Société Archéologique  du Midi de la France
FacebookFlux RSS

Séance du 7 juin 2022

separateur

Communication longue de Jean-Luc Boudartchouk, Retour à Vouillé (printemps 507).

La bataille de Vouillé, au nord-ouest de Poitiers, qui eut lieu printemps 507, est un parfait exemple de bataille décisive aux frontières. À l’issue de cette confrontation, l’armée des Goths d’Aquitaine, dont le roi venait de mourir au combat, fut disloquée et les forces franques conquirent en une année l’essentiel du royaume Goth de Toulouse.
Comme souvent, à l’occasion d’obscurs et interminables débats, le déroulement comme la localisation de cet épisode historique essentiel ont été discutés. Pourtant, un retour aux sources textuelles couplé avec un réexamen des données archéologiques permet de reconstituer et de contextualiser avec précision les évènements qui décidèrent du sort de la Gaule méridionale pour les siècles à venir.

Présents : Mme Czerniak, Présidente, MM. Cabau, Directeur, Ahlsell de Toulza, Trésorier, Péligry, Bibliothécaire-archiviste, Mmes Napoléone, Secrétaire générale, Machabert Secrétaire-adjointe ; Mmes Vallée-Roche, Watin-Granchamp, MM. Boudartchouk, Cazes, Penent, Peyrusse, Sournia, membres titulaires ; Mme Ledru, M. Kérambloch, membres correspondants.
Excusés : Mmes Balty, Bessis, Cazes ; MM. Balty, Garrigou Granchamp, Garland, Macé, Tollon.

Après avoir ouvert la séance, la Présidente diffuse, de la part de Michelle Fournié, le programme du 57e colloque de Fanjeaux, qui aura pour sujet « Gui Foucois, pape Clément IV, et le Midi » et qui se déroulera du 4 au 7 juillet.
La Présidente rappelle ensuite que Mme Bonnabel, conservatrice des Jacobins, nous accueillera pour une visite de l’exposition Quoi de neuf au Moyen Âge ? le mardi 14 juin à 16h00. Elle invite les membres à s’inscrire pour assister à cette visite.
Le Trésorier informe de la revente du château de Saint-Élix. L’ancien château du marquis de Montespan, incendié deux fois en 1944 et entièrement restauré, fait l’objet d’une procédure de vente judiciaire. La mise à prix est à 750 000 €. Compte-tenu de la valeur de ce monument inscrit, Daniel Cazes interroge : ne serait-ce pas à la puissance publique de se porter acquéreur ? Guy Ahlsell de Toulza rappelle que le Département doit déjà gérer le château de Laréole, dont la restauration n’est toujours pas achevée. Louis Peyrusse ajoute qu’il faut parvenir à définir une fonction pour ces lieux.
La Présidente donne ensuite la parole à Jean-Luc Bourdartchouk pour la communication longue du jour : Retour à Vouillé (printemps 507).
À l’issue, la Présidente remercie Jean-Luc Bourdartchouk pour sa présentation. Elle souligne l’intérêt de ce point historiographique précis, sur un sujet complexe. Il ne subsiste en effet aucune trace archéologique de cet évènement, remarque-t-elle. Jean-Luc Bourdartchouk rappelle qu’il n’en existe pas non plus pour la bataille des Champs catalauniques, alors qu’il s’agissait d’un engagement sans doute beaucoup plus important. Ceci est expliqué par le fait que tout a été ramassé après les batailles (documenté par des sources médiévales). Guy Ahlsell de Toulza demande ce que représentaient les effectifs engagés. Jean-Luc Bourdartchouk estime ces effectifs à quelques milliers de guerriers. Guy Ahlsell de Toulza demande alors combien sont susceptibles d’être arrivés à Toulouse ? Jean-Luc Bourdartchouk annonce le même nombre, les pertes étant habituellement quantifiées à 10-20 % et toujours compensées. Il poursuit sur l’importance de l’aspect politique. La zone qui va être absorbée par le royaume mérovingien naissant est, sans doute, supérieure démographiquement ; elle est supérieure économiquement et est plus étendue, la conquête doit donc se faire impérativement avec l’appui des populations. Le Trésorier note qu’il y a ainsi un lent basculement vers les Francs de Clovis (dans les années 520-530, sur une fourchette large), et s’interroge alors sur la manière dont se déroule cette conquête, notamment les adaptations administratives dans les villes. Comme dans tous les conflits, des villes se rendent, indique notre confrère. D’autre part, il n’y a pas nécessairement de renouvellement administratif, par exemple entre le concile wisigoth de 506 et le concile « clovisien » de 511, la majorité des évêques est inchangée, l’essentiel des administrations est donc resté en place. Notre Trésorier revient sur cette continuité. Le processus est proche de celui observé lors de l’installation des Goths complète Jean-Luc Bourdartchouk, sans problème de grande ampleur et sur la base d’accords en termes de continuité et de compensations. Notre Trésorier mentionne le rôle de Rome. À l’époque Constantinople commence à s’inquiéter de cette « fédération » de royaumes goths en pleine croissance entre l’Italie, l’Espagne et la Gaule du Sud explique notre confrère. Il est urgent pour Constantinople d’agir pour éviter une hégémonie gothique en Europe occidentale. Il est possible que la puissance byzantine inonde de moyens le royaume mérovingien en préparation de l’offensive. À cet appui de l’Empire romain d’Orient s’ajoute l’armée romaine du nord de la Gaule qui s’était intégrée à l’armée franque. Le corps de bataille devait être assez exceptionnel pour l’époque. Les Wisigoths n’étaient eux, probablement, pas préparés à une telle confrontation. D’ailleurs, dans les lettres échangées avec Théodoric d’Italie, celui-ci, conscient de ce déséquilibre, essaie de temporiser. Ceci explique-t-il la formule de Grégoire de Tours disant « les Goths s’enfuient comme à leur habitude » demande alors Virginie Czerniak ? Il s’agit en fait d’une réputation inventée par l’auteur. Notre confrère indique qu’il s’agit aussi d’une ruse de guerre que de faire croire au retrait des troupes.
Le Directeur revient sur un événement relaté dans le texte de Grégoire de Tours (livre II, chapitre 35) : après le récit de l’entrevue sollicitée par Alaric auprès de Clovis s’intercale l’épisode de l’évêque de Rodez, Quintianus, écarté par les Wisigoths. Ce fait déclenche l’opération en direction des Ariens. En effet, il y a une partie du corps épiscopal qui apporte un véritable soutien politique aux Francs répond Jean-Luc Bourdartchouk.
La conquête franque a dû être plus longue, avec des histoires plus particulières, que ce qu’en écrit Grégoire de Tours. Il semble difficile de concevoir une conquête si rapide sans une certaine neutralité des populations et des élites. Dominique Watin-Grandchamp constate qu’il ne devait donc pas y avoir beaucoup de forces en présence et, s’interrogeant sur la place de Vouillé, demande s’il y a d’autres sites de combats, des foyers de résistance. Jean-Luc Bourdartchouk répond qu’il y a bien des récits de sièges. Vouillé est important pour assurer le contrôle entre le littoral et Poitiers. Après la mort d’Alaric II au combat, les moyens étaient insuffisants pour bloquer l’avancée de Clovis.
Daniel Cazes félicite notre confrère pour sa présentation. Il précise que le texte de Grégoire de Tours ne se distingue guère des récits du genre : les vaincus sont fréquemment accusés par les chroniqueurs de conflits armés de tous les maux, à Vouillé comme dans les batailles de l’Antiquité et autres. Il faut donc faire la part de la propagande.
Il relève ensuite qu’aucun texte n’informe sur le sort du corps d’Alaric après la bataille : est-il resté sur place, a-t-il été inhumé à Poitiers, transporté à Toulouse ? S’il y a bien eu une nécropole royale à Toulouse, il était le dernier souverain qui aurait pu y avoir une place auprès de ses prédécesseurs. Des recherches archéologiques complémentaires éclaireraient cette question.
Il revient enfin sur le sceau d’Alaric conservé au Kunsthistorisches Museum de Vienne et sur sa comparaison avec un second découvert récemment. Ce dernier, provenant d’une collection privée de Grande-Bretagne, a fait l’objet d’une étude par une gemmologue qui a conclu que les deux exemplaires ont été fabriqués par le même artisan (les deux pierres proviennent du même gisement). Notre confrère n’est pas convaincu par cette conclusion. Au vu des photographies, il semble au contraire s’agir d’une copie maladroite du premier pour la réalisation du second. D’autre part, selon lui cette confrontation ne résout pas les interrogations sur l’authenticité de la matrice de Vienne (rien dans son iconographie schématique ne s’opposant à cette authenticité). Un doute doit donc subsister. L’auteur de la communication maintient ses positions concernant le fort doute pesant sur l’authenticité du sceau d’Alaric et insiste sur sa dépendance graphique et épigraphique au regard du sceau de Childéric, documenté lui, d’un point de vue archéologique.

Marie Vallée-Roche s’interroge sur la confusion à l’origine de la retranscription erronée de l’occurrence « Carcassonne » dans le texte de Procope (Guerre des Goths, I, 12). Jean-Luc Bourdartchouk répond qu’avec cette variante le sens même du texte disparaît. En lisant « Poitiers », il retrouve une cohérence.

Notre Trésorier signale une remarquable exposition : « Pierres gravées : camées, intailles et bagues de la collection Guy Ladrière » à Paris chez Van Cleef & Arpels (École des Arts Joailliers, rue Danielle Casanova, jusqu’au 1er octobre 2022). Elle regroupe 250 camées et intailles de l’époque grecque à la Renaissance.

Jean-Luc Bourdartchouk demande à ses confrères leur avis sur le casque « d’Alaric » figuré par Beaumesnil. Louis Peyrusse confirme une réalisation moderne, répondant à une tradition italienne des casques de parade. Le calice voisin s’inscrit dans cette même tendance, poursuit le Trésorier. Il en existe de ce type dans l’Antiquité, complète Daniel Cazes, un montage d’une coupe antique sur une monture plus récente n’est ainsi pas à exclure.

Question d’actualité proposée par Jean-Luc Boudartchouk : Un élément du sarcophage dit « de saint Didier » au Musée de Cahors (récemment réouvert) représentant un soldat romain du IVe siècle.
La matière de ce morceau du sarcophage dit « de saint Didier », à nouveau exposé au Musée de Cahors, semble plus fine que du marbre de Saint-Béat. Les visages sont détruits, mais ce fragment propose une rare représentation réaliste de bouclier pour le IVe siècle. Il peut être mis en relation avec les planches de boucliers de la fin du IVe siècle qui figurent dans la Notice des dignités.
Ce fragment aurait été associé à une cuve conservée à Saint-Pétersbourg. Toutefois, les descriptions plus anciennes ne mentionnent jamais cette cuve, aujourd’hui parfaitement intacte, contrairement au couvercle. Les deux objets semblent donc sans lien.
La Présidente s’interroge sur la facture de la sculpture. Daniel Cazes confirme qu’elle correspond à la production romaine de la première moitié du IVe siècle, en dehors de quelques œuvres exceptionnelles (tel le sarcophage de Junius Bassus). Notre confrère n’est ainsi pas surpris que le marbre ne soit pas de Saint-Béat : selon lui, il s’agit d’une production romaine.
La Présidente demande si à Cahors, nœud de circulation important, des acheminements de sarcophages ou de marbre depuis Rome sont connus. Daniel Cazes répond que les ateliers de Rome sont alors dominants en Occident. Ils reçoivent des marbres provenant de toute la Méditerranée (essentiellement de Carrare) et ont une production « en série » diffusée en Méditerranée occidentale (le Sud de la France, l’Espagne, l’Italie, curieusement pas en Afrique du Nord, pourtant très christianisée…). Il n’est donc pas surprenant d’en trouver à Cahors ; il en a d’ailleurs été découvert à Moissac. Au cours de la seconde moitié du IVe siècle ces ateliers de Rome s’affaiblissent, mais la demande reste forte notamment de la part de l’aristocratie occidentale. La production de Rome est insuffisante et des relais apparaissent, poursuit Daniel Cazes. Des ateliers naissent dans le Midi de la France, un à Marseille, un autre probablement à Toulouse. L’approvisionnement en marbre y est facile grâce à la Garonne. Dans le Sud-Ouest les techniques se transforment et le travail se simplifie pour pouvoir produire plus et plus vite.

Haut de page