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Mémoires
de la Société Archéologique
du Midi de la France

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Tome LVI (1996)



URBANISME ANTIQUE ET MÉDIÉVAL
AU N° 4, RUE CLÉMENCE-ISAURE À TOULOUSE

 

par Jean CATALO *

 


Cette édition électronique respecte la mise en page de l'édition imprimée des Mémoires de la Société Archéologique du Midi de la France, t. LVI, 1996, dont nous indiquons la pagination. Certaines planches en noir dans l'édition originale ont été remplacées par des planches en couleur (dans les légendes, les mots remplacés sont mis entre crochets).

Résumés en ...


M.S.A.M.F., T. LVI, page 51

 

    La restauration de l'Hôtel d'Assézat en vue de l'installation du musée de la fondation Bemberg a été à l'origine de deux interventions archéologiques de sauvetage urgent sur deux parcelles contiguës (1) (fig. 1). La première, réalisée en 1993, a concerné la seconde cour de l'Hôtel d'Assézat où devait être implanté un local technique en sous-sol. La seconde opération a été exécutée en 1994 à l'emplacement du futur bâtiment réservé aux Académies et Sociétés savantes, au n° 4 de la rue Clémence-Isaure. La parcelle fouillée en 1994 ayant été la plus riche en vestiges, les résultats de cette zone constituent la base de l'analyse (2). Les données de 1993 sont intégrées en complément pour les phases communes.

    Les vestiges mis au jour illustrent plus particulièrement deux périodes charnières de l'urbanisme de la ville de Toulouse. En premier lieu, le plan d'une domus dont l'origine remonte au début de notre ère a pu être mis en évidence. En second lieu, les transformations successives d'une demeure noble ont permis de suivre l'évolution du parcellaire de ce secteur durant le Bas Moyen Âge jusqu'à la construction de l'Hôtel d'Assézat.

 

La maison augusto-tibérienne

Vestiges anciens

    Le substrat des parcelles du site correspond aux apports sédimentaires de la Garonne. Il se présente sous la forme d'une succession de couches de graviers, sables ou argile. Les structures les plus anciennes conservées sont de profondes fosses. Une seule d'entre elles a livré un mobilier abondant (3).

    Les productions représentées sont des céramiques fines engobées de tradition gauloise (fig. 2) (urne ovoïde, jatte carénée et pyxis), des urnes peignées non tournées à col court et décor simple (fig. 3), des « imitations » indigènes de coupes campaniennes A et B, des formes de sigillée italique 4.2, 4.4, 12.1, 12.2, 14, 28 et 38.3 de

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* Communication présentée le 9 janvier 1996, cf. « Bulletin de l'année académique 1995-1996 », infra p. 295.
1. Ces opérations ont fait l'objet d'une convention entre la Ville de Toulouse (maître d'œuvre par l'intermédiaire de son service municipal d'architecture), la D.R.A.C. de Midi-Pyrénées (par l'intermédiaire du service régional de l'archéologie) et l'A.F.A.N. (par l'intermédiaire de son antenne Grand Sud-Ouest). Les équipes de fouille étaient constituées de : J. Catalo, M. Chiabrando, J. Ribeiro, 0. Dayrens, P. Rifa, S. Hennebutte, S. Touati, V. Geneviève, F. Porcell, F. Callède et L. Bouby. Nous remercions tout particulièrement pour leur collaboration les entreprises Tué et Thomas et Danizan, ainsi que l'atelier de restauration de la Ville de Toulouse, M.-G. Colin, B. Marty, M. Drieux.
2. L'étude des vestiges a été réalisée par J. Catalo, C. Filhol, V. Geneviève, M. Chiabrando, J. Ribeiro, P. Rifa avec la collaboration de H. Molet, M. Barrère, M. et R. Sabrié, I. Rodet-Belarbi et A. Badie. Nous remercions également : M. Vidal, le musée Saint-Raymond, G. Baccrabère, T. Martin, A. Vernhet, M, Villeval, S. Reverdy, F. Dieulafait, D. Schaad, Q. Cazes, J.-L. Boudartchouk.
3. Un lot représentatif de la période 15 av. J.-C. - 30 ap. J.-C. a fait l'objet de notices détaillées par Christophe F
ILHOL dans Archéologie toulousaine. Antiquité et haut Moyen Âge, découvertes récentes (1988-1995), catalogue d'exposition, Musée Saint-Raymond, Toulouse, 1995, p. 74-82. Une étude plus précise sera intégrée à une publication à venir. Nous signalons ici pour mémoire les principales productions qui caractérisent cette période.


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FIG. 1. LOCALISATION DES PARCELLES FOUILLÉES (en noir) ; en gris foncé, emplacement de l'Hôtel d'Assézat.

E. Ettlinger, de la céramique présigillée du groupe d'ateliers de Bram ou de Narbonne, des gobelets hauts à parois fines des formes III et XIV de F. Mayet, un exemplaire du type 13 de poterie à engobe interne rouge-pompéien de C. Goudineau, des amphores des types Dressel 1A/B, Pascual 1, Dressel 20, des lampes des types II et IVA de J. Deneauve, et des exemples de cruches et de gourde en céramique commune gallo-romaine engobée ou non. Une fibule à charnière du type 22b1 de M. Feugère et une cuillère en os du type cochlear ont été découvertes parmi ces poteries. L'association de ces différentes productions céramiques conduit à proposer une datation 15 av.-15 ap. J.-C.

 

L'enduit peint (4)

    Le comblement de cette fosse, riche en charbon de bois, était scellé par une épaisse couche de fragments d'enduit peint jetés en vrac ; ils ont été recueillis dans leur totalité. Ils appartiennent à deux groupes distincts.

    Les fragments d'un groupe A se caractérisent par un support de mortier de 15 à 20 mm d'épaisseur. Le décor assez bien conservé se présente sous la forme de mouchetures noires et d'imitation de marbre vert clair veiné de jaune et de vert moyen. Sur ces éléments de faible superficie n'apparaît aucun détail susceptible de les rattacher à un type. Leur appartenance à une zone basse est probable, mais, dans le cas d'une peinture de 2e style, antérieure à 15-20 av. J.-C., le faux marbre conviendrait aussi aux orthostates ou aux carreaux et boutisses des zones moyenne et supérieure.

    Dans un groupe B, plus abondamment représenté, le support de mortier est mince et fragile (entre 7 et 12 mm) et son revers corrodé laisse apparaître quelques rares empreintes, traces probables d'accrochage par incision dans un

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4. Étude réalisée par Maryse et Raymond Sabrié.


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FIG. 2. CÉRAMIQUES FINES de la période d'Auguste et de Tibère. N° 1 fine de tradition indigène à engobe noir, urne à bord en bourrelet et à col convergent concave formant une carène vive (THA 2334-02-C). N° 2 : fine de tradition indigène, urne, (THA 2107-05-C). N° 3 : fine de tradition indigène, urne, (THA 2107-06-C). N° 4 : fine de tradition indigène à engobe noir, urne à col concave convergent dans le prolongement de la panse, à bord évasé épaissi arrondi, et avec sur le haut de la panse un double bourrelet puis une rainure, (THA 2321-01-C). N° 5 : fine de tradition indigène, urne (polissage en grisé) (THA 2107-04-C). FIG. 3. URNES NON TOURNÉES PEIGNÉES de la période d'Auguste et de Tibère. N° 1 : commune non tournée de tradition indigène, urne à décor peigné simplifié et à col surbaissé (THA 2338-10-C). N° 2 : commune non tournée de tradition indigène, urne à décor peigné, la face extérieure du fond plat porte l'estampille à cartouche rectangulaire ABO (THA 2225-01 -C).

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enduit de terre. Le décor, réduit à l'état de petits fragments dont la couche picturale est très altérée, se prête difficilement à une restitution d'ensemble mais se rattache à une série de peintures connues grâce à l'analyse de quelques détails.

    On distingue essentiellement deux sortes de motifs illustrés par quelques fragments typiques : des bandes et des colonnettes ou des candélabres. La chronologie fournie par le contexte oriente vers une comparaison avec les peintures du 3e style. Un champ vert, conservé sur une largeur maximum de 5,5 cm, semble appartenir à une bande horizontale qui sépare la zone basse et la zone moyenne sur un grand nombre de parois, et dont la couleur est héritée de celle des podiums du 2e style. Dans les décors plus élaborés, elle est doublée par une mouluration fictive à filets multiples qui surmonte un bandeau blanc uni ou orné. Ici, au contraire, on remarque un schéma plus simple avec des bandes plus massives qui ne créent aucun effet de relief.

    La couche picturale de la plupart des fragments est si altérée qu'il est pratiquement impossible de définir les coloris des deux grandes zones de la paroi. La zone moyenne semble subdivisée par des colonnettes ou des candélabres qui ont gardé leur belle couleur verte, et dont le volume est rendu par juxtaposition de petites bandes en dégradé de couleur, avec un rehaut blanc. Des fragments pourraient représenter des bases de colonnettes s'élevant au-dessus de la bande verte qui couronne la zone basse. Mais s'il s'agissait de chapiteaux simplifiés, ils seraient surmontés d'une bande verte comparable à celle qui s'élève dans l'angle de la pièce. On ne peut se prononcer définitivement.

    La présence de deux sortes de colonnettes/candélabres de diamètre différent sur fond blanc et sombre peut s'expliquer par leur appartenance à des parois ou panneaux divers dont le mode d'articulation nous est inconnu. On peut cependant formuler une autre hypothèse selon laquelle les mêmes éléments verticaux, s'élevant sur la zone moyenne blanche, s'aminciraient légèrement vers le haut dans une partie supérieure de couleur sombre. Cette disposition typique est visible dans des décors du style dit « à candélabres » datés du premier quart du premier siècle avant notre ère. Même si la peinture de cet enduit n'appartient pas à un style à candélabre authentique, elle se rattache à des tendances qui se sont maintenues dans le 3e style et qui font appel à des candélabres ou des colonnettes sur de larges fonds unis. Dans certaines peintures modestes de Gaule, généralement datées de l'époque Auguste-Tibère, ces éléments représentent les seuls ornements d'une surface austère, comme dans la maison de la place Saint-Pierre à Vienne.

 

Domus, premier état

Le bâti et les sols

    Les vestiges les plus anciens sont couverts de remblais qui préparaient l'installation des premières constructions repérées sur le site. Conservé seulement dans la partie occidentale de la parcelle, ce bâti présente une grande homogénéité technique. Les fondations, de 0,60 m de large, sont constituées de galets et occasionnellement de blocs de marne placés sans mortier dans une tranchée de 0,40 m de profondeur. Les élévations, rarement conservées, sont formées d'assises de briques liées par un mortier sableux.

    Ces constructions délimitent des sols mosaïqués partiellement conservés malgré les perturbations postérieures. Les deux fragments de pavement découverts sont de type sensiblement différent.

    Le premier (L. cons. : 0,88 m; 1. cons. : 0,75 m) présente la bordure d'un motif circulaire en opus tesselatum blanc défini par une tresse à deux brins blancs cernés de noir (fig. 4). Celle-ci est comprise entre deux doubles rangées de tesselles blanches puis noires vers le centre, et des filets noir, blanc, noir vers l'extérieur. Ce médaillon s'insère dans un cadre blanc bordé d'une bande blanche à trois rangs de tesselles prise entre une bande noire à trois rangs vers l'extérieur, et une à deux rangs vers le centre. Un rinceau en filet noir décore l'écoinçon encore visible. Le reste du pavement au-delà de ce cadre est un terrazzo assez grossier séparant probablement la mosaïque du mur délimitant la pièce au nord.

    Le second pavement, conservé à environ 3 m au sud du précédent (surf. cons. : 7 m2), appartient à une autre pièce d'habitation comme le montre la légère différence d'altitude (0,20 m) entre les deux niveaux de sol. La partie centrale du pavement est en opus signinum à incrustation de tesselles disposées en semis de croisettes bichromes (quatre tesselles noires autour d'une blanche) placées régulièrement (fig. 5). Une bordure blanche à trois rangs, comprise entre deux bandes noires à deux rangs, délimite ce « tapis » (fig. 7). À l'extérieur, un terrazzo occupe l'espace restant entre ce cadre et les murs latéraux. Le mortier très épais de ce pavement repose sur une couche de galets préparatoire.

    La bonne qualité de la mise en œuvre et le caractère bichrome de ces sols mosaïqués sont conformes aux exemples connus pour le Ier siècle avant et le Ier siècle après J.-C. Le type du second pavement est courant en Italie et


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FIG. 4. FRAGMENT DE MOSAÏQUE BICHROME
insérée dans un béton de tuileau.

FIG. 5. SOL EN TERRAZZO MOSAIQUÉ
de croisettes et d'un bandeau bichrome.

en Gaule. Un fragment très proche a été découvert à Saint-Paul-Trois-Châteaux et, avec un décor plus élaboré, à Bonnieux, ou encore à Limoges et Saintes en particulier.

Le plan (fig. 6)

    L'étendue réelle des deux pièces auxquelles appartiennent les niveaux de pavement n'est pas connue en raison des destructions postérieures et de leur extension au-delà des limites de fouille. Cependant une hypothèse de restitution peut être proposée à partir des indices en notre possession. En effet, des limites des sols sont connues : l'emplacement du mur nord pour le premier pavement, les murs sud et est pour le second. Du fragment de la première mosaïque, on peut déduire le diamètre du médaillon circulaire auquel il appartenait. S'il occupait une position centrale, la seule possible en raison de la proximité du second pavement, il faut en déduire que la pièce qu'il ornait présentait les dimensions suivantes : 1,60 m x 2,40 m environ. Dans cette hypothèse, la pièce du second pavement aurait alors 2,80 m de long. Malgré ces dimensions approximatives et les faibles superficies conservées, cette disposition présente les vestiges comme une succession de salles appartenant à un ensemble plus vaste, une éventuelle domus.

    À l'est des murs qui délimitent les pavements mosaïqués, les niveaux de circulation contemporains conservés ne sont plus que de simples sols d'argile battue. Ils sont particulièrement identifiables dans la zone sud du site.

La cour intérieure

    Les lambeaux de sols de terre battue reconnus dans le secteur méridional représentent une superficie totale initiale d'environ 16 m2. Ils semblent être limités, côté nord, par une bande de galets orientée ouest/est, résidu probable d'une fondation. Un puisard circulaire (diam. : 0,80 m, prof. : 0,77 m) a été installé tout près au sud de cette structure. Des moellons, galets et fragments de tuiles ou de briques maladroitement montés à sec forment son parement intérieur (fig. 8).

    Trois niveaux de sol ont pu être distingués grâce à leur réfection par des apports d'argile damée, des remblais de nivellement ou par l'exécution de fosses intermédiaires entre les différentes couches d'occupation charbonneuses. Un aménagement, constitué de tegulae posées à plat et destiné à l'emplacement d'un foyer, a été installé à partir du plus


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FIG. 6. HYPOTHÈSE DE PLAN DE LA DOMUS, premier état.

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ancien des trois sols. Deux négatifs de piquets, disposés de part et d'autre et orientés vers cet aménagement, indiquent peut-être l'emplacement d'un trépied au-dessus du foyer.
La vocation domestique que traduisent le foyer, le puisard et les épaisses
couches charbonneuses, paraît définir un espace différent de la zone des pavements plus à l'ouest. Il peut s'agir d'une cour intérieure au centre de la domus définie par les pièces d'habitat. Cette hypothèse semble confirmée par le maintien de cette différenciation espace intérieur/espace extérieur dans les mêmes secteurs pendant la seconde phase d'organisation de la maison.

Mobilier (5) et datation

La céramique recueillie dans les remblais préparatoires des pavements, le puisard et les sols de la cour intérieure est sensiblement identique à celles des niveaux plus anciens. Cependant la proportion de céramique fine gauloise tend à se réduire au profit des formes de poteries communes grises ou claires gallo-romaines (cruche, jatte, couvercle, tripodes... ). Une évolution chronologique est également perceptible par l'apparition de certaines formes de sigillée italique (32.1, 22.5, 33.2),


FIG. 7. DÉTAIL DU BANDEAU ET DES CROISETTES DE MOSAÏQUE dans un béton de tuileau.


FIG. 8. PUISARD DANS LA COUR INTÉRIEURE DE LA DOMUS, Premier état.

et surtout des premiers tessons de sigillées gauloises : Drag. 24/25 a de Montans, Drag. 29 et Haltern 14 de La Graufesenque caractéristiques des premières décennies de notre ère. Deux lampes typiques de la même période leur sont associées. Le médaillon moulé de la première (fig. 9) (Den. IVA ou Pons IIa) présente deux gladiateurs affrontés avec deux marques en creux : ARDIVS au-dessus du décor, LIITLI (?) en dessous. La seconde (Den. II ou Pons IIc) porte sous le pied la marque SICILA faite avant cuisson. Un demi-bronze de Nîmes frappé entre 9 et 3 avant notre ère a été également découvert dans un sol de la cour.

    À partir de ces éléments, la chronologie de la première phase du site peut s'établir comme suit : aménagements anciens entre 0 et 15 ap. J.-C. (10 av.-15 ap. pour la fosse), premier état de la domus entre 15 et 30 ap. J.-C.

    Les vestiges découverts confirment l'existence d'un habitat d'époque tibérienne de qualité à Toulouse. La preuve d'une urbanisation antérieure apportée par les fragments d'enduit peint et les grandes fosses est plus exceptionnelle. La destruction radicale des états antiques antérieurs au milieu du Ier siècle qui semble prévaloir à Toulouse explique l'absence d'exemples comparables pour cette ville. Malgré leur caractère très ténu, ces

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5. Cf. note 3.


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FIG. 9. LAMPE ROMAINE Den. IVA avec médaillon comportant un décor moulé représentant deux gladiateurs affrontés et avec deux marques en creux sur le bord du médaillon : ARDIVS au dessus du décor, LIITLI (?) au-dessous (THA 2143-01-C).

informations sont donc capitales pour la chronologie de la genèse de la ville.

Pour les mêmes raisons, les sols mosaïqués de la domus sont parmi les premiers exemplaires retrouvés à Toulouse. Leur relative bonne conservation résulte du maintien et de la réutilisation d'une partie des murs de cette première demeure lors de sa reconstruction autour des années quarante de notre ère.

La domus sous le Haut Empire

Le second état de la maison (fig. 10)

Le bâti

   La maison augusto-tibérienne connaît une deuxième phase de construction perceptible dans les deux parcelles fouillées. Dans la parcelle du n° 4 de la rue Clémence-Isaure, elle se traduit par l'existence de constructions différentes du premier état.

    Malgré le mauvais état de conservation, on observe des fondations en galets noyés dans un mortier rose. Les élévations étaient bâties en briques comme le montrent les empreintes sur la face supérieure des soubassements. Leur disparition complète est due à une récupération systématique. À l'ouest de la parcelle, ces nouveaux murs viennent s'adosser aux structures précédentes dont la trame a été conservée. Ailleurs, la domus a subi une destruction totale à l'exception des niveaux de la cour intérieure.

    Au nord de la parcelle fouillée en 1994, la présence de plusieurs murs laisse supposer un plan cohérent, mais seulement perceptible dans ses grandes lignes en raison de l'ampleur des destructions postérieures. Cette partie de l'habitat semble disposer de pièces plus vastes que dans l'état précédent. Côté oriental, on note en particulier une partie de fondation en forme d'exèdre semi-circulaire (diam. restitué : 3,70 m) ouverte au sud sur une grande salle. Un tronçon de caniveau construit en tegulae appartenant à l'état précédent de la maison est apparu coincé sous cette fondation.

Les sols

    Très peu de sols ont échappé aux profondes destructions postérieures. À l'exception d'une grande plaque au nord du site, ils ne sont repérables que par des vestiges de leurs niveaux préparatoires.

    De manière générale, les constructeurs ont procédé à un apport massif de remblais très argileux correspondant à du substrat remanié, étalé en deux couches épaisses. Un radier, composé de galets sur 0,10 m d'épaisseur puis de 0,10 m de graviers et de cailloux, a ensuite été installé avant le sol en mortier de tuileau. Dans les zones proches des murs augustéens conservés, les remblais sont riches en matériaux divers issus de la destruction de l'état antérieur. Le radier du sol est alors presque exclusivement composé de morceaux de briques et de déchets de mortier ou d'enduit. Dans la partie occidentale du site, où les sols augusto-tibériens ont été préservés, les nouveaux niveaux de circulation se situent 0,50 m environ au-dessus des précédents.

    Dans le secteur nord, des vestiges d'aménagements hydrauliques ont été découverts au sein des remblais d'installation. Le plus significatif d'entre eux est un petit canal (larg. : 0,21 m) de briques liées au mortier inséré dans un radier de sol en galets. Il présente une orientation nord-ouest/sud-est.

 

Le péristyle

Premier état

    Le secteur sud de la parcelle fouillée en 1994 est occupé par un bassin en « U » disposé selon la même orientation que les pièces d'habitat au nord (fig. 11). Il est délimité sur ses côtés extérieurs par une fondation


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FIG. 10. HYPOTHÈSE DE PLAN DE LA DOMUS, second état.

 


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FIG. 11. VUE DU FOND DU BASSIN dans son premier état, exèdre semi-circulaire en haut à gauche,
amorce d'une exèdre rectangulaire au premier plan, espace du portique nord à droite.


FIG. 12. COUPE DES DEUX REVÊTEMENTS DU BASSIN au niveau d'une fosse médiévale,
traces de placage et d'usure d'utilisation en surface.


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similaire. Dans ce premier état, le canal du bassin (larg. : 0,90 m) est constitué d'un radier de mortier de tuileau (0,10 m) grossier coulé sur un hérisson de galets (0,10 m) et recouvert d'un mortier hydraulique (0,10 m). Il affecte un profil concave sur toutes ses bordures. Sur ses côtés intérieurs, il s'appuie en sous-œuvre contre un muret (larg. : 0,24 m) de briques disposées dans le sens de la longueur (fig. 11). Ce dernier dessine avec le bassin une exèdre semi-circulaire sur la branche occidentale de l'ensemble. Sur la branche nord, il formait probablement une autre exèdre mais de plan rectangulaire (fig. 11). Les vestiges de la branche méridionale du bassin ne comprenaient pas ce muret. En revanche, un morceau de bassin retrouvé en place dans la parcelle fouillée en 1993 est marqué par l'empreinte d'une construction dans la tranche du mortier hydraulique. Cette bordure caractéristique permet d'estimer la longueur maximale du bassin à environ 17 m.

    Toute la zone comprise entre les branches du bassin est apparue vierge de toute construction. On peut supposer qu'elle était initialement occupée par un jardin. Les vestiges connus sur les deux parcelles fouillées définissent un couloir de 2,20 m qui court autour du bassin. Situés dans une position stratigraphique équivalente, leurs ressauts de fondation respectifs sont à la même altitude. La surface du mortier hydraulique du bassin se situait alors à 0,50 m plus bas que les sols du second état de la domus, soit à une altitude comparable à celle des sols mosaïqués du premier état, ce qui exclut toute compatibilité chronologique avec ces derniers. Le couloir qui cerne le bassin correspond généralement à un portique et présente l'ensemble comme un péristyle classique. Aucune base de colonne n'a été repérée à la surface des murs du bassin, mais de nombreuses briques en quart de rond recueillies dans les couches de destruction du secteur sud pourraient appartenir à une colonnade initiale autour du bassin. Dans cette hypothèse, le canal du bassin devait recevoir l'eau de pluie venant des toitures, et la fonction de caniveau s'ajoutait peut-être à celle de pièce d'eau d'agrément.

Second état

Le canal du bassin connaît une réfection constituée d'une nouvelle couche de mortier hydraulique installé sur un radier de galets et de briques ou un remblai de démolition (fig. 12). La surface de ce nouveau revêtement est marquée d'empreintes d'un placage de marbre en petites dalles rectangulaires (fig. 13). Des exemplaires de ce placage (deux modules différents) ont été retrouvés dans une tranchée médiévale qui recoupe le bassin. Aucun autre élément du site ne peut être rattaché à cette phase, ce qui ne permet pas de dire si cette réfection correspond éventuellement à un état de reconstruction général de la domus. Elle affirme seulement le maintien de la richesse et de la qualité de construction de la demeure à laquelle appartiennent le péristyle et son bassin d'agrément.


FIG. 13. EMPREINTES DE PLACAGE DE
MARBRE
sur le mortier du bassin.

 

Mobilier et datation

    Les rares couches conservées appartenant à la seconde phase de la maison n'ont livré que peu de mobilier archéologique. Dans ce échantillonnage réduit, on retrouve les productions présentes dans la phase précédente. Les poteries communes claires, dont certaines à engobe micacé, les vases à engobe blanc et les sigillées gauloises restent majoritaires. Les formes les plus tardives provenant des ateliers de La Graufesenque sont un Drag. 24/25b (40-60 ap. J.-C.), un Drag. 27b (40-60 ap. J.-C.) avec le cachet IVC et une paroi fine 37 (30-60 ap. J.-C.). Pour le groupe de Montans, on note un Hermet 2.12, un Drag. 36 barbotiné, un Drag. 15 avec un cachet L. A. ATIL et un Drag. 29b avec un cachet de BOLVS (40-80 ap. J.-C.). Ces productions sont accompagnées de lampes Den. IV, V et VII. Ce mobilier céramique place la transformation de la domus dans la continuité du premier état, entre 40 et 80 ap. J.-C.

    Aux données acquises sur ce site, il faut ajouter les résultats obtenus lors de fouilles anciennes. La marqueterie d'ardoise et de marbre découverte en 1974 par Michel Vidal (6) appartenait sans doute à la domus qui s'étend bien

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6. VIDAL (M.), Hôtel de Nupces rue Clémence-Isaure, Toulouse, dossier S.R.A. Midi-Pyrénées, 1974.


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au-delà des parcelles fouillées. Elle confirme la qualité des aménagements de la demeure quand ceux-ci sont préservés. L'égout signalé à l'occasion de ces travaux dans la cour de l'Hôtel de Nupces n'a pas été retrouvé, pourtant l'installation de la paroi moulée entre les deux parcelles fouillées semble l'avoir rencontré. Sa datation réelle reste inconnue mais l'existence d'un égout servant à l'évacuation de l'eau du bassin est plausible.

    Le plan dressé par Georges Baccrabère (7) du bâtiment aperçu au n° 3 de la rue de l’Écharpe prend lui une importance capitale. Il correspond, avec une relative exactitude, à la continuité directe de la maison au sud-ouest de notre site. Les fondations décrites en 1979 sont semblables à celles du premier état de la domus. Elles confirment le maintien du plan initial dans la partie occidentale de l'ensemble d'habitation. Au nord de cette parcelle, les fouilleurs avaient relevé la coupe d'un autre bassin présentant également deux états superposés.

    L'étendue connue de la domus, les dimensions de son éventuel péristyle, l'existence du bassin secondaire, l'utilisation du marbre en placage sont autant d'éléments qui traduisent le caractère « luxueux » de cette demeure malgré l'indigence des vestiges découverts. Son plan, le plus étendu obtenu jusqu'ici à Toulouse, est trop incomplet pour permettre des comparaisons pertinentes. En revanche, son péristyle est très proche d'exemplaires dont les plus remarquables sont ceux de la maison des Dieux Océan à Saint-Romain-en-Gall (8). Dans son état 3b (60-70 ap. J.-C.), le grand péristyle de cette maison présente un bassin en « U » d'une longueur de 23,45 m et 26,98 m et d'une largeur de 1,48 à 1,60 m. Le petit péristyle de cette même maison, dans son état 3c (70 ap. J.-C. - fin Ier siècle), possède un bassin en « U » (11,20 m est ; 12,40 m sud ; 9,80 m ouest) muni d'une exèdre semi-circulaire. Pour ce dernier, un égout récupère le trop plein en sous-œuvre.

    Par les dimensions de son péristyle, la domus de l'hôtel d'Assézat s'inscrit dans le même cadre architectural que la somptueuse maison de Saint-Romain-en-Gall. Elle appartient au groupe des vastes demeures bâties au cœur des villes du Ier siècle de notre ère. Il faut remarquer sa position privilégiée dans la trame urbaine antique, au voisinage immédiat du théâtre et tout près du forum.

 

L'Antiquité tardive

    La domus a probablement persisté au-delà du Ier siècle, mais aucun niveau archéologique du Bas Empire n'a subsisté lors des remaniements postérieurs. Seul le comblement d'une tranchée médiévale présentait une forte proportion de mobilier du IIIe siècle. L'absence totale de construction ou de structure profonde de cette époque ferait même penser que les transformations éventuellement apportées aux bâtiments initiaux n'ont été que superficielles. Ce n'est qu'au Ve siècle que certaines mutations sont perceptibles.

 

Vestiges d'un nouveau parcellaire ?

    La plupart des murs de la domus ont fait l'objet d'une récupération de matériaux durant l'Antiquité tardive. Ce phénomène se présente sous la forme de tranchées reprenant le tracé des constructions plus anciennes dont on ne retrouve que les fondations. Cette caractéristique montre que seules les briques des élévations ont intéressé les terrassiers. Dans plusieurs cas, la tranchée ne se limite pas au mur « récupéré » mais se poursuit au-delà dans le même alignement. Dans cette circonstance, la tranchée n'est pas comblée par un quelconque remblai contenant les rebuts de la destruction, mais elle est emplie de galets ou de morceaux de briques disposés en assises régulières à partir du niveau des fondations anciennes (fig. 14). De tels dispositifs semblent signifier une nouvelle organisation du bâti à partir de la récupération systématique des matériaux. Les briques récupérées entières servaient probablement aux élévations des nouveaux murs. Dans la parcelle située à l'arrière de l'Hôtel d'Assézat, les matériaux des murs ont également été « récupérés », mais les nouvelles fondations totalement en galets ont été installées selon un nouveau tracé décalé par rapport aux précédentes constructions.

    La méthode employée et le mode de construction qui s'ensuit peuvent correspondre, comme pour le site du Rectorat à Toulouse, à la mise en place d'un nouveau parcellaire (9). Ici, l'exemple est trop fragmentaire pour permettre d'en suggérer la trame. Pourtant les nouvelles fondations semblent dessiner des lanières, perpendiculaires

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7. BACCRABÈRE (G.), « Habitat, alimentation, et évacuation des eaux à Toulouse dans l'antiquité », M.A.S.I.B.L.T., t. 5, 1984, p. 103-130.
8. D
ESBAT (A.) et alii, « La maison des Dieux Océan à Saint-Romain-en-Gall (Rhône) », 55e suppl. Gallia, CNRS, 1994, 276 p.
9. C
AZES Q. et alii, « Les fouilles du rectorat à Toulouse », M.S.A.M.F., t. XLIX, Toulouse, 1989, p. 7-43.


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aux rues latérales, qui divisent peut-être de façon régulière l'ancien ensemble cohérent que formait la domus du Haut Empire.

Mobilier et datation

    Le mobilier céramique de cette période est particulièrement homogène. Pour les productions engobées, on trouve des formes 18 et 6 de D.S.P. languedocienne orangée et 1 ou 4 de languedocienne grise associées à une production locale de D.S.P. grise (15 ou 18c); des formes 10 et 25 de Claire B luisante et d'imitations de Claire D 61. La céramique commune se partage entre des formes tardives de mortier ou coupelle en pâte claire, et des urnes et cruches en pâte grise. L'échantillonnage est souvent complété par des tessons d'amphore africaine, d'amphore orientale Late Roman Amphora 1, de lampes Den. X ou Atl. IX. Toutes ces productions sont caractéristiques du Ve siècle, ce que confirme la découverte de monnaies de bronze de petit module (Ae 4) de la fin du IVe siècle. Signalons encore, parmi quelques céramiques du Bas Empire trouvées hors contexte, un bord de mortier tronconique décoré d'une tête en médaillon d'applique.

 

La période médiévale

Le centre des villes est souvent le secteur le plus marqué par l'urbanisme de chaque époque. À Toulouse, la fin du Moyen Âge et la période moderne ont laissé une empreinte très forte qui a souvent détruit les vestiges des périodes qui les précédent immédiatement. De ce fait, les vestiges du Haut Moyen Âge y sont rarissimes ou même inexistants. Le site n'échappe pas à cette règle (fig. 14).

Les fosses des XIIe et XIIIe siècles

Le milieu du Moyen Âge n'est illustré que par quelques fonds de fosses qui ont échappé aux destructions postérieures. Elles sont situées aussi bien à proximité de la rue qu'en fond de parcelle, et se présentent isolées ou regroupées en batterie. Aucune règle ne semble pouvoir être déduite de leur localisation sur le site, de leur forme ou de leur


FIG. 14. ÉTAT DES VESTIGES
GALLO-ROMAINS ET DES
FONDATIONS EN GALETS DE
L'ANTIQUITÉ TARDIVE
après la vidange des fosses médiévales
(secteur nord).

profondeur. On leur attribue souvent le nom de fosses-dépotoirs en raison de la quantité de déchets mobiliers découverts dans leurs comblements. Ici, la concentration de mobilier ne les distingue pas du cas général. Seule la typologie des poteries ou d'autres objets recueillis dans certaines d'entre elles permet de les distinguer de fosses plus tardives.

La céramique

    Les productions du milieu du Moyen Âge du Toulousain sont assez bien connues. La forme principale de récipient à cuire est l’oule globulaire à lèvre éversée en pâte grise. Pour les vases à liquide généralement traités en post-cuisson oxydante, les pégaus à bec ponté et anse rubanée sont largement majoritaires. La panse des exemplaires les plus grands est renforcée par des cordons verticaux rapportés. Les exemples de décor se limitent à un motif estampé de rosace inscrite dans un cercle, découvert hors contexte. L'aspect luisant de la couverte est obtenue par un polissage serré effectué avant cuisson. Ce traitement de surface totalement couvrant se retrouve sur une forme inédite : une louche à bec pincé et à manche court de section rectangulaire rattaché en partie médiane de panse (fig. 15 : n° 1). Une autre forme inédite à bandes de polissage (gourde ?) est représentée par deux éléments tubulaires courbes soudés puis divergents. Citons encore un bassin en pâte claire à fond oblique à marli et à paroi rectiligne légèrement divergente décorée d'une bande de polissage oblique.


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La chape de boucle (10) (fig. 16, n° 1)

Bien que découverte dans un contexte du XIVe siècle, cette chape de boucle au décor émaillé et doré est typique du XIIIe siècle. La charnière, brisée et déformée, est décorée d'incisions parallèles dans l'axe longitudinal. Elle n'est pas découpée pour le passage de l'ardillon, ce qui implique son articulation avec une boucle à double fenêtre. Deux trous situés dans la partie proximale accueillaient sans doute des rivets à tête hémicylindrique : ces têtes auront protégé les seules traces de la dorure localisées au contact des perforations alors que cette dorure devait à l'origine couvrir entièrement l'avers de la chape.


FIG. 15. CÉRAMIQUES MÉDIÉVALES. N° 1 : Louche à bec pincé et manche court de section rectangulaire, post-cuisson oxydante et traces de polissage horizontal (THA 2104-01-C). N° 2 : Dourne avec goulot verseur tubulaire relié à l'épaule par un pont d'axe vertical en arc brisé, cordons verticaux et polissage (en grisé) sur la partie supérieure de la panse, pâte grise (THA 1156-01-C).

    Le champ de l'avers présente un décor complexe à base d'excisions garnies d'émail bleu : à gauche, un château armorié à trois tours; à droite, quatre bandes en biais. Des incisions complètent ces motifs : des traits verticaux soulignent les tours du château dont les ouvertures sont surmontées d'un trait en arc-de-cercle, les parties pleines portant des croix de Saint-André. Les longs côtés des bandes biaises sont encadrés de traits rectilignes entre lesquels court une incision sinusoïdale. Des fragments de matière fibreuse minéralisée subsistent dans la partie distale du revers et sur la charnière.

    L'association d'une large chape rectangulaire avec une boucle à double fenêtre évoque la première moitié ou les deux premiers tiers du XIIIe siècle : cette attribution chronologique, que ne dément pas l'utilisation de l'émail et de la dorure, est renforcée par la présence d'un décor bipartite d'inspiration héraldique. Celui-ci permet de rattacher plus précisément cet objet à une production régionale illustrée par quelques exemplaires qui appartiennent probablement à la première moitié du XIIIe siècle, même si les contextes archéologiques font parfois défaut : ainsi d'un revers de chape découvert dans la cité de Carcassonne à l'occasion de l'aménagement du théâtre, d'un autre provenant du site de Corné à L'Isle-Bouzon dans le Gers, d'un troisième trouvé fortuitement au château de Montpezat à Saint-Martory en Haute-Garonne (inédit), ou de façon plus lointaine de la boucle complète provenant du site de Lascours à Ceilhes (Hérault), conservée à la Société Archéologique de Montpellier (don Brunel).

L'os travaillé

    Outre la présence d'exemplaires d'aiguilles et d'épingles, le travail de l'os est représenté par un manche de couteau retrouvé entier (Long. : 162 mm ; diam. : 20 à 26 mm). Ce manche (fig. 16 : n° 2) a été fabriqué dans la diaphyse d'un métatarse de cheval dont toute la longueur a été utilisée. Le foramen nourricier est bien visible sur l'une des faces. Les extrémités sont sciées proprement mais le canal médullaire n'a pas été nettoyé. L'os spongieux a été enfoncé et tassé lors de l'emmanchement de la soie dont il reste encore une partie oxydée. Le décor est composé d'une alternance de bandes délimitées par des lignes incisées et remplies, les unes de croisillons, et les autres de cercles ocellés disposés sur deux lignes parallèles. L'exécution est rapide. En effet, il n'est pas rare que les

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10. Étude réalisée par Michel Barrère, conservateur au Service Régional de l'Archéologie de Midi-Pyrénées.


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lignes formant les croisillons dépassent à l'extérieur des bandes ou que celles qui délimitent les bandes ne se raccordent pas exactement.

Les terrassements du début du XIVe siècle

Fosses et déstructuration

Une autre série de fosses perturbe l'ensemble de la zone fouillée en 1994, notamment la moitié septentrionale de la parcelle. De profondes et larges excavations recoupent des unités de modules plus traditionnels. Cette chronologie relative n'est pas perceptible à partir du mobilier recueilli dans chacune d'elles. Un important remblai noir et gras recouvre l'ensemble de ces terrassements de manière très homogène. L'impression générale est celle de grands travaux d'ensemble réalisés dans un temps assez bref. Ces terrassements ne paraissent tenir aucun compte de l'organisation précédente conduisant à une déstructuration complète de la parcelle et même au-delà.


FIG. 16. OBJETS DU XIIIe SIÈCLE. N° 1 : Chape de boucle en alliage cuivreux, décor d'incisions et d'émail bleu (trame grise) dans logement en creux (en noir). Initialement les espaces non émaillés étaient recouverts d'une dorure (THA 2096-01-O). N° 2 : Manche réalisé dans un os de cheval et décoré de bandes de cercles oculé et de bandes de croisillons alternés (THA 2271-01-O).

    La motivation d'un tel bouleversement est peut-être, pour une part, expliquée par les fosses les plus étendues. Une d'entre elles mesurait 8 m sur 5 pour 2 m de profondeur. La nature alluvionnaire du substrat donne à sa composition un caractère aléatoire et variable selon l'endroit. Les couches de graviers, de sables ou d'argile peuvent se côtoyer dans des espaces assez restreints. Nous avons constaté que les fosses les plus larges s'implantaient sur les secteurs à graviers ou à sables et pas dans le secteur plus marneux au sud. Outre cette recherche de matériaux de construction, un second facteur d'explication réside dans l'implantation dans les remblais d'un vaste et important édifice qui s'étendait probablement au-delà de la parcelle fouillée.
Ces deux explications se combinent sans doute pour une large part
. Le projet d'un nouveau bâtiment supposait sans doute un regroupement de parcelles, la recherche de matériaux et l'apport massif de remblais; le tout est exécuté dans un temps relativement bref.

Mobilier

    Le mobilier recueilli en grande quantité dans les fosses et les remblais de la déstructuration est d'une remarquable homogénéité. Il s'agit en quasi-totalité de céramiques en pâte grise à polissage extérieur espacé à vocation décorative. Aux traditionnelles formes d'oules et de marmites (anses opposées) à lèvres plates ou déjetées, s'ajoutent des types de marmites plus originales à cols droits ou inclinés généralement cannelés et polis (fig. 17). Les bords sont alors sans lèvres ou terminés par un bourrelet triangulaire. Comme pour les marmites classiques, les anses rubanées et opposées sont placées sur la partie haute de la panse ou chevauchent la carène. Un cordon court rapporté renforce parfois la panse sur les côtés sans anses. Dans le même registre de production, on trouve également des couvercles et des vases à liquide de plusieurs types. Les dournes, récipients à grande contenance, sont à col marqué et fond plat, équipées d'une seule anse latérale, et d'un déversoir tubulaire dans l'axe de la panse maintenu par un pont d'axe vertical (fig. 15 : n° 2). En pâte grise ou claire, les pégaus de forme basse sont parfois munis d'anse en panier de section circulaire à bec ponté ou tubulaire.


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FIG. 17. CÉRAMIQUES DU DÉBUT DU XIVe SIÈCLE. N° 1 Marmite à col droit cannelé et anses sur col, pâte grise, polissage en grisé (THA 2019-01-C). N° 2 : Marmite à col droit cannelé et anses sur milieu de la panse, pâte grise, polissage en grisé (THA 2019-02- C). N° 3 : Marmite à col droit cannelé et anse sur col, cordon pincé vertical, pâte grise, polissage en grisé (THA 2091-03-C).
Dans cette phase, on ne compte que quelques tessons portant une glaçure plombifère. Dans tous les cas, celle-ci est répandue sur la face externe des pots. Un profil de pégau à bec ponté, cordon rapporté incisé et polissage de surface, présente quelques éclaboussures de glaçure verte. Ces traces montrent que cette céramique non vernissée continue à être fabriquée alors que débute dans les mêmes ateliers la production de vaisselle de table glaçurée à la fin du XIIIe siècle.

Associés à la céramique, tous les autres types de mobilier sont présents : métal (clef, élément de charnière), os travaillé (dé à jouer, rebuts de travail à l'emporte-pièce), verre (fonds de gobelets ou de verres à pied) et fragments de mortier domestique en calcaire. Tous ces objets confirment la datation que peuvent fournir les formes céramiques classiques de la fin du XIIIe et du XIVe siècle. La très faible proportion de vases glaçurés permet même d'envisager le tout début de ce siècle. La phase suivante et les indices chronologiques tirés des textes plaident en ce sens.

 

L'îlot Assézat au Bas Moyen Âge

Les constructions du Bas Moyen Âge

L'édifice du XIVe siècle (fig. 19)

    Un premier bâtiment donnant sur la rue Clémence-Isaure est installé à travers les remblais après quelques terrassements préalables. Les murs (fig. 18) très épais (1,20 m en fondation, 0,80 en élévation) sont construits avec des fragments de briques, liés par de la terre, dont les plus gros forment les parements. Ces élévations reposent sur des galets disposés en assises dans de profondes tranchées creusées jusqu'au substrat ou sur des parties de fondations gallo-romaines qui fournissent occasionnellement un socle stable. La présence de portions de ces fondations en galets permet de proposer un plan des constructions, malgré l'arasement total de tous les niveaux de sols correspondant à l'altitude à laquelle a débuté la fouille.

    On distingue d'abord un corps de bâtiment en façade grâce à la présence de son mur arrière. Celui-ci, détruit par une construction plus récente sur cave, donnait sans doute sur la rue. Il se poursuivait peut-être à l'ouest de la fouille. Côté oriental, il était sans doute délimité par le mur perpendiculaire à la rue qui s'étend jusqu'au cœur de la parcelle. Ce dernier participe aussi à un corps de bâtiment, plus restreint, faisant vis à vis au corps de façade et situé au milieu de la parcelle. L'angle nord-ouest de cette construction est renforcé par un contrefort saillant. Sa partie méridionale, profondément remaniée par la suite, n'est suggérée que par la présence de galets en tranchée. Son angle sud-ouest s'appuie sur un autre édifice de même nature formant la limite de parcelle. La zone à l'ouest de ce corps arrière est délimitée dans son prolongement par un mur plus étroit ancré sur le contrefort d'angle. Ce vaste ensemble se poursuivait également à l'est comme le montre un chaînage d'angle du mur latéral principal à l'opposé du corps arrière.

Les premières transformations du XVe siècle

    Les premières transformations perceptibles touchent le corps arrière de la bâtisse médiévale. Un puits circulaire (diam. : 2 m, prof. conservée : 4 m) est construit en briques à l'angle nord-ouest du bâtiment. Trois triangles ont été ménagés sur le côté occidental du parement à 3,30 m de profondeur (alt. 137,65 m) pour permettre l'arrivée de l'eau


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de la nappe phréatique. Les dimensions de ce puits et le soin apporté à sa construction lui donnent une véritable fonction de citerne. Sur l'angle sud-ouest du corps arrière, c'est un nouveau bâtiment qui est associé à l'édifice principal. La construction en briques, assez légère avec des murs de 0,50 m de large en moyenne, affecte une orientation légèrement différente de l'état précédent. L'aspect très fragmentaire des vestiges permet seulement d'estimer ses dimensions : 8 m x 4 m. Un mur en briques très étroit (larg. : 0,26 m) relie la citerne et ce nouveau bâtiment reprenant grossièrement le tracé du bâtiment initial. La position de la citerne est telle qu'elle est alors accessible de trois endroits différents : de l'ancien corps sans doute profondément remanié dans son élévation, de son prolongement à l'ouest, de la sorte de cour qui se dessine à présent en arrière de la parcelle.
FIG. 18. MUR DE LA CONSTRUCTION DU XIVe SIÈCLE, galets et fragments de briques en blocage.

    Un autre édifice médiéval a été repéré dans l'arrière-cour de l'Hôtel d'Assézat fouillée en 1993. Un mur large en briques sur fondation de galets matérialise d'abord une limite de parcelle dans la zone occidentale de la fouille. Axée ouest/est, elle formait un angle droit vers le sud. À l'intérieur de l'espace ainsi défini, un mur de façade et son seuil d'entrée ont été découverts tout près de l'Hôtel d'Assézat. La construction est en briques liées par de la terre dans sa partie basse. Elle a fait l'objet de plusieurs reprises utilisant un mortier sableux, visibles sur son angle oriental mieux conservé. Le seuil est signalé par l'aménagement de montants dans le mur et d'un emmarchement en briques sur quelques assises. Ce dernier est surmonté d'un plan de circulation en briques disposées de chant. Lors du creusement de tranchées de drainage dans la cour principale de l'Hôtel d'Assézat, la suite de ce bâtiment et de ce niveau de sol est apparue de l'autre côté de l'aile septentrionale de l'hôtel Renaissance. La limite de parcelle a également été observée à l'angle sud-ouest de la cour principale.

FIG. 19. ESSAI DE RESTITUTION DU PLAN DE L'HÔTEL DU XIVe SIÈCLE AVANT 1400.
Vestiges de mur connus en [noir] rouge, restitution proposée en [pointillés] orange, espaces intérieurs en [gris] jaune, tracé hypothétique du parcellaire vers 1400 en traits [gris épais] bleus.


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Les dernières transformations

    L'évolution de l'édifice médiéval principal se poursuit dans un second temps avec la suppression presque complète de sa partie arrière. Les constructions précitées disparaissent, et seule la citerne connaît de nouveaux aménagements. Son accès est fermé par une voûte en berceau construite en briques et mortier. Cette voûte s’arc-boute au sud contre la construction qui limite la parcelle, au nord sur un mur en briques et mortier reprenant celui du corps arrière, à l'est sur un socle maçonné de manière identique (fig. 20). Un caniveau, lui aussi en briques et mortier, traverse l'ancien mur nord du corps arrière et descend jusqu'à l'entrée de la citerne. Celle-ci semble donc servir à l'évacuation d'eaux usées et non à sa fonction première d'approvisionnement en eau.

    Dans l'arrière-cour de l'Hôtel, d'épais remblais recouvrent le bâtiment médiéval. Il s'agit d'abord d'une couche de 0,60 m d'épaisseur riche en matériaux divers (galets, briques, tuiles) issus probablement d'une destruction. Celle-ci est recouverte par 0,60 m de terre limoneuse assimilable à un jardin.

Le mobilier

Quantitativement moins bien représenté que précédemment, le mobilier de cette phase provient des couches liées à l'installation du premier édifice médiéval, puis de ses transformations successives. Dans les remblais directement liés à la construction, les poteries en pâte grise sont identiques à celles de la phase précédente, mais les fragments de vases glaçurés sont en proportion non négligeable. Il s'agit même à présent de marmite en pâte rouge à glaçure interne pour une bonne part. Ces caractéristiques sont plutôt celles des productions de la seconde moitié du XIVe siècle.

Dans la phase de transformations de l'hôtel et d'utilisation de la citerne, ce changement s'accompagne de l'apparition de formes telle qu'un pichet glaçuré à bec pincé à décor d'applique, pichet


FIG. 20. VUE DE LA GUEULE DU PUITS-CITERNE avec les reprises de construction liées au mortier en haut et à droite.

balustre, gargoulette, bassin, petit couvercle destiné à un vase à liquide. Cette typologie et l'adjonction de cordons gaufrés sur les dournes caractérisent plutôt le début du XVe siècle. Une pièce de monnaie d'Édouard III (1315-1355) retrouvée dans la tranchée de fondation du bâtiment situé derrière l'Hôtel d'Assézat semble confirmer cette approche chronologique.

 

Textes et cadastre

    Les vestiges du Bas Moyen Âge permettent, dans une certaine mesure, une confrontation avec les archives à notre disposition. Ce travail (11) a d'abord consisté en une reconstitution à rebours des changements et mutations de parcelles du point de vue cadastral : propriété et nature du bâti. Les documents ne fournissent qu'un état donné du cadastre et non sa continuité. Cette étude a été menée sur l'îlot Assézat à partir des cadastres existants, des estimes, des livres d'oblies, de certaines reconnaissances féodales et d'actes notariés. Elle aboutit à plusieurs plans de différentes époques : 1780, 1680, 1550, 1460-1463, 1400 (fig. 21 et 22). Pour les plus anciens, l'imprécision des descriptifs s'ajoute à l'imprécision inhérente à l'échelle cadastrale.

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11. Étude réalisée par Henri Molet.


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Le cadastre avant 1400

    La rue Blancardi, ancien nom de la rue Clémence-Isaure, apparaît en 1339 (12) alors que toutes les maisons du côté méridional de cette rue relèvent du monastère de la Daurade. La parcelle du n° 4 actuel est mentionnée quelques années plus tôt dans des reconnaissances de dettes de la ville (13). Il s'agit de l'hôtel (ostal) des frères Ademar et Huc d'Agromont situé à la limite des possessions des Ysalguier, seigneurs de toute la partie occidentale de ce moulon Trilhe-Malcouzinat-Blancard. Cet ostal est vendu en 1358 à Sans Molinier (14) qui en loue l'écurie aux frères Huc et Nicolas de Najac en 1379 (15). Ce bâtiment apparaît sous l'appellation de maison (domus) en 1388 dans une reconnaissance féodale (16) et les estimes de 1390 (17) comme la propriété des Najac.

FIG. 21. PLANS CADASTRAUX ACTUEL ET DE 1550 DE L'ÎLOT ASSÉZAT. En gris parcelles concernées par la fouille (d'après H. Molet).

FIG. 22. HYPOTHÈSES DE RESTITUTION DE LA CADASTRATION DE L'ÎLOT ASSÉZAT VERS 1400 ET VERS 1460. En gris zones concernées par la fouille (d'après H. Molet). M. = maison, C = cour, JA = jardin, D = dépendance, P = passage.

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12. A.D. 31, 4 G 39.
13. A.M. Toulouse, CC 958, f° 103 et 55.
14 A.M. Toulouse, DT Molinier.
15. A.D. 31, Not. 600 f° 8.
16. A.D. 31, Fonds Daurade 102 H 186.
17. A.M. Toulouse, CC3, f' 170.


M.S.A.M.F., T. LVI, page 70

Le cadastre vers 1400 (fig. 22)

    L'évolution de l'îlot Assézat en 1400 est à l'image de la dégradation de la seconde moitié du XIVe siècle, générale à Toulouse. L'hôtel d'Agromont qui, comme l'hôtel des Ysalguier, avait nécessité un regroupement des parcelles, est apparemment divisé en plusieurs bâtiments après le rachat par Molinier. La « maison » louée puis rachetée par Najac, qui est en fait une écurie puis une dépendance, confirme la dévalorisation du bâti depuis l'hôtel initial d'Agromont. En 142 1, les Najac achètent un nouvel ostal contigu au premier. Ce regroupement reconstitue la façade de l'hôtel Molinier, mais cette maison est rachetée dès 1443 (18) par Belcayre dont l'auberge la confronte par l'arrière.

    Le centre de l'îlot occupé par des jardins est desservi par un passage reliant la rue Blancard à la rue Malcoquinat, actuelle rue de la Bourse. Son tracé reprend peut-être une trame plus ancienne. La seule maison située au cœur du moulon est celle louée par Estève del Verguier à Sans Molinier entre 1394 et 1405 derrière le seul four de l'îlot. Par la suite, la bâtisse est louée aux héritiers del Verguier puis à Bernard Méarn jusqu'en 1421. Finalement, entre 1441 et 1448, Johan Amic acquiert tout ce secteur et crée un passage vers la rue de la Trilhe, actuelle rue de l'Écharpe.

Le cadastre vers 1460-1463 (fig. 22)

    Le plan de l'îlot établi à partir des cadastres de 1442, 1450 et 1458 montre un regroupement des parcelles aux mains de gros propriétaires : Ysalguier, Amic, Belcayre. C'est essentiellement le résultat du grand incendie de 1444 qui détruit tout le moulon. Les dégâts ne sont pas réparés quand survient un autre incendie en 1463. Cette réduction du nombre de parcelles permet la constitution de vastes espaces non bâtis qui favoriseront l'implantation des grands hôtels de la Renaissance.

 

Évolution du parcellaire au Bas Moyen Âge

    Les archives et les données archéologiques offrent deux images restrictives mais complémentaires de l'évolution urbaine : les unes sur la propriété parcellaire, les autres sur les transformations du bâti. La confrontation de ces deux types de sources précise de manière significative un certain nombre de faits dans une chronologie commune et permet de proposer une image de l'évolution du parcellaire des zones fouillées pour la fin du Moyen Âge.

Avant 1400 (fig. 19)

    L'importante construction implantée au XIVe siècle semble correspondre à l'hôtel d'Agromont qui s'étendait effectivement bien au-delà de la parcelle du n° 4 rue Clémence-Isaure. Les murs très puissants correspondent tout à fait à ce type construction nobiliaire à plusieurs étages. Le découpage parcellaire reconstitué pour les années 1400 correspond aux tracés donnés par les différents corps de bâtiment. Dans cette hypothèse de correspondance, la chronologie donnée par le mobilier céramique peut même être affinée : l'absence totale de poteries à glaçure interne dans les terrassements préparatoires à la construction montre que cette céramique n'apparaîtrait qu'après 1335 (première mention de l'hôtel).

Vers 1400 (fig. 23)

    Le rachat par Molinier ne semble pas avoir marqué le bâti en profondeur. Cependant les premières transformations du corps arrière de l'hôtel semblent correspondre à la dégradation de son statut puisque l'on parle d'écurie et de cour lors de la vente aux Najac. La séparation de parcelles que provoque cette vente se situe à l'entrée de l'hôtel Molinier qui maintient son passage vers ses possessions au centre du moulon. Ce passage est probablement un long porche d'entrée distribuant déjà l'hôtel d'Agromont. C'est ce que montre la correspondance entre la limite parcellaire séparant Najac et Molinier et le long mur latéral découvert en fouille.

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18. A.D. 31, 102 H 186.


M.S.A.M.F., T. LVI, page 71

    Le bâtiment fouillé derrière l'actuel Hôtel d'Assézat, daté notamment par la monnaie d'Édouard III, est, lui, assimilable à la maison louée entre 1394 et 1405 par del Verguier à Molinier. Elle est sûrement desservie par le passage venant de la rue Malcoquinat. Le bâtiment en fond de parcelle repéré par la fouille de 1994 se situe alors à l'exacte jonction des deux passages. Cette condamnation du passage vers la rue Blancard n'est précisément datée par l'archéologie; mais elle est sans doute contemporaine du rachat en 1421 par les Najac de la maison contiguë à la leur côté ouest. En effet, cette réunification rend obsolète le passage qui conduisait aux autres possessions de Molinier; la desserte vers la rue Malcoquinat est la seule conservée.

FIG. 23. CORRESPONDANCE ENTRE VESTIGES ARCHÉOLOGIQUES ET CADASTRE VERS 1400.
Vestiges de murs connus en [noir] rouge, restitution proposée en [pointillés] orangé,
espaces intérieurs en [gris foncé] jaune, passage en [gris] bleu clair, tracé hypothétique du parcellaire vers 1400 en traits [gris épais] bleu.

Vers 1460 (fig. 24)

    La cession d'une maison par les Najac à Belcayre, rue Blancard, ranime le passage précédemment obturé pour mettre en relation les possessions de Belcayre en fond de parcelle. L'incendie de 1444 a achevé la dégénérescence du bâti. Effectivement le corps arrière de l'ancien hôtel d'Agromont a définitivement disparu. Le tracé cadastral retranscrit d'ailleurs exactement cette modification de la parcelle du n° 4 rue Clémence-Isaure.

    Pour la parcelle fouillée en 1993, les épais remblais correspondent bien aux destructions dues à l'incendie. Le cadastre confirme aussi que la zone est remise en jardin. L'aménagement d'un passage est sous-tendu par la création par Johan Amic du portail donnant rue de l’Écharpe avant 1448. Cet accès n'a pas été observé en fouille, mais une ruelle postérieure a été découverte à son emplacement. Ce second passage reprend sans doute l'emplacement de la ruelle suggérée par le cadastre. Le puits et la construction au nord de celle-ci sont postérieurs à ce passage mais antérieurs à l'Hôtel d'Assézat.

    L'évolution urbaine de l'îlot Assézat durant la fin du Moyen Âge est marquée par deux phénomènes dont la chronologie fournie par les textes confirme celle du terrain. D'une part, le bâti subit une dégradation progressive qui semble sans effet sur le rythme des mutations parcellaires. D'autre part, les phases de division et de regroupement


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FIG. 24. CORRESPONDANCE ENTRE VESTIGES ARCHÉOLOGIQUES ET CADASTRE VERS 1460.
Vestiges de murs connus en [noir] rouge, restitution proposée en [pointillés] orangé, espaces intérieurs en [gris foncé] jaune, passage en gris clair, tracé hypothétique du parcellaire vers 1460 en traits [gris épais] bleus.

parcellaire se succèdent sans correspondre pour autant à une même réalité immobilière et économique. Au début du XIVe siècle, le regroupement de parcelles a pour objet la construction d'hôtels nobles comme celui d'Agromont. La crise de la seconde moitié du XIVe siècle provoque la division des biens immobiliers dont le processus passe généralement par une période de location. Le XVe siècle est une nouvelle phase de regroupement favorisée par les ravages des incendies. La constitution de lots cohérents de parcelles semble avoir pour objet une certaine spéculation foncière plus que de véritables objectifs immobiliers.

Les hôtels de la Renaissance

    L'Hôtel d'Assézat construit en 1550 constitue à lui seul un excellent repère chronologique. C'est dans la fouille de l'arrière-cour de cet hôtel que notre attention s'est portée sur l'analyse des niveaux qui l'ont précédé.

Jardin et ruelle

    Après le jardin établi au milieu du XVe siècle, un remblai de plus de 0,60 m d'épaisseur rehausse une nouvelle fois le terrain. Riche en nodules d'argile et en morceaux de briques, il porte les traces de rubéfaction de ces différents composants. Il semble issu de la destruction de bâtiments construits en torchis comme c'est le cas à cette époque. Cette destruction et ce remblaiement suivent probablement le deuxième incendie ayant ravagé le moulon en


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1460. Une faible épaisseur de terre de jardin en couvre la surface. Une allée de galets de type « calade » de 0,95 m de large desservait ce jardin. Cet espace est délimité à l'ouest par une ruelle d'axe nord/sud. Ce passage de 2 m de large a été ménagé entre deux murs étroits (0,30 m). Il ne subsistait de la chaussée, peut-être dallée de briques, que son remblai préparatoire. À l'ouest de cette allée, un puits circulaire et des fondations puissantes en galets noyés dans une argile compacte appartiennent à une construction contemporaine de l'allée.

    Ces aménagements structurent les parcelles achetées par Johan Amic à partir de 1446. Dans le cadastre de 1550, ces terrains sont aux mains de Pierre de Montfort qui semble donc en garder l'organisation jusqu'au rachat par la famille Assézat. Outre les mutations cadastrales et en l'absence de tout autre mobilier, la chronologie est assurée par un denier tournois à la croisette de François Ier frappé à Toulouse après 1541, découvert dans le dernier niveau de jardin. Cette datation correspond bien, si le doute existait, à celle de la fondation de l'Hôtel d'Assézat qui recoupe tous ces niveaux.

Les nouveaux hôtels (fig. 25)

    Dans la parcelle du n° 4 rue Clémence-Isaure, seules quelques poches des remblais de cette époque décapés mécaniquement préalablement à la fouille ont pu être fouillées. L'une d'entre elles a révélé de nombreux fragments de verres à tiges (type E4 de D. Foy) caractéristiques de la fin du XVe et du début du XVIe siècle.

    Un vaste ensemble, probablement contemporain de l'Hôtel d'Assézat, est construit sur cette parcelle alors réunie aux possessions de Simon Lancefoc dans le cadastre de 1550. Les murs sont caractérisés par l'utilisation d'un limon ocre jaune qui sert de liant entre les briques. Le plan de l'ancien bâtiment de façade est repris mais avec l'adjonction d'une cave. La construction se développe aussi vers l'intérieur de la parcelle, reprenant ponctuellement les fondations médiévales, et au-delà de la limite actuelle de l'Hôtel de Nupces. Le mur arrière du bâtiment de façade portait les trous (15 cm de côté) d'implantation de montants de colombage espacés tous les 2 ni au cœur de la construction.

    Deux structures en creux mais bâties en briques et mortier sableux complètent la nouvelle installation. D'une part, une sorte de soupirail s'implante sur le flanc sud du bâtiment de façade. Traversant le mur arrière, ce plan incliné d'un mètre de long sur 0,80 m de large correspond sans doute à un escalier reliant la cour et la cave de l'édifice. D'autre part, un puits de forme quasi-rectangulaire a été construit dans le secteur oriental de la parcelle. Le profil courbe de ses côtés ouest et est évoque peut-être un puits à noria mais aucun autre indice n'a corroboré cette hypothèse. Ce puits a été entamé par une large citerne carrée à puits central dans une période plus récente.

FIG. 25. CORRESPONDANCE ENTRE VESTIGES ARCHÉOLOGIQUES ET CADASTRE DE 1550.
Vestiges de murs connus en [noir] rouge et bleu, restitution proposée en [pointillés] bleu, espaces intérieurs en [gris foncé] jaune, tracé du parcellaire vers 1550 en traits [gris épais] bleus.


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    L'Hôtel d'Assézat est un des nombreux hôtels particuliers bâtis au XVIe siècle par les riches marchands toulousains. Il n'est pas isolé non plus dans l'îlot qui porte son nom puisque d'importantes constructions contemporaines occupent les parcelles Lancefoc. Les marchands ne sont pas à l'origine des regroupements parcellaires qui ont précédé ces hôtels. Ceux-ci étaient déjà réalisés après les grands incendies comme le montre l'état cadastral vers 1460. Cette chronologie est confirmée par les vestiges archéologiques.

Conclusion

    Pour les périodes dont des vestiges étaient conservés, la fouille du site a permis de préciser la nature et le rythme de l'urbanisme au centre de Toulouse. La chronologie issue de l'analyse archéologique précise bien des informations obtenues par des fouilles anciennes ou les études d'archives. L'habitat urbain gallo-romain existe dès avant notre ère. Apparu jusqu'ici de manière très diffuse, il se présente sous la forme d'une domus dont les aménagements (mosaïques, bassin) sont véritablement en rapport avec l'importance d'une métropole comme Toulouse, que suggérait déjà les constructions publiques connues : théâtre, forum, rempart.

    Les demeures de haut statut social, comme l'hôtel d'Agromont, se retrouvent encore à la fin du Moyen Âge. Contrairement à ce que pourrait laisser croire la dégénérescence du bâti, cette période de crise économique ne correspond nullement à une immobilité parcellaire. Elle favorise des mutations foncières en relation directe avec les possibilités financières des propriétaires successifs et non en raison de la dégradation progressive des constructions. Les changements qui affectent les passages vers le centre de l'îlot montrent une adaptation constante de l'organisation urbaine. Les modalités qui prévalent à la construction de l'hôtel d'Assézat au XVIe siècle (regroupement parcellaire, possibilité d'accès ... ) existent déjà au début du XIVe siècle pour l'hôtel d'Agromont. Malgré les mutations successives et les phases de dégénérescence, la permanence d'un habitat de qualité semble être une constante de cet îlot du centre de Toulouse.

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