Société Archéologique  du Midi de la France
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« Saint-Sernin mérite un écrin et un musée »

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En réponse à une interview de madame Annette Laigneau, parue dans La Dépêche, 16/08/2015.

C’est le titre d’un article publié par La Dépêche du Midi dans son édition toulousaine du 16 août 2015, dans lequel Philippe Émery se fait l’écho de propos tenus sur le sujet par Jean Alauze, architecte, Quitterie Cazes, qui enseigne l’histoire de l’art médiéval à l’Université de Toulouse-Jean-Jaurès, Annette Laigneau, adjointe au maire de Toulouse, chargée de l’urbanisme et de la mise en valeur du patrimoine toulousain, et rapporte la position de la Société archéologique du Midi de la France.

Les deux premiers rappellent l’intérêt du site archéologique sur lequel s’élève la basilique Saint-Sernin. La Ville s’en remet cependant à une décision de la Direction des affaires culturelles de la Région Midi-Pyrénées pour engager d’éventuelles fouilles archéologiques préventives, d’une envergure très limitée, avant les travaux d’aménagement prévus par l’urbaniste Joan Busquets. En fait, un site de cette importance mérite une fouille  programmée, exhaustive, avec mise en valeur des vestiges découverts, comme celle qui est actuellement en cours sur le site de l’abbatiale Saint-Martial de Limoges. Quitterie Cazes rappelle qu’une telle fouille doit être décidée par la Ville de Toulouse, qui est le propriétaire de l’ensemble du site et son aménageur, dans le cadre de sa politique patrimoniale, pas par la DRAC.

Cette fouille devrait précéder la mise au point de l’aménagement et de la mise en valeur, dans le cadre d’un vrai projet patrimonial d’ensemble, raisonné, à réaliser par phases successives mais bien coordonnées. Ce projet, défendu par la Société archéologique du Midi de la France, doit inclure les restaurations restant à faire à la basilique (interrompues depuis vingt ans, à l’exception de la porte Miègeville), la création d’un jardin des vestiges (avec, notamment, la mise en évidence de ceux du grand cloître roman disparu) et d’un musée de l’œuvre (à construire) au nord de la basilique, la fouille de la place Saint-Raymond et des abords du musée du même nom, pour son extension souterraine, la restauration et l’ouverture au public de l’hôtel Dubarry.

L’interview de madame Annette Laigneau entretient, encore une fois, la confusion entre trois choses bien distinctes : les sondages archéologiques, les fouilles préventives, les fouilles programmées. Madame Laigneau qualifie la campagne de sondages réalisée en juin et juillet derniers d’« exceptionnelle », alors qu’elle est ordinaire en France en cas de travaux sur un site archéologique. Cette campagne a été au contraire voulue limitée, ne concernant que la partie supérieure des couches archéologiques. Madame Laigneau donne ensuite une vision, qui est celle de la mairie, bien peu enthousiaste pour un tel site connu dans le monde entier : « On sait où est l’ancien cloître, mais on n’a plus, hélas, que ses fondations et son emplacement », « La Ville n’a pas d’avis à donner sur des fouilles éventuelles. C’est la Drac qui est habilitée à juger s’il faut ou non des fouilles, au vu du rapport de diagnostic archéologique…/ Des fouilles, ça coûte très cher et cela fera prendre beaucoup de retard au projet d’aménagement de la place, tandis que la basilique elle-même, fragilisée par des infiltrations d’eau, doit aussi faire l’objet d’une restauration, pour laquelle une étude est lancée, qui sera financée pour moitié par l’État et pour l’autre par la Ville. »

Bien triste et misérabiliste, cette position, pour la quatrième ville de France et un ensemble patrimonial majeur de l’Europe ! Avec, une fois de plus à Toulouse, cette idée péremptoirement avancée et fausse que les fouilles coûtent cher et retardent tous les chantiers. Alors que les retards dépendent essentiellement de l’absence et de la lenteur des décisions, et du fait que Toulouse souffre depuis longtemps d’un sous-équipement urbain et patrimonial par rapport à la plupart des villes équivalentes en Europe.

Le cloître et son emplacement étaient bien connus par les archives avant les sondages. On aurait donc pu faire l’économie de ces derniers en ce point et passer directement à une fouille programmée, en gagnant du temps et de l’argent public. Les éléments lapidaires inscrits et sculptés de grande valeur découverts lors de ces sondages, sur des points très limités de ce cloître, ont confirmé l’importance de ce gisement archéologique pour l’enrichissement du patrimoine historique et artistique de Toulouse. On ne pouvait en douter, quand on sait la qualité des sculpteurs qui ont travaillé à Saint-Sernin aux XIe et XIIe  siècle. Cela est connu et étudié par des historiens de l’art du monde entier et depuis longtemps. On n’ose imaginer que l’ensemble ne soit pas fouillé. D’autres éléments de qualité seront assurément découverts. Les couches archéologiques plus profondes sont susceptibles aussi d’apporter des éléments fondamentaux pour la connaissance de Saint-Sernin et de son monastère.

Nous dire – et c’est tout nouveau – qu’il est plus urgent de s’occuper de l’humidité qui menacerait la basilique, est une diversion par rapport au problème actuel posé par les abords de Saint-Sernin, et il est permis de douter de la gravité de ces « infiltrations d’eau ». La plupart des problèmes d’introduction d’eau dans les murs et voûtes de Saint-Sernin ont été réglés par la dernière grande réfection des toitures et systèmes d’écoulement dirigée autour de 1990 par l’architecte et inspecteur général des monuments historiques Yves Boiret.

S’il y a de nouveau de l’humidité dans la basilique, c’est tout simplement parce que la mairie propriétaire et l’agence des Bâtiments de France ne parviennent pas à en assurer un entretien correct et suivi. Les chéneaux, conduites, descentes, rigoles d’évacuation des eaux pluviales ne sont pas régulièrement nettoyés, débouchés (papiers, feuilles mortes, etc.). Les caniveaux sont obstrués, notamment par les couches de goudron ajoutées récemment sans la moindre étude des lieux, en se moquant éperdument des conséquences sur les abords de Saint-Sernin et sur la basilique. On remarquera, notamment, l’eau stagnante au nord de la basilique après les pluies, tout près d’un mur qui porte un exceptionnel ensemble de peintures murales du XIIe siècle…

 Quant à l’humidité des cryptes inférieures, elle a commencé à se manifester avec l’installation par la Ville d’un système d’arrosage automatique des jardins qui entourent la basilique, mal conçu dès le début, mal réglé, mal contrôlé. Je l’ai dit et écrit une multitude de fois sans que les services concernés de la mairie ne réagissent avec efficacité. Or, les chapelles les plus extérieures de la crypte inférieure sont directement sous ces jardins…

 Tout cela est quand même à considérer, surtout lorsque l’on apprend que la Ville va payer, fort cher, alors qu’il y a des services compétents pour le faire, une étude pour connaître les causes de cette humidité et les solutions à apporter ! Enfin, chacun sait que l’on n’a toujours rien fait à la façade ouest, où l’eau coule, en raison de filets de protection des chutes de pierres qui s’éternisent depuis 2008, sur les magnifiques chapiteaux romans des portails. Cela est aussi le résultat d’un manque d’entretien et de l’inachèvement, depuis vingt ans, de la restauration de la basilique. Au prétexte de faire des économies, alors que maintenant ces travaux seront plus importants et plus chers en raison des dégradations que l’on aurait pu éviter. Un monument historique, comme n’importe quel bâtiment, a besoin d’un entretien régulier. Les grandes restaurations générales au coup par coup, tous les vingt ou trente ans, alternant avec un quasi-abandon de l’architecture extérieure pendant des années, ne suffisent pas, et on pourrait les éviter par la vigilance permanente et les interventions immédiates, lorsqu’elles sont nécessaires. Beaucoup de grands monuments, sur notre planète, bénéficient de ces soins réguliers, planifiés, avec un budget annuel affecté. Pourquoi pas à Toulouse ?

 

Enfin, à la question sur un programme d’ensemble, comprenant aussi l’extension du musée Saint-Raymond, la restauration et l’ouverture au public de l’hôtel Dubarry, la construction d’un musée de l’œuvre, madame Laigneau ne répond pas, sauf, ponctuellement, sur le fait que la municipalité serait maintenant favorable à une « maison de l’œuvre  pour présenter les richesses de Saint-Sernin, comme à Strasbourg ». Cela mérite d’être relevé : c’est un progrès  pour Saint-Sernin.

Cependant, ce projet de musée de l’œuvre doit être étudié précisément avant de dire que l’on peut l’installer dans l’hôtel Dubarry « ou ailleurs sur la place, dans des bâtiments appartenant à la municipalité ». La réflexion que nous avons menée montre que l’hôtel Dubarry n’est pas du tout adapté aux collections de Saint-Sernin et n’a aucun lien avec l’histoire de la basilique. De plus, il faut que ce musée soit proche de cette dernière et fasse partie du circuit de sa découverte, comme de son système d’accueil et d’information. Un autre bâtiment municipal ? Lequel ? Il ne reste guère que celui de la Bourse du Travail, dont l’affectation a récemment été évoquée dans un tout autre contexte. Mais ce bâtiment n’est pas plus adapté et bien situé que l’hôtel Dubarry. Il a sa propre architecture, intéressante par ailleurs dans le cadre de celle du XXe siècle dans notre ville, et sa propre histoire.

Donc, l’emplacement idéal du musée de l’œuvre reste sur le site de l’abbaye, au nord, au débouché de la rue Gatien-Arnoult, sur un terrain municipal constructible. C’est, à vrai dire, un autre atout d’importance pour la Ville, qui peut faire construire là un édifice d’une belle architecture du XXIe  siècle, répondant à celle de la basilique, vers le sud, et permettant les plus belles vues sur cette dernière comme sur l’aire du cloître roman remise en valeur. L’intérêt principal qu’il y a à faire appel à un bon architecte pour cette réalisation est que celui-ci pourrait concevoir le musée en fonction de son programme muséographique et apporter là une note d’architecture contemporaine qui serait une contribution significative de notre siècle à l’évolution de Saint-Sernin et de son site. Le lieu, de plus, l’exige, car il est à l’heure actuelle d’une affreuse banalité, laissant s’échapper des vues peu agréables vers les hauts immeubles de béton du boulevard d’Arcole. Une construction de qualité viendrait restructurer l’espace urbain trop dilaté en cet endroit et lui redonner quelque proportion harmonieuse.

 

La réflexion et le débat avancent, mais la Ville ne peut faire l’économie de fouilles programmées du site, avant toute mise au point d’un projet. Et il faut travailler vraiment à ce dernier pour fournir un cahier des charges précis et digne de ce nom aux archéologues, architectes, urbanistes, conservateurs et restaurateurs du Patrimoine qui devront passer à l’action. C’est à la mairie de décider d’emprunter cette voie, normale partout dans le monde. La DRAC a bon dos : ce n’est pas à elle de décider, elle est là pour conseiller et rappeler les normes patrimoniales. Le « projet » Busquets pour les abords de Saint-Sernin, dont madame Laigneau reconnaît qu’il n’est pour l’instant qu’une esquisse, est commode. La réputation internationale de l’urbaniste, méritée par quelques belles réalisations, cache tout le reste, notamment l’absence de ce cahier des charges englobant l’ensemble de la problématique des abords de Saint-Sernin : basilique, site archéologique, monuments et musées compris.

 

Daniel Cazes
Société archéologique du Midi de la France
18 août 2015


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