la première travaison ». La tour, vraisemblablement celle de lancienne
porte contre laquelle sappuyait la chapelle, avait été « sappée par le dehors »
selon les règles édictées par la ville. Mais « à lendroict où le degré
servant pour monter à la salle où le dict Puyloube couche, y a plusieurs ruines
lesquelles passent de part en part lespaisseur de la murailhe de la dicte tour et
celles ruines continuent jusques au plus haut de la dicte tour. Pour esviter touts les
inconvénients et dangers qui pourront advenir », ils demandent que soient effectuées
les réparations qui conviennent ou que soit abaissée « la tour aux fins de la
descharger du pois ».
Cest alors un moment encore critique pour limprimerie et la
librairie. Il ny a guère à Toulouse que la famille Colomiès qui a traversé
lorage de 1592 et trois ou quatre autres professionnels du livre dont précisément
un Édouard Ancelin (34), qui travaillait avec Raymond Colomiès, petit fils de Jacques,
et dont on peut citer entre 1590 et 1591 deux uvres dune irréprochable
orthodoxie.
32. A.M. Toulouse, Registres C.C.
1690, juillet, septembre et octobre - 1552 CC 1691, p. 396 et 401 registres CC 2427, 2429,
contrôles. Certaines de ces références et précisions concernant les travaux récents
entrepris sur l« îlot Mirepoix » mont été transmises par M. Henri Molet,
remercié ici.
33. A.M. Toulouse, ii 74 - Layette.
34. Cf. MÉGRET et DESGRAVES, op. cit., p. 188.
M.S.A.M.F., T. LVI, page 178
Au XVIIe siècle
Lorsque, le 11 mai 1621, le Parlement de Toulouse enregistre les Lettres patentes accordées par Louis XIII érigeant en « corps dÉtat » la corporation des Marchands Libraires, Imprimeurs et Relieurs de Toulouse (35), les premiers après Paris et vingt-quatre ans avant que dautres communautés soient ainsi reconnues, la chapelle Saint Quentin est tout naturellement incluse dans bon nombre des 37 articles, notamment dans la « Délibération » du 20 août 1673, ajoutée aux Lettres royales. Dès le début, il est décidé que limmatriculation des « Apprentifs » auprès du syndic sera accompagnée de la somme de cinq livres « pour être employée au service et entretien de la Chapelle S. Quintin ». Selon larticle ll, sur la somme de 300 livres exigées du futur maître imprimeur au moment de sa réception, une partie est destinée à son entretien. Larticle V rappelle quelle demeure le lieu où doivent se dérouler chaque année les élections du syndic et des bayles, le jour de la fête de saint Jean de la Porte Latine. Larticle Vl précise que le dimanche « après avoir ouï la Messe quils auront fait dire suivant la coutume », les responsables rendront compte de leur administration dans la « Capelle ». Ils en remettront « les clefs, ornements et autres choses entre les mains des nouveaux élus qui le rangeront dans les coffres et armoires le dimanche suivant, second après la fête, les Livres, Actes, argent et tout ». Quant à ceux qui, sans excuse valable, nassisteront pas aux assemblées, ils devront acquitter chaque fois, selon larticle Xl, le prix d« une demi-livre de cire blanche ». Autres obligations : chacun participera aux frais de messes de requiem à chaque demande du baile, au paiement du pain bénit, et paiera « le droit de Frérie » sous peine dy être contraint par voie de justice. Au profit de la chapelle encore, les amendes dues pour avoir juré, menacé ou proféré quelque injure en cours de séance ; ou si, « au lieu dattendre à opiner dans leur rang », certains troublent la compagnie. La sainteté du lieu devait aider, on peut lespérer, à la bonne tenue des assemblées.
Le retable dAntoine Guépin
Imprimeurs,
libraires et relieurs se conduisent désormais comme sils étaient les véritables
responsables de lintérieur de la chapelle. Ainsi vont-ils remplacer lancien
retable vermoulu par un nouveau que le libraire Dominique Camusat et limprimeur
Bernard Bosc, deux membres influents de la corporation, vont commander par acte passé
devant notaire le 31 juillet à un ami de Bachelier, Antoine Guépin, à la fois
architecte et sculpteur, lun des artistes les plus connus de lépoque. À la
lecture du projet, traduit une fois de plus par Raymond Corraze (36), il sagit
dune pièce « entièrement en bois de tilh » qui « tiendra toute la la largeur de
lesglise et près de toute sa haulteur ». Deux statues qui devront avoir « huit
pams », lune de saint Quentin, bien sûr, et lautre de Saint Gaingefort, le
Gilifort de la description du XVe siècle, seront dominées par « un Dieu le père » ;
le projet mentionne encore colonnes, angelots, vases, festons, fruits et feuillages, le
tout selon un dessin signé par-devant notaire.
Antoine Guépin ne se mit à luvre quaprès avoir
reçu les 100 livres dacompte qui lui avaient été promises et qui ne lui furent
remises que le 12 septembre.
Saint-Sernin toutefois, ne perdait pas de vue la vie spirituelle du
prieuré : ainsi le 2 mars 1669, Michel Duthil, chanoine et vicaire général de la
basilique, met un certain Antoine Chapuis en possession au prieuré.
La chambre syndicale au XVIIIe siècle
Il existe, pour le XVIIIe siècle un document manuscrit irremplaçable qui permet de suivre, entre 1735 et 1789, la vie professionnelle des imprimeurs et libraires avec tous les aléas et les incidents quune telle situation présentait à lépoque. Presque à chaque page du Livre de la Communauté de Messieors les Imprimeurs et libraires de Toulouse
35. A. D. Hérault, Série. C 2803.
36. CORRAZE (R.), loc. cit., supra note 20.
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FIG. 3. LA PLACE
DU CAPITOLE AVANT 1850, CÔTÉ OUEST. |
(37) qui retrace chaque
événement survenu dans le rayon daction de la chambre syndicale, le nom de
Saint-Quentin revient comme un leitmotiv avec cette touche dattachement qui,
au cours des ans, ne se démentira pas. La lecture de plus de 600 pages de ces manuscrits
est plus ou moins facile, selon lécriture plus ou moins lisible. Elle révèle en
tout cas le degré de culture des imprimeurs et libraires. Précis et clairs dans leurs
décisions, appliquant correctement lorthographe de lépoque, ils consacrent
aux statuts, de même quaux décisions du Conseil du roi, une calligraphie parfaite.
Lensemble est naturellement ponctué des signatures des assistants, de la plus
simple et la plus lisible à la plus compliquée, où se retrouvent les grands noms de la
profession, On y lit lassiduité de chacun, la fermeté de caractère ou le
laisser-aller, bref on y sent le frémissement même de la vie dun corps de métier.
Au cours des ans, la confrérie est devenue « Communauté », voire
plus prosaïquement, Chambre Syndicale. Nimporte. Ce qui va demeurer, cest la
chapelle et ses registres vont permettre désormais de suivre son histoire.
Déjà, lorsque souvre, le 28 avril 1733, le premier compte-rendu
de « lassemblée réunie en sa forme ordinaire dans lÉglise de Saint-Quentin
» selon la formule consacrée, « létat du sanctuaire nest pas bon ». Une
ordonnance des vicaires-généraux interdit de célébrer les offices, Saint-Quentin
menaçant ruine. Les travaux nont guère cessé pourtant, dans cette zone sensible,
vouée à des transformations perpétuelles en vue de la réalisation de la future place
Royale. La démolition dimmeubles proches, notamment en 1730 pour le plus voisin, «
au raz de léglise », na-t-elle pas ébranlé les murs ? Ce sera donc la
chapelle du collège Sainte-Catherine, vers le 45, de la rue des Balances, actuellement
rue Gambetta, qui va permettre, le 6 mai de cette année-là, de célébrer la
traditionnelle fête de Saint-Jean de La Porte Latine. Imprimeurs et libraires vont même
y transporter alors leur chambre syndicale. Il en sera de même le 4 mai 1734.
Le 30 mars 1735, ce sont les propos sévères de leur syndic,
limprimeur-libraire bien connu Jean Desclassan, sur létat déplorable du
sanctuaire : il était « triste pour la Compagnie et même digne de blâme de laisser
dépérir un
37. B.M.Toulouse, t. I et t. II :
mss. 1010 et 1011 - A.D. 31, série. E, n° 135.
M.S.A.M.F., T. LVI, page 180
Retable quon a été
obligé de retirer
à cause de la démolition dune muraille, et qui, depuis
dix ans, est exposé aux rigueurs du temps. La louable piété de nos prédécesseurs
lavait fait construire en lhonneur de saint-Jean, leur patron et protecteur,
et il serait juste et même de notre devoir de marcher sur leurs traces et de surpasser
leur zèle, si ce se pouvait, en rétablissant la dite église, qui ferait lornement
de la place quon vient de construire ». De plus, il constitue « un dépôt qui
nous a été confié depuis un temps immémorial ». Lassemblée désigne alors
quatre commissaires, Darnes et Garrigues, libraires, Lecamus et Hénault, imprimeurs qui,
avec le syndic et ses adjoints, « devront donner tous leurs jours pour faire rétablir la
muraille
et mettre en état la chapelle afin dy faire le Service de Dieu ».
Les pleins pouvoirs leur sont donnés pour traiter avec maçons et charpentiers. Tâche
difficile dans ce quartier en perpétuelle évolution. Chalande rappelle quen 1739,
la ruelle Saint-Quentin, bien entendu du côté opposé à léglise, fut inféodé
au capitoul Pierre de Lapeyre pour y élever des constructions.
Quelques notations permettent de suivre ce quil en advint : ce
chantier considérable fut sans nul doute pesant pour les finances de commerçants
pourtant fort aisés pour la plupart. Ainsi le 18 septembre 1740, « un mur de marbre »
coûtera à chacun 24 sols. Peu après, il se révèle indispensable denlever
« les objets dargent et autres nécessaires au culte », donnés en garde à
Claude-Gilles Lecamus. Leur énoncé donne une idée de létat de la chapelle à
cette époque : un encensoir, deux missels, deux voiles en satin blanc, cinq chasubles
dites complètes, un Te Igitur complet, deux nappes dautel, neuf
purificatoires
Le 10 mai, il est encore question de petites réparations
supplémentaires.
On demandera ensuite des comptes précis à Lecamus. Le 28 février
1743, Hénault, syndic, donne létat exact des recettes et dépenses qui sont, bien
entendu excédentaires. On prélève en même temps sur les 300 livres de droits
dentrée dues par Crozat, une moitié destinée au paiement de ces réparations,
mode de financement probablement déjà pratiqué. Le journal de Pierre Barthès rejoint
laffirmation de Jules Chalande pour fixer au 4 mai 1741 la seconde consécration de
la chapelle. Barthès raconte : «...Léglise Saint Quentin, à la place Royale, une
des plus vieilles de la ville suivant la tradition, et qui était restée démolie pendant
quelques années, à cause dune ruine prochaine dont elle menaçait, ayant été
rétablie à grands frais par MM. les Marchands libraires et remise dans un nouveau
lustre, fut bénie une seconde fois par M. de Souville, chancelier et grand vicaire avec
toutes les cérémonies requises. Le lendemain, on y chanta les premières vespres pour la
feste de Saint-Jean-Porte-Latine qui est la feste de ces messieurs qui fut solemnisée le
6 avec pompe et majesté ».
En 1747, on décide de placer devant léglise une plaque de
marbre noir, « pour 15 livres », de prévoir à lavance lhoraire des messes
et de faire poser un tronc « pour les questes » et surtout de faire payer les «
reliquataires » : il est en effet souvent question du retard apporté par certains
imprimeurs ou libraires au paiement des taxes dentrée, toujours assez élevées. On
examine en outre létablissement dun inventaire des « effets, titres et
documents de la Communauté » et de payer à limprimeur Caranove, libraire connu et
capitoul de surcroît, une somme de 200 livres qui lui est due.
Le service religieux nest pas pour autant laissé sans
surveillance : lannée suivante, il est fait état de difficultés surgies entre les
imprimeurs et le père Ricaud, chargé en tant que prieur du service de Saint-Quentin, qui
réclame des prix de messes beaucoup plus élevés que ne le faisaient auparavant les P.P.
Capucins. La Communauté accepte, mais nadmet pas que le père Ricaud se serve de la
chapelle à son seul profit. Ce genre de conflit se renouvellera et il semble que
désormais les libraires et imprimeurs aient chargé du culte les P.P. Cordeliers. Ainsi
seront-ils payés 6 livres le 30 janvier 1757, pour une messe daction de grâce en
faveur du rétablissement de la santé du roi. Entre-temps ont été notées les dépenses
de cire, de cloches ou de mobilier.
Essentiellement rendue au culte, la chapelle, va entrer dans la
dernière phase de son histoire. Certes, nombre dassemblées, de même que les
élections des syndics et adjoints continueront à sy dérouler, ainsi que les
exercices de la vie spirituelle : le 7 mai 1743, par exemple, toujours autour de la fête
de saint Jean, une messe dactions de grâce sera dite pour demander le
rétablissement de la santé du roi. De même en septembre 1744, lorsque Louis XV tombe
malade à Metz, une messe suivie dun Te Deum témoigne des « sentiments de
respect et de zèle qui doivent animer le cur de ceux qui ont lavantage
dêtre sous la domination dun Roi aussi recommandable par ses vertus que digne
des Éloges de toutes les Nations » mais son rôle va se réduire pour lessentiel
à ces manifestations traditionnelles.
Une nouvelle chambre syndicale
Car les temps ont changé. Les exigences du métier sont de plus en plus lourdes pour les libraires et imprimeurs au fur et à mesure que se multiplient les règlements. Le 13 février 1750, ils envisagent la location dun espace
M.S.A.M.F., T. LVI, page 181
suffisant pour leur permettre de
recevoir et examiner les ballots de livres reçus à Toulouse où transitant vers
dautres destinations : il sagit, bien sûr, déviter la diffusion des
ouvrages interdits par une censure de jour en jour plus tatillonne et darrêter les
contrefaçons, avignonnaises en particulier. La chambre syndicale est tenue en outre
dabriter le matériel dimpression tel que presses, caractères, etc. dont la
vente est, elle aussi, étroitement surveillée. Enfin, en ce milieu du XVIIIe siècle,
son autorité sétend de plus en plus, comprenant les villes dAgen, Albi,
Auch, Aurillac, Cahors, Carcassonne, Castres, Condom, Montauban, Pamiers, Rodez, et
Villefranche-de-Rouergue. Les nouveaux locaux serviront également de lieu de réunion :
ainsi est-il prévu dacquérir du mobilier, vingt-quatre chaises garnies de paille
ainsi que cinq fauteuils, une paire de bobèches, deux chandeliers, deux chenets de fer,
pelles, pincettes et soufflets, un bureau, un écritoire, etc. Un concierge sera
également nécessaire à qui lon attribue 60 livres par an.
On ne peut guère sétonner quavec de telles charges le
budget de 1760 accuse des faiblesses et que ne puissent être « effectuées des
réparations à Saint-Quentin », même en un moment de grande prospérité matérielle
pour la majeure partie des gens du livre toulousains (38). Il nest pas dit ce
quil en advint. Toutefois en ce même mois de janvier 1760, a été plantée la
croix dOrtet, uvre de lun des plus connus parmi ferronniers de
lépoque (39).
Presque à la même date, Pierre Barthès livre à notre méditation un
arrêt du Parlement réglementant « labus qui est fait
dans les
églises
des assemblées de personnes se communiquant hautement et sans respect les
nouvelles
de leurs affaires ». La Communauté, qui avait des droits acquis depuis
plusieurs siècles, était-elle visée elle aussi ?
Cependant, au milieu de ces soucis, de la multiplicité des arrêts,
des poursuites pour manquements, des procès, confiscations, nominations contestées
dune période où, derrière la prospérité, les métiers du Livre étaient bien
devenus des « métiers de danger », libraires, imprimeurs et relieurs toulousains
noublient pas complètement leur chapelle : ainsi, lorsque, le 21 mars 1779,
lon saisit et vend au profit de la chambre syndicale chez le malheureux Gaston qui
faisait métier de libraire sans en avoir le droit, 100 bréviaires, 20 graduels et 5
missels, lun de ces derniers fut-il réservé à Saint-Quentin, tandis que les
comptes de mars 1781 vont faire ressortir une dépense de 125 livres 12 sols qui lui sont
également consacrés.
La fin
La dernière
réunion que rapporte le Livre de la Communauté se termine, comme la première sur
une interrogation inquiète : à la suite de réclamations peu claires dun sergent
royal au Sénéchal et Présidial de Toulouse nommé Pierre-Antoine Bertrand, venu à la
requête du prieur de Saint-Quentin « seul maître de léglise » et à qui on
aurait refusé les clefs, l'assemblée donne pouvoir à ses « officiers » pour prendre
des renseignements et faire la vérification des titres relatifs à la jouissance du
sanctuaire. Il semble quil se soit agi alors de Pierre Puntis que Corraze traite de
« paisible possesseur » (40) et que la maladie obligera à résigner le bénéfice.
Ainsi, le 3 février 1789, va souvrir un bien inutile conflit dinfluence.
Ce jour même, en effet, Gabriel Latour, qui appartenait sans doute à
une vieille famille de Noé, prend possession du prieuré. Cest le vu de
larchevêque François de Fontanges. Nous voici revenus à Hugues ler et au temps
où le prieuré dépendait de Saint-Étienne. Car, le 29 janvier précédent, François de
Narbonne-Lara, abbé de Saint-Sernin, avait désigné Jean-Baptiste Lasteulères, custode
des Corps saints de la basilique. Il ne semble pourtant pas que le prieuré ait jamais
été placé sous une autre autorité spirituelle. Peut-être labbé eut-il le tort
dy joindre un autre bénéfice, le prieuré de Saint-Julien, vénérable sanctuaire
qui disparaîtra en même temps que Saint-Quentin (41). Comment se serait terminé le
conflit ? Les événements qui se préparaient ont dû en faire oublier la relative
gravité. Saint-Quentin, comme Saint-Julien et dautres anciens prieurés ne
survécurent pas à la Révolution. La chapelle chère aux libraires fut fermée au culte
en 1791 lorsque seules dix églises lui demeurèrent ouvertes.
38. SENTOU (Jean), Fortunes et groupes sociaux à Toulouse
sous la Révolution, Toulouse, Privat, 1969.
39. Cf. FABRE (Georges), LAuta, n° 480, 1982.
40. LAMOUZELLE (Edmond), Toulouse au XVIIIe siècle daprès les
« Heures perdues » de Pierre Barthès, Toulouse, 1914.
41. A.D. 31., 1 G. 301, f° 208-212.
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Estimée 5.060 livres, elle fut vendue en
1792 (42) comme bien national et remplacée par une maison qui, à lépoque
romantique, laissait encore la place de limpasse Saint-Quentin. En 1851, la
construction des arcades de la place du Capitole en effaça jusquau souvenir.
Ce souvenir, Alphonse Brémont proposa, en 1854, de le conserver en
baptisant « rue Saint-Quentin » la rue Vidale ou de la Vidalle qui ny aurait rien
perdu, et qui, assez récemment, est heureusement devenue rue des Jacobins. Il y avait
déjà longtemps quavec les autres corporations avait disparu la Communauté des
imprimeurs et libraires. Mais elle avait su conserver une place brillante dans la vie
culturelle de la cité. Ceci du moins demeurera.
42. A.M.Toulouse, dossier
dexpropriation.
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