Mémoires |
LES PEINTURES MURALES D'ANTIST
(HAUTES-PYRÉNÉES)
par Marc SALVAN-GUILLOTIN *
Cette édition électronique respecte la mise en page de l'édition imprimée des Mémoires de la Société Archéologique du Midi de la France, t. LVI, 1996, dont nous indiquons la pagination. Certaines illustrations en noir et blanc dans l'édition originale ont cependant été remplacées par des illustrations en couleur. (Mise en page html : Cécile Glories, juillet 1999.)
M.S.A.M.F., T. LVI, page 121
Les récents travaux de restauration effectués dans
léglise dAntist, petit village de la vallée de lAdour (arrondissement
de Bagnères-de-Bigorre), ont permis la mise au jour dun cycle peint de tradition
médiévale qui couvre les murs de labside. Cette découverte apporte un bon
témoignage des décors muraux que connurent les édifices cultuels ruraux des Pyrénées
centrales. Elle est dautant plus intéressante quelle sinscrit dans une
aire géographique où les guerres de religion ont provoqué la disparition de nombreux
édifices médiévaux.
Lhistoire du village dAntist est assez mal connue, et les
documents darchives noffrent guère déléments réellement éclairants
à son sujet. Nous ne disposons daucun renseignement fiable relatif à
lépoque de sa fondation, mais la mention dune villa gallo-romaine (1), ainsi
que son nom, peut-être dérivé du latin Antistius (2), pourraient la faire
remonter à cette époque. Durant le Moyen Âge, la bourgade est détenue par une
puissante famille de bourgeois de Bagnères-de-Bigorre, les Filhe, dabord qualifiés
de damoiseaux, puis désignés comme écuyers. Leur château, naguère accolé à
léglise, existait au moins au XVe siècle et les seigneurs y résidaient. Ils
semblent cependant le quitter en 1493 pour sinstaller à Mansan. De même, au XVIe
siècle, ils lui préfèrent leur fief de Saint-Plancard où Arnaud-Raymond I, dans un
dénombrement de 1541, affirme posséder « une maison noble
laquelle maison est
fermée avec foussez et est bastie à la mode anticque ». Au XVIIIe siècle, la famille
seigneuriale réside à Tarbes, mais vient sans doute passer quelques jours par an au
château dAntist lequel, vendu peu après 1792, sera alors qualifié de « petite
maison ». Revenu entre les mains de la dynastie après cette date, il est à nouveau
cédé en 1861 à la commune (3), avant de disparaître voici quelques années (4).
Léglise Saint-Martin, située à lentrée du village au
bord du canal Alaric, est un édifice à nef unique présentant un chevet à cinq pans. La
petite sacristie accolée au sud-est, ainsi que le grand porche surmonté dun toit
à limpériale au nord-ouest, qui sert dentrée et donne accès aux tribunes,
sont peut-être des ajouts postérieurs. Cest également de ce côté que se trouve
le clocher de plan rectangulaire qui couronne lédifice. Selon Lafforgue,
léglise aurait été brûlée lors du passage des troupes protestantes en Bigorre.
Elle avait été bâtie peu avant, et fut rapidement reconstruite après cette destruction
(5). Le 24 novembre 1590, Gabriel I dAntist rachète la seigneurie : son père Jean
II lavait engagée à la dame dArcizac, sa belle-sur, pour faire face
aux frais occasionnés par les guerres de religion auxquelles il avait pris part de façon
très active. Gabriel I lobtient pour 1 700 l., soit 200 l. de plus que le prix de
vente, ceci étant dû à des « méliorations » faites dans cette place (6). Lafforgue
pense quil est possible que les améliorations aient compris la réfection de
léglise (7).
Celle-ci a fait lobjet de nombreuses campagnes de travaux qui ont
quelque peu altéré son caractère ancien. Ainsi, à la fin du XIXe siècle, le clocher a
été refait, de même que la charpente et la toiture. Les maçonneries intérieures ont
* Communication présentée le 18 juin 1996, cf. infra « Bulletin de
lannée académique 1995-1996 », p. 329.
1. E. LAFFORGUE, Histoire dAntist, dans Bulletin de la Société
Académique des Hautes-Pyrénées, 1926, p. 2.
2. J.-F. LE NAIL et J.-F. SOULET [sous la direction de], Bigorre et Quatre Vallées,
Pau, 1981, p. 636.
3. E. LAFFORGUE, Histoire des seigneurs dAntist, Tarbes, 1927, p. 1-9.
4. J.-F. LE NAIL et J.-F. SOULET [sous la direction de], ouv. cit., p. 636.
5. E. LAFFORGUE, Histoire dAntist, p. 38 et 39.
6. E. LAFFORGUE, Histoire des seigneurs dAntist, p. 32.
7. E. LAFFORGUE, Histoire dAntist, p. 39.
M.S.A.M.F., T. LVI, page 122
quant à elles été piquetées (8). Au cours de lannée 1995,
une ambitieuse campagne a eu pour but de la rendre plus salubre et de la mettre en valeur
: la charpente, la couverture de la nef et du clocher, les maçonneries extérieures ont
été restaurées (9). Lintérieur, éclairé par de grandes baies en plein cintre
percées face à face dans les murs de la nef, a lui aussi perdu tout cachet ancien : la
voûte en bois qui couvre tout lédifice et qui repose sur une corniche de faux
marbre bleu a été refaite et peinte dun ciel étoilé, tandis que les murs ont
été uniformément recouverts dun badigeon blanc, à peine animé à leur base par
de fausses plaques de marbre ocres dont les moulures jaunes sont peintes en
trompe-lil (10). Le sol de la nef est fait de gros carreaux de terre
soigneusement ajustés datant du XIXe siècle, le sanctuaire ayant gardé son pavement de
marbre du XVIIIe siècle.
Un maître-autel monumental datant du XVIIIe siècle occupait
jusquà une date très récente le fond de labside (11). Cest lors de la
dépose de son tabernacle en 1987 que lon soupçonna la présence du cycle peint :
ce dernier nétait que peu visible par la cavité ainsi ménagée, mais on pouvait
néanmoins discerner dès cette date la zone centrale de son registre inférieur (12). Il
a donc fallu attendre le mois doctobre 1990, moment où la restauration du retable
classé parmi les Monuments Historiques depuis le XIXe siècle nécessita sa dépose, pour
se rendre compte de sa relative étendue. Luvre de bois sculpté vient
dêtre placée légèrement en avant, de manière à réserver un espace dà
peu près deux mètres permettant aujourdhui dapprécier les deux campagnes de
décoration successives ayant affecté le sanctuaire.
Si les probables enduits peints anciens qui recouvraient les murs de la
nef sont à jamais perdus, des découvertes peut-être conséquentes restent à faire :
les parties basses des pans nord et sud de labside sont en effet occupées par deux
séries de stalles, sans doute contemporaines du maître-autel. Ces menuiseries imposantes
nont pour linstant pas été déplacées, mais des traces de peinture de même
style que celles mises au jour se laissent deviner à larrière de leurs dossiers.
Nous ne disposons donc à ce jour que dune vision partielle du cycle dAntist,
et il convient dès à présent de préciser que ces futurs dégagements pourraient
remettre en question certaines de nos interprétations.
Hormis les disparitions supposées dans la nef, le piquetage du XIXe
siècle a également été pratiqué dans les zones supérieures des murs de
labside, nous privant ça et là des parties hautes du cycle. De plus, la mise en
place dune murette de 0,40 m de hauteur destinée à soutenir le retable a provoqué
la disparition définitive des enduits placés au ras du sol, le cycle ne débutant donc
aujourdhui quà 1,30 m de ce dernier (peut-être cet espace était-il orné à
lorigine de fausses draperies, fréquentes dans les décors muraux réalisés au
Moyen Âge et aux époques immédiatement postérieures). À ces facteurs dorigine
humaine sajoute lhumidité de léglise due à la proximité du canal
Alaric. Ainsi, même si la technique employée par le peintre sapparente à la
fresque, les rehauts appliqués a secco ont pour la plupart disparu. Ceci a surtout
affecté les parties hautes des murs, créant lillusion dune dichotomie
stylistique entre les différents registres, et conférant à la zone supérieure son
aspect monochrome.
Malgré ces divers dommages, le travail de mise en valeur fut des plus
légers. Le seul véritable problème était une large fissure, probablement due à des
mouvements de terrain, qui courrait de bas en haut dans la partie nord de labside.
Elle nendommageait heureusement aucune figure de façon irrémédiable et,
aujourdhui rebouchée, elle est pratiquement imperceptible. Lintervention du
restaurateur (13) fut menée avec douceur, évitant toute surcharge subjective : une
consolidation par injection de résine et de mortier de chaux, un traitement des diverses
lacunes au mortier de chaux, au sable lavé et à la poudre de marbre, ainsi que la
réalisation denduits de part et dautre des peintures du registre supérieur
donnent aux vestiges une réelle unité. Le travail effectué afin dobtenir une
lecture correcte du dessin fut lui aussi très mesuré : seuls des rebouchages au point
daquarelle (« eau sale »), ainsi quune harmonisation des enduits réalisée
en retrait ont été opérés, permettant au spectateur de distinguer les restaurations
des parties conservées telles quelles.
La décoration picturale à la palette assez réduite (blanc, noir,
gris, brun, ocres jaune et rouge) est agencée en deux registres superposés de 1,55 m de
hauteur délimités par des éléments architecturaux peints en trompe-lil
(fig. 1). Les séparations horizontales se font par dépaisses moulures à trois
tores peintes en ocre jaune, qui divisent aussi le
8. A.D. 65, sous-série 2.O 155. Voir le « Métré général
et définitif des travaux exécutés par M. Maurice Despiau, entrepreneur », daté du 30
novembre 1898.
9. Agence des Bâtiments de France des Hautes-Pyrénées, dossier «
Antist ».
10. Peintures décoratives exécutées en avril 1995 par M. Jean-Marc
Stouffs.
11. Le retable, daté des environs de 1760 est dû à Jean Ferrère II
dAsté. Le tabernacle et lautel ont été réalisés par Darbo et Butos,
sculpteurs de Bagnères-de-Bigorre. Voir la description de cet ensemble dans E. LAFFORGUE,
ibid., p. 42-44.
12. Ce fait nous a été mentionné par Mme Françoise Marcos,
Conservateur des Antiquités et Objets dArt des Hautes-Pyrénées, que nous
remercions pour son aide.
13. Les travaux de restauration ont été effectués par M. Jean-Marc
Stouffs de juillet à septembre 1995. Nous tenons à le remercier vivement pour les
précieux renseignements quil nous a fournis.
FIG. 1. ÉGLISE SAINT-MARTIN DANTIST. PEINTURE MURALE.
Décor du chur, relevé approximatif.
Croquis Marc Salvan-Guillotin (daprès Jean-Marc Stouffs).
registre inférieur verticalement. Au contraire, les différentes
scènes de la zone supérieure sont ponctuées par des pilastres cannelés dont la
grisaille est parfois rehaussée de pigment rouge (14). Le caractère architecturé de ces
dernières structures est renforcé par lexistence de chapiteaux et de bases de
même couleur formés de tores. La présence dune baie en plein cintre
aujourdhui comblée dune hauteur approximative de 2 m a poussé le peintre à
réduire la hauteur du registre supérieur dans la partie sud du chevet. Il a en effet
tenté daligner le registre inférieur sur celui de la partie nord. Il a pour cela
laissé un espace vide dà peu près 1 m de hauteur, en lanimant seulement de
corniches identiques à celles qui délimitent les compartiments : une moulure unique
figure à gauche de la baie et se prolonge de lautre côté, soulignée par une
structure identique placée 0,10 m plus bas, tandis que des motifs décoratifs curvilignes
tracés au trait noir sont dessinés entre les deux. Lespace placé au nord de la
baie est décoré dune fausse draperie ocre rouge animée de motifs noirs au
pochoir. La présence de cette plage laissée libre de toute scène figurée se justifie
par sa largeur dà peine 0,34 m : lartiste, ne disposant pas dassez
despace pour y placer un personnage, sest contenté de ce décor de
remplissage, ce qui souligne à nouveau ses difficultés à saccommoder de la
présence de la fenêtre qui interrompt la symétrie du cycle. Une autre ouverture,
également condamnée, se trouve au sud de la précédente, à 3,20 m du sol. Dune
hauteur de 1,10 m pour une largeur maximale de 0,80 m, elle adopte une forme en plein
cintre allant en samenuisant pour former dans sa partie la plus profonde un petit
oculus. Sa présence a elle aussi obligé le peintre à interrompre son décor
architectural, mais la disparition des enduits existant naguère à sa gauche et au-dessus
ne permet plus de voir la solution adoptée.
Ce goût très prononcé pour les encadrements architecturaux est plus
évident encore dans la partie centrale : un grand fronton dune largeur de 2,30 m
supporté par des pilastres cannelés peints en ocre jaune couvre les deux
14. Cette couleur, au contraire des autres, ne serait pas à base de
terres. Elle rehausse également quelques détails, tels que les lèvres de certains
personnages.
FIG. 2. ÉGLISE SAINT-MARTIN DANTIST. PEINTURE MURALE. Crucifixion. Cliché Marc Salvan-Guillotin. |
registres. Placé au-dessus dun autel maçonné, il tient lieu de
« retable », conférant son aspect monumental à lensemble. Malgré des efforts
dans le rendu du modelé, cette structure reste plate, et certaines maladresses sy
notent. Le peintre, ayant sans doute commencé son travail par la partie haute, a
visiblement rencontré certaines difficultés au point de jonction avec le registre
inférieur : il a en effet figuré la base du support situé à droite, alors que celle-ci
semble avoir été omise de lautre côté. Un examen attentif permet cependant de la
deviner, en partie dissimulée par les peintures de la partie basse. Lartiste semble
donc avoir hésité entre deux solutions : ou bien figurer des supports couvrant les deux
registres, ou bien limiter les piles à la zone haute, comme dans le reste du cycle. La
formule adoptée est assez maladroite : lencadrement inférieur est légèrement
décalé vers la gauche et ses moulures verticales sont nettement moins larges que celles
qui les surmontent. Ce même manque dadresse affecte le sommet du fronton,
malheureusement en partie détruit, qui est lui aussi asymétrique, et dont le chapiteau
gauche est placé plus haut que celui de lautre colonne. Les parties extrêmes des
rampants sont ornées de boules et des figures danges se trouvaient également à
cet endroit. Le tympan est quant à lui occupé par un petit ange vêtu docre rouge
qui tient fermement sur sa poitrine un globe tripartite surmonté dune croix.
Le registre supérieur présente une Crucifixion, thème récurrent
dans les églises de la région (fig. 2). Celle-ci est tout à fait traditionnelle, et le
peintre ny a introduit aucun élément réellement original. Le Sauveur crucifié
est placé au centre de la composition, encadré par la Vierge au nord et par saint Jean
au sud, Jérusalem apparaît dans le lointain, et le crâne dAdam est posé au pied
de la croix. Cette dernière a conservé lessentiel de sa polychromie : son bois
noueux, sur lequel se détache le large titulus marqué du INRI, est rendu
par une couleur brune animée de petites courbes noires évoquant les veines. La même
teinte, disposée en de larges aplats, se rencontre au bas de la scène, mêlée à des
pigments jaunes, ainsi que derrière les personnages, représentant des collines. Le
peintre la aussi utilisée pour dessiner de petits troncs darbres qui
encadrent la composition au nord comme au sud (leur feuillage, sans doute appliqué à
sec, a totalement disparu). Il a eu recours à une couleur moins foncée pour représenter
la ville sainte uniquement visible entre les deux personnages en pied, focalisant ainsi
lattention du spectateur vers le centre de la scène : celle-ci est hérissée de
tourelles sur lesquelles ont été tracés des traits noirs entrecroisés qui soulignent
ça et là certains détails tels que toitures ou murs. Des traces de polychromie ont
également été conservées sur les vêtements de Marie et de Jean : il sagit
vraisemblablement dun pigment rouge rehaussé de motifs noirs appliqués selon la
technique du pochoir. Hormis ces détails colorés, le reste de la composition est
exclusivement linéaire, mettant en évidence la maladresse du dessin ainsi que le manque
dexpressivité des personnages. Les silhouettes de Jean et Marie, dissimulées par
de larges manteaux sévasant vers le bas, sont dénuées de vie et mal
proportionnées : les têtes sont trop petites, les pieds présentés de profil trop
imposants, les mains à peine dégrossies. Le corps du Christ accuse les mêmes
caractéristiques : exempt de tout modelé, les bras sans articulation, labdomen
enflé à lexcès, les jambes massives et le visage légèrement penché sont
caractéristiques dun art fruste. Une maladresse affecte aussi ses pieds : seul le
gauche est transpercé par le clou, le pied droit ne portant quune plaie.
La scène située au-dessous de la Crucifixion est unique dans la
région, et sa présence dans un ensemble stylistiquement si maladroit peut paraître
étonnante. Il sagit dune Trinité verticale, aussi appelée « Trône de
Grâce » (fig. 3) : Dieu le Père a pris place sur un grand trône de couleur ocre aux
formes architecturales, et tient le Sauveur crucifié devant lui. Le saint-Esprit, sous
les traits de la colombe, est placé à gauche du Christ et se dirige vers son nimbe
(seule une aile est aujourdhui discernable). Ce thème, non évoqué de façon
explicite dans les Écritures, et dont la croyance est fixée en 325 au concile de Nicée,
est peut-être dérivé de celui de la Vierge de Pitié dont il se rapproche
dailleurs dès la fin du XIVe siècle : le Père est alors représenté soutenant le
cadavre de son fils, dans un souci de dramatisation et de mise en exergue du pathétique.
Réau, à la suite de Mâle, voit dans le « Trône de Grâce » un sujet à
liconographie typiquement française qui, apparaissant dès le XIIe siècle dans un
vitrail de Saint-Denis, pourrait être une invention de Suger (15). Les caractères
stylistiques déjà entrevus dans la Crucifixion se rencontrent à nouveau ici, mais la
conservation de la polychromie dissimule quelque peu les erreurs commises par le peintre.
La figure du Christ semble ici plus soignée : lartiste a introduit plus de douceur
dans le visage, lui conférant une
Fig. 3. ÉGLISE SAINT-MARTIN DANTIST. PEINTURE MURALE. Trinité (détail). Cliché Marc Salvan-Guillotin. |
expression pathétique. Légèrement penché sur lépaule gauche,
il est encadré par une chevelure noire qui retombe de façon naturelle, ainsi que par une
légère barbe en pointe. De même, les yeux dirigés vers le bas, bien quun peu
globuleux, sont empreints de tristesse. Le front est marqué de quelques taches de sang,
qui se retrouvent aussi sur le flanc gauche. Le corps dénudé, à peine vêtu du
périzonium (presque totalement détruit par une chute denduit), est plus
subtilement modelé : il est nuancé de quelques ombres grises, notamment sur les biceps,
ainsi que de hachures transversales dans la partie médiane du buste. Nous retrouvons
néanmoins les erreurs anatomiques constatées dans la Crucifixion, notamment pour les
jambes. Le Père est traité avec moins de finesse : il apparaît uniquement comme une
gigantesque figure hiératique vêtue dun manteau rouge rehaussé de motifs noirs au
pochoir, les jambes nétant rendues que par deux masses blanches en avant de la
composition. Le visage adopte les mêmes traits que ceux de saint Jean et de Marie : les
yeux un peu écarquillés, le nez placé de profil, et la chevelure rendue de façon très
schématique
Lespace laissé vide sur les côtés ainsi que dans la partie
supérieure est comblé par des nuages évoqués par des traits noirs senroulant sur
eux-mêmes, détail assez particulier qui se rencontre dans une autre église des
Hautes-Pyrénées : à Mont-en-Louron (canton de Bordères-Louron), certaines des scènes
peintes sur la voûte par Melchior Rodriguis en 1563 sont encadrées par des motifs
similaires, bien que traités avec plus de raffinement (16). Cette seconde représentation
est donc dotée des mêmes caractéristiques que la précédente : à la simplification du
trait sallie une certaine maladresse, aussi bien dans le rendu des physionomies que
dans labsence presque totale de recherche de profondeur. Cette dernière
caractéristique mérite cependant dêtre nuancée, car le peintre a tenté, grâce
aux ombres, de modeler la silhouette du Christ. Il a également voulu évoquer la
perspective dans le rendu du trône au moyen de deux petits arceaux censés montrer la
distance séparant les pieds antérieurs des supports placés en arrière.
Le registre supérieur est essentiellement consacré à Martin, saint
éponyme de léglise : ce dernier est figuré à deux reprises, dans les
compartiments placés immédiatement au nord et au sud de la Crucifixion. La partie gauche
abrite le saint évêque légèrement tourné vers la gauche, bénissant de la main droite
et tenant une crosse (?) ocre jaune appuyée sur son épaule. Il porte un manteau noir
jeté sur une robe blanche qui sévase vers le bas à la manière de celles de Marie
et de Jean, ses pieds chaussés de noir étant placés de profil. Son visage est très mal
conservé, mais sy distinguent néanmoins une barbe blonde, des yeux et un nez
placé de profil permettant de lattribuer au même artiste que les personnages
précédents. Le peintre a tenté dinsérer la figure dans un décor : elle se
détache sur un fond blanc et prend appui sur un sol carrelé évoqué par un quadrillage
noir animé par quelques carreaux rehaussés docre jaune ou de gris. Ce même cadre
figure dans la scène évoquant le partage du manteau, mais les personnages y sont
intégrés avec plus de maladresse (fig. 4) : celui-ci occupe en effet le tiers inférieur
de la composition, les protagonistes étant placés sur la ligne dhorizon. Martin se
trouve à droite, monté sur un cheval blanc caparaçonné qui se dirige au trot vers la
gauche. Le saint porte un costume rouge à la mode du temps, et fait un geste bien rendu
par le peintre (le seul véritable mouvement de tout le cycle) : il extirpe son épée du
fourreau noir fixé à sa ceinture. Sa tête est tournée vers le sud dans un mouvement
assez naturel, mais une petite maladresse apparaît encore ici : son chapeau, en partie
effacé, mord très largement sur la corniche supérieure, prouvant que le peintre a
rencontré des difficultés de cadrage, et quil a sans doute peint les personnages
une fois le décor architectural mis en place. Le mendiant, de profil et joignant les
mains, est au nord, aux portes dAmiens évoquée par des grisailles et dotée des
mêmes caractéristiques que Jérusalem dans la Crucifixion. Très endommagé, il est
vêtu dun manteau blanc dont les plis en cornets sont peints en ocre jaune. Sa
chevelure et sa barbe pointue adoptent la même tonalité, introduisant, de même que le
vêtement du saint, une note colorée dans cette composition assez simple. Cette dernière
scène est la seule ayant totalement subsisté dans la partie haute du mur sud, mais des
traces de peinture, séparées de celle-ci par une colonne, permettent daffirmer que
le cycle se poursuivait plus à droite : un pavement identique, animé déléments
végétaux bruns sy distingue encore. Une composition similaire est également
visible au même niveau du côté nord : désormais indéchiffrable, elle semble
présenter uniquement la jambe dun personnage effacé et chaussée
Fig. 4. ÉGLISE SAINT-MARTIN DANTIST. PEINTURE MURALE. Partage du manteau de saint Martin. Cliché Marc Salvan-Guillotin. |
dune sandale qui se détache sur ce même sol carrelé.
Léchelle assez importante de ce détail nous pousse à penser quun second
personnage isolé et représenté en pied figurait à cet endroit.
Le registre supérieur, à côté des deux scènes consacrées à saint
Martin et de ces quelques fragments, a conservé une Assomption de la Vierge très
lacunaire, placée immédiatement au nord du saint évêque. Apparue dans les évangiles
apocryphes au Ve siècle et prenant forme en Occident entre le IXe et le XIIe siècle, son
iconographie a largement été inspirée par La Légende dorée. La présence de
cette image nest pas étonnante dans un cycle comportant une Trinité : des
représentations évoquant des épisodes de la vie de Marie y sont très souvent
associées, et la juxtaposition de ces deux scènes à fort pouvoir didactique forme ici
une « quaternité » (17). La Mère de Dieu, grande silhouette désormais totalement
blanche, est placée au centre, les mains jointes. Son visage, ses mains, ainsi que les
cheveux ont été tracés au trait ocre rouge, et sont dotés des mêmes caractères que
ceux des personnages précédents. Elle sappuie sur une tête dange ailée
dessinée elle aussi au trait rouge. De part et dautre ont été placés trois
angelots nimbés. Ils ont également beaucoup souffert des outrages du temps : les
silhouettes et les ailes blanches sont quasiment indistinctes, et rien ne permet plus de
deviner leurs occupations, hormis pour ceux du bas qui tiennent un grand phylactère. On
peut cependant supposer que, naidant pas Marie dans son Assomption, comme cest
parfois le cas (notamment dans les églises Notre-Dame de Jézeau, Notre-Dame de
lAssomption à Azet, de Saint-Martial de Tauriac, de Cazaux-de-Larboust ou encore à
la chapelle Notre-Dame de la Pène-Tailhade à Cadéac
), ces petits envoyés de Dieu
sont musiciens. Le peintre a essayé dintroduire certaines variations dans les types
physiques : les chevelures sont tour à tour brunes ou rousses, les contours des visages
sont tracés en brun ou en noir, mais les traits sont tout aussi maladroits que ceux des
autres personnages.
Quelques indices permettent de soupçonner la présence dautres épisodes se
rapportant à la vie de la Vierge, étroitement liée à celle du Christ : ce pan nord
est, dans sa partie basse, comme nous lavons précisé, partiellement dissimulé par
des stalles. Seule est pour linstant visible la zone droite dune scène qui
pourrait être une Épiphanie : un examen poussé des parties cachées a permis de
discerner la probable présence des trois couronnes quarborent généralement les
Rois Mages. Sur le peu de surface visible, sy remarque un trône (?) ocre jaune
adoptant des structures architecturales comparables à celles du fauteuil de La Trinité.
Il est placé devant une construction grise et ocre jaune dont les cheminées laissent
séchapper de la fumée représentée par de fines courbes noires. Ce petit cycle
marial se poursuit de lautre côté du chur, au sud : le registre inférieur a
conservé les fragments peints dune Fuite en Égypte. Seule la partie avant de la
scène, dune largeur de 0,70 m, est indemne, quoique très effacée : Joseph, vêtu
dun habit blanc à manches noires, de même que son chapeau, avance vers la gauche
tout en se retournant vers lâne qui le suit. Un bâton ocre jaune auquel est fixé
un ballot appuyé sur lépaule droite, il maintient lanimal à laide
dune grosse corde. La tête de ce dernier, présentée de profil, est rendue avec un
réalisme certain : entièrement grise, elle est peut-être un peu trop grosse, mais le
peintre fait ici preuve dune plus grande dextérité que pour ses personnages. Le
visage de Joseph est en effet similaire à ceux des autres individus : doté dune
barbe et dune chevelure grises, il présente les mêmes traits à peine esquissés
en noir.
Les ébrasements de la baie sud ont permis au peintre de représenter
de façon peut-être secondaire les deux saintes figurant dans bon nombre déglises
pyrénéennes de la fin du Moyen Âge : dune largeur de 0,55 m, ils fournissent un
espace suffisant pour y placer des personnages isolés en pied. Sainte Catherine
dAlexandrie, désignée par une inscription (SANTA CATHARINA) apparaît dans
lébrasement nord, se détachant sur un fond ocre jaune (fig. 5). De face, le visage
de trois-quarts tourné vers la gauche, elle tient une grande épée au pommeau ouvragé
et un livre appuyé sur sa poitrine, tandis que la roue de son supplice figure plus bas.
La sainte est vêtue dune longue robe rouge rehaussée de motifs noirs appliqués au
pochoir, sur laquelle elle a jeté un manteau blanc dont les plis sont rendus par de très
larges traits sombres. Lartiste a pris soin, avec un goût du détail assez
inhabituel, de doter lextrémité des manches ainsi que lencolure de petits
volants. Ses longs cheveux roux sont ceints par une large couronne très
Fig. 5. ÉGLISE SAINT-MARTIN DANTIST. PEINTURE MURALE. Sainte Catherine dAlexandrie. Cliché Marc Salvan-Guillotin. |
schématique. Les traits du visage sont eux aussi assez maladroits et
caractéristiques de la manière du peintre : le nez est large, placé de profil, au
contraire de la bouche qui, trop réduite, est totalement frontale. Ses yeux étirés sur
les tempes, dénués dexpressivité, sont dotés de pupilles noires. Sainte
Marie-Madeleine, moins bien conservée, a pris place dans lautre ébrasement, et se
détache sur un fond identique à celui de Catherine. Elle est elle aussi désignée par
son nom, figuré au-dessus delle : [
] A MAGDALENA. Sa robe est
aujourdhui blanche, et seuls y apparaissent des traits noirs indiquant les plis. De
même, ses attributs, hormis sa longue chevelure rousse, sont quasiment invisibles, ainsi
que les traits de son visage. La partie haute de la baie a reçu un décor fort simple,
aujourdhui à peine discernable à lil nu, mais visible par temps humide
: il sagit apparemment dune lune tracée au trait noir sur lenduit
blanc.
Le petit oculus placé un peu plus haut accueille un décor tout aussi
simple : une tête dange, semblable à celle de lAssomption de la Vierge, est
figurée de face, soufflant dans deux buccins. Les ailes, placées de chaque côté du
visage, sont assez détaillées, de petites plumes y étant tracées au trait noir. La
seule note colorée est introduite dans la chevelure brune, animée de petites mèches
également dessinées en noir.
Le dernier compartiment, placé au nord de La Trinité, est sûrement
lélément le plus important de tout le cycle, désignant probablement le
commanditaire : il sagit darmes, restées déchiffrables malgré une chute
denduit dans la partie inférieure (fig. 6). « Dazur à trois dards dor
ferrés et emplumés dargent surmontés de trois étoiles dor », elles sont
uniquement peintes en grisaille. Les « dards », posés en pal à labîme sont
accompagnés en chef des trois étoiles, lécu aux contours stylisés étant timbré
dun heaume dépourvu de cimier, et entouré par une couronne formée de feuilles que
maintiennent deux grands griffons affrontés. Ces armoiries correspondraient selon
Lafforgue à la famille de Bernard I qui possède la seigneurie dAntist en 1429.
Cependant rien ne permet daffirmer si ce personnage appartient réellement à la
première lignée des seigneurs du lieu, aucun de ses ancêtres nétant connu de
façon certaine (18). Il est également peu probable, en se fondant sur la date fournie
par lauteur, de voir en cet individu le commanditaire des peintures qui paraissent
beaucoup plus tardives.
Fig. 6. ÉGLISE SAINT-MARTIN DANTIST. PEINTURE MURALE. Blason du commanditaire (?). Cliché Marc Salvan-Guillotin. |
Malgré un style assez maladroit, les sujets représentés font appel à une iconographie assez « savante » comparée aux ensembles picturaux proches : ces derniers évoquent en général des thèmes à fort pouvoir didactique (vies de saints, fins dernières ), mais traités de manière pittoresque et relativement anecdotique. Au contraire, le cycle dAntist rassemble à lui seul la plupart des idées fondatrices du catholicisme, ne laissant aucune place au superflu et à la narration : hormis les figures de saints habituelles en cette fin de Moyen Âge (saint Martin, sainte Catherine dAlexandrie et Marie-Madeleine), les scènes représentées concernent uniquement Dieu le Père, Jésus-Christ, le saint-Esprit et la Vierge Marie, formant comme nous lavons précisé une « quaternité ». La présence de ces thèmes semble correspondre à une mise en avant du dogme, et celle du blason, traité à la même échelle que toutes les autres scènes, dénonce une volonté fortement politique. Liconographie du cycle se place à lopposé des idées des huguenots qui se trouvent en Bigorre après 1569, et met en évidence les thèmes
quils décrient. On pourrait donc penser que la
réalisation du décor peint dans léglise corresponde à la volonté du donateur
daffirmer sa fidélité à la religion catholique, et par là même de pousser la
population à le suivre en ce sens. Son identité nest pourtant pas aisée à
définir dans létat actuel des connaissances : il serait tentant dattribuer
la commande de ce cycle à Jean II dAntist, connu de 1558 à 1575, et qui mène une
lutte acharnée contre les protestants en tant que général aux côtés de son frère
Bertrand dAntist (19). Cependant le fait quil ait, comme nous lavons
précisé, engagé la seigneurie à sa belle-sur à une date indéterminée afin de
rassembler les fonds nécessaires à la guerre (donc après 1569) semble remettre en cause
cette supposition. Nous avons aussi mentionné la destruction de léglise à cette
époque, et évoqué son rachat par Gabriel I à un prix supérieur à celui de la vente
pour cause de transformations, parmi lesquelles Lafforgue fait figurer la reconstruction
du sanctuaire
En tenant compte de cette dernière supposition, celle-ci se situerait
donc durant le laps de temps où la dame dArcizac détient la seigneurie, et
permettrait dattribuer les armes peintes à sa famille (20). Cependant, si
léglise a été brûlée par les protestants, rien ne nous autorise à affirmer
quelle fut détruite en totalité et elle aurait très bien pu conserver son décor
peint antérieur, tout au moins sur les murs de labside, comme ce fut le cas à
Montaner après un incendie partiel en 1569 (21). Cette supposition peut être étayée
par un élément évoqué par Lafforgue : en 1562, la communauté dAntist emprunte
au chapitre de Tarbes « soixante écus petits donnant six écus dintérêt par an
» (22). Cette dépense ne pourrait-elle pas être due à la mise en place du décor, afin
de compléter la somme fournie par le commanditaire ? Rien ne permet de laffirmer,
mais cette date pourrait correspondre au style des peintures, et serait plus en accord
avec celui des uvres régionales : sy retrouvent le même tracé linéaire,
sans doute issu de modèles gravés, ce même attrait de la grisaille, qui pousse le
peintre à négliger les couleurs du blason (le champ bleu, les « dards » et les
étoiles jaunes) pour harmoniser ce dernier au reste du cycle. Labondance des
étoffes ornées de motifs tracés au pochoir se rencontre aussi à Notre-Dame de Garaison
où une fausse draperie figure au bas du mur est de la chapelle Saint-Jean Baptiste,
décor daté des années 1560-1580 (23). Le détail des lignes recourbées évoquant des
nuages autour de La Trinité, rencontré à Mont en 1563, peut aussi fournir un indice
pour la datation de ce cycle.
Si la date dexécution du décor dAntist reste pour
linstant incertaine, son unité nous autorise à attribuer les personnages à une
seule main. Rien ne permet néanmoins de préciser si les structures architecturales sont
dues au même peintre : beaucoup plus novatrices que les autres exemples de la région,
elles dénoncent un goût certain pour les décors antiquisants propres à la Renaissance,
malgré leur maladresse et les défauts de mise en forme qui juxtapose les scènes plus
quelle ne les relie les unes aux autres. Au contraire, le style des personnages
reste tourné vers le Moyen Âge, conférant à luvre son caractère
archaïque. Lensemble pictural est en tout cas attribuable à un artiste ou à un
atelier ayant travaillé à proximité : léglise de Sère-Rustaing (canton de Trie)
a conservé sur son mur oriental des fragments peints semblables à ceux dAntist,
quoique en moins bon état
Quelques sondages ont mis au jour plusieurs scènes, dont
une Crucifixion, une Fuite en Égypte (?) ainsi quune Tentation dAdam et Ève.
Certains détails figurant à Antist se retrouvent dans cette église de manière
absolument similaire, notamment les pavements et les troncs darbres dépourvus de
végétation, ainsi que ces visages assez maladroits. De plus, le Christ de la Crucifixion
est exactement le même que les deux représentations dAntist. Lintérêt de
ces peintures, outre leurs caractères propres, réside dans le fait quelles peuvent
nous renseigner sur celles dAntist et peut-être en préciser la datation.
© S.A.M.F. 1996-1999. La S.A.M.F. autorise la reproduction de tout ou partie des pages du site sous réserve de la mention des auteurs et de l'origine des documents et à l'exclusion de toute utilisation commerciale ou onéreuse à quelque titre que ce soit.