Société Archéologique  du Midi de la France
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Le grand cloître de Saint-Sernin...

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Le grand cloître roman de Saint-Sernin :
un chef-d’oeuvre dont rien ne doit être perdu

 

Le développement urbain de Toulouse depuis le Moyen Âge, puis la création des places Saint-Raymond et Saint-Sernin dans le deuxième quart du XIXe siècle ont complètement modifié l’environnement de la grande église. Qui imagine, aujourd’hui, qu’entre la fin de l’Antiquité et l’époque romane, l’église se trouvait en zone péri-urbaine, entourée d’une immense nécropole semblable à celle des Alyscamps à Arles ou aux grands espaces funéraires de Carthage ou de Tarragone ? L’ensemble monumental fut protégé, dans le courant du haut Moyen Âge, par un grand fossé ovale dont la trace se perçoit encore dans le parcellaire actuel (rues Bellegarde et des Trois-Renards par exemple) : c’est qu’il fallait abriter, à plusieurs centaines de mètres de la ville ceinte de ses murs, le clergé, ses familiers et serviteurs, mais aussi les récoltes dans les granges, le vin du cellier, et bien sûr le « trésor » de l’église !

La situation a évolué, durant le Moyen Âge, notamment par l’agrandissement du quartier canonial (l’espace occupé par les chanoines) vers le nord-est, mais avec sans doute des constantes : l’habitation des chanoines au nord de l’église, des cimetières à l’est et au sud, les points de contacts avec la ville se faisant vers le sud et vers l’ouest.

La connaissance que l’on a de cet espace, qui n’a cessé d’évoluer depuis presque 2000 ans, repose essentiellement sur des fouilles ponctuelles et quelque peu « marginales », celles menées dans le sous-sol du musée Saint-Raymond dans les années 1994-1996 ou celles menées dans l’emprise du lycée Ozenne en 1997, mais surtout sur l’analyse de textes anciens conservés dans les archives. Ces derniers permettent de comprendre les grandes lignes de cette évolution, mais des secteurs entiers ne sont pas documentés, notamment pour les périodes antérieures au XIIe siècle. Autant dire que les informations qui suivent, celles sur lesquelles chacun s’accorde aujourd’hui, sont susceptibles d’être largement précisées sinon bouleversées si des fouilles archéologiques de grande ampleur sont réalisées.

Un cloître, pour quoi faire ?

À Saint-Sernin, depuis qu’une première église a été consacrée dans les années 410 par l’évêque Exupère, il existe un clergé spécifique chargé d’assurer les différents offices chaque jour. Ces hommes vivent probablement, dès l’origine, en communauté. Grégoire de Tours raconte qu’en 581, la femme du duc mérovingien Ragnovald trouve asile dans la « basilique Saint-Saturnin » : il faut entendre par là que des bâtiments disposés autour de l’église étaient en mesure d’accueillir cette femme et la suite nombreuse qui l’accompagnait.

En 844, il est question du « monastère de saint Saturnin martyr » : les sites équivalents à celui de Saint-Sernin, bien connus surtout pour le nord de l’Empire carolingien, connaissent tous à cette époque une structuration qui préfigure ce que l’on rencontrera à l’époque romane, c’est-à-dire des bâtiments ordonnés autour d’un cloître pour la vie commune des desservants de l’église. Mais bien sûr, aucun de ces édifices n’est connu, et ils ne peuvent être appréhendés qu’à l’occasion des fouilles archéologiques, comme c’est le cas ailleurs.


Fig. 1. Plan des abords de Saint-Sernin tels qu’on peut les restituer à travers divers documents d’archive. Dessin Q. Cazes.

 À partir du XIe siècle, la situation est un peu mieux connue par les textes : une douzaine de chanoines sont soumis, vers 1073, à la Règle de saint Augustin qui suppose une vie commune plus stricte que celle menée jusque-là. Sans doute comme à la cathédrale Saint-Étienne, ils sont dirigés par un prévôt et doivent user d’un dortoir et d’un réfectoire communs. Leur rôle est d’assurer les « heures canoniales », c’est-à-dire les sept offices liturgiques qui, en plus de la messe quotidienne, rythment la journée. Au début du XIIe siècle, la renommée de la grande église en cours de construction incite le pape à conférer à Saint-Sernin le titre d’abbaye, le chef des chanoines prenant le titre d’abbé, mais rien ne change sur le plan de la vie régulière.  


Fig. 2. Saint Augustin dictant sa règle à un clerc.

Comme dans les monastères, les bâtiments de la vie commune s’organisent autour d’un cloître, qui rempli nombre de fonctions. Espace de circulation entre les différents bâtiments, il est parcouru par les processions, ses galeries reçoivent les inhumations des chanoines, il est le symbole même de la vie commune, comme le rappelait la peinture représentant saint Augustin dans une niche (dans les années 1970, cette peinture a été transférée dans le bras nord du transept). Le cloître est (re)construit à partir du début du XIIe siècle.

 

 

Le cloître roman de Saint-Sernin

L’architecture du cloître 

Le cloître a été entièrement détruit au début du XIXe siècle, mais son architecture peut être approchée grâce à un plan levé en 1798, conservé aux Archives départementales de la Haute-Garonne. Adossé à la nef et au transept côté nord, il mesurait 37 x 42 m : il était donc l’un des plus grands du Midi de la France, avec ceux de l’abbaye de Moissac et de la cathédrale de Toulouse (respectivement 38 x 41 m et 41 x 45 m). Le plan de 1798 montre, sur ses trois côtés ouest, sud (contre la nef) et est (contre le transept), des galeries séparées de l’espace central (le préau) par un mur-bahut ; sur celui-ci, des colonnes alternativement simples et doubles portent des chapiteaux, reprenant le modèle prestigieux de Moissac avec ses galeries charpentées. Cependant, le système des piliers d’angle ou médians est remplacé, à Saint-Sernin, par un faisceau de cinq colonnes. Un rapport de 1758 signale que les colonnes sont en marbre et qu’elles portent des arcs en plein cintre. Côté nord, la galerie est différente : des voûtes prennent appui, côté préau, sur de grands arcs, subdivisés par une colonne médiane, qui reposent sur des piliers à contreforts. Cette galerie a probablement été construite (ou reconstruite) après les trois autres, au milieu ou dans la seconde moitié du XIIe siècle.

  Fig. 3. Plan levé en 1798 (ADHG PG 376).

Dans les problématiques actuelles liées à la connaissance du cloître disparu, les questions qui se posent sont précises. Les relations topographiques entre l’église et le cloître sont-elles liées aux dispositions antérieures, notamment de l’époque carolingienne ? En d’autres termes, quels bouleversements le chantier roman a-t-il introduit dans l’évolution du site ? Quel est le degré de dépendance du cloître de Saint-Sernin par rapport à ce qui apparaît comme « le » modèle des cloîtres romans de la région, celui de l’abbaye bénédictine de Moissac ? Il faudrait aussi s’assurer que le cloître de Moissac est réellement antérieur à celui de Saint-Sernin, ce qui n’est en aucun cas garanti. En ce qui concerne la galerie nord, avec ses dispositions spécifiques dues au voûtement, la datation, qui ne pourra être connue que par des fouilles, est essentielle car des relations structurelles sont évidentes avec le grand cloître du XIIe siècle, lui aussi détruit, de l’abbaye de Grandselve, la plus puissante abbaye cistercienne du Midi de la France : il est fort probable que celui de Saint-Sernin a servi de modèle.

La sculpture du cloître 

Avec la démolition du cloître entre 1804 et 1808, Toulouse a perdu un ensemble monumental majeur dont les chapiteaux ne donnent qu’un reflet partiel. Et pourtant, quelles œuvres ! Quatre chapiteaux extraordinaires sont à placer dans la suite de ceux du portail occidental de la basilique : des lions en très fort relief paraissent comme détachés du fond, ils se retournent sur eux même ou s’opposent par le poitrail, des lianes paraissent les emprisonner entre la corbeille du chapiteau et le tailloir sculpté dans le même bloc. Il s’agit ici du témoignage de la plus grande virtuosité atteinte par les sculpteurs romans toulousains.

Fig. 5-7. Chapiteaux Me 244, Me 211, Me 212, Musée des Augustins.

   Deux autres chapiteaux, plus petits (issus des piliers à cinq colonnes ?), présentent pour l’un une suite d’anges conduits par saint Michel qui mène le combat contre le dragon , et pour l’autre un étonnant rassemblement de personnages, dans des positions plus ou moins acrobatiques, et d’animaux (lions, lièvre, oiseaux…) pris dans un treillis de lianes à trois brins. Les autres chapiteaux conservés présentent essentiellement un décor de lions ou d’oiseaux pris dans des lianes, plus ou moins raffinés selon le talent du sculpteur qui les a réalisés. Toutes ces œuvres sont à dater dans les deux premières décennies du XIIe siècle.

Ces chapiteaux frappent par l’absence quasi-totale de figuration, ce qui produit un contraste frappant avec les programmes iconographiques de la porte Miègevile et du portail occidental qui utilisent toutes les ressources plastiques au service d’un discours visuel d’une subtilité impressionnante. Contrairement à l’abbaye de Moissac qui avait fait de la sculpture de son cloître le support d’un commentaire des Écritures, Saint-Sernin privilégie des thèmes, végétaux et animaux, à probable connotation morale plus qu’exégétique. Comme si, pour le cadre de leur vie commune, les chanoines avaient placé la sculpture sur un autre registre, plus symbolique que figuratif : contrairement au cloître de la cathédrale Saint-Etienne, le cloître de Saint-Sernin n’était pas un lieu ostentatoire. En cela, ils participaient peut-être à cette tendance plus « sévère » de l’art surgie autour des années 1100, illustrée notamment par les cisterciens pour qui l’art était utile au peuple mais ne transmettait pas réellement d’expérience spirituelle (ce que traduira saint Bernard dans sa célèbre diatribe).

Cependant, au mieux, vingt-trois chapiteaux sur la centaine que comptait le cloître ont été conservés (mais il y a eu tellement de confusions dans les collections du musée des Augustins, au XIXe siècle, qu’il est bien difficile d’attribuer tous ces chapiteaux avec certitude au cloître de Saint-Sernin). D’autre part, on ne sait comment ils ont été choisis au moment d’entrer dans le musée. On n’a donc qu’une vision très partielle de l’iconographie développée.

Il est évident que l’on peut attendre des découvertes de nouvelles sculptures, qu’elles soient fragmentaires comme cela fut le cas pour le cloître de Saint-Étienne, ou entières, abandonnées sur place au moment du démontage du cloître ou remployées dans des maçonneries. Ceci constituerait un enrichissement extraordinaire ; mais surtout, cela permettrait de confirmer l’attribution des chapiteaux des collections toulousaines et de proposer une datation plus fine pour la mise en place du cloître. Rappelons ici que les fouilles faites ces derniers mois autour de Saint-Géraud d’Aurillac ont permis la découverte de 8 chapiteaux romans, et que Léon Pressouyre avait retrouvé une très grande partie du cloître de Notre-Dame-en-Vaux de Châlons-en-Champagne dans les murs environnants… 


Au centre du cloître, la chapelle Notre-Dame de Bonnes-Nouvelles
(fig. 8, détail du plan ADHG PG 376)

En 1621 et 1622, le marchand Sébastien Taffin avait fait construire à ses frais une chapelle à l’intérieur du préau du cloître. L’édifice occupait un rectangle de 16 x 8 m, et les meilleurs artistes du moment avaient été requis pour son décor : un retable commandé à Guillaume Fontan, un plafond peint à Hilaire Pader, le plafond de la tribune et des grandes toiles à Claude Clément, une grande Vierge de Pitié à Gervais Drouet… Les chanoines y avaient deux grands caveaux pour l’inhumation des membres de la communauté. Elle fut détruite en 1804.

À l’intérieur de la chapelle, on transféra dans le retable, en 1643, une magnifique statue des années 1330, attribuée au Maître de Rieux et représentant une Vierge à l’Enfant, qui se trouvait auparavant au-dessus d’un autel dans la galerie sud du cloître (aujourd’hui au Musée des Augustins).

Les textes mentionnent également une « chapelle Notre-Dame du Salut », qui aurait été bâtie par Bernard de Gensac, abbé de Saint-Sernin de 1234 à 1263. Selon l’abbé Salvan, cette chapelle n’était autre que la salle capitulaire, mais cette affirmation est à prendre avec précaution car  il s’agit vraisemblablement d’une extrapolation à partir de l’indication fournie par le nécrologe selon lequel B. de Gensac « est enterré sous l’autel de la chapelle Notre-Dame du Salut dans le cloître » : un autre problème que les fouilles à venir devraient régler !

 

 

Autour du cloître, les bâtiments communs des chanoines

 Fig. 9. Détail du plan de 1798.


Fig. 10. Rue des Cuves, détail de l’élévation. 

Malgré quelques mentions d’archives et le plan déjà cité, nous ne connaissons que peu les bâtiments qui étaient distribués autour du cloître et dans ce sens, seule l’archéologie peut permettre d’y voir plus clair. À l’est, adossé au mur pignon nord du transept et occultant l’une de ses portes, se trouvait probablement la salle capitulaire, de 13 x 7 m, à six travées voûtées d’ogives, mais on ne connaît pas la date de sa construction ni si les voûtes étaient d’origine ou non ; un autel y était consacré sous le vocable de Notre-Dame-du-Salut et les principaux dignitaires du chapitres étaient enterrés dans son sol avec des plaques tombales figurées (ce que rappelle le nom de « cavot du ci-devant Chapitre » rapporté sur le plan de 1798). Cependant,  dans les années 1730, on avait posé par-dessus un plancher et installé une cheminée, pour rendre plus confortable le lieu des délibérations capitulaires. 

 À la suite, vers le nord, un passage voûté, puis un grand bâtiment à contreforts (donc, voûté et peut-être à plusieurs niveaux) qui probablement abritait une salle d’étude, une école ou une bibliothèque ; contre son mur ouest, le plan permet de reconnaître le soubassement d’une forte tour de 8,50 m de côté. Après un nouveau passage voûté, se développait un autre édifice formant un angle au franchissement de l’ancien fossé haut-médiéval : une partie en subsiste encore, rue des Cuves, belle architecture de brique aux fenêtres élancées et couvertes d’un arc brisé, du XIIIe ou XIVe siècle.

Le plan ne permet pas vraiment de comprendre la disposition des pièces situées contre la galerie nord du cloître, parmi lesquelles se trouvait probablement le réfectoire.

Par ailleurs, au nord du cloître, une série d’édifices s’alignent contre le tracé de l’ancien fossé qui était comblé mais marquait toujours la topographie des lieux. De part et d’autre de la porte d’entrée du quartier canonial dite « porte des chanoines », se trouvent des bâtiments à usage probable d’habitation vers l’est, et un probable cellier à piliers centraux vers l’ouest.

Fig. 11. Détail du plan de 1798.

 

Le « logis » ou « palais abbatial »

L’abbé disposait d’un espace particulier, qui n’est connu que par un plan  et un dessin réalisé alors que la démolition était en grande partie effectuée. À l’ouest du cloître, longeant le fossé haut médiéval, un enclos irrégulier s’appuyait contre le massif occidental de la basilique et était séparé du parvis par un mur de clôture. Trois édifices y étaient adossés : en partant de l’ouest, une probable tour de plan carré (de 8 m de côté), suivie d’une « cuisine » et d’un « cellier », selon les termes employés dans des rapports du XVIIIe siècle.  L’élément le plus remarquable du « logis abbatial » était sans doute le grand escalier en vis, aux armes de l’abbé d’Effiat (1641-1698), qui donnait accès à une grande salle prenant le jour par de grandes fenêtres à croisillon, à la suite de laquelle se trouvaient la « chambre abbatiale », une autre chambre puis une dernière pièce qui formait le logement du portier.


Fig. 12. Plan du logis abbatial, 1796, archives de la paroisse.

Fig. 13. Dessin de Léon Soulié, montrant à gauche de la façade occidentale une partie du mur d’enceinte du palais abbatial.

   En fait, si ces bâtiments semblent bien modernes, la « tour » de plan carré pourrait bien être antérieure, tout comme les constructions adossées au massif occidental de l’église que les textes décrivent comme ayant des caractéristiques médiévales.

L’abbé, et avant lui le prévôt, disposait donc d’un espace spécifique, au contact avec le reste de la ville, qui lui permettait d’affirmer son rang dans la communauté et par rapport à la société toulousaine : c’était aussi le but du couronnement de mâchicoulis du mur qui donnait sur le parvis occidental, destiné non pas à la défense, mais à l’affirmation symbolique de la puissance des chanoines et de leur chef.

L’hôpital Saint-Raymond 


Fig. 14. Plan du 11 octobre 1867. En jaune, les bâtiments qui ont été détruits dans les années 1850 pour l’aménagement de la place.

L’hôpital Saint-Raymond ne faisait pas partie du quartier canonial, mais son existence est directement liée à la construction de la basilique. Tout sanctuaire abritant des reliques espérait attirer des pèlerins, et Saint-Sernin, qui possédait le corps de l’un des rares évêques martyrs des débuts du christianisme, saint Saturnin, et de très nombreuses autres reliques (parmi lesquelles, au XIIIe siècle, on s’enorgueillit de compter les corps de six apôtres du Christ…), ne dérogeait pas à la règle.

On construisit donc, dans les années 1100 (et non pas dans les années 1075 comme on le pensait encore il y a quelques années), un édifice destiné à abriter les pèlerins nécessiteux, ce que l’on appelle à cette époque un « hôpital », et dont une partie des fondations a été retrouvée (et est toujours visible) dans le niveau bas du musée Saint-Raymond. Mais il reste à retrouver la majeure partie du bâtiment, sous le parvis occidental de Saint-Sernin, c’est-à-dire la place Saint-Raymond.

Il est à l’origine  du collège Saint-Raymond, qui le remplace au XIIIe siècle puis est reconstruit encore au XVIe siècle : c’est l’actuel musée depuis 1892 . L’ensemble était pourvu d’une chapelle et de différents bâtiments, qui furent rasés au milieu du XIXe siècle.

Là encore, les incertitudes sont nombreuses : quelle était la « chapelle Saint-Jean » mentionnée dans des textes (des faux du début du XIIe siècle, mais dont certaines informations sont vraies), liée dès l’origine à l’hôpital ? Constituait-elle une survivance de l’un des nombreux sanctuaires qui devaient exister autour de Saint-Sernin à la fin de l’Antiquité et dans le courant du haut Moyen Âge, comme ont a pu le restituer pour Saint-Denis ? Comment se développaient les maisons qui semblent avoir environné l’hôpital dès la fin du XIe-début du XIIe siècle et dont une partie subsiste encore dans le sous-sol du musée Saint-Raymond ?

 

Conclusion

Malgré un état des connaissances qui peut paraître assez stable, il nous manque plusieurs choses. D’abord, tout ce que nous ne connaissons pas, qui n’est éclairé par aucun texte. Car les textes ont été écrits en vue d’intérêts bien précis (pouvoir, finance…) et n’ont que très rarement vocation à décrire la réalité. Au contraire, les fouilles permettent d’aborder tous les aspects de la vie urbaine, que ce soit la mise en place et le fonctionnement des rues, des maisons, mais aussi comment on y vit, comment l’espace évolue au cours des siècles. Bien sûr, cela ne peut être révélé par de simples tranchées de diagnostic, il faut de véritables fouilles en aire ouverte, comme celles qui viennent de s’achever à Saint-Géraud d’Aurillac ou celles en cours à Saint-Martial de Limoges, comme cela se pratique partout depuis près de cinquante ans.

Et puis, sans les fouilles, il nous manque l’essentiel : le concret de la mise en scène de la grande église romane dans son environnement médiéval. Les niveaux de sol n’étaient pas les mêmes à l’est et à l’ouest de l’église. L’analyse de l’édifice a montré que le portail occidental était précédé par un grand escalier, qui monumentalisait véritablement cet accès majeur. Il est fort probable que, comme à Compostelle, une grande fontaine se trouvait au centre du parvis limité au sud par l’hôpital et au nord par autre chose. Le secteur réservé à l’abbé et aux chanoines devait également être d’une grande qualité. Cette élite cléricale n’avait-elle pas suscité la jalousie de l’évêque Isarn qui chercha plus d’une fois à mettre la main sur l’église de pèlerinage, ses ressources et son prestige ? Ces chanoines étaient également de grands intellectuels, d’une culture patristique, littéraire et artistique sans équivalent. Ils ont contribué à mettre Toulouse au rang des villes majeures de l’Europe médiévale. Un pourcentage non négligeable des traces qu’ils ont laissées dans le sous-sol, si on laisse faire l’aménagement de la place sans fouilles archéologiques, sera une fois de plus détruit. Comme un livre dont on aurait déjà arraché une partie, qui verrait un ou plusieurs chapitres entiers disparaître avant la lecture… Il est donc impensable, quand on connaît le potentiel des lieux, de ne pas faire de fouilles exhaustives autour de Saint-Sernin !

 

Quitterie Cazes
12 août 2015


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