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Un sondage n'est pas une fouille

L’aménagement du site de Saint-Sernin, une affaire d’urbanisme ou de patrimoine ?

Demain Saint-Sernin ?

Toulouse et ses musées : une capitale européenne de la culture ?


Un sondage n'est pas une fouille

   
 
            Sondages réalisés au cours du mois de juin. Musée Saint-Raymond.

Les sondages en cours autour de la basilique Saint-Sernin (bien sûr réalisés avec les techniques de l'archéologie) sont des sondages d'évaluation, qui ont donc pour seul objectif d'évaluer le potentiel archéologique du site. Dans le cas de Saint-Sernin, les sondages sont arrêtés dès qu'apparaît la première couche archéologique ; ce n'est qu'exceptionnellement qu'ils sont poursuivis jusqu'au sol naturel. Ils ne peuvent en aucun cas être confondus avec une fouille préventive et encore moins avec une fouille programmée.

Une fouille préventive n'est « préventive » que parce qu'elle « prévient » la destruction de vestiges archéologiques que pourraient occasionner  des travaux. Elle est prescrite par la Direction régionale des Affaires culturelles (service régional de l’archéologie).
            Dans le cas de l'aménagement actuellement prévu des places Saint-Sernin et Saint-Raymond, la fouille ne concernerait que les premières couches archéologiques, touchées par la réfection du sol, les tranchées nécessitées par la reprise des réseaux et les trous occasionnés par la plantation d'arbres... le tout conduit sans vision de l'ensemble... puisque celui-ci ne serait pas fouillé... 

Une fouille programmée est la fouille complète d'un site dont l'intérêt est connu et reconnu, réalisée sans la contrainte de travaux projetés, pour son seul intérêt scientifique et patrimonial. C'est une fois la fouille achevée et en fonction des découvertes qu'est élaboré le projet de mise en valeur du site, qui peut donc les intégrer et les présenter aux publics actuels et aux générations futures. 

Le four à chaux découvert à 3 mètres au-dessous du sol actuel, lors des fouilles réalisées en 1994-1996 dans le sous-sol du Musée Saint-Raymond.

Cl. J.-F. Peiré. Musée Saint-Raymond.

Les sondages n'ont pas manqué de confirmer les résultats attendus. Les vestiges archéologiques sont apparus sur l'ensemble du site à quelque 30 centimètres sous le goudron : mur d'un bâtiment de l'hôpital Saint-Raymond (qui a précédé le collège qui abrite aujourd'hui le musée), mur de la chapelle du collège, sépultures en pleine terre et caveaux du cimetière... Au nord, ils mettront au jour les vestiges du cloître et des bâtiments canoniaux. Au-dessous de ces premiers vestiges, ce sont encore plus de mille ans d'histoire qui attendent les archéologues (jusqu'à 3 m d'épaisseur) : la construction de la grande église romane et des bâtiments de l'abbaye, celle de la première église construite à partir de la fin du IVe siècle par Silve et Exupère, la nécropole du Haut-Moyen Age et de la fin de l'Antiquité...

C'est une fouille programmée qu'il faut à Saint-Sernin !

7 juillet 2015


L’aménagement du site de Saint-Sernin, une affaire d’urbanisme ou de patrimoine ?

Un projet d’ensemble pour la ville

La mairie de Toulouse a engagé en 2008 une large réflexion pour un projet d’agglomération à l’échelle du Grand Toulouse, avec l’ambition de pouvoir prétendre au « statut de métropole européenne » : à condition, entre autres, qu'elle « remette à niveau ses grands équipements »… (La Dépêche, 20/04/2011

Pour le centre de Toulouse, c’est le projet de l’architecte-urbaniste Joan Busquets qui a été retenu en novembre 2010.

Il s’agit de faire de Toulouse « une ville de l’eau », entre canal et Garonne sur laquelle la ville doit s’ouvrir. Avec des questions qui sont : « comment on l'identifie par du mobilier urbain, par des éléments de voirie très caractéristiques, des espaces publics, la signalétique, le pavage… » http://www.ladepeche.fr/article/2010/11/20/952589-cohen-busquets-est-le-plus-inventif.html

Il n’est jamais question de patrimoine.

L’une des premières réalisations, et parmi les plus emblématiques de l’ouverture sur la Garonne, a été la construction des gradins sur le site de l’ancien port Saint-Pierre, achevée au printemps 2014 pour un coût d’environ 2,4 millions d'euros (La Dépêche, 05/05/2014)

 
Vue des gradins depuis le Pont Saint-Pierre © Inconito (Observatoire du design_urbain).

Les travaux ont été engagés sans aucune réflexion sur l’intérêt archéologique du site alors que les services de l’État avaient prescrit un diagnostic. Quand les terrassements ont mis au jour des vestiges, on a alors procédé à une fouille d’urgence (« express » : (5 jours !) sur une section du rempart romain et les installations d’un atelier de tannerie des XVIIe et XVIIIe siècles… suivie d’une journée « porte ouverte » tout aussi expéditive le 26 octobre 2013, et le ré-enfouissement ou la destruction des vestiges le soir même : pour ne pas retarder le chantier… (Bulletin de la SAMF, 15 octobre et 5 novembre 2013
            On a notamment laissé passer une information importante, celle de la date de la destruction du rempart, faute d’avoir fouillé sous la section de courtine qui s’était effondrée sur le côté.

En 2014, la nouvelle municipalité a reconduit Joan Busquets dans ses attributions, en modifiant quelque peu la commande, « avec une ‟inflexion patrimonialeˮ […] en cohérence avec la candidature de la Ville au titre de l’Unesco » (Le Moniteur, 03/03/2015). Le réaménagement des places Saint-Sernin et Saint-Raymond, qui était jusque-là secondaire, est devenu l’une des priorités du nouveau mandat.
   
         Quatorze projets de Joan Busquets seront ainsi réalisés de 2015 à 2020, pour 65 millions d’euros (Côté Toulouse, 01/07/2015).

La prise en compte du site de Saint-Sernin reste évidemment dans la logique du plan d’ensemble de requalification de la voirie et des espaces publics, s’inscrivant dans le cheminement qui conduit du boulevard à la place Saint-Pierre.
            La commande passée à l’urbaniste n’est pas de traiter le monument mais de traiter son environnement pour le « mettre en valeur ».

  
Réaménagement au niveau de l'ancien cloître de Saint-Sernin- Agence BAU-B.

L’« évocation » du cloître disparu, sur le flanc nord de la basilique, fournit le schéma pour un « jardin » constitué de quelques arbres et de bandes de pelouse dans un grand quadrilatère de bancs disposés sur l’emplacement du mur-bahut des galeries. Les grilles qui entourent l’église seront supprimées.
            Le traitement des sols serait semblable à ceux de la rue Alsace-Lorraine et du square Charles-De-Gaulle.

    
Aménagements du square Charles-de-Gaulle et de la rue Lafayette (PSS-ARCHI_EU)

Le projet n’est qu’une esquisse, comme le souligne Annette Laigneau (à la suite de notre « décryptage » ?), l’adjointe au maire chargée de « l’urbanisme réglementaire et de la mise en valeur du patrimoine toulousain » (La Dépêche, 30/07/2015).

Il est en tout cas entendu que la grande église romane mérite mieux que son environnement actuel.

 

Un site majeur reconnu du patrimoine historique, archéologique et artistique de Toulouse… entièrement propriété de la Ville

Mais Toulouse n’a jamais eu de politique du patrimoine :
           - Toulouse n’a pas de secteur sauvegardé : le règlement n’a jamais été adopté par le conseil municipal.
   
        - Toulouse n’est pas Ville d’art et d’histoire (label décerné par le ministère de la culture), contrairement à Auch, Cahors, Rodez, etc.
           - Toulouse n’a pas de politique pour son propre patrimoine historique.
           - Toulouse n’a pas de politique du patrimoine public et privé (une réflexion est en cours, lancée par la nouvelle municipalité, mais ce serait trop tard pour Saint-Sernin ?).

C’est la raison pour laquelle le site de Saint-Sernin n’est abordé que sous l’angle d’un urbanisme « de voirie », qui ne prend pas en compte le patrimoine.
   
         Et c’est pour la raison pour laquelle les richesses archéologiques de Toulouse sont toujours considérées comme un « risque ».

C’est pourtant de « chance archéologique » dont on devrait parler ! Et la chance du site de Saint-Sernin, c’est en plus d’être un espace public entièrement propriété de la Ville, qui sera donc également propriétaire de tous les objets et vestiges trouvés lors des fouilles.

Les sondages de ces dernières semaines ont mis au jour l’inscription funéraire, de la fin du XIIIe siècle ou du début du XIVe, du chanoine Jean Dominique. 

Imaginez que l’on retrouve ne serait-ce qu’une dizaine, une vingtaine de chapiteaux du cloître (ce qui n’a rien d’improbable) ! Sans compter ce que recèlent les trois mètres de couches archéologiques. Un enrichissement considérable de notre connaissance de l’histoire de Toulouse… et de ses collections, que bien des villes savent valoriser et que d’autres nous envieraient.

 

La décision de réaliser une fouille complète du site relève des compétences de la Ville, et non pas de la Direction régionale des Affaires culturelles comme on l’affirme trop souvent.
           Le rôle de la DRAC est de faire procéder à des sondages d’évaluation (ce qui vient d’être fait) et de prescrire une fouille préventive s’il s’avère que les travaux menacent de destruction des couches archéologiques (ce qui est le cas), en restant dans la limite de l’emprise du chantier  : dans le cas du projet de Joan Busquets, il s’agirait de fouiller les couches superficielles correspondant à la mise en place du pavement, et l’emprise des tranchées des réseaux et des trous pour planter les arbres.
          Si la Ville décidait de faire procéder à une fouille complète du site, le rôle de la DRAC serait d’en assurer le contrôle scientifique et technique, pour garantir la qualité de la fouille.

Aucun projet ne peut être définitivement arrêté avant que la fouille ne soit faite. Comme dans le sous-sol du musée Saint-Raymond, et comme dans tous les grands musées de site, c’est en fonction des découvertes que sont définis les niveaux et les zones à conserver pour la visite (le cloître roman, l’ensemble du Haut Moyen Âge, la nécropole antique…), l’implantation des structures portantes de la crypte archéologique et du musée de l’œuvre, les locaux techniques, etc.

Il y a donc deux façons d’envisager le site de Saint-Sernin :
   
         - une façon « passive » : le monument est là pour lui-même et attire des touristes, un environnement plus propre est suffisant ;
            - et une façon « active » : la grande église devient un monument-clef du XXIe siècle, génère un paysage spécifique (patrimonial, inscrit dans l’histoire du site) et des activités (notamment touristiques). L’enjeu est alors à la fois celui d’un véritable projet urbain et patrimonial.

C’est le projet d’un grand ensemble patrimonial et muséographique, constitué d’une part de la basilique et du musée de l’œuvre de Saint-Sernin, et d’autre part d’une crypte archéologique reliant le musée Saint-Raymond à l’Hôtel Dubarry.

Un projet que devrait tout naturellement faire sien la municipalité qui, en installant le comité chargé de préparer le dossier de candidature à l’inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO, affirmait le 22 mai 2015 vouloir « placer le patrimoine historique au cœur de ses préoccupations, en l'intégrant dans des projets urbains » (La Dépêche, 23/05.2015).

  17 août 2015

 


Demain Saint-Sernin ?

Les panneaux installés au début du mois de juillet sur les grilles du jardin de Saint-Sernin réalisent la prouesse d’une présentation très synthétique et qui met parfaitement en évidence le caractère exceptionnel du site de Saint-Sernin, tant du point de vue de l’histoire de la ville que de celui de son patrimoine archéologique et monumental.

Cliquez sur les images pour les agrandir.

     

     

       

      

Qu’est-ce que ces panneaux disent d’autre ?

Que l’écart est saisissant, entre le patrimoine exceptionnel que représente le site de Saint-Sernin et le projet d’aménagement qui n’en tient aucun compte.

Les places Saint-Sernin et Saint-Raymond qui entourent la basilique seraient traitées comme l’ont été la rue Alsace-Lorraine, la rue Gambetta, la place Saint-Pierre… On ne peut quand même pas considérer le simple tracé au sol qui serait censé rappeler l’emplacement du cloître de l’abbaye comme une mise en valeur du patrimoine ! Et qu’en est-il des autres édifices de l’abbaye ? Et la nécropole antique ? Etc.

Les galeries du cloître sont connues par des dessins et des plans, et leur évocation dans le traitement du sol de la place ne nécessite pas de fouilles archéologiques. Les sondages de diagnostic archéologique ne sont imposés que parce que la mise en place du revêtement de la place (une couche de béton sous un pavement ?) pourrait entraîner la destruction des premières couches archéologiques, et la reprise des réseaux et la plantation d’arbres des destructions plus importantes encore.

Le dernier panneau entretient d’ailleurs une confusion entre sondages (de diagnostic) et fouille préventive (voir ci-dessus : Un sondage n’est pas une fouille). Et que les « diagnostics archéologiques préventifs » aient pour objectif de « protéger » les « vestiges […] mis au jour sur site, confiés à un musée ou réenfouis pour une extraction (sic) ultérieure » est une formulation quelque peu… mais comment appelle-t-on ça ?

Toulouse a l’ambition d’être inscrite au Patrimoine mondial par l’UNESCO : c’est de patrimoine dont il s’agit, et non pas d’aménagements urbains.

BAU-B-Arquitectura I Urbanismo

France 3 Midi-Pyrénées 3/3/2015

9 juillet 2015


Toulouse et ses musées : une capitale européenne de la culture ?

Un dossier à suivre...


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