L’Hôtel Dubarry
dans le cadre du projet « Grand Saint-Sernin »
Propriété de la Ville de Toulouse, mais mis depuis fort longtemps à la disposition du lycée Saint-Sernin, qui ne l’utilise que très partiellement, le bel Hôtel Dubarry est un chef-d’œuvre de l’art du Siècle des Lumières à Toulouse. Il se découvre depuis la place Saint-Raymond, sur laquelle donne sa façade principale, qui mérite restauration et remise en couleur.
Valoriser la place Saint-Raymond et ses monuments
Dans la restructuration globale et indispensable des abords de Saint-Sernin, cette place doit retrouver son unité triangulaire, à centrer sur une fontaine qui apportera vie, poésie et fraîcheur l’été à l’un des plus beaux sites monumentaux toulousains. Que l’on en juge : à l’est, la façade de la basilique (pour l’essentiel du XIe au XIIIe siècle), qui attend depuis longtemps sa restauration et la mise en place d’un vitrail dans sa grande rose ; au sud, celle du collège Saint-Raymond (XVIe siècle), dont la restauration demeure inexplicablement inachevée depuis seize ans ; au nord-ouest celle de l’hôtel Dubarry (XVIIIe siècle).
Seule la reconfiguration de cette place, qu’il faut refermer sur elle-même vers l’est par la construction du musée de l’œuvre de Saint-Sernin et l’aménagement du jardin des vestiges du cloître roman et de l’ancienne abbaye, redonnera leur pleine valeur et dignité à ces trois façades. Elle permettra aussi un accès sécurisé à l’Hôtel Dubarry, comme au lycée Saint-Sernin, qui développe ses bâtiments autour de l’ancien parc créé avec la célèbre demeure du XVIIIe siècle.
L’hôtel Dubarry enfin ouvert régulièrement au public
Comme le rappelait déjà l’an dernier La Dépêche du Midi (13 mai 2014, article de Philippe Émery), alors que le lycée « fait peau neuve », « l’hôtel Dubarry (XVIIIe s.), classé, maintenu en l’état par la Région, attend que la Ville, propriétaire, lui donne une destination ».
En fait, l’affaire traîne depuis plusieurs décennies en ce qui concerne la restauration intérieure de l’hôtel aménagé à la fin des années 1770 par Jean Dubarry. Elle fut à peine entreprise avec celle des stucs du grand salon. Quant à la destination du bâtiment et à son ouverture régulière au public, les intentions affichées depuis une dizaine d’années tant par la Ville que par la Région (et le lycée qui dépend de cette dernière) ne se sont toujours pas concrétisées et clairement exprimées. Évidemment, l’ensemble souffre pendant ce temps d’un certain abandon et d’utilisations non conformes à celles d’un monument historique de ce rang.
Il avait été pourtant décidé en 2012 d’établir, entre la Ville et le lycée (Région), une convention qui favoriserait la restauration générale de l’ancien hôtel, son ouverture au public, et créerait un autre point d’attraction éducatif, culturel et touristique près de Saint-Sernin.
Un premier projet, vraiment prometteur, voulait attribuer l’ensemble de l’hôtel au musée Saint-Raymond, pour qu’il y expose ses antiquités méditerranéennes découvertes ailleurs que dans le Midi de la France (Italie, Grèce, Proche-Orient et Afrique du Nord), actuellement en réserve. Ainsi y aurait-il trouvé les surfaces d’extension indispensables pour atteindre sa vraie dimension. Mais l’idée fut combattue par le lycée, qui voulait conserver un accès à l’hôtel (dans l’espace comme dans le temps) pour continuer à l’utiliser, non pour son administration, mais à des fins pédagogiques et culturelles (musique, conférences, expositions, rencontres,etc.).
Finalement, après une large concertation organisée par Nicole Belloubet (alors élue successivement à la Ville et à la Région), était apparu un moyen terme : mettre en place un partage des lieux et des compétences entre le lycée et la direction des affaires culturelles de la mairie de Toulouse, mais avec la ferme intention d’ouvrir l’hôtel au public. Tant le musée - voire d’autres institutions culturelles municipales - que le lycée apporteraient l’intérêt et la vie à l’intérieur du monument restauré. Un premier chiffrage de l’opération avait alors été conduit, établissant le coût à 10 millions d’euros. Puis, plus rien…
Que faire dans l’hôtel Dubarry ? Circuit de visite du monument...
À partir d’un accès du public qui se ferait par le portail originel donnant sur la place Saint-Raymond, tout en gardant la possibilité d’un accès souterrain depuis le musée Saint-Raymond sous la place du même nom, le lycée conservant le sien depuis le parc, le circuit de découverte de l’hôtel pourrait s’établir logiquement de la façon suivante :
- Hall d’entrée du rez-de-chaussée : lieu d’accueil, avec orientation et information générales (Toulouse au XVIIIe siècle, les Dubarry en Toulousain, la Dubarry, l’hôtel de Jean Dubarry place Saint-Raymond, du XIXe au XXIe siècle : un lieu d’éducation).
- L’office et sa cheminée : caractéristiques de la salle, économie d’un hôtel et d’une famille noble au XVIIIe siècle.
- La salle à manger, ses colonnes et sa fontaine : convivialité et usages de la table au XVIIIe siècle.
- Le deuxième hall précédant le grand escalier : plan d’ensemble de l’hôtel et explication de la distribution, avec une signalétique orientant vers les autres pièces du rez-de-chaussée réservées au lycée(dont les fonctions seraient définies), vers la cour intérieure d’où l’on voit la façade à décor allégorique sculpté de la grande galerie, vers le parc cet les autres bâtiments du lycée, vers la grande cave voûtée, vers le grand escalier ; explication de la restauration de l’hôtel.
- Le grand escalier monumental : information sur son architecture, sa belle rampe de fer forgé et son sauvetage, son décor peint à l’antique, sa fonction pratique et symbolique (accès à l’antichambre et aux appartements de l’étage noble).
- L’antichambre : début de l’enfilade des appartements et pièces réservées aux collections, avec double accès au grand salon, présentation du décor et de l’usage.
- Le grand salon : fonction, décor, vue magnifique sur la basilique, l’emplacement de l’abbaye et le collège Saint-Raymond, l’Antiquité chez Jean Dubarry (peinture, stucs de Julia et leur restauration par Gabriel Burroni, explication sur l’art du stuc de l’Antiquité à nos jours).
- La petite galerie : espace intermédiaire et d’agrément vers la terrasse disparue (à évoquer ou à reconstruire, en en recherchant les colonnes disparues). Par cette galerie, possibilité de revenir vers l’escalier ou d’en venir, et accès secondaire à la chambre d’apparat.
- La chambre d’apparat : information sur la fonction et l’architecture (alcôve à colonnes), sur le décor.
- Le boudoir : information sur la fonction, l’architecture et le décor.
- Le cabinet de curiosité : fonction du cabinet et collection d’histoire naturelle de Jean Dubarry, décor, vue sur le collège Saint-Raymond.
- La grande galerie : les colonnes qui soutiennent les tribunes des extrémités étant conservées, une restitution du volume originel et de l’architecture de la galerie pourra être réalisée. Une information sur cette architecture, son décor et sa fonction sera donnée. Une évocation sera faite des collections d’art de Jean Dubarry (peintures, bronzes, marbres, etc.), très admirées au XVIIIe siècle dans ce lieu, notamment par des visiteurs étrangers. Il s’agit d’un espace historique de grande importance pour rappeler ce que furent les grandes collections de Toulouse sous l’Ancien Régime.
- Le cabinet d’étude : les « Lumières » au XVIIIe siècle. Outre cet aspect, il serait judicieux d’amorcer là un autre parcours consacré à l’histoire de l’éducation en ces lieux : des Lumières à l’éducation moderne (XVIIIe –XXIe s.). Une réflexion sur cette thématique de visite a été entamée avec plusieurs enseignants du lycée Saint-Sernin et constitue un apport important de cet établissement scolaire au projet.
- Chambre : fonction au XVIIIe siècle et décor. Information : de l’hôtel au lycée (bénédictines, pension Mazens, lycée).
- La garde-robe : fonction, décor, transformations et architecture néo-gothique apportées par les bénédictines, évolution architecturale du lycée.
- Escalier central pour l’accès au deuxième étage.
- L’ancien internat du deuxième étage : à mettre en valeur, avec les dispositions restantes à préserver. Et y créer des séquences muséographiques et d’information sur la vie lycéenne du XIXe siècle à nos jours.
- Descente par l’escalier central jusqu’au rez-de-chaussée. Variante possible par le grand escalier.
- Accès au parc, dont une partie pourrait être réhabilitée, comme elle était au XVIIIe siècle (une documentation existe pour cela). Ce peut être un beau projet, à monter en partenariat étroit par le lycée, les archives, le service des espaces verts de la Ville de Toulouse. Information sur ce parc au XVIIIe siècle (les fabriques de Dubarry, dont le fameux « tombeau de Jean-Jacques Rousseau »). Au pied de l’hôtel, côté terrasse (autre raison pour la restituer avec ses colonnes), possibilité de concerts, spectacles, conférences en plein air, dans ce cadre calme, agréable et méconnu.
- Retour vers le hall d’accueil et la sortie. Variantes : retour souterrain vers le musée Saint-Raymond, sortie par le parc et l’entrée du lycée lors de l’utilisation par le lycée ou en collaboration avec le lycée.
La petite galerie. Photo Balmario, Wikipédia.
La chambre d'apparat.
Détail du plafond du boudoir.Une utilisation muséographique de l’hôtel Dubarry ?
Le circuit de découverte du monument suggéré ci-dessus, qui est la proposition de base, incontournable, n’exclut pas une utilisation muséographique d’un certain nombre des salles et galeries qui le constituent. Cela suppose simplement l’avancée de la réflexion commune (de la Ville de Toulouse et du Lycée/Région, voire avec d’autres partenaires) sur les fonctions à venir de l’hôtel Dubarry. Cette réflexion doit porter sur une muséographie concernant l’hôtel, les différents établissements d’enseignement qui se sont succédé en ce lieu, les expositions temporaires susceptibles d’y être organisées, et les collections du musée Saint-Raymond à y présenter.
L’abandon pur et simple d’une utilisation par le musée Saint-Raymond ne nous semble en effet pas raisonnable dans le cadre d’une réflexion globale sur un « Grand Saint-Sernin », qui doit nécessairement comprendre l’élargissement des capacités du musée des Antiques. Ce dernier, outre l’exercice de la responsabilité de la conservation de l’hôtel et de sa sécurité (vol, incendie, surveillance ordinaire) nous semble avoir vocation, de par sa proximité, à une utilisation prioritaire de ce lieu, soit pour y disposer en permanence une partie de ses collections, soit pour y créer des expositions temporaires. Rappelons le lien extraordinaire et attractif qui pourrait être établi entre ce musée et l’hôtel Dubarry, sous la place Saint-Raymond, avec la découverte par le visiteur de vestiges archéologiques (comme à Rome sous la place du Capitole).
Amphore : Héraklès et le lion de Némée. 540-520 avant notre ère.
OEnochoé attique. 410-400 avant notre ère.
Coupe à l'Héraklès.
Apollon couronné de laurier. Haut-Empire romain.
Tête d'homme chypriote. VIe siècle avant notre ère.
Roue de char. Xe et le VIIIe siècle avant notre ère.Quelques-unes des très nombreuses oeuvres des réserves... Clichés Musée Saint-Raymond. D’un point de vue strictement muséographique, que l’on imagine un instant ce que serait la collection de vases grecs du musée et de tant d’objets d’art des antiquités méditerranéennes, sans oublier une partie du riche médaillier, dans le décor raffiné des appartements et galeries de Jean Dubarry. Des antiques dans un décor à l’antique ! Il y a là un magnifique projet à mener pour Toulouse, pour les Toulousains, et susceptible d’attirer bien plus de visiteurs dans les collections d’un musée qui ne peut actuellement les mettre complètement en valeur, faute de la place nécessaire.
Et, si nous revenons à l’idée essentielle qui doit structurer un projet patrimonial global, raisonné, pour les abords de Saint-Sernin, on voit l’intérêt d’un tel lien entre Saint-Raymond et Dubarry, qui n’exclut nullement d’autres possibilités d’utilisation de l’hôtel.
Il s’agit bien, en fait, de créer une dynamique extraordinaire qui fera de Saint-Sernin le cœur d’un quartier où l’on vit, certes, de référence pour les citadins, mais à dominante patrimoniale, avec la multiplication et l’enrichissement des centres d’intérêt. On sait ailleurs, dans de nombreuses villes d’Europe, l’incidence culturelle, touristique et économique que cela a. Toulouse peut bénéficier de leur expérience positive et faire encore mieux avec l’atout qu’elle possède.
Daniel Cazes
Société archéologique du Midi de la France
25 juillet 2015
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