Société Archéologique  du Midi de la France
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Mémoires
de la Société Archéologique
du Midi de la France

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Tome LII (1992)



BULLETIN DE L'ANNÉE ACADÉMIQUE

1991-1992

Établi par Daniel CAZES et Maurice SCELLÈS

 

    Cette édition électronique respecte la mise en page de l'édition imprimée (Bulletin de l'année académique 1991-1992, dans Mémoires de la Société Archéologique du Midi de la France, t. LII, 1992) dont nous indiquons la pagination. Les corrections nécessaires ont été apportées et quelques illustrations en noir et blanc sont remplacées par des illustrations en couleur. (Mise en page html : Maurice Scellès, août 1999.)


1ère partie
Séances du 5 novembre 1991 au 3 mars 1992
2e partie
Séances du 24 mars 1992  au 18 juin 1992

M.S.A.M.F., T. LII, page 156

Séance du 24 mars 1992

Présents : MM. Pradalier, Président, Ahlsell de Toulza, Trésorier, Fouet, Bibliothécaire-archiviste, Cazes, Secrétaire général, Scelles, Secrétaire-adjoint ; Mmes Cazes, Labrousse, Noé-Dufour, Ugaglia, MM. Bernet, le général Delpoux, Julien, Latour, Manière, Peyrusse, Prin, l'abbé Rocacher, de Viviès, Vézian.
Excusés : MM. l'abbé Baccrabère, Bruand, Cabau, Gérard, Laffont, Péaud-Lenoël, Tollon.

    Le Président ouvre la séance en annonçant que sa première partie sera consacrée aux rapports sur le concours. Il donne alors la parole à M. Louis Peyrusse qui donne lecture de deux rapports rédigés par MM. Bruand et Tollon, excusés.

    Christian Mange, Bernard Bénézet (1835-1897). Vie et œuvre, Thèse de doctorat nouveau régime sous la direction de M. le Professeur Yves Bruand, Université de Toulouse-Le Mirail : 1991, 3 vol., 1 : texte, 223 p. ; 2 : 374 p. ; 3 : planches. (rapporteur M. Yves Bruand) :

    « Le remarquable travail de Monsieur Christian Mange permet de remettre en lumière l’œuvre d'un artiste toulousain qui a joué un rôle important sur le plan local au XIXe siècle. Il s'appuie sur un dépouillement systématique de toutes les sources documentaires utilisables : sources manuscrites (séries F 19 et F 21 des Archives nationales, Archives départementales et municipales, diverses institutions publiques, archives privées), sources imprimées (dépouillement systématique de la presse locale et des écrits de Bénézet), sources figurées (avec notamment les dessins de l'artiste conservés dans les musées toulousains et les institutions pour lesquelles le peintre a travaillé), abondante bibliographie ancienne et récente.

    L'établissement d'un catalogue raisonné de l’œuvre de Bénézet qui occupe la totalité du deuxième tome a permis de redécouvrir l'ampleur des travaux du peintre. Une partie des décorations murales a disparu, d'autres ne nous parvenues que dans un état lacunaire, mais il subsiste de grands ensembles qui étaient jusqu'ici plus ou moins ignorés et c'est à une véritable redécouverte que l'auteur nous convie. Le catalogue dressé est aussi complet que possible et sa présentation scientifique impeccable. Il constitue un instrument de travail de premier ordre.

    Le texte de synthèse est lui aussi excellent. L'introduction replace Bénézet dans son époque, insistant sur le fait que l'artiste, catholique, ultramontain et légitimiste a bénéficié du grand mouvement de restauration des édifices cultuels. La biographie du peintre est très détaillée et suit sa production au jour le jour, apportant de nombreux éléments nouveaux ; une rapide synthèse souligne les points importants en fin de chapitre. L'influence qu'a exercée Flandrin sur la peinture religieuse de Bénézet est notée mais l'artiste se dégage très vite d'une imitation pure et simple. L'essentiel de son œuvre est constitué par ses grands décors ecclésiastiques ; il a aussi reçu d'importantes commandes civiles ; celles-ci furent toutefois liées aux premières car elles


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résultèrent de son association avec le verrier Gesta. Or leur collaboration avait été scellée au cours de la mise en œuvre de programmes religieux. Le rôle de Bénézet comme publiciste et critique, celui qu'il a joué à l'École des Beaux-Arts de Toulouse comme professeur et directeur sont bien indiqués.
    L'étude de l’œuvre envisage successivement les écrits littéraires et historiques d'importance considérable par leur volume et surtout pour comprendre la production artistique de Bénézet, ses peintures et ses dessins. Pour l’œuvre peint, l'accent est mis sur les techniques (peinture murale), l'iconographie (glorification de l'art chrétien et de Toulouse à travers l'humanisme, la littérature, l'histoire culturelle). Le peintre est à la fois régionaliste et ultramontain. Il est aussi l'auteur de quelques tableaux historiques, portraits, scènes de genre et paysages soigneusement recensés et analysés bien qu'il ne s'agisse que d'éléments mineurs dans une production tournée vers les grandes compositions monumentales. Il en va de même pour les dessins classés par catégorie (dessins destinés à la gravure, cartons de vitraux, esquisses et projets, sculptures). On est frappé par l'ampleur de l’œuvre de l'artiste ainsi retrouvé.
    Une dernière partie est consacrée aux influences qu'a subies Bénézet et à celles qu'il a pu exercer, ainsi qu'à des considérations sur son style. M. Christian Mange insiste sur le mélange d'archaïsme et de modernité qui se dégage de sa peinture et fait une comparaison avec l’œuvre parallèle de Jean-Paul Laurens. La reprise de la division entre peinture religieuse, peinture profane (dont le morceau de bravoure est la galerie Gesta) et cartons de vitraux conduit toutefois à quelques répétitions et on peut se demander s'il n'aurait pas été préférable de regrouper sur ce même plan thématique l'étude conjointe de l’œuvre et du style. C'est là le seul léger reproche que l'on peut faire à ce travail. Il ne peut éclipser la qualité d'ensemble d'un ouvrage qui a permis de ressusciter un artiste important sur la plan local, bien que rapidement tombé dans l'oubli du fait de sa peinture engagée sur le plan historique et stylistique. » 

    Louis Peyrusse ajoute qu'il s'agit là d'un travail d'une très grande qualité et d'une très grande rigueur. C'était en outre un gageure de faire une thèse sur Bénézet, et elle a été tenue. il faut par ailleurs noter que bon nombre des textes utilisés par Christian Mange ont été publiés par la Société Archéologique du Midi de la France dont Bénézet était membre. Bénézet, clérical, a été écarté lors des programmes du Capitole, qui devaient avoir une odeur républicaine. La loi de séparation de l'Église et de l'État a sans doute contribué a accéléré son oubli : le travail de Christian Mange montre que l'on a oublié de regarder certains grands décors de Bénézet, qui sont extraordinaires.

 

    Pierre Magnères, François Fayet, peintre toulousain de la seconde moitié du XVIIe siècle, Mémoire de maîtrise sous la direction de MM. Y Bruand et Bruno Tollon, Université de Toulouse-Le Mirail, 1991, 2 vol., 1 : texte, 98 p., 2 : pl. (rapporteur M. Bruno Tollon) :

    « Le sujet marquait un choix courageux, et ambitieux pour un mémoire de maîtrise, au départ limité au cycle des Chartreux. P. Magnères a préféré consacrer une année supplémentaire à son projet pour associer les autres travaux de cet artiste et fournir ainsi une première esquisse de catalogue.
    Le XVIIe siècle provincial reste encore très incomplètement exploré. C'était l'hiver dernier le thème d'un cycle de conférences du grand auditorium du Musée du Louvre, présidé par le professeur au Collège de France Jacques Thuillier (La peinture en province au XVIIe siècle).

    Dans le but d'explorer le domaine toulousain, une série de travaux monographiques et d'analyse de programmes d'embellissements dans des édifices publics ont été proposés ces dernières années aux étudiants de l'Université.
    La présence à Toulouse de la clientèle nombreuse des paroisses, des couvents et surtout des confréries, vient doubler celle des riches toulousains. Ainsi la ville formait un véritable foyer d'attraction expliquant la venue de Rennes de François Fayet, dont la formation a pu se faire à Paris, comme celle d'Antoine Durand. Il fut baptisé à Reims le 13 avril 1630 ; il faut attendre décembre 1656 et la signature de son contrat de mariage à Toulouse pour vérifier qu'il est installé dans la capitale du Languedoc, où il meurt en 1708. M. Magnères le suit ensuite dans sa carrière. Les travaux destinés aux ordres religieux (Chartreux, Carmes, Minimes, Doctrinaires, Bénédictins de la Daurade) et aux confréries (Pénitents gris...) l'emportent sur les œuvres commandées par les particuliers. Celles-ci concernent des travaux décoratifs où l'on voit apparaître à la première place les paysages.
    L'auteur a pu apporter des indications très précieuses sur ses collaborateurs et ses apprentis, le milieu où il fait sa place (il est lié à Antoine Guépin, Pierre Affre...). Sa femme, nièce de parlementaire, l'a fait entrer dans cette bourgeoisie d'affaire et de robe où il recrute sa clientèle.
    M. Magnères a réuni vingt-deux œuvres dans son catalogue, enrichi considérablement grâce à des découvertes d'archives. Des cycles religieux restent celui des Chartreux et les œuvres réunies dans la sacristie des Minimes. Au Musée des Augustins, ses tableaux de diverses provenances sont conservés dans les réserves ; tous ont été très attentivement étudiés.
    L'analyse des œuvres religieuses (seules conservées) a permis à l'auteur de définir les caractères vraisemblables de ses paysages (destinés au décor des hôtels) en prenant en compte tous les fonds et arrière-plans montrant des paysages. L'intérêt de cette enquête, comme celle concernant les sources picturales de François Fayet, est de placer l'artiste dans le cercle de Le Sueur. Les œuvres du maître sont très vite diffusées par la gravure. Mais, pour certaines compositions, Fayet aurait eu accès directement 


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aux dossiers préparatoires. Cette hypothèse, bien étayée par l'auteur, prend en compte l'activité d'Antoine Le Sueur à Reims durant les années de jeunesse de François Fayet.
    Au total, cette étude contribue à affirmer plus clairement la place qui revient à Fayet dans le paysage pictural de Toulouse durant la deuxième moitié du siècle. À une époque où les travaux des ateliers parisiens bénéficient d'un grand prestige (toiles de Simon Vouet pour les Pénitents Noirs), tout comme l'Italie (puisque Antonio Venio est retenu à Toulouse quelques années pour y effectuer des décorations), François Fayet, formé à Reims puis à Paris, capable de composer des mises en scène religieuses et de brosser des « paysages composés » selon la meilleure doctrine de l'Académie royale de Paris, occupe une place désormais mieux élucidée. »

    En disant qu'il a eu l'occasion de consulter le travail de Pierre Magnères, Pascal Julien tient à souligner à quel point le sujet était a priori ingrat : l'œuvre de François Fayet est médiocre. Il fallait donc beaucoup de persévérance pour faire cette étude très complète, sur un terrain vierge ; c'est la première étude exhaustive d'un peintre toulousain du XVIIe siècle, et elle est importante pour connaître ce milieu.
    Pour Louis Peyrusse, le domaine n'était pas tout à fait vierge depuis les travaux de Mesuret et de Mesplé, mais il est vrai que bien des choses avaient changé dans ce domaine depuis 1940.

    Le Président donne alors la parole à Daniel Cazes qui lit son rapport sur l'étude de Marie-Paule Viguier : La construction publique en Narbonnaise à travers l'épigraphie (de la fin du Ier siècle avant J.-C. au début du IIIe siècle après J.-C.) (sous la direction de M. le professeur Patrick Le Roux, Université de Toulouse-Le Mirail) :

    « Le mémoire de maîtrise soutenu en 1991 devant l'Université de Toulouse-Le Mirail par Mademoiselle Marie-Paule Viguier a été préparé sous la direction du Professeur Patrick Le Roux. Son titre, La construction publique en Narbonnaise à travers l'épigraphie (de la fin du Ier siècle avant J.-C. au début du IIIe siècle après J.-C.), annonce ses ambitions : rassembler, afin d'en assurer la synthèse, toutes les données épigraphiques concernant l'architecture publique en Narbonnaise. Lorsque l'on sait la richesse monumentale de cette ancienne province sénatoriale, que les Romains eux-mêmes considéraient comme une seconde Italie, l'entreprise peut paraître démesurée.

    D'emblée, sa première consultation montre que ce travail dépasse les limites habituelles d'un simple mémoire de maîtrise. Il s'agit d'un volume de 274 pages incluant à la fois le texte et l'illustration. Le texte, souvent très dense, se développe sur environ 200 pages (la page traitée souvent avec un simple interligne, équivaut à deux pages d'un manuscrit normal pour l'édition), le reste étant réservé aux plans, cartes et photographies. Les grandes divisions de l'ouvrage sont : une introduction, trois chapitres (les monuments, les donateurs, les bénéficiaires), une conclusion, deux annexes (le recueil épigraphique, les notices avec les plans des édifices étudiés), un index très détaillé (noms des lieux, et des personnes, titres et fonctions, collectivités, divinités, libéralités), une bibliographie, une table des matières. L'abondance de la documentation, la précision avec laquelle celle-ci a été analysée, font que ce mémoire, à peine augmenté, aurait tout aussi bien pu être envisagé comme une thèse. C'est dire déjà son intérêt pour l'archéologie et l'histoire de l'art.
    En introduction est défini l'évergétisme des élites locales de Narbonnaise qui, enrichies par leur capital foncier et par le commerce, et soucieuses de leur honorabilité comme de leur avenir politique, consacrèrent d'importantes libéralités à la construction des édifices publics. L'épigraphie, qui témoigne de cela, se distingue de l'archéologie, dans ce domaine, en ce qu'elle est plus particulièrement apte à nous informer sur l'origine et les motifs du financement des monuments. Le seul écueil, pour le chercheur, est la difficulté d'interprétation de certaines inscriptions de dédicace des édifices. On ne connaît pas toujours l'emplacement d'origine de ces textes, qui nous donnent la date de fin des travaux mais rarement leur durée, qui ne décrivent que très peu les constructions ou utilisent pour les désigner des termes génériques applicables à des réalités architecturales différentes.
    La première partie, la plus importante avec une centaine de pages, offre un tableau très complet et suggestif du paysage monumental de la Narbonnaise, tel qu'il est perceptible à travers 86 inscriptions évergétiques de dédicace. L'auteur n'a pas retenu 73 autres inscriptions incomplètes ou qui mentionnaient des évergésies concernant de simples statues ou autels. Sur ces 86 inscriptions, les plus nombreuses (36) concernent des monuments sacrés, les aedes et les templa, sanctuaires de toute sorte, les templa semblant toutefois correspondre généralement à des temples classiques de type gréco-romain. L'auteur souligne très justement l'omniprésence du religieux dans le monde romain. Il est souvent l'assise même du pouvoir, comme le montre le culte de Rome et de l'empereur. Aider les sanctuaires, flatter les dévotions, c'est, pour l'homme politique, s'assurer une popularité que même le confort urbain et les divertissements ne lui conféreraient pas avec une telle ampleur. Tour à tour apparaissent le vénérable et néanmoins mystérieux sanctuaire de Vieille-Toulouse, qui a livré la plus ancienne inscription évergétique de Narbonnaise (47 avant J.-C.), le fanum du dieu Larraso-Vulcain à Moux, sur la montagne d'Alaric, puis l'extraordinaire


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ensemble sacré de la fontaine à Nîmes, devenu Augusteum par la volonté impériale d'intégrer les anciens cultes à la romanité, dont un bassin est restauré en 25 avant J.-C., le temple d'Auguste et de Livie à Vienne (27-25 avant J.-C.), le temple de Valetudo, déesse de la santé, à Glanum (20 avant J.-C.), le temple d'Auguste au Vernègues, enfin la célèbre Maison carrée de Nîmes, en fait temple du culte impérial réalisé entre 2 et 5 après J.-C. Cette rapide énumération montre l'importance de la construction religieuse sous Auguste. Après les temples, l'évergétisme privilégia les monuments des eaux : aqueducs, fontaines publiques et adductions diverses, mais surtout les thermes qui apportaient aux populations urbaines et rurales un agrément partagé par l'ensemble des classes de la société. Viennent ensuite les édifices de spectacle où, du cirque à l'odéon, en passant par les amphithéâtres, les sphaeristeria (sphéristères), sortes de salles de jeu de paume l'une d'elles est offerte à Nîmes au début du il, siècle par un flamine impérial), les théâtres, les divertissements rassemblaient des foules avides de spectacles passionnés et violents ou des groupes, plus restreints mais tout aussi fervents, attentifs à une culture musicale, poétique et littéraire raffinée. Les cadres de la vie civique sont aussi le fait courant de l'évergétisme : le forum, la curie, les exèdres, les basiliques, ou, plus curieuses, ces horloges publiques renfermant des mécanismes savants qui vont se multiplier et remplacer les simples cadrans solaires. Ainsi à Boutae (Annecy) est financé un horologium, avec l'esclave qui doit en assurer l'entretien et le fonctionnement ! Les structures économiques et commerciales telles que le macellum (marché), le portus (port fluvial ou maritime), la figlina (atelier de potier), l'horreum (entrepôt), et l'aménagement de l'espace, avec l'enceinte fortifiée de la ville et ses portes, le pont, l'arc de triomphe, offrent aussi un champ infini à l'action de l'évergète. Celui-ci fut donc principalement un maître d'ouvrage – nous corrigeons ici l'auteur, l'expression erronée de maître d’œuvre correspondant bien sûr à l'architecte – dont le rôle fut déterminant pour la constitution de la parure monumentale des villes de la Narbonnaise. Dans cette province, en effet, 57,9 % des inscriptions mentionnant des évergésies concernent le don d'un bâtiment. Sous Auguste et pendant le Ier siècle, les principaux monuments sont mis en place, ensuite, aux IIe et IIIe siècles, on rencontrera plutôt des opérations d'aménagement, d'amélioration, de décoration dans des édifices existants. Ces mentions d'évergésie monumentale marquent la prééminence des cités de Nîmes, Narbonne, Vienne, Vaison, c'est-à-dire quatre des cinq cités les plus vastes et les plus peuplées de la Narbonnaise, avec celle de Toulouse où existaient de nombreux édifices publics mais qui ont pour la plupart disparu, avec leurs inscriptions. Marie-Paule Viguier montre bien, en fin de chapitre, qu'en Narbonnaise le développement monumental par l'évergétisme n'est pas exclusivement urbain mais qu'il concerne aussi, comme en Italie, les agglomérations rurales des vici. L'exemple, proche de nous, du théâtre d'Eburomagus (Bram), à la limite des cités de Toulouse et de Carcassonne, est particulièrement significatif de cette originalité de la province.

    La deuxième partie du travail s'intéresse aux évergètes. Une liste complète en est donnée dans des tableaux qui précisent leur identité, le lieu de leur action, leur fonction, l'objet du don, la date. Sept inscriptions montrent que des donations pour des monuments ont été faites par l'empereur ou par des membres de sa famille. Auguste offrit ainsi, en 16-15 avant J.-C., les murs et les portes des colonies de Nîmes et de Vienne, Hadrien, probablement, les propylées de l'Augusteum de la fontaine à Nîmes, Antonin le Pieux, de 145 à 161, la restauration des thermes et des basiliques de Narbonne. Dans tous les cas apparaît le désir de mieux implanter le culte impérial et de consolider ainsi le lien de la cité avec l'empereur. Agrippa et son fils Caius César se montrèrent généreux à Glanum et à Nîmes. Ces dons impériaux avaient aussi pour but, comme en Italie, d'inciter les aristocraties municipales à l'évergétisme édilitaire. D'autres financements ont lieu au nom d'une communauté civile (colonia, res publica), d'un collège religieux ou d'une association de type privé. L'évergétisme ob honorem (en échange d'un honneur) s'exerçait au sommet des carrières municipales : édilité, quattuorvirat, duumvirat, duumvirat quinquennal, flaminat, dans le cadre d'une âpre compétition pour l'entrée dans les ordres équestre ou sénatorial. Les praefecti fabrum et pagi, les magistri pagi et vici, notables locaux fort riches, participaient aussi par leurs libéralités à l'embellissement de la cité. De simples citoyens romains, mais aussi des affranchis et des pérégrins se trouvent même parmi les évergètes. L'évergétisme testamentaire, courant en Narbonnaise, n'était pas animé par l'ambition politique mais cherchait plutôt à éterniser un nom, comme l'aurait fait l'art funéraire. Les renseignements sur le coût des monuments sont plus rares en Narbonnaise qu'en Afrique et en Italie : on connaît néanmoins celui de l'horloge d'Annecy : 10 000 sesterces (et 4 000 de plus pour l'esclave compétent qui s'occupe de son fonctionnement), 350 000 sesterces pour un portique à Vaison. La grande richesse des cités de Narbonnaise, surtout sous le Haut Empire, l'obligation morale des notables envers l'édilité, et la recherche passionnée des honneurs, distinctions plus rares que les grosses fortunes selon l'auteur, expliquent le succès de l'évergétisme monumental dans cette province. En dernière analyse, l'auteur pense même que les villes étaient saturées d'architectures prestigieuses, ce qui amena les évergètes à prodiguer leurs dons d'édifices publics en faveur des localités rurales, jusque-là peu concernées par l'urbanisation.

    Dans une troisième partie, l'auteur s'intéresse aux bénéficiaires des dédicaces. Ils ont été classés en trois catégories. Les plus fréquents (27 inscriptions) sont les dieux, surtout les divinités romaines et indigènes, les religions orientales étant moins représentées. Jupiter, Mercure, Mars et Apollon sont très honorés. Pour les cultes locaux, celui de Nemausus, qui donna son nom à Nîmes, fut de loin le plus populaire de la Narbonnaise, ce qui explique l'ampleur de son sanctuaire, sa récupération par l'empereur, et l'attrait qu'il exerça sur les évergètes. Les cultes orientaux sont surtout, comme en Italie, ceux de Cybèle et d'Attis, d'Isis, de Mithra. Leur développement, à partir du IIe siècle, est lié à d'importantes et florissantes communautés venues de l'est de l’Empire. Les dédicaces à l'intention de l'empereur apparaissent dans 26 % des inscriptions qui donnent l'identité des bénéficiaires. L'exemple le plus célèbre est bien sûr celui des principibus Iuventutis mentionnés sur l'entablement de la façade


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de la Maison carrée à Nîmes. Il s'agit, on le sait, de Lucius et Caius César, petits-fils d'Auguste, promis à l'Empire, ainsi assimilés à Castor et Pollux et divinisés –  à l'instar de Jules César – à la suite de leur mort précoce. Enfin, 18 inscriptions adressent le don à une communauté, qui peut être l'ensemble d'une collectivité (la cité, son chef-lieu, l'agglomération rurale) ou un groupe plus restreint (le collège, la corporation).

En conclusion générale, Marie-Paule Viguier établit avec netteté quelques idées fortes qui facilitent grandement la compréhension du système de la construction publique en Narbonnaise, même si elles ne se fondent que sur l'étude épigraphique. Parmi celles-ci relevons que les monuments romaines de cette province furent le fait presque exclusif d'un financement privé, l'empereur et les collectivités n'intervenant que très rarement. La famille impériale s'est réservé les dépenses liées au culte officiel, ciment de l'Empire, et celles, très prestigieuses, attachées au statut des grandes villes comme les enceintes des colonies de Vienne et de Nîmes. Et je serais tenté d'ajouter, après la proposition faite récemment par le Professeur Jean-Marie Pailler, peut-être celle de Toulouse, malgré l'absence de tout témoignage épigraphique. « Dans cette société empreinte d'une nouvelle éthique de vie, la part du somptuaire et celle du nécessaire semblent se mêler confusément » note très justement l'auteur que j'ai ici cité. La profusion d'édifices en milieu urbain ne se justifiait, en effet, pas toujours par leur simple fonction utilitaire, de même que les énormes quantités d'eau déversées dans les villes étaient largement supérieures à la consommation réelle des populations. La « surenchère » des libéralités montre le double aspect de cet évergétisme : personnel car une telle ostentation renforce les honneurs, patriote car la communauté civique s'identifie aux monuments de sa ville, chargés ainsi d'une grande puissance symbolique, dans le cadre d'une extraordinaire compétition entre les cités. Comme dans la Toscane médiévale et du Quattrocento, si l'on nous permet cette comparaison, l'art fut en fait le plus grand bénéficiaire de cette rivalité créatrice.

    Ces quelques lignes vous permettront d'apprécier la valeur de ce mémoire, malgré les écueils bien connus auxquels s'expose un rapport de ce type, qui ne saurait refléter complètement les multiples facettes d'un travail aussi dense. Celui-ci, au-delà d'une matière souvent difficile à utiliser, à travers de grandes qualités d'écriture, atteint un niveau de réflexion et de culture particulièrement remarquable. L'aptitude de l'auteur à la recherche ne fait aucun doute et le jury de sa soutenance de maîtrise l'a reconnue en attribuant à cet ouvrage la mention Très-bien. Si l'on ajoute à cela une passion naturelle, quelque peu accentuée, sans doute, par l'imprégnation de plusieurs années vécues à Narbonne, un sérieux que nous avons personnellement beaucoup ressenti au cours d'un enseignement à l'Université de Toulouse-Le Mirail, nous ne pouvons que vous proposer de couronner ce mémoire exceptionnel en décernant à Mlle Marie-Paule Viguier le prix Michel-Labrousse. »

 

    Puis le Président donne lecture du rapport de M. Sablayrolles sur le travail de M. Jean-Marc Fabre, qui a présenté un mémoire de maîtrise consacré à La haute vallée de la Garonne à l'époque gallo-romaine. Inventaire archéologique (sous la direction de R. Sablayrolles, Université de Toulouse-Le Mirail) : 

    « Ce travail – que M. Jean-Marc Fabre avait en fait commencé bien avant son année de maîtrise – a dépassé largement le cadre ordinaire d'un mémoire, tant dans le domaine du volume de la bibliographie dépouillée et de l'effort fourni sur le terrain que dans celui des résultats obtenus et de la réflexion mise en œuvre.
    Sur le terrain comme dans les bibliothèques, M. Jean-Marc Fabre s'est révélé un chercheur tenace à la patience inlassable. Dans le domaine de la bibliographie, il ne s'est pas contenté des traditionnelles compilations d'ouvrages de synthèse mais a eu recours aux documents originaux, n'hésitant pas à combler par des séjours à la Bibliothèque Nationale les lacunes de son information toulousaine. Ses réflexions critiques dans la comparaison des sources se sont révélées souvent pertinentes, en particulier en matière d'analyse épigraphique.
    Sur le terrain, par son sens du contact et sa patience dans le dialogue, il a obtenu nombre d'informations inédites à ce jour et a eu accès à des collections privées. Surtout, ses qualités de montagnard lui ont permis d'explorer systématiquement toutes les carrières et les ensembles miniers des secteurs de Saint-Béat, Marignac, Argut, Melles. Dans ce domaine-là aussi, la richesse de ses découvertes fait de son mémoire une référence en la matière.
    Le mémoire de M. Jean-Marc Fabre n'est cependant pas un simple catalogue, malgré sa richesse, encore une fois exceptionnelle pour un travail de ce type, en éléments inédits. M. Jean-Marc Fabre a su mettre en œuvre une réflexion scientifique et historique dont la solidité, la logique et la prudence comme la fermeté témoignent des qualités de chercheur de l'auteur. Il a en particulier tracé des perspectives de recherches sur les carrières, leur fonctionnement technique, leur rôle dans le développement économique, social et culturel du secteur étudié, perspectives que M. Jean-Marc Fabre va approfondir dans le cadre d'un sujet de thèse déposé à l'Université. Enfin, les conclusions que propose M. Jean-Marc Fabre dans sa synthèse sur l'occupation de la vallée, sur l'influence romaine, ses points d'impact et ses axes de pénétration, sur la probable persistance d'un mode de vie et d'une culture indigènes, sont à l'image de son travail : solides, mesurées, elles témoignent d'une réflexion originale fondée sur des données archéologiques nouvelles ou réévaluées. » 

    Une discussion s'engage alors sur la procédure adoptée pour le concours, puis reprend sur l'attribution des prix. Il est finalement décidé d'attribuer le prix de Clausade, doté de trois mille francs et accompagné d'une médaille d'argent, à Christian 


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Mange ; Pierre Magnères reçoit le prix spécial de la Société archéologique du Midi de la France, doté de deux mille francs. Mme Labrousse ayant proposé d'augmenter de mille francs le prix du Professeur Michel Labrousse, celui-ci est attribué conjointement à Marie-Paule Viguier et Jean-Marc Fabre, qui recevront donc chacun deux mille francs. Chacun de ces trois derniers prix sera accompagné d'une médaille de bronze de la Société.

    Le Président propose que l'on reprenne le débat sur l'organisation du concours lors d'une prochaine séance. Il donne alors la parole à M. Gabriel Manière pour sa communication sur Le site antique et historique de Marquefave :

    « Le site de Marquefave est riche en témoins archéologiques de toutes sortes. Il dénote, aussi bien sur la rive gauche que sur la rive droite de la Garonne, une occupation humaine qui va de la préhistoire aux époques de l'histoire médiévale et moderne. L'époque gallo-romaine y est représentée avec abondance.
    Les relations que nous a values la Société des Études du Comminges nous avaient permis de connaître et de fréquenter, dans les années 1955-1965, des chercheurs assidus de ces sites : pour la préhistoire, notre ami de Cazères Louis Méroc, Antoine de Gauléjac de Poucharramet et Pierre Lannes du Lherm, tous grands chercheurs de surface ; Gabriel Chapeau qu'attiraient les vestiges d'une villa gallo-romaine en partie située sous des terres de sa famille ; la famille Spettel du moulin historique d'Averanède dont le grand bassin de retenue est un important site gallo-romain et médiéval ; Paul Mesplé également attiré par les ruines de l'église romane de Saint-Hipolyte. Notre confrère l'abbé Georges Baccrabère a mentionné également dans son inventaire des habitats gallo-romains quelques trouvailles et observations de surface faites par Gérard Villeval.
    Je passerai donc en revue les sites que nous avons pu observer dans cet ensemble contigu à la Garonne qui comprend :

    - pour la préhistoire :

    sur la rive gauche toute la terrasse de dix mètres porte occupation du néolithique. Il a été recueilli des haches polies, palets disques, choppers, grattoirs divers, pesons de filets et autres outils taillés dans les quartzites fluviatiles. Sur la rive droite, de semblables récoltes sur les terrasses correspondantes.

    - pour le gallo-romain :

    sur la rive gauche, tout le site d'Averanède, bassin de retenue, abords des rives du ruisseau du Maraston, zone du cimetière de Marquefave et du Peyrou, terrains bordant le site de Saint-Hipolyte. Ces vestiges comportent des restes de constructions, de nombreux cubes de mosaïque (principalement dans le cimetière), des bassins avec aquaduction, des sols, des sépultures à incinération et en sarcophages. Un mobilier gallo-romain allant du Haut au Bas Empire, amphores, céramiques sigillées et communes, monnaies... Dans le bassin de retenue du moulin d'Averanède, tegulae, imbrices, fragments de meules, amphores dont certaines signées, éléments de construction... huîtres et coquillages (cf. notre publication dans les Mélanges offerts à Monsieur Michel Labrousse, Pallas, numéro hors série, 1986).
    Sur la rive droite, gisement de Las Peyros qui comporte un ensemble de constructions (substructions) gallo-romaines qui ont été partiellement détruites par des constructions récentes. Ces constructions sont entourées de terrains qui ont été retournés avec un engin mécanique laissant apparaître un sol émaillé de débris antiques : tessons de poteries communes et sigillées, céramique de Basse-Époque estampée dite « paléochrétienne » noire et rouge, amphores, tuiles diverses et débris de fers, clous...
    En continuant, vers l'amont, sur la première basse terrasse, de nombreux débris de tegulae et imbrices, briques, poterie commune qui laissent présager de l'existence d'officines de tuiliers-briquetiers...
    Tous ces gisements ont été malheureusement suivis au détecteur de métaux par un pilleur de gisement qui s'est vanté d'avoir fait récolte de monnaies et d'objets en bronze.

    - pour le médiéval :

    On retrouve de la poterie médiévale, des fosses, des silos sur toute la bordure du gisement du Peyrou et sur le site d'Averanède. Également dans les fouilles clandestines faites à l'intérieur du site de Saint-Hipolyte qui a été l'objet de recherches faites par des inconnus qui ont dispersé des sépultures.
    Sur la rive droite, il faut signaler le souvenir des Augustins de Marquefave dès le XIVe siècle, dont le couvent construit dangereusement au bord de la Garonne fut peu à peu sapé par celle-ci et disparut misérablement.
    Au site d'Averanède se rattache la mémoire d'une très ancienne église longtemps recherchée par notre regretté ami et confrère le général Ménard, Sainte-Marie d'Averanède qui se trouvait au bord du Maraston.
    Enfin le moulin lui-même, dont nous avons fait l'étude dans les Mélanges offerts à Monsieur Michel Labrousse, recèle des constructions importantes en briques qui s'apparentent chronologiquement par leur style aux constructions qui ont suivi la


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création de l'évêché de Rieux. Les Augustins de Marquefave, d'ailleurs, étaient co-propriétaires du moulin pour trois portions, la quatrième étant à M. d'Assézat, conseiller aux requêtes de la Cour, son fermier étant un nommé Dutour au XVIIe siècle.

    Y eut-il une voie romaine secondaire qui suivait la terrasse de dix mètres sur la rive gauche de la Garonne ? Tout le laisse supposer par la présence attestée de villae ou d'établissements qui sont nombreux à partir de Muret, Le Fauga...
    Cette voie fut aussi la route secondaire des pèlerinages médiévaux et historiques à laquelle se rattachent des sites religieux de pèlerinages locaux et des salvetats hospitalières.

    Ajoutons que le bénitier à lobes, dans l'église actuelle, serait celui de l'ancienne église de Saint-Hipolyte (XIIe siècle, classé M.H.). Par ailleurs, une brique qui se trouve au Musée des Augustins, à Toulouse, ornée d'un cheval et d'un coq dans un cercle, a été donnée à la Société Archéologique du Midi de la France le 30 janvier 1866 par M. de Montlaur ; elle a ensuite été cédée au musée au 1893 (inventaire, n° 104). »

    Le Président remercie M. Manière pour sa présentation détaillée du site antique de Marquefave et fait appel aux questions.

    Daniel Cazes signale un très beau morceau de sculpture antique qui provient de ce site ; il se trouve actuellement au Musée des Augustins où il a été longtemps considéré comme une œuvre du XVIe siècle. Du Mège a indiqué à plusieurs reprises qu'il avait été trouvé à Marquefave et il faudrait peut-être le mettre en relation avec la villa identifiée sur le site. M. Manière ajoute que, d'après Paul Mesplé, une brique médiévale provenant de Marquefave se trouvait également au Musée des Augustins.

    Le Président donne ensuite la parole à M. Louis Latour qui rend compte de la vérification des emprunts d'ouvrages de la bibliothèque qu'il a effectuée. Un courrier sera adressé aux membres qui ont emprunté des ouvrages depuis plus de trois mois (certains conservent des livres de bibliothèque depuis plusieurs années). M. Latour procédera désormais à une vérification des emprunts à la fin de chaque trimestre. M. Latour propose également de procéder chaque année à deux réunions pour décider d'une liste d'achat d'ouvrages pour la bibliothèque.

    Daniel Cazes présente ensuite la correspondance imprimée. Sont plus particulièrement signalés :

Bulletin de la Société de Borda, n° 424 (4e trimestre 1991) :
- Jean Marsean, Les anciennes cathédrales de Dax, p. 551-567 ;
- Jean-Pierre Suau, A la recherche de l'église Saint-Genès-des-vallées près de Mont-de-Marsan, p. 569-598. 

Tables générales des matières publiées dans la Revue de Comminges de 1981 à 1990 inclus, par Gabriel Manière et Jean Mano, supplément au t. CIV (1991) de la Revue de Comminges, 94 p.

    Maurice Scelles présente ensuite une photographie du chœur de l'église de Cornac (Lot) : l'abside est couverte de peintures murales qui vont être restaurées à la demande de la municipalité par Mme Sylvie Pontlevy. Il y a en fait deux décors superposés. L'un est un faux-appareil à traits rouges sur fond blanc, où apparaissent deux frises formées de rinceaux : il comprend des encadrements de baies dont les formes permettraient peut-être de préciser la date du décor. Disons pour l'instant qu'il s'agit d'un décor « médiéval ». Celui-ci a été recouvert au XVIIe siècle par un retable peint en trompe-l’œil, dont subsistent d'assez grands vestiges pour que l'on puisse l'imaginer dans tout son développement d'origine. Louis Peyrusse confirme que ces retables en trompe-l’œil du XVIIe siècle sont rares dans notre région. Cette abside pose un délicat problème de restauration : il faut absolument conserver les deux états en renonçant à sacrifier le plus récent au plus ancien, un traitement nuancé devant permettre de rendre lisibles les deux décors qui sont tous deux partie intégrante de l'histoire de l'édifice.

    Le général Delpoux indique que c'est ce choix qu'avait fait la COREPHAE de Montpellier en décidant de conserver les peintures du XVIe siècle mises au jour dans l'église de Caudeval (ces peintures représentaient en particulier des bâtiments en briques) : le maçon a préféré faire tomber l'enduit sur lequel elles se trouvaient, au nom de « l'unité de style » sans doute, et l'église n'a, de ce fait, pas été protégée.


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ÉGLISE DE CORNAC (LOT).
Vue du chœur avant la restauration des peintures murales.
Cliché Sylvie Pontlevy.

 

Séance publique du 4 avril 1992

Allocution du Président

« Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,

    Un des tristes devoirs du Président de la Société archéologique est de faire l'éloge, chaque année, au début de la séance publique, des membres de la Compagnie disparus au cours de l'année académique écoulée. Vous comprendrez donc la joie qui est la mienne de n'avoir pas à procéder, cette année, à ce pénible devoir, puisque nous n'avons à pleurer aucun disparu. Je consacrerai donc l'essentiel de ce rapport moral à vous informer d'une part des projets d'installation de la Société archéologique du Midi de la France et des cinq autres Académies dans les futurs bâtiments qu'on leur destine, d'autre part au résumé des travaux qui ont enrichi nos séances.

    Lors de la séance publique précédente, le 13 avril 1991, j'avais fait allusion aux négociations en cours entre les Académies, d'une part, et les représentants de la Ville et de la Fondation Bemberg, d'autre part, pour une équitable répartition des locaux de l'Hôtel d'Assézat entre les deux parties. Il était question alors de construire un immeuble dit " placard » dans l'arrière-cour de l'hôtel pour y installer certaines Académies, dont la Société archéologique. Entre cette date et la fin de l'année 1991, les bonnes volontés s'étant rassemblées, il a été possible de parvenir à un accord prenant en compte à la fois l'intérêt des deux parties et, ce qui n'est pas rien, l'intérêt de l'hôtel lui-même, qui, vous le savez, est classé Monument historique. Je ne vous ferai pas le récit détaillé des innombrables réunions, rencontres et discussions, parfois vives, qui ont permis d'aboutir à l'accord actuel, mais je voudrais saluer ici ceux qui ont pris beaucoup de leur temps, aussi bien du côté de la Ville, avec MM. Puel et Andrès, que du côté des six Académies avec M. Sermet, Président du Conseil d'Administration de l'Union des Six Académies et Sociétés savantes de l'Hôtel d’Assézat, pour aboutir à l'accord signé au mois de janvier dernier et dont voici les résultats.


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    Les bâtiments de l'hôtel s'ordonnent autour d'une grande cour appelée cour d'honneur. Celle-ci est fermée du côté droit par un mur mitoyen sur lequel court une galerie suspendue appelée coursière. À gauche du portail se trouve la loggia, surmontée d'un étage. Face à elle se déploie l'aile dans laquelle nous sommes en ce moment, de trois niveaux plus un comble, que l'on désigne du nom d'aile droite. Par un passage voûté situé à l'extrémité de celle-ci, on accède à l'arrière-cour qui est sur votre droite. En équerre par rapport à l'aile droite se développe l'aile gauche, de même hauteur que l'aile droite. Ces deux ailes tirent leur nom de leur situation par rapport au grand escalier, véritable point névralgique de l'hôtel, qui commande l'accès à toutes les salles. Celles-ci sont réparties de la façon suivante. Au rez-de-chaussée de l'aile droite se trouve la salle des conférences. Nous y sommes. Au premier étage, l'Académie des Jeux floraux occupe quatre pièces, dont un grand salon, et l'Académie des Sciences, Inscriptions et Belles-Lettres, un salon qu'elle utilise comme salle des séances. Au deuxième niveau, la Société archéologique occupe cinq pièces et la Société de Médecine une. Au rez-de-chaussée de l'aile gauche est logée l'Académie de Législation. Au premier étage, l'Académie des Sciences et la Société de Géographie ; au deuxième, le Musée de la Médecine. Enfin, l'étage au-dessus de la loggia est occupé par les 1200 ni de livres des Académies des Sciences et de Législation.

    L'accord auquel nous sommes parvenus va entraîner d'importantes modifications dans cette répartition, modifications qui ne sont rendues possibles que par l'acquisition de parcelles voisines. En effet, la Fondation Bemberg occupera dans l'aile droite l'arrière-salle des Jeux floraux, quatre des cinq salles de la Société archéologique et la salle de réunion de la Société de Médecine. Elle aura également la totalité de l'aile gauche, la loggia et l'étage qui la surmonte, et utilisera la coursière pour la circulation des visiteurs. La salle dans laquelle nous nous trouvons restera à l'usage exclusif des Académies. Au premier étage de l'aile droite, les Jeux floraux conserveront trois de leurs quatre salles et l'Académie des Sciences sa salle de réunion. Au deuxième étage de cette même aile, la Société archéologique gardera une salle seulement. Vous le constatez, la plus grande partie de l'Hôtel d'Assézat reviendra donc à la Fondation Bemberg. Je tiens à souligner ce fait car on a pu entendre ou lire ici ou là que les Académies se cramponnaient à l'Hôtel d'Assézat, faisaient de la résistance et pouvaient provoquer par leur attitude intransigeante l'échec de l'installation de la Fondation Bemberg. Vous constaterez avec moi qu'en matière d'intransigeance, on aurait pu faire mieux. En effet, l'Académie des Jeux floraux perd 1/4 de ses locaux, la Société archéologique et l'Académie des Sciences abandonnent les 4/5e des leurs, l'Académie de Législation, la Société de Médecine et la Société de Géographie la totalité de leurs salles. Cela, alors que fortes de leur droit établi par le testament inattaquable d'Ozenne, rien ne pouvait les contraindre à de si généreuses concessions.

    Il va de soi qu'une telle situation implique, outre une adaptation de l’Hôtel aux condition de sécurité nécessaires à l'accueil des œuvres d'art de la Fondation Bemberg, à un incontournable relogement des Académies. Une opportunité inespérée s'est offerte par l'abandon d'un projet d'installation de la Direction régionale des Affaires culturelles dans des immeubles jouxtant l'Hôtel d'Assézat. La Ville a donc profité de l'occasion pour songer à les acquérir afin d'y installer les Académies selon les termes du testament d'Ozenne, parfaitement et gratuitement.

    Lorsque l'acquisition aura été réalisée, les bâtiments seront remodelés pour compter quatre étages qui permettront de placer au rez-de-chaussée le logement et la loge du concierge ainsi que le secrétariat de la Société de Géographie, au premier étage l'Académie de Législation et la Société de Médecine, au deuxième, l'Académie des Sciences, au troisième la Société archéologique.

    Cette réinstallation dans des locaux neufs est considérée par plusieurs Académies, dont la Société archéologique, comme une formidable occasion de modernisation. Quoi qu'on en pense, les Académies sont vivantes. Toutes les Académies de l'Hôtel d'Assézat publient chaque année des bulletins ou mémoires de haute tenue, parmi lesquels nos Mémoires figurent à la place d'honneur. La Société de Géographie remplit tous les quinze jours cette salle en donnant des conférences suivies et appréciées des Toulousains, l'Académie des Jeux floraux donne ici même chaque année huit ou neuf conférences confiées à d'éminents spécialistes français ou étrangers. Songez que l'Académie des Sciences et la Société archéologique possèdent à elles seules environ 1800 ni de rayonnages de bibliothèques, que la Société archéologique correspond et échange des revues scientifiques avec plus d'une centaine de sociétés savantes françaises et trente sociétés savantes étrangères, que l'on trouve dans nos rayons des ouvrages ou des séries de revues complètes qui n'existent nulle part ailleurs à Toulouse. Tous ces trésors, nous voulons les ouvrir a la consultation. Notre but est de redonner vie à l'Hôtel d'Assézat, aux côtés de la nouvelle Fondation, d'en faire un pôle d'activité culturelle largement ouvert et abondamment fréquenté. Et j'affirme ici que dans la recherche des solutions nouvelles et modernes, dans la volonté d'ouvrir l'Hôtel d'Assézat, la Société archéologique, avec l'Académie des Sciences, se trouve en pointe.

Mais, pour que tout cela se concrétise, il faut que la Ville en fournisse les moyens, ce à quoi l'oblige d'ailleurs le testament d'Ozenne. J'en rappelle les termes : L'Hôtel situé à Toulouse, place d'Assézat... qui devra s'appeler l'hôtel d'Assézat et de Clémence Isaure, appartiendra... à la ville de Toulouse, mais à la condition formelle qu'il lui sera donné la destination suivante, le tout sous peine de révocation du dit legs relatif au dit hôtel. Les sociétés savantes devront y être parfaitement et gratuitement installées. Chacune d'elles devra y trouver les locaux né-


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cessaires pour ses réunions et archives... La ville sera expressément tenue de faire, à ses frais, tous les travaux, modifications et améliorations nécessaires à cette installation. On ne peut être plus clair. Nous avons fait confiance à la Ville en offrant une large place à nos côtés à la Fondation Bemberg. Nous espérons que cette confiance ne sera pas trahie.

    Il faut donc envisager, et c'est un minimum, une salle de lecture pour la consultation, un rangement approprié des bibliothèques et surtout l'informatisation et l'harmonisation des fichiers des six bibliothèques des Académies, notre intention étant à terme de connecter les bibliothèques des Académies au réseau des bibliothèques de Toulouse. Nous pensons aussi à d'éventuelles consultations par Minitel ou par réseau Numéris, et même à la consultation des images par le système vidéodisque. Déjà, la Société archéologique a acquis un ordinateur destiné à informatiser le fichier de sa bibliothèque.

    Nous avons envie et nous éprouvons le besoin d'être mieux connus et appréciés à notre juste valeur. Lorsqu'on rencontre les membres de nos Académies sur leur lieu de travail ou dans leur occupation professionnelle, ils sont considérés comme de grands spécialistes, on les traite avec respect et déférence. Je voudrais que l'on m'explique par quel miracle ils deviennent brusquement des dinosaures, fossiles, « vieux croûtons » ou autres gracieusetés dès qu'on les retrouve dans une Académie ! Allons ! Un peu de sérieux et d'objectivité s'il vous plaît ! Nous avons des ambitions, nous avons les gens capables de répondre à ces ambitions, mais il nous manque les moyens. Nous attendons de ceux qui doivent les fournir qu'ils se placent à la hauteur de nos ambitions. La balle est dans leur camp.

    J'ajouterai pour terminer ce plaidoyer que la Société archéologique a de son côté joué un rôle essentiel dans l'histoire culturelle de la ville de Toulouse depuis plus d'un siècle. Qui sait que bien des chefs-d’œuvre des Musées toulousains ne sont là que parce que la Société archéologique les a découverts, protégés, conservés, achetés pour la Ville ou à elle donnés ? Qui sait que bien des gravures du Musée Paul-Dupuy sont nôtres, que les bustes de Martres aujourd'hui au Musée Saint-Raymond ont été acquis pour la Ville par la Société archéologique, que les collections romanes et gothiques du Musée des Augustins ont été trouvées et recueillies, sauvées de la destruction et étudiées par des membres de la Société archéologique ? Non, rien ne nous fera croire que nous sommes de quelque manière que ce soit les débiteurs de quiconque. Au contraire ! Et ce rôle culturel qui fut celui de la Société archéologique, nous le revendiquons aujourd'hui encore car nous sommes en mesure de l'assumer.

    La preuve peut en être apportée par les travaux que nous menons régulièrement au cours de nos séances et dont vous pouvez lire les résultats en consultant le Bulletin et les Mémoires que nous publions chaque année. Le volume LI de nos Mémoires, dans lequel est inséré le Bulletin, compte cette année 288 pages d'une graphie serrée. Il a été publié dans les délais et nous avons même rattrapé le retard de publication qui existait depuis plusieurs décennies dans les parutions. Ce travail suppose de la part de ceux qui s'en occupent une abnégation et un dévouement hors du commun en même temps qu'une forte dose de patience. Le travail que nous faisons est un travail d'équipe et ce n'est pas le Bureau seul qui réalise ce travail. Il est aidé, soutenu, suppléé parfois par quelques membres particulièrement actifs et efficaces qui consacrent bénévolement des heures et des heures à ces tâches obscures et pourtant essentielles. Je me dois de citer leurs noms, leur modestie dut-elle en souffrir. Ainsi Mme Cazes et M. Cabau pour leur rôle dans la publication des Mémoires, M. Latour pour les permanences de bibliothèque et les relations avec la presse, M. Péaud-Lenoël pour les questions de diffusion et publicité.

    Je tiens à les remercier publiquement et à leur dire que leur action porte ses fruits. J'en ai eu un très réconfortant témoignage ce matin même, où une personne de qualité, érudit reconnu, m'a téléphoné de Paris pour féliciter à travers votre serviteur la Société archéologique et pour demander s'il lui serait possible de publier un article dans nos Mémoires. C'est la plus belle des récompenses que nous puissions souhaiter.

    Depuis l'an dernier, nous avons entendu treize communications, bien que deux séances complètes aient été consacrées aux problèmes de réinstallation dans l'Hôtel d'Assézat que j'évoquais tout à l'heure. Je n'en ferai pas les résumés pour deux raisons, la première afin de ne pas abuser de votre temps, la deuxième parce que vous pourrez les lire dans le Bulletin que M. Scelles rédige avec un soin exemplaire.

    Bien des communications ont été consacrées à Toulouse. M. l'abbé Baccrabère nous a parlé des puits et fosses funéraires à Toulouse du Ier siècle avant notre ère au IVe siècle ap. J.-C., M. Cabau de deux évêques du nom de Pierre Roger au XIe siècle, M. Prin des conséquences du tremblement de terre de 1427-1428 sur les bâtiments du couvent des Jacobins, M. Gilles de l'histoire des bâtiments de la Faculté de Droit du XVIe siècle à nos jours, M. Julien des stalles de la cathédrale Saint-Étienne et M. Tollon des vestibules des hôtels toulousains et de leur évolution vers la monumentalité au XVIIe siècle.

    Pour autant, la région et ses proches abords n'ont pas été oubliés. M. Boudet nous a informés des découvertes récentes sur l'oppidum d'Agen et la tombe à char celtique de Boé, et M. Manière des découvertes et apports archéologiques du site antique de Marquefave ; Mlle Rousset nous a fait découvrir la borie de Savanac dans le Lot, Mme Noé-Dufour le château des abbés de


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Beaulieu à Pervinquières dans le Tarn-et-Garonne, M. Ahlsell de Toulza nous a entretenus du retable d'albâtre de la chapelle d'axe du chœur de N.-D. de Rabastens, le général Delpoux des découvertes archéologiques et des gypseries du château de Caudeval dans l'Aude, et M. Gérard de l'histoire et des monuments de Mondant. Tous ces travaux seront publiés, soit intégralement dans les futurs Mémoires, soit sous forme de résumés étoffés dans le prochain Bulletin.

    Enfin, pour terminer, nous allons maintenant procéder à la remise des prix traditionnels de la Société archéologique du Midi de la France et je passe pour cela la parole à M. Coppolani, auquel a été confié cette année le soin de faire le rapport général sur le concours. »

   Rapport général sur le concours, par M. Coppolani

    Le prix de Clausade, doté de 3000 F et accompagné d'une médaille d'argent, est remis à M. Christian Mange. M. Pierre Magnères reçoit le prix spécial de la Société archéologique du Midi de la France, Mlle Marie-Paule Viguier et M. Jean-Marc Fabre le prix du Professeur Michel Labrousse, ces trois prix étant accompagnés d'une médaille de bronze.

    « C'est maintenant que s'ouvre la dernière partie de notre séance avec la conférence publique. Elle a été demandée cette année à Mme Marie-Geneviève Colin, membre de notre Société, archéologue chevronnée, Conservateur du Patrimoine au Service régional de l'Archéologie après avoir été Directeur des Antiquités historiques de la Région Midi-Pyrénées de 1988 à 1991. Elle va nous parler d'un sujet qu'elle connaît parfaitement : celui des découvertes archéologiques faites dans notre région entre 1988 à 1991 et concernant la période qui s'étend du XIe au XIXe siècle. Cette conférence fait suite à celle qu'elle a donnée au mois de novembre dernier au Musée Saint-Raymond et qui portait sur les fouilles concernant l'Antiquité et le haut Moyen-Âge. »

    Conférence de Madame Marie-Geneviève Colin : Du XIe au XXe siècle : découvertes archéologiques en Midi-Pyrénées. 1988-1991.

 

Séance du 7 avril 1992

Présents : MM. Pradalier, Président, Ahlsell de Toulza, Trésorier, Fouet, Bibliothécaire-archiviste, Scelles, Secrétaire-adjoint ; Mmes Labrousse, Noé-Dufour, MM. Fabre, Latour, le Père Montagnes, Peyrusse, Péaud-Lenoël, Prin, de Viviès, Vézian.
Excusés : Mmes Cazes, Rousset, MM. Cazes, Secrétaire général, le général Delpoux, Ginesty.

    Le Président ouvre la séance et donne la parole au Secrétaire-adjoint pour la lecture des procès-verbaux des deux dernières séances, qui sont adoptés.

    Mme Noé-Dufour indique que lors de la dernière COREPHAE a été évoqué le problème posé par la conservation des objets dans les édifices religieux ; les conservateurs des A.O.A. sont chargés de l'inventaire des objets protégés au titre des Monuments historiques. À ce propos, M. Péaud-Lenoël rappelle que la loi de séparation de l'Église et de l'État a réparti les responsabilités : si les objets appartiennent à la commune, le clergé qui en est l'affectataire a la charge de leur entretien. Par ailleurs, on sait que nombre d'objets et d'archives sont conservées chez les curés des paroisses, sans qu'un inventaire précis en soit connu.

    Le Président donne alors la parole à Bruno Tollon qui nous présente La « Vis de Toulouze » revisitée, communication, publiée dans ce volume des Mémoires.

    Le Président remercie Bruno Tollon pour cette visite nouvelle, et pour certains première visite, de la « Vis de Toulouse », à travers laquelle se perçoit bien toute l'importance de la stéréotomie méridionale. En règle générale, comment se justifient des réalisations aussi complexes ? Pour Bruno Tollon, il s'agit de réaliser des chefs-d’œuvre, fréquemment pour des parties d'édifices qui ne nécessiteraient pas l'emploi de la précision apportée par la stéréotomie ; l'art du trait trouve son expression dans les trompes, les voûtes surbaissées, tandis que le berceau et la coupole n'intéressent pas le stéréotomiste ; la voûte suspendue est le chef-d’œuvre insurpassé. En pays de brique, la pierre et la stéréotomie apparaissent en des endroits très précis : par exemple, à l'hôtel d'Ulmo à Toulouse, pour un cabinet d'angle en tour ronde sur trompe, et pour élargir, à l'aide de deux trompes, le passage placé derrière le mur-écran ; ces exemples montrent bien le caractère gratuit de ces morceaux d'architecture. Dans l'art flamboyant, les chefs-d’œuvre d'appareilleur sont nombreux : leur étude serait à reprendre. À propos de la stéréotomie, Jean-Marie Pérouse de Montclos a pu parler d'une « passion française ».


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    Le Président voudrait savoir si la stéréotomie est également employée au XVIe siècle dans des édifices du nord de la France, dans les châteaux de la Loire par exemple. Bruno Tollon précise que même les plus grands édifices ne présentent aucune difficulté technique comparable à celles que se proposent les ouvrages de stéréotomie.
    M. Péaud-Lenoël souligne à quel point la vis de Toulouse était remarquable et explique, dessins à l'appui, comment elle avait nécessité l'introduction d'une géométrie tout à fait extraordinaire, chaque rangée de pierres ayant une découpe particulière. Bruno Tollon précise que le seul texte détaillé conservé est assez clair pour montrer que le tracé d'une volée, soit le quart d'une révolution, devait être ensuite répété à l'identique ; mais le maître-maçon chargé de l'exécution, Sébastien Bouguereau, n'a pas compris les tracés qui lui avaient été indiqués.
    Le Président demande si Ferdinand de Guilhermy a donné une description de la vis des archives. Bruno Tollon n'a pas encore consulté ce texte.
    Guy Ahlsell de Toulza évoque l'escalier suspendu de l'évêché de Castres, qui date de la fin du XVIIe siècle. Bruno Tollon ajoute que l'on pourrait également faire référence aux escaliers de Montpellier, mais il s'agit d'escaliers à une seule révolution dont les voûtes s'appuient l'une sur l'autre ; Castres serait plutôt à rattacher à l'aire d'influence de Montpellier.
    Guy Ahlsell de Toulza s'étonne qu'un ouvrage aussi connu et apprécié que l'était la tour de la vis ait pu être démoli. Bruno Tollon indique que cet emplacement avait fait l'objet de toute une série de projets d'aménagement, dont un projet immobilier, qui faisaient pièce au projet de Viollet-Le-Duc ; de plus, la tour de la vis était en mauvais état, ce qui était également le cas de la tour de archives, mais celle-ci était plus spectaculaire et fut donc restaurée. M. Prin rappelle que les deux tours des archives et de la vis avaient fait l'objet de projets de démontage et de déplacement.

 Séance du 28 avril 1992

Présents : MM. Pradalier, Président, Coppolani, Directeur, Fouet, Bibliothécaire-archiviste, Cazes, Secrétaire général, Scelles, Secrétaire-adjoint ; Mme Labrousse, MM. Cabau, le général Delpoux, Gillis, Julien, l'abbé Rocacher.
Excusé : M. Manière.

   La séance se tient au Musée Saint-Raymond, inauguré le 24 avril 1892 et qui fête donc cette année son centenaire. Daniel Cazes, conservateur du Musée, présente l'histoire de l'édifice depuis la fin du XVIIIe siècle, telle que la font connaître de nombreux dessins et photographies restés souvent inédits et qui permettent de préciser bien des aspects des bâtiments de l'ancien collège élevés à partir de 1523 (catalogue de l'exposition : Le Musée Saint-Raymond. 1892-1992, Toulouse : Musée Saint-Raymond, 1992, 55 p.).

   Le Président remercie Daniel Cazes de cette présentation où nombre de documents n'étaient pas connus ; à propos de la série de plans du XIXe siècle, il ne croit pas que l'écriture était celle de Viollet-Le-Duc, sauf peut-être pour 

TOULOUSE. MUSÉE SAINT-RAYMOND AVANT LA RESTAURATION. Cliché Eugène Trutat, Museum d'Histoire naturelle, plaque de verre n° 108.


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quelques lignes mais cela demanderait à être vérifié. Quant au crénelage, était-il bien de 1523 ou bien était-ce une surélévation ? Daniel Cazes indique qu'il était probablement d'origine et correspondait aux chéneaux encastrés et aux gargouilles ; ce système d'écoulement des eaux de toiture posant de graves problèmes lors des violents orages fréquents à Toulouse, qui provoquaient des débordements vers l'intérieur du bâtiment, on lui substitua la forme habituelle d'un toit débordant ; en restituant chéneaux encastrés et merlons, Viollet-Le-Duc a bien interprété les vestiges qu'il avait retrouvés, mais a commis la même erreur que Louis Privat au XVIe siècle, cette forme de toiture n'étant pas adaptée au climat toulousain. Pascal Julien indique que c'est le problème qui se pose actuellement à l'hôtel de Pierre, où les chéneaux encastrés sont bouchés et provoquent des ruissellements sur la façade ; il souligne la menace que cela représente pour le décor sculpté tandis que des fragments de corniche s'effondrent déjà.
    Daniel Cazes fait ensuite visiter l'édifice aux membres de la Société. Il leur fait remarquer les nombreuses reprises dont les plafonds gardent les traces et qui deviennent parfaitement claires avec les documents qu'il a présentés. Dans les caves, Daniel et Quitterie Cazes présentent les sondages archéologiques qui ont été effectués en vue de l'aménagement projeté. Dans la cave est sont apparus les fondations très profondes du XVIe siècle et des vestiges d'un mur avec contrefort qui devait appartenir à une chapelle antérieure à la chapelle Saint-Raymond ; sur le mur est, un arc ouvre un espace pris sous la rue qui serait un abri aménagé en 1941 par le conservateur du Musée, E. H. Guitard. Dans la cave ouest, un vestige d'arc conservé dans la base du mur de refend du XVIe siècle appartient à un édifice médiéval. Ces deux sondages ont livré des sépultures en pleine terre et en sarcophages de pierre non sculptés de la nécropole de Saint-Sernin et de nombreuses monnaies d'époque constantinienne.
    La visite se poursuit dans les combles où subsistent des vestiges des chéneaux de pierre, puis à l'extérieur où l'on remarque plus particulièrement, sur l'élévation est, les traces d'arrachement de la voûte de la chapelle Saint-Raymond.

 

Séance du 5 mai 1992

Présents : MM. Pradalier, Président, Coppolani, Directeur, Ahlsell de Toulza, Trésorier, Fouet, Bibliothécaire-archiviste ; Mme Cazes, MM. l'abbé Baccrabère, Hermet, Julien, Latour, Manière, Péaud-Lenoël.
Excusés : MM. Cazes, Secrétaire général, Scelles, Secrétaire-adjoint, Cabau, le général Delpoux.

    Le Président annonce le décès de M. Bernard Calley, Architecte des Bâtiments de France et membre de notre Société.
    Le Secrétaire-adjoint étant absent, le Président donne lecture des procès-verbaux des séances des 7 et 28 avril derniers, qui sont adoptés après quelques additions.

    Le Président donne alors la parole à M. l'abbé Baccrabère pour sa communication sur Les fouilles de Léon Joulin à la caserne Niel (1903), qui sera publiée dans ce volume de nos Mémoires.

    Le Président félicite M. l'abbé Baccrabère de ce patient travail d'inventaire. M. Fouet insiste sur le caractère très sommaire des travaux de Léon Joulin et rappelle que celui-ci procédait par tranchées distantes de cinquante mètres ; selon lui, le matériel et les observations de Joulin sont de ce fait inexploitables. Il est fait remarquer que c'était là une méthode de fouille assez habituelle au XIXe siècle. Pour l'abbé Baccrabère, quelles que soient les réserves qu'impliquent ces travaux, il était nécessaire d'étudier ce matériel et de le mettre à la disposition des chercheurs ; l'inventaire qu'il en a fait n'a pas d'autre but et il faut se garder d'en tirer des conclusions.
    M. Fouet indique qu'en compagnie de M. Soutou, il a lui-même fouillé sur le site de la caserne Niel, et examiné le contenu de certaines caisses. Il ajoute que les archives de Joulin sont aujourd'hui à Blois ou à Tours, dans sa famille, dans la Bibliothèque ou au Musée. M. l'abbé Baccrabère indique qu'il a trouvé aux Archives du Tarn (J 60 et J 90) des notes d'Edmond Cabié, des 27 mai et 13 juin 1902, qui expriment des doutes sur la minutie des fouilles de Joulin, relevant qu'une partie du matériel n'est pas lavée et que des objets auraient disparu du fait des responsables du chantier et des ouvriers...

 

Séance du 19 mai 1992

Présents : MM. Pradalier, Président, Coppolani, Directeur, Ahlsell de Toulza, Trésorier, Fouet, Bibliothécaire-archiviste, Cazes, Secrétaire général, Scelles, Secrétaire-adjoint ; Mmes Cazes, Noé-Dufour, MM. Bernet, Cabau, Catalo, Lapart, Latour, Péaud-Lenoël, Peyrusse, Prin.
Excusés : Mmes Labrousse, Rousset, M. Manière.


M.S.A.M.F., T. LII, page 169

    Le Président donne la parole au Secrétaire général pour la présentation de la correspondance imprimée. Parmi les publications reçues, il faut plus particulièrement signaler :

Bulletin Monumental, t. 150 (1992), p. 86-87 :
- Compte rendu par Jacques Thirion du livre de Robert Saint-Jean : Saint-Guilhem-le-Désert. La sculpture du cloître de l'abbaye de Gellone, Montpellier : Association des Amis de Saint-Guilhem-le-Désert, 1990, 151 p. ;

Revue de Comminges, t. CVII (1992) :
- Sylvie Decottignies, Les peintures murales de l'église de Montbrun-Bocage, p. 25-40 ;
- Gabriel Manière, La vie de la Garonne : au sujet des moulins à nef, p. 77-79 ;
- Robert Foch, Notes sur les faïenciers de Marignac-Laspeyres et de Martres au XVIIIe siècle, p. 89-99.

L'Auta, n° 575, avril 1992 :
- Michèle Eclache, Que fait-on à Saint-Sernin ?, p. 114-116.

    Le Président annonce que la prochaine journée de Saint-Michel de Cuxa organisée par l'Académie des Arts et Sciences de Carcassonne et qui se tiendra le 13 juin, sera consacrée aux publications des sociétés savantes et leur diffusion. Comme l'année dernière, le Président et M. Péaud-Lenoël se rendront à cette rencontre ; ils emporteront quelques volumes de nos Mémoires pour la présentation des publications qui aura lieu le matin.

    Le Président donne ensuite la parole à M. Lapart pour sa communication sur la Découverte dans le Gers de nouvelles têtes funéraires gallo-romaines en marbre des Pyrénées, qui sera publiée dans le tome LIII (1993) de nos Mémoires.

    Le Président remercie Jacques Lapart en remarquant que les questions posées par sa conclusion sont celles-là même qui lui brûlaient la langue. Avant de laisser la parole aux spécialistes de cette période qui auront sans doute d'autres remarques à formuler, il demande s'il ne conviendrait pas de récompenser d'une manière ou d'une autre les propriétaires dont l'intérêt attentif est à l'origine de ces trouvailles, afin de sensibiliser la population et faire que ces découvertes soient mieux connues ; ce « prix », qui pourrait être matérialisé par une médaille de la Société archéologique, pourrait être attribué à n'importe quel moment de l'année. Guy Ahlsell de Toulza remarque que tout aussi importante est la question de la conservation de ces découvertes fortuites. M. Lapart rappelle que la loi en laisse la propriété au propriétaire du terrain. Il pense que si le but doit bien être de faire entrer ces objets dans des collections publiques, il faut compter sur une approche prudente et sur le temps ; il signale que le togatus a finalement été donné à la Mairie du village et qu'un bel autel inscrit, d'ailleurs présenté l'an dernier à notre Société, vient d'être offert au musée d'Auch. Guy Ahlsell de Toulza se demande si une exposition temporaire qui ferait mieux connaître ces œuvres ne serait pas aussi une occasion d'en favoriser le dépôt. Pour Jacques Lapart, une exposition suppose un conservateur...
    Guy Ahlsell de Toulza est surpris par le fait que ces découvertes comprennent de très nombreuses têtes et très peu de corps. Jacques Lapart pense qu'il devait exister plusieurs têtes pour un corps, un nouvelle tête étant mise pour le dernier défunt ; en outre, on peut penser que l'on a plus souvent conservé les têtes en marbre tandis que les corps, fréquemment en calcaire, étaient remployés comme matériaux, mais un inventaire complet ferait sans doute apparaître d'assez nombreux vestiges de corps.
    M. Fouet observe que les têtes sont des portraits, tandis que les corps étaient fabriqués en série. Il indique qu'il a une étude en cours sur les monuments funéraires du Comminges et qu'il a pu noter des tombeaux à incinération présentant une niche où des encoches étaient destinées à recevoir des bras et une tête ; en outre, il a pu relever la présence d'enclos funéraires autour des piles. Le Président demande à M. Fouet s'il a des informations sur le buste que possède notre Société. M. Fouet répond qu'il a effectivement retrouvé le texte relatant la trouvaille, ce qui fera l'objet d'une prochaine communication devant la Société ; il n'a plus ce texte en tête, mais il croit se rappeler qu'il proviendrait peut-être du Comminges.
    Pour M. Lapart, il est difficile d'avoir une idée d'ensemble de ces sculptures, alors même que la thèse de Bramer n'a jamais été publiée.
    M. Catalo demande si à la lumière des prospections aériennes plus nombreuses qu'ailleurs, il est possible d'établir des liaisons topographiques entre les piles, les têtes découvertes et les villae. M. Lapart rappelle que c'est là le but des cartes qui localisent chaque œuvre. On ne peut établir de liaison entre les piles et les têtes découvertes, ce qui laisse entendre qu'il existait d'autres types de monuments, comme le pense M. Fouet. La Direction des Antiquités Historiques a d'ailleurs un projet d'étude d'ensemble.
    Daniel Cazes souligne que l'attribution à des monuments funéraires doit être discutée. En effet, la statuomanie romaine est loin d'être seulement funéraire et il est toujours curieux de voir des archéologues considérer qu'ils ont affaire à des sculptures funéraires lorsque les têtes présentent un bouchon d'encastrement. Ce bouchon est aussi fréquent pour des portraits impériaux ou des portraits d'ancêtres. Seule la proximité immédiate d'un site funéraire permet de parler de sculpture funéraire. Par ailleurs, il


M.S.A.M.F., T. LII, page 170

faut remarquer que les portraits qui nous ont été présentés sont de deux types assez différents, certains étant plus proches des portraits impériaux, d'autres plus proches de portraits privés, ce qui n'est pas sans conséquence sur la datation des œuvres. Il faut se rappeler que l'on a repris des types du Ier siècle au cours de la deuxième moitié du IIIe siècle. Jacques Lapart convient que l'habitude de qualifier ces portraits de funéraires est regrettable. Pour sa part, lorsqu'une découverte se présente, il porte l'enquête sur les sites environnants, et les cartes montrent d'ailleurs bien que les têtes les plus nombreuses ont été trouvées à proximité de sites importants. Il ajoute que la tendance est de dater ces œuvres en fonction des datations des portraits impériaux, ce qui donne dans certains cas des résultats étonnants. Pour Daniel Cazes, il faut être d'autant plus prudent que les copies peuvent être nombreuses, comme le soulignait Louis Peyrusse. M. Fouet donne l'exemple, pour le Comminges, des nombreuses effigies qui reprennent avec des variantes le portrait de Trajan, ces têtes se trouvant toutes, dans ce cas, dans des contextes funéraires.
    M. Lapart note qu'il faut remarquer que la répartition des découvertes de portraits romains dans le Gers montre une relative pauvreté de la partie est du département, même aux environs de la cité d'Eauze, et se demande ce qu'il faut en penser. Pour M. Fouet, ce fait pourrait être mis en relation avec l'aire de diffusion du marbre de Saint-Béat. À propos des piles et monuments funéraires, M. Fouet indique qu'ils étaient souvent situés en limite de domaine. Daniel Cazes souligne l'aspect très original du monument qui nous a été présenté et remarque que la niche se trouvait placée très haut, alors qu'elle se situe habituellement dans les monuments romains à trois mètres environ. M. Lapart ajoute que l'on connaît d'autres monuments dont les niches sont très hautes. Pour M. Latour, la grande hauteur de ces monuments pourrait être mise en relation avec leur implantation en limite de domaine.

    Le Président donne ensuite la parole à Maurice Scelles pour une information à l'occasion de travaux projetés à la cathédrale de Cahors.

    « Le projet de restauration du portail nord de la cathédrale Saint-Étienne de Cahors a donné l'occasion d'examiner de plus près le trumeau et les linteaux actuellement en place. Rappelons tout d'abord que la restauration de 1908 a fait disparaître les deux arcs qui avaient été établis pour renforcer le portail, vraisemblablement mis en péril par l'instabilité du terrain ; ces deux arcs présentaient des gorges ornées de têtes de clous et de fruits grenus qui permettent de dater « cette consolidation de la fin du XIIe ou du début du XIIIe siècle au plus tard » (Marcel Durliat, La cathédrale Saint-Étienne de Cahors. Architecture et sculpture, dans Bulletin Monumental, t. 137, 1979, p. 317, fig. 21-22). Le trumeau et les linteaux étant nécessairement antérieurs à cette consolidation, il faut sans doute admettre qu'ils appartiennent au premier état du portail, daté des années 1140 (M. Durliat, op. cit., p. 325, 331).
    Les deux linteaux sont nus ; ils portent de chaque côté sur un chapiteau à décor végétal, sans qu'apparaisse aucune trace de reprise ; leur angle inférieur est abattu par un chanfrein qui s'interrompt au droit du coussinet, aujourd'hui mutilé, sur lequel ils reposent. Le coussinet surmonte le trumeau en calcaire froid, monolithe, formé de quatre colonnes à chapiteaux lisses, adossées à un pilier de section carrée placé sur l'angle, les faces présentant de ce fait cet aspect caractéristique d'une arête vive entre deux tores. La base du trumeau est dégradée mais un peu d'attention permet d'y distinguer quelques traces de la mouluration d'origine. Il repose sur l'assise en calcaire du seuil, également très ruinée, mais dont les vestiges sont bien identifiables sur les piédroits. »

    Un membre de la Société ajoute alors que la restauration du portail sud de la cathédrale de Cahors vient de s'achever. Le résultat est malheureusement très décevant. Le calcaire neuf qui a été employé ressemble au grès dit « de Figeac ». Or les constructions médiévales de Cahors se caractérisent par un emploi très précis des matériaux, le calcaire froid dit de Cahors constituant les piédroits ou piliers des arcades, le grès étant le matériau des claveaux des arcs des portails. Les méchantes patines qui ont été appliquées sur la pierre pour différencier les parties ne parviennent pas à dissiper le malaise. Mais le plus grave est sans doute que la restauration a fait disparaître l'un des blocs romains, en grès, ornés de rinceaux, qui avaient été remployés à l'époque romane : les deux qui subsistent forment les sommiers du premier ressaut, le troisième, remplacé par un grand bloc de calcaire, en formait le premier claveau de gauche.

 

Séance du 4 juin 1992

Présents : MM. Pradalier, Président, Coppolani, Directeur, Fouet, Bibliothécaire-Archiviste, Ahlsell de Toulza, Trésorier, Scelles, Secrétaire-adjoint ; Mmes Cazes, Noé-Dufour, MM. Cabau, Catalo, le général Delpoux, Fabre, Gérard, Gillis, Latour, le Père Montagnes, Péaud-Lenoël, Peyrusse.
Excusés : M. Cazes, Secrétaire général, Mme Rousset, M. Manière.


M.S.A.M.F., T. LII, page 171

CAHORS. CATHÉDRALE SAINT-ÉTIENNE, PORTAIL NORD.
Vue d'ensemble en 1991.
Cliché Christian Soula, Inventaire général/SPADEM.


M.S.A.M.F., T. LII, page 172

CAHORS. CATHÉDRALE SAINT-ÉTIENNE, PORTAIL NORD.
Détail de la base du piédroit de gauche.
Cliché Maurice Scelles.

CAHORS. CATHÉDRALE SAINT-ÉTIENNE, PORTAIL NORD.
Détail du trumeau.
Cliché Maurice Scelles.

CAHORS. CATHÉDRALE SAINT-ÉTIENNE, PORTAIL SUD.
Bloc sculpté romain remployé.
Cliché Maurice Scelles.


M.S.A.M.F., T. LII, page173

CAHORS. CATHÉDRALE SAINT-ÉTIENNE, PORTAIL SUD.
État en 1992.
Cliché Maurice Scelles.


M.S.A.M.F., T. LII, page 174

    Le Président donne la parole au Secrétaire-adjoint pour la lecture des procès-verbaux des deux dernières séances ; M. Fouet apporte quelques corrections à celui du 5 mai et les deux procès verbaux sont adoptés. Le Président remercie le Secrétaire-adjoint pour ces comptes rendus très complets.
    En demandant que l'on excuse Daniel Cazes retenu au dernier moment, Maurice Scelles signale rapidement les publications reçues.

    Le Président donne ensuite la parole à M. Pierre Gérard pour la communication du jour : L'église de Grenade-sur-Garonne : son mobilier d'après les inventaires du XVIIe siècle à nos jours. Après avoir rappelé qu'il fait cette recherche dans le cadre d'un travail sur les églises de la Haute-Garonne, que dirige M. l'abbé Rocacher, M. Gérard insiste sur le mauvais état de l'église de Grenade et fait circuler des photographies qui en témoignent ; il rappelle que des œuvres tout à fait importantes provenant de Grandselve se trouvent actuellement dans l'église de Grenade.

    Le Président remercie M. Gérard pour cet exposé très clair qui, évoquant le mobilier nombreux que possédait l'église de Grenade, fait regretter qu'il n'en subsiste plus qu'une Vierge du XVIe siècle. Il voudrait en outre savoir si la statue de la Vierge qui se trouvait dans la chapelle de la Purification était représentée avec l'Enfant. M. Gérard répond que le texte de l'inventaire ne le précise pas. Le Président remarque le très grand nombre des vocables des chapelles, le double vocable s'expliquant sans doute par l'ajout au vocable d'origine de celui d'une confrérie, comme le croit également M. Gérard. Cette multiplication des vocables montrent bien l'éclatement du culte.
    Guy Ahlsell de Toulza demande s'il est possible de préciser ce qu'étaient ces piliers « du montement », qui, en outre, faisaient l'objet de la vénération des fidèles ; ils devaient sans doute servir à élever une statue de la Vierge le jour de la fête de l'Assomption, mais comment se présentaient-ils ? M. Gérard indique que les textes parlent de « piliers » ou de «pilastres», ce qui fait supposer qu'ils étaient adossés. Le Président demande si l'on en connaît le matériau. M. Gérard pense qu'ils étaient probablement maçonnés. Guy Ahlsell de Toulza fait observer que le « montement » suppose un niveau supérieur permettant de poser une statue.
    En relevant que l'Archevêque s'insurge contre les vêtements déposés dans la chapelle de Notre-Dame de Pitié, M. Fouet se demande si ce genre d'ex-voto est connu ailleurs. Le Père Montagnes voudrait savoir ce qu'il faut entendre lorsque les textes font état de la « table du Purgatoire » ou de la « table du Rosaire ». M. Gérard pense qu'il s'agit d'une sorte de coffre puisqu'on en sort des calices et des ornements. Le Président indique que le terme prend également un sens abstrait et qu'il désigne la confrérie. Quitterie Cazes rappelle que c'est le cas à Saint-Sernin avec la « Table des Corps Saints ».
    M. Péaud-Lenoël demande si l'on est en mesure d'établir une relation entre le mauvais état de l'église dès le XVIIe siècle et les ressources de la paroisse. M. Gérard indique que les deux tiers de la dîme revenaient à l'abbaye de Grandselve, et un tiers, soit 18000 l., à l'archiprêtre qui était chargé de les répartir entre le clergé et les charges occasionnées par l'entretien de l'édifice. À la dîme s'ajoutait le revenu des quêtes paroissiales, des messes et des casuels, les consuls participant en outre à l'entretien de l'organiste. L'essentiel allait donc à l'abbaye de Grandselve, ou plus exactement, peut-être, à l'abbé commendataire.

    Abordant les questions diverses, le Président communique les dernières informations concernant l'aménagement de l'Hôtel d'Assézat.

    La dernière réunion provoquée par la Ville était en principe consacrée à l'acquisition d'une petite parcelle à l'extrémité de l'aile droite, mais la Mairie a profité de l'occasion pour présenter de nouveaux plans. Ce nouveau projet concerne principalement le bâtiment à construire à l'arrière de l'hôtel et tient compte des exigences des propriétaires de l'immeuble à démolir. La discussion s'engage sur ce nouveau projet et la répartition des locaux proposée. Puis la Mairie annonça aux représentants des Sociétés et Académies que celles-ci devraient déménager de l'Hôtel d'Assézat d'ici un mois. Pour le Président, ceci est inacceptable, parce que ce point ne figurait pas à l'ordre du jour, et parce que la validité de la convention entre la Ville et les Sociétés et Académies dépend de l'acquisition des immeubles situés à l'arrière de l'Hôtel, acquisition qui n'est pas réalisée. Il faut ajouter que MM. Puel et Andrès ont promis oralement que les Sociétés et Académies ne déménageraient que pour s'installer dans leurs nouveaux locaux. Une réunion du Conseil d'administration de l'Union a donc été demandée à M. Sermet pour le 5 juin, afin de préparer la réunion avec la Mairie prévue pour le 12 juin. Une autre réunion aura lieu le 29 juin pour discuter la répartition des locaux entre les Sociétés et Académies ; le Président étant absent à cette date, la Société Archéologique sera représentée par Guy Ahlsell de Toulza.
    La discussion se poursuit, abordant les questions de l'aménagement des nouveaux locaux, des délais requis par l'acquisition des terrains et les retards possibles, les conditions du déménagement.

    Le Président donne ensuite la parole à Quitterie Cazes pour une information sur une partie du rempart de Toulouse, apparue après la démolition d'une maison :


M.S.A.M.F., T. LII, page 175

TOULOUSE, N° 10 RUE SAINTE-ANNE. Portion du rempart antique et médiéval apparue en mai 1992. Cliché Quitterie Cazes.
[la photographie est inversée dans la publication originelle]

M.S.A.M.F., T. LII, page 176

     « Une portion de courtine du rempart antique et médiéval de Toulouse est récemment apparue lors de la démolition d'un immeuble an n° 10 de la rue Sainte-Anne ; elle est particulièrement bien conservée. Cette élévation présente trois états principaux. Dans la partie basse apparaissent la fondation (formée de deux coulées de galets pris dans du mortier) et le départ de l'élévation qui correspond à ce que l'on connaît ailleurs : aux six rangées de moellons formant le parement succèdent trois assises de briques qui traversent toute l'épaisseur du mur ; subsiste ensuite l'arrachement de trois rangées de moellons supplémentaires. Dans la partie médiane, le blocage apparaît par endroits : il est constitué de galets pris dans du mortier, enserré dans des murets transversaux de briques, qui sont liés au parement, de briques lui aussi. La difficulté de l'interprétation – et de la datation – provient de l'existence d'un retrait d'une trentaine de centimètres par rapport à la base de l'élévation : doit-on considérer qu'il y a eu un changement dans le parti initial de la construction ? Ou bien s'agit-il d'une reconstruction qui aurait employé une technique similaire à celle que l'on a constaté ailleurs ? Le sommet de la courtine présente, sur ses deux derniers mètres, une épaisseur moindre, épaulée par des contreforts qui prennent appui sur l'épaisseur du mur. Au-dessus se situe le chemin de ronde ; à ce niveau, la face externe de la courtine a conservé ses mâchicoulis du XIVe siècle. La partie sommitale du mur a conservé son parapet ajouré de mirandes, construit au droit du parement externe du mur, que l'on peut attribuer au XIVe siècle.
    Une fouille archéologique a été réalisée sur la parcelle correspondante, entre les mois de mai et septembre 1992, sous la direction de Cathy Boccacino. Elle a été accompagnée d'une étude attentive du rempart, dont la publication se fera prochainement.  »

    Le Président demande si le couronnement est formé de faux-mâchicoulis. Quitterie Cazes précise que les structures observées prouvent qu'il s'agit de véritables mâchicoulis. Guy Ahlsell de Toulza s'inquiète du devenir de cette partie du rempart. Il est répondu que l'archéologue chargé du dossier, va essayer d'obtenir qu'il reste visible dans la nouvelle construction.
    Pour certains membres, la protection au titre des Monuments Historiques de l'ensemble du rempart étant trop difficile à mettre en œuvre, il faut obtenir la protection de cette parcelle ; notre Société devrait adresser un courrier dans ce sens à la Conservation régionale des Monuments Historiques ; le courrier pourrait également être adressé au Ministre de la Culture avec copie à la D.R.A.C. Avant d'entreprendre toute démarche, il convient d'avoir la correction de consulter l'archéologue chargé du chantier.

 

Séance du 18 juin 1992

Présents : MM. Pradalier, Président, Coppolani, Directeur, Fouet, Bibliothécaire-archiviste, Ahlsell de Toulza, Trésorier, Scelles, Secrétaire-adjoint ; Mme Noé-Dufour, MM. Cabau, Lassure, Latour, Péaud-Lenoël.
Excusés : M. Cazes, Secrétaire général, Mme Cazes, M. Manière.

    Le Secrétaire-adjoint étant retardé, le Président donne la parole à M. Péaud-Lenoël pour sa communication : Romains et Barbares de Narbonne à Toulouse et Bordeaux (410-420).

   « Cette période de l'histoire des Gaules est généralement considérée comme un période charnière entre l'Empire romain traditionnel et l'installation définitive des royaumes barbares. Cette limite est un peu arbitraire et repose sur l'interprétation moderne de l'histoire factuelle plus que sur un changement radical des structures politiques ou du système socio-culturel.

 Les sources

   L'histoire factuelle est connue dans ses grandes lignes mais avec des lacunes et des divergences sérieuses. La raison principale en est la disparition des historiens « professionnels » vers la fin du IVe siècle ou le début du Ve siècle (Ammien Marcellin, Zozime par exemple). Il ne sont remplacés que par des écrivains dont les centres d'intérêt ne sont plus l'histoire elle-même, des poètes, des apologétistes ou des littérateurs, et quelques chroniqueurs sujets à caution. Encore beaucoup de ceux-ci s'intéressent-ils davantage à l'Italie ou à l'Orient qu'à la Gaule, qu'ils connaissent mal.

    Les sources épigraphiques deviennent rares et les documents archéologiques plus encore. L'extension du christianisme limite le mobilier funéraire. L'archéologie monumentale de cette période se borne à l'examen des couches de destruction violente due aux invasions ou à la bagaude, qui fournissent un terminus post quem. Ces documents raréfiés existent cependant, et d'autres seront découverts.

 Les faits

 Trois séries d'événements marquent cette période

a) le passage des envahisseurs germains, Vandales, Suèves, Alains, entre 407 et 409


M.S.A.M.F., T. LII, page 177

b) la lutte armée et la lutte politique entre l'Empire romain d'Occident replié à Ravenne et les empereurs « usurpateurs » gaulois installés en Narbonnaise, entre Vienne et les Pyrénées (407-412) ;

c) l'arrivée des Wisigoths venant d'Italie, à la recherche d'uns installation géographique permanente et d'un accord de fédération avec l'Empire (412-418).

   Depuis le début du IVe siècle, l'Empire est devenu héréditaire, passant par un jeu d'alliances de la dynastie constantinienne à la dynastie théodosienne. Les empereurs attribuent une importance essentielle à leur succession. L'extension de l'Empire en proie aux invasions extérieures et aux usurpations a obligé à la séparation politique des empires d'Orient et d'Occident qui ne se trouvent réunis que sous Théodose Ier en 379. À la mort de Théodose (395), l'Empire est de nouveau partagé entre ses deux fils Arcadius en Orient et Honorius en Occident. Toutefois, l'unité administrative de l'Empire subsiste, avec des tensions croissantes.

    À la fin du IVe siècle, la Germanie est le siège de mouvements incessants de populations repoussées par les Huns, qui ont occupé la Dacie et poussé des raids jusqu'à la Mer baltique. Les Ostrogoths sont installés en Pannonie (Hongrie actuelle), les Vandales en Silésie et Galicie, les Suèves en Prusse, les Alains sur la rive nord du moyen Danube, les Burgondes en Thuringe.
    Les Wisigoths ont été installés comme fédérés en Illyrie par Théodose. À la fin du siècle, ils réclament de nouvelles terres en Italie du Nord et une indemnité de guerre pour leurs services militaires. Ils deviennent alors menaçants pour l'Italie dégarnie de troupes et Stilichon, magister militum, doit dégarnir la frontière du Rhin des limitanei pour ramener l'armée romaine en Italie.
    Les capacités militaires de Stilichon maintiennent le statu quo pendant quelques années, mais une situation politique anarchique entraîne son assassinat (407), puis l'invasion de l'Italie par les Wisigoths d'Alaric et le franchissement du Rhin par les Vandales, Suèves et Alains. Les Francs fédérés repoussent l'invasion vers le Sud-Ouest suivant les axes Mayence-Metz et Mayence-Strasbourg. Aucune troupe d'importance ne subsistant plus en Gaule, les Germains pénètrent facilement vers l'Ouest par Reims et Arras, vers le Sud-Ouest par Langres, Troyes et Orléans. Certaines villes résistent à l'abri de leurs murailles, mais la plupart sont prises et pillées. La progression de l'invasion, sur laquelle il y a peu de données, se fait semble-t-il suivant deux axes, l'un à travers le seuil du Poitou vers Bordeaux, l'autre à travers l'Auvergne : Clermont est pillée. Il semble que l'axe Saône-Rhône ait été épargné. Les barbares progressent à travers l'Aquitaine. Bordeaux est prise mais Toulouse résiste, semble-t-il, sous l'impulsion de son évêque Exupère. De la vallée de la Garonne, les Barbares se répandent le long du sillon pyrénéen dans l'intention de pénétrer en Espagne. Les cols pyrénéens bien gardés les arrêtent jusqu'en 409. À cette date, la guerre civile entre factions romaines dégarnit les cols, les Vandales et les Suèves pénètrent en Espagne et la pillent. Dans le sud-ouest de la Gaule, les dégâts commis par l'invasion vandale furent certainement considérables mais transitoires et n'affectèrent pas le mode de vie, la production agricole ni les circuits d'échanges d'une manière durable. La résistance organisée, sauf l'exemple de Toulouse, fut très faible. L'insoumission se développa en Armorique et dans le Sud-Ouest (bagaude).

    En 407, les troupes romaines de Bretagne se révoltent et choisissent un général, Constantin, comme empereur. Passé en Gaule, celui-ci, avec peu de troupes, gagne la Viennoise par Boulogne et Lyon. Honorius, empereur de Ravenne, envoie en Gaule Sarus, un chef goth employé comme fédéré, avec une petite armée qui capture à Vienne, et exécute, deux généraux de Constantin, Justinianus et Néviogast (Francs). Sarus est cependant forcé de rentrer en Italie et Constantin s'installe à Arles jusqu'en 411, après avoir réoccupé de manière transitoire le nord-est des Gaules. Constantin envoi son fils Constant en Espagne pour s'opposer à l'attaque des partisans d'Honorius, Didymius et Verinianus, à la tête d'armées privées.
    Ceux-ci sont pris et tués, ce qui entraîne une guerre inexpiable avec Ravenne. Bien que le général de Constantin, Gerontius, organise la garde des cols pyrénéens, ils sont dégarnis rapidement et laissent passer les Vandales et les Suèves.
    En Italie, Alaric prend Rome en 410 et entraîne son peuple jusque dans le Bruttium, dans l'espoir de passer en Sicile puis en Afrique. L'entreprise se termine par un échec. Alaric meurt ; il est remplacé par Ataulph qui remonte vers le nord de l'Italie (411-412).

    Après une expédition en Italie, l'usurpateur Constantin doit résister dans Arles à Gerontius révolté. Constantius, maître de l'infanterie d'Honorius, reconstitue en Italie une armée avec l'aide de la cavalerie gothe d'Ulphila et met le siège à son tour devant Arles ; Gerontius s'enfuit jusqu'en Espagne, où il se suicide après une farouche résistance contre les partisans d'Honorius. Finalement, Arles est prise, Constant se rend et il est tué par ordre d'Honorius avec Julien son second fils. Mais Constantius doit alors faire face à un nouvel usurpateur, Jovin, élu par les soldats à Mayence et appuyé par une forte armée de fédérés barbares. Jovin est soutenu par une partie importante de la noblesse romaine aquitaine et narbonnaise, et reconnu comme empereur en Bretagne et Germanie (412). Ni Constantius ni Jovin ne risquent la bataille et entrent dans des tractations inconnues jusqu'en 413.

    Pendant ce temps, les Wisigoths d'Ataulph essayèrent de négocier avec Honorius leur installation dans la Gaule méridionale. Ataulph avait épousé la sœur d'Honorius, Placidia, et espérait entrer au service de l'Empire comme armée fédérée. N'obtenant rien d'Honorius, Ataulph traversa les Alpes avec son peuple et tenta, sans succès, de s'entendre avec Jovin. Ne pouvant s'imposer à celui-ci, Ataulph négocia de nouveau (avec Constantius ?), s'empara de Jovin et Sébastien à Vienne, et les deux usurpateurs furent mis à mort par Dardanus, préfet du prétoire des Gaules.


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    Ataulph agit alors comme chef de fédérés reconnu par traité, mais les deux partis ne sont pas pressés d'exécuter les clauses de l'accord, Honorius de livrer l'annone de 600 000 mesures de blé promise, Ataulph de rendre Placidia par qui il est lié à l'Empire. Chacun essaye de faire pression sur l'autre. En 413, les Wisigoths envahissent la Narbonnaise avec, semble-t-il, une neutralité bienveillante de la population ; ils prennent la capitale en automne. Ataulph retourne faire le siège de Marseille défendue par le comte Boniface. Il échoue et il est même blessé assez gravement. Revenu à Narbonne, Ataulph épouse Placidia selon le rite romain. Placidia est désormais considérée comme la reine des Goths, qui lui conserveront une garde de fidélité constante jusqu'à sa mort en 450. Les négociations avec Honorius ayant finalement échoué, Ataulph désigne un empereur fantoche, Attale, et envahit la région toulousaine puis l'Aquitaine jusqu'à Bordeaux (413-414). Il semble que Toulouse ait été cette fois prise par les Barbares. En 414, les difficultés de ravitaillement des Goths s'accroissent, Bordeaux est incendiée et le peuple wisigoth fait retraite vers la Narbonnaise puis, à travers les Pyrénées, vers la Catalogne. À Barcelone naît un fils de Placidia et d'Ataulph, baptisé Théodose : cela déclenche la haine de l'Empire d'Orient pour les Goths et même pour Placidia. Le petit Théodose meurt en bas âge (415) et Ataulph et ses fils sont assassinés (opposition des Romains anti-barbares et des Goths anti-romains). L'assassin d'Ataulph, Segeric, est lui-même tué après sept jours et Vallia, chef nationaliste modéré, lui succède. La flotte romaine bloquant la Méditerranée, le peuple des Goths descend jusqu'en Andalousie, dans l'espoir encore déçu de passer en Afrique, puis il parvient à un accord avec les Romains de Constantius, représentant d'Honorius (416). Vallia obtient le tribut en blé demandé et restitue Placidia, rendue avec honneur à la cour de Ravenne.

    L'empereur fantoche Attale, livré par Vallia, fut mutilé et exilé par Honorius ; Galla Placidia fut contrainte (417) d'épouser Constantius qu'elle accepta pour raison d’État, bien résolue, semble-t-il, à lui faire regretter ce mariage.

    Un traité de fédération est alors conclu avec les Wisigoths, qui libèrent la Tarraconnaise des Alains et des Suèves. Puis, en 418, un nouveau foedus est conclu, les Wisigoths sont installés dans l'ensemble de l'Aquitaine et dans le Toulousain sous le régime de l'hospitium, partage des terres avec les propriétaires romains. Ils resteront en Aquitaine jusqu'en 511.

Les conséquences économiques et sociales

   Nous l'avons vu, les conditions des diverses invasions ne furent pas comparables, raids éclair et dévastation par les Vandales et Alains en 404-408, occupation par les Goths en 414 puis 417.
    Dans l'ensemble, les dégâts furent considérables, même si certaines villes résistèrent victorieusement ou furent épargnées. Les campagnes surtout souffrirent. Les populations ayant échappé au massacre furent jetées sur les routes, comme les témoignages nous l'apprennent. De nombreuses régions (mal connues) échappèrent temporairement à l'autorité administrative. Les récoltes étant détruites, la famine en fut la conséquence, les barbares eux-mêmes étant pressés par le manque de ravitaillement. Mais seules les régions directement au contact des envahisseurs souffrirent. L'archéologie montre que la restauration des ressources fut rapide.
    Toutefois, les faiblesses de la société antique en furent encore accrues, notamment l'inégalité économique et sociale, parmi les citadins aussi bien que parmi les ruraux. Seules les castes privilégiées furent bénéficiaires, les autres essayant d'échapper à l'oppression fiscale par la fuite ou l'inertie. Les échanges se rétablirent eux aussi assez rapidement mais l'économie monétaire régressa.
    Le statut social des barbares fut transformé aussi : d'une horde égalitaire, on passa à un peuple organisé en caste militaire, ayant à sa tête des nobles (optimates) à la tête d'années privées. D'après l'onomastique de notre région, le partage des terres fut effectif, mais nous ignorons comment se distribuèrent le revenu et le travail agricole sous le régime de l'hospitium. Clairement, le mélange des populations ne se fit pas et les Barbares wisigoths restèrent un corps étranger dans un population romaine, les mariages mixtes furent d'ailleurs interdits.
    Les différentes religions entre Romains orthodoxes et Barbares ariens contribuaient encore à la ségrégation, mais nous ignorons presque entièrement la nature des relations entre ces populations.
    Peut-être le bouleversement majeur est-il la fin du paganisme, officiellement prohibé par l'Édit d'Honorius en 398. Toutefois, pour la période qui nous intéresse, le christianisme reste essentiellement un phénomène urbain, les campagnes n'étant que peu ou pas concernées. Dans les villes nous possédons de multiples témoignages montrant que l'autorité des évêques est alors reconnue et importante, ce qui justifie d'autant plus leur opposition à l'arianisme des Barbares. Il s'agit non seulement d'un conflit religieux mais d'une opposition de pouvoirs. En Occident, il n'existe que peu d'hérésies constituant pour le catholicisme un danger majeur. Le priscillianisme conserve cependant des adeptes, ainsi que l'hérésie de Vigilance.

    En conclusion, l'irruption des Barbares ne marque pas une rupture immédiate avec la civilisation antique. Les Aquitains continuent de se considérer comme des Romains de plein droit, les Wisigoths étant chargés par l'empereur de la protéger contre la bagaude et les pillards saxons. L'administration, le régime de propriété, les relations de droit et l'économie continuent de fonctionner suivant les principes impériaux. L'Empire d'Occident continuera d'ailleurs d'exister jusqu'en 476 et, presque jusqu'à la fin de son existence, d'intervenir de manière très active en Gaule. »


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    Le Président remercie M. Péaud-Lenoël. Le sujet était vaste et bien des aspects ne pouvaient être qu'évoqués. En outre, les questions soulevées par M. Péaud-Lenoël exigeraient de longues recherches. Quant aux rapports qui ont existé entre les populations de la Gaule romaine et les nouveaux venus, le Président évoque le récit de Sidoine Apollinaire qui fait allusion à l'« odeur rance » des Burgondes. Les problèmes soulevés par l'hospitium se doublaient de problèmes religieux. Ainsi la hiérarchie catholique a-t-elle favorisé les Francs. M. Péaud-Lenoël rappelle que l'intégration des Wisigoths a été très lente en Espagne et leur conversion au catholicisme très tardive. Le Président précise que les Alamans interdisaient les mariages mixtes ; il souligne le rôle joué par Galla Placidia, qui pousse les Wisigoths vers le sud puis vers la Gaule. M. Péaud-Lenoël indique que Galla Placidia est en effet la meilleure représentante du parti pro-barbare ; il s'agit parfois de se les associer pour lutter contre d'autres peuples, comme c'est le cas des Wisigoths utilisés contre les Huns. Mais Galla Placidia a également une garde constituée de Wisigoths à Ravenne. Les femmes jouent un rôle très important au Ve siècle, et la littérature, en particulier des romans, montre qu'il s'agit d'une période que l'on pourrait qualifier de « romantique ». Le Président note que les femmes ont une place éminente dans la construction des lieux de culte, que les Empereurs leur abandonnent.
    M. Péaud-Lenoël rappelle que dans bien des régions nous manquons encore de précisions archéologiques.
    M. Fouet félicite M. Péaud-Lenoël pour son excellente fresque historique. Il rappelle que la villa de Montmaurin est détruite avant la fin du IVe siècle. À Valentine, les Barbares ne détruisent pas seulement la villa, mais également le temple vers le milieu du IVe siècle. Une très belle nécropole entourant une église édifiée avec les matériaux du temple mais comportant de très beaux décors a été retrouvée à côté d'une petite église mérovingienne très modeste. Une sépulture datable du Ve siècle d'après le mobilier, établie en bordure du temple, était celle d'une femme wisigothe très riche, enterrée avec des bijoux importés.
    M. Péaud-Lenoël souligne qu'il s'agit de l'une des plus intéressantes parmi les tombes connues. Il rappelle que les Wisigoths vivent avec les populations romanisées et qu'il est souvent bien difficile de savoir ce qui s'est passé exactement. Pour comprendre les relations entre les différents groupes, il faut également se souvenir que la résistance des païens, qui restent nombreux, est très forte.
    Patrice Cabau demande s'il ne faut pas assimiler Paulin de Nole et Paulin de Pella. M. Péaud-Lenoël ne le croit pas : Paulin de Pella est en 414 à Bordeaux ; Paulin de Nole, qui est également parent d'Ausone, part en Italie en 400 et il est à Nole en 410 ; il devient évêque de la cité et on ne voit pas pourquoi il serait revenu en Gaule.

    Le Président donne alors la parole au Secrétaire adjoint pour la lecture du procès-verbal de la dernière séance, qui est adopté.

    Abordant les questions diverses, le Président indique que les représentants des Académies et Sociétés savantes de l'Hôtel d'Assézat ont procédé le 5 juin à une réunion informelle où il est apparu que les Académies refusaient de déménager de l'Hôtel d'Assézat tant que les clauses de la convention passée avec la Ville ne seraient pas respectées, c'est-à-dire, en l'occurrence, tant que les terrains prévus pour les nouveaux bâtiments ne seraient pas acquis. Le 12 juin, la Ville, déjà informée, avait fait marche arrière. Il faut encore indiquer que l'Académie des Sciences a autorisé des sondages dans ses locaux ; notre Société ne donnera pas son accord pour de tels sondages tant que les nouveaux terrains ne seront pas achetés.

    Le Président et M. Péaud-Lenoël rendent compte de la journée de Saint-Michel de Cuxa, consacrée aux publications des sociétés savantes. Notre Société a été félicitée pour la qualité de ses Mémoires. La première décision a été de mettre sur pied une commission restreinte, de quatre membres dont M. Péaud-Lenoël, pour préparer la mise en place d'un groupe de distribution. Il a en outre été décidé d'améliorer la diffusion en développant la publicité réciproque. La discussion se poursuit avec les différentes formules qui peuvent être envisagées : abonnements, commande automatique avec facture, envoi des sommaires à des revues spécialisées françaises ou étrangères...

    Le Président indique ensuite qu'il a reçu de M. Gilles Séraphin, architecte à Cahors, une lettre de candidature au titre de membre correspondant de notre Société. M. Scelles est chargé du rapport qui sera présenté à la rentrée prochaine.

  


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