Société Archéologique  du Midi de la France
FacebookFlux RSS
Accueil > Présentation > La Société Archéologique du Midi de la France > Pour en savoir plus : Les débuts de la Société archéologique

Pour en savoir plus :
Les débuts de la Société archéologique

separateur

extrait de Louis Peyrusse, La connaissance par l’écrit et par l’image, dans Toulouse et l’art médiéval de 1830 à 1870. Musée des Augustins : octobre 1982-janvier 1983, catalogue de l’exposition, p. 27-28.


« Avant 1830, la connaissance que Toulouse pouvait avoir de son art médiéval passait par les rares travaux des érudits du XVIIIe siècle, surtout préoccupés d’histoire, et par les recherches d’Alexandre Du Mège, qui publiait peu et réservait à un cercle étroit de confrères parfois peu intéressés - l’Académie des Sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse, voire l’Institut à Paris - la primeur de ses découvertes et de ses dessins. De la Monarchie de Juillet à la fin du Second Empire, des initiatives diverses permettent de mieux connaître le moyen-âge et son art par l’intermédiaire de publications savantes, d’albums lithographiques, de congrès, de revues, voire de magazines destinés au grand public.

La première et la plus importante de ces initiatives fut, le 2 juin 1831, la fondation de la Société archéologique du Midi de la France : quatorze membres réunis dans le salon du marquis de Castellane, à l’initiative de Du Mège, se liguent pour " conserver et faire connaître les monuments [... ] étudier, recueillir, publier les monuments antiques et ceux du moyen-âge qui existent encore ou que l’on pourra découvrir, soit dans la Guienne, le Rouergue, l’Auvergne, le Languedoc, la Provence, soit dans les lieux où des tribus, parties du Midi de la Gaule, se sont établies soit encore dans les contrées de l’Orient qui ont été soumises par les Croisés Provençaux, Aquitains, Languedociens, etc.

Comment se présente cette société qui se fixe un si vaste programme ? Le mot et l’adjectif société archéologique sont neufs à Toulouse où n’existent que des académies : le modèle est à chercher en Normandie où Arcisse de Caumont fonda en 1823 la Société des antiquaires de Normandie (dont Du Mège fut membre correspondant). Mais la comparaison s’arrête là : l’on ne chercha pas dans le Midi à quadriller le territoire à étudier, chaque membre recevant une responsabilité dans son canton selon ses aptitudes ; aussi bien Du Mège et Castellane n’avaient pas les ressources humaines qu’offrait la Société Linnéenne, des curieux prêts à passer de l’étude des mousses et des coquilles à celle des monuments, en associant les compétences de l’érudit, de l’architecte, du géologue, du peintre et du poète. Au contraire, la société est conçue à Toulouse comme une académie, où l’élection est la règle, et le recrutement fut assez étroit. Lassé d’être une " vox clamans in deserto ", Du Mège voulut, par le biais d’une société spécialisée, créer un groupe de pression autorisé et efficace auprès des autorités. Et les légitimistes, chassés des fonctions officielles après la Révolution de Juillet, s’enrôlèrent de bonne grâce dans ce combat pour les vieilles pierres : la volonté de connaître et de maintenir un passé monarchique et catholique pouvait consoler des impuissances de la politique... Mais la coloration de la société fut soigneusement dosée : " il fallait que des hommes consciencieux, de toutes les opinions à l’exception, bien entendu, de celle qui voulait tout renverser, fussent admis en son sein ", déclara quelques années plus tard la Gazette du Languedoc.

Aucun de ces hommes n’avait de formation d’archéologue. Beaucoup venaient de la Société des Amis des Arts qui essayait de faire revivre l’Académie royale de peinture et de sculpture, au moins pour ses membres amateurs : fondée en 1814, cette assemblée organisa des expositions communes, projeta de publier un ouvrage sur les monuments de la ville, acheta des toiles modernes jouées à la loterie. Nos archéologues sont donc avant tout des collectionneurs et des dessinateurs. On ne sera pas surpris de constater que les " membres résidants " de la Société sont essentiellement des propriétaires occupant leurs loisirs (très souvent nobles : marquis de Castellane, de Rességuier, de Saint-Félix Mauremont, comte de Blégier de Pierre-Grosse, baron du Périer, etc.), ou de hauts magistrats, très rarement des clercs. Les universitaires ne font nombre qu’assez tardivement, tout comme les médecins. On est donc dans un milieu de sociabilité où se rassemblent des notables et quelques intellectuels.

Deux personnes sont essentielles dans les débuts de cette société : le marquis de Castellane qui, de 70 à 84 ans, la présida et Du Mège. Le marquis, assez âgé en 1831, a derrière lui une carrière militaire qui, semble-t-il, l’intéressa assez peu et des penchants décidés pour les arts et les lettres : il fut académicien libre avant la Révolution, peignit des camées à Londres pour vivre en exil, s’occupa du Bureau des Arts dans l’administration municipale de Toulouse, collectionna des " antiquités nationales ", réunit une iconographie historique de Madame de Sévigné, se fit construire assez tôt (avant 1812) un pavillon néo-gothique dans le parc du château de Maurens-Scopons, pavillon dédié à la mémoire du troubadour de la famille de Castellane, Boniface (qui aurait illustré la cour de Charles d’Anjou)... La décoration de ce pavillon provenait de Saint-Sernin pour les sculptures et sans doute des Jacobins ou des Carmes pour les chapiteaux et les colonnettes. Ses autres collections sont moins bien connues : il possédait de beaux incunables toulousains (passés dans la bibliothèque du docteur Desbarreaux-Bernard) et des manuscrits, en particulier cette Vision de Tindal qu’il édita, selon la " méthode " adoptée par le comte de Tressan au XVIIIe siècle, qui avait popularisé la littérature médiévale en réduisant les romans à des " extraits " précédés d’une notice. Cet antiquaire novice, passé par l’Angleterre et le courant troubadour, sut lancer de vastes travaux et imposer la société auprès des autorités locales ; il fut pour Du Mège une caution inespérée.

Portrait photographique d'Alexandre Du Mège (vers 1860 ?).

Est-il injuste de soutenir que les plus riches années de Du Mège sont alors derrière lui ? En 1831 il a cinquante et un ans. Né à La Haye, par hasard, d’un père comédien, il s’est fixé à Toulouse, où sans aucune formation, il a réussi à s’imposer comme l’archéologue et l’historien de la province : au point où on faillit le proposer pour occuper la chaire d’histoire à la Faculté des Lettres en 1830. Il avait bien sûr communié à toutes les idéologies et modes du temps : franc-maçonnerie, égyptomanie, celtomanie... dont certaines préoccupations se retrouvent dans deux de ses chantiers d’érudition : une Archéologie pyrénéenne qui devait présenter tous les monuments du Sud-Ouest, depuis l’époque gauloise jusqu’au XVIIIe siècle, et un Monasticum gallicanum qu’il rédigea par départements. Il est de fait, le successeur des grands érudits du siècle passé qu’il réédite, compile ou continue avec des accents qui lui sont particuliers : ses écrits révèlent une intrication totale entre l’homme et l’œuvre, entre la vie, la science et la mémoire. Une seule idée dans cette œuvre si confuse et si prolixe : un patriotisme méridional sans nuance exaltant les vieilles gloires et les monuments.

La même passion gouverne logiquement le conservateur du Musée des Antiques – ce musée dont il était si fier et qui devait lui valoir la reconnaissance publique et la victoire sur le temps. Non content de tout récupérer, de toutes les provenances possibles, originaux ou plâtres, il entend donner à ses collections une fonction historico-pédagogique : témoigner pour l’histoire (au besoin en recréant ces témoignages) et en enseignant la grandeur de la civilisation méridionale et l’exceptionnelle valeur des grands hommes du Midi...

Du Mège est le héraut de la Société archéologique à laquelle. il a donné sa devise " Gloriae majorum ", et au sein de laquelle, il n’obtint pas toujours un parfait assentiment. C’est aussi que les quarante années d’existence de la compagnie savante (secouée à ses débuts par la crise des faux marbres de Nérac) ne connaissent pas une fièvre identique à celle de la première période. Les trois présidences successives dessinent des articulations significatives : quinze années (1831-1845) brillantes et fécondes sous la direction du marquis de Castellane, vingt et une années (1845-1866) somnolentes, assez creuses, plus riches de discours que de travaux, pour Auguste d’Aldéguier, un bref intermède confus pour Caze (1866) et quatre années (1866-1870) pour le baron du Périer, qui constate une renaissance et un nouvel élan : les volumes des Mémoires montrent assez bien ces ruptures de rythme et l’inégale richesse des travaux.

Ces mémoires qui paraissent austères sont popularisés, republiés ou longuement analysés par la presse locale et ils semblent très bien reçus par l’opinion. Une revue de la presse dans les premières années est tout à fait étonnante : des républicains aux légitimistes en passant par le juste milieu gouvernemental, c’est l’union sacrée, qu’il s’agisse de l’incolore Journal de Toulouse (16 mars 1832) ou de la radicale Revue du Midi (t. 2, 1833) dont le directeur fondera en 1837 la républicaine Émancipation. Pour un peu, les légitimistes pousseraient à l’insurrection méridionale : " L’émancipation des provinces, c’est le cri de la France entière : et si tel est le vœu d’une saine politique, il n’en est pas moins celui des amis éclairés des lettres, des arts et des sciences. Tout en professant une admiration profonde, une entière déférence pour les savants dont Paris possède les réunions illustres, pourquoi les provinces ne seraient-elles point jalouses d’avoir aussi leurs sociétés, leurs académies d’où jailliraient de vives lumières, d’où se répandrait dans la France entière la vie intellectuelle ? " Les républicains, peu éloignés de ce point de vue, s’inscrivent dans le climat de nouvelle histoire définie par les Lettres sur l’histoire de France d’Augustin Thierry, espérant qu’il leur sera possible de démontrer que l’idée républicaine est inséparable du passé du Languedoc, terre de liberté. C’est dire que le moyen-âge à connaître est très convoité : sa signification ne sera pas neutre...

Le soutien de la presse, très actif au début, devient par la suite intermittent, selon la gravité des " affaires " soulevées, et se borne parfois à l’insertion des procès-verbaux des séances. La société par ce biais sut très bien faire connaître ses travaux et son rôle dans l’opinion. Son activité de conseil auprès des autorités fut plus discrète. Elle est pour l’administration une commission de sages et de spécialistes déjà constituée dont on sollicite les avis ou qui les donne spontanément. Sans faire l’histoire de quarante ans de vandalisme administratif, on notera que la société défendit avec vigueur les monuments toulousains, avec quelque bonheur : le musée à l’enrichissement duquel elle œuvre et elle veille, les Jacobins, la cathédrale Saint-Étienne pour laquelle elle demande en 1864 la conservation de la nef raimondine ; mais elle ne connut pas toujours le succès : le remarquable rapport de 1844 pour Saint-Sernin ne sera que très partiellement pris en compte par Viollet-le-Duc, et les démolisseurs firent peu cas des vœux des archéologues – comme de nos jours – : porte Montgaillard, réfectoire des Augustins, Capitole, arc triomphal du Pont-Neuf, etc.

Au total, la société joua fort bien son rôle de foyer d’études, de collections, de conservation et de combats. Elle fut aussi un salon, un cercle érudit, une forme nouvelle de la sociabilité méridionale, telle que l’a définie Maurice Agulhon. Les procès-verbaux, inédits de 1831 à 1869, disent très bien le charme d’un temps et d’une sociabilité autres qui ne doivent pas cacher la qualité des travaux et leurs limites : la société est trop étroitement repliée sur une position toulousaine, alors que son programme lui donnait tout le Midi comme champ d’études. La Société n’a pas joué un rôle d’impulsion dans les villes satellites : Albi, Auch, Rodez, Montauban, Carcassonne. Castres, Foix, Perpignan... en poussant à la création de sociétés correspondantes ; son rayonnement extérieur est très limité, les archéologues toulousains dédaignent les relais parisiens possibles ou les tribunes et congrès organisés par Arcisse de Caumont. Cette volonté d’autarcie intellectuelle, pari un peu fou maintenu avec constance, ne pouvait déboucher sur une activité de qualité. Les nouvelles générations qui font bouger la Société archéologique après 1865 le comprirent bien en s’insérant dans le mouvement scientifique français et international. »

 


© S.A.M.F. 1997. La S.A.M.F. autorise la reproduction de tout ou partie des pages du site sous réserve de la mention des auteurs et de l’origine des documents et à l’exclusion de toute utilisation commerciale ou onéreuse à quelque titre que ce soit.  

Haut de page