Société Archéologique  du Midi de la France
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Ils en ont parlé...

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Dessin Philippe Biard, Studio Différemment 2015, publié dans A Toulouse, n° 39, été 2015, p. 60-61.


QUEL PROJET POUR SAINT-SERNIN ?

SOUS UN LINCEUL DE PAVÉS, UNE HISTOIRE À JAMAIS ENSEVELIE

La basilique Saint-Sernin, dont le clocher figurait déjà au XIIIe siècle sur les plus anciens sceaux de la Ville, apparaît sans conteste comme le monument le plus emblématique de Toulouse. Étape obligée sur une grande route de pèlerinage, joyau de l’art roman universellement connu, point de convergence autour duquel, dès le XIIe siècle, s’est organisé le Bourg en contrepoint de la Cité, cet édifice, qui prit la place d’une église paléochrétienne du IVe siècle, cristallisa autour de lui la formation d’un ensemble de bâtiments médiévaux (logis abbatial, maison des prébendiers, cloître, salle capitulaire, hôpital) dont la plupart ont aujourd’hui disparu, à l’exception de l’actuel musée Saint-Raymond. C’est dire à quel point il fut à la fois le théâtre et le témoin des événements qui ont rythmé l’histoire de notre ville.
Depuis longtemps les historiens ont fait parler les pierres, les ors, les peintures, les objets de culte et les archives de la basilique Saint-Sernin ; il reste toutefois des points d’ombre à éclaircir, des incertitudes à dissiper, et même des découvertes à faire pour mieux appréhender le passé de notre ville : en exhumant les vestiges enfouis dans le sous-sol de la place qui doit être bientôt réaménagée par l’architecte catalan Joan Busquets, les archéologues – si toutefois on leur permettait de mener à bien de véritables fouilles – trouveraient à coup sûr de nombreux et précieux témoignages porteurs de sens et pleins d’enseignement sur l’histoire toulousaine. Au cours de l’été 2015, de simples sondages ont permis de déceler, presque à fleur de bitume, à la fois des pans de murs, des restes de piliers et des fondations d’origine médiévale appartenant à l’hôpital Saint-Raymond, à une chapelle datant de 1100 et même à une sacristie détruite dans les années 1840 ; on a pu mettre en évidence le mur du cimetière des pèlerins ou encore le tracé du cloître, démantelé lors de la Révolution française. Ces sondages ont également fait surgir en pleine lumière de nombreuses sépultures (notamment à proximité de la porte Miègeville), et surtout une exceptionnelle pierre tombale comportant une épitaphe, celle de Jean Dominique (notaire décédé le 12 avril 1283), ainsi que deux magnifiques chapiteaux sculptés du XIIe siècle provenant du cloître, enchâssés dans un mur du XIXe siècle mais parvenus jusqu’à nous dans un parfait état de conservation. Une telle trouvaille permet donc de porter à vingt (en comptant ceux conservés au musée des Augustins) le nombre de chapiteaux du cloître Saint-Sernin aujourd’hui connus, identifiés, répertoriés, soit environ 20 % de l’ensemble. Et si l’on en trouvait dix autres, vingt autres ? Ces différentes découvertes, qui confirment les hypothèses des archéologues, ont fait naître d’immenses espoirs au sein de la communauté scientifique, suscitent une vive curiosité auprès de la population toulousaine et devraient nourrir les plus grandes ambitions chez ceux qui ont la responsabilité de la chose publique.
Que ne découvrirait-on pas si l’on voulait bien organiser un programme de fouilles dignes de ce nom au lieu de se contenter de quelques égratignures dont les résultats se sont avérés pourtant si prometteurs ? Pourfendons les idées reçues qui accablent de tous les maux l’archéologie préventive : les fouilles, limitées dans l’espace et dans le temps, ne retarderaient pas plus de quelques mois le chantier de réaménagement de la place Saint-Sernin. En outre une crypte archéologique, à l’instar de celle de Notre-Dame de Paris, un musée de l’œuvre, comme il en existe tant au-delà des Pyrénées ou au-delà des Alpes (même dans des villes de dix ou vingt mille habitants) complèteraient de façon rationnelle le dispositif de mise en valeur des vestiges déjà découverts ou à découvrir et donneraient un caractère exemplaire à un projet qui pèsera beaucoup dans la candidature de Toulouse au prestigieux label de « Patrimoine de l’Humanité » décerné par l’UNESCO.« L’archéologie permet de comprendre l’histoire, de nous situer dans l’histoire et d’en tirer des leçons pour l’avenir... Contrairement aux bétonneurs qui légitiment la destruction des sites archéologiques pour bâtir “au nom des vivants‘’, l’archéologie préventive permet aux vivants, grâce aux morts, de préparer l’avenir des futurs vivants » (Jean-Paul Demoule, président de l’INRAP de 2001 à 2008).

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En bétonnant les vestiges enfouis dans le sous-sol de la place Saint-Sernin au motif de les préserver pour les générations futures, on risque de signer un acte de vandalisme sournois, moins sauvage et moins spectaculaire mais tout aussi révoltant que la rage destructrice des Talibans, car aucun édile n’osera, avant plusieurs décennies, peut-être jamais, casser le sarcophage de béton, de pavés et de gazon, pour rechercher, tel Indiana Jones, les précieux indices révélateurs de notre histoire commune. Évitons de commettre aujourd’hui une erreur historique dans un lieu historique. Il ne s’agit pas seulement d’aménager un agréable espace piétonnier et arboré autour de la basilique Saint-Sernin, même conçu par un architecte de réputation mondiale ; il ne s’agit pas d’un banal projet d’urbanisme, comme on en trouve un peu partout en France, mais d’un projet à caractère patrimonial, à forte valeur ajoutée, induisant d’appréciables retombées économiques, touristiques et culturelles. Et ce serait tout à l’honneur de l’actuelle municipalité de mener à bien un chantier aussi important malgré la bénédiction de commissions étrangement frileuses et l’avis d’un expert de la DRAC (Direction Régionale des Affaires Culturelles) qui fait sienne, toute honte bue, l’idée de surélever le sol de la nouvelle place afin de ne pas porter atteinte aux vestiges archéologiques !
L’actuel premier magistrat de Toulouse, en repoussant les mauvais conseils des uns et en écartant les mauvaises raisons des autres, devrait avoir la lucidité, le courage et la volonté de défendre un vrai projet, à la hauteur de l’objectif poursuivi, un projet fort, ambitieux, exemplaire, fédérateur, pour mieux affirmer urbi et orbi l’identité de notre Ville autour de la basilique Saint-Sernin, qui est l’un des plus grands édifices romans connus, classé Monument historique dès 1840 puis en 1998 par l’UNESCO au titre des chemins de Saint-Jacques de Compostelle. Le véritable emblème de Toulouse figurant sur son blason n’est ni un ballon de rugby, ni une violette, ni un cassoulet fumant, ni la Halle aux grains, ni l’Hôtel d’Assézat, ni même un Airbus 380 ; c’est Saint-Sernin, dont le chevet fut consacré le 24 mai 1096 par le pape Urbain II et dont le clocher permit à Jérôme Münzer, un médecin bavarois de passage chez nous à la fin du XVe siècle, d’admirer « le spectacle joyeux offert par la beauté de l’aspect et du site de ce lieu, qui est le double de Nuremberg ». En définitive, qui se montre hostile, aujourd’hui, excepté le Maire de Toulouse lui-même, à un programme aussi exaltant ? Qui s’en prendrait au Maire de Toulouse si ce dernier faisait de ce projet un des projets-phares de son mandat ? Personne, en vérité. Ne nous résignons pas à l’idée que Toulouse soit condamnée, et pour longtemps encore, à rester la capitale du vandalisme. Si nous méprisons à ce point l’Histoire, notre Ville paiera un jour le prix d’un tel aveuglement ; elle perdra de son aura, de son lustre, de son prestige et ne pourra guère conserver, à l’avenir, son statut flatteur de Palladia Tolosa.

Christian Péligry
Conservateur honoraire de la Bibliothèque municipale de Toulouse
20 novembre 2016


PONTIFICIO ISTITUTO DI ARCHEOLOGIA CRISTIANA
IL RETTORE

Courrier adressé le 21 janvier 1999 à Dominique Baudis, maire de Toulouse, par le recteur de l’Institut pontifical d’archéologie chrétienne (Rome)

Monsieur le Maire,

De retour à Rome, après avoir tenu la première conférence de l’année dans le cadre des activités du Musée Saint-Raymond, je tiens à vous exprimer tous mes remerciements et toute ma gratitude pour cette invitation.
(...)
J’ai été aussi ébloui par les réalisations à peine achevées, ou en cours,dans le domaine spécifique de mes compétences. C’est tout d’abord la présentation nouvelle du Musée St-Raymond que j’ai trouvée fascinante par sa qualité, la beauté deslocaux et la symbiose réussie avec les découvertes archéologiques récentes, même si le musée est déjà trop petit pour contenir tous les trésors archéologiques toulousains. Vous saurez, j’en suis sûr, trouver les solutions adéquates, avec M. Cazes, que j’ai connu à cette occasion (...). Vous avez avec la villa de Chiragan un site magnifique, dont le richissime matériel archéologique est enfin magnifiquement présenté au musée, mais qui mériterait d’être exploité archéologiquement pour en révéler tous les mystères qu’il conserve, puisqu’il est encore intégralement exploitable.
C’est enfin Saint-Pierre-des-Cuisines que j’ai pu enfin découvrir et qui est devenu,grâce aux excellents travaux dirigés et publiés par Madame Cazes, avec laquelle j’ai eu le plaisir de visiter le monument, l’un des monuments paléochrétiens les plus importants du sud-ouest. Cela fait d’autant plus regretter à notre communauté scientifique que le complexe de Saint-Sernin n’ait encore jamais été l’objet d’une recherche programmée digne de ce nom. Les premiers résultats du musée sont prometteurs, mais l’essentiel reste à faire, à l’intérieur et aux abords de la basilique. Un magnifique parc archéologique qui serait un attrait supplémentaire pour les habitants de Toulouse et ses visiteurs y est possible. Vous détenez là l’un des sites les plus importants des Gaules pour nos origines chrétiennes et le martyre le plus ancien après ceux de Lyon, en 177, ainsi que l’un de ceux pour lesquels nous disposons d’une documentation littéraire unique.

Après cette visite et cet accueil magnifique à Toulouse, j’envisage d’organiser pour nos étudiants de troisième cycle (une centaine à l’heure actuelle provenant desquatre coins du monde) un voyage d’études dans votre ville et dans la région. Saint-Sernin en sera un des moments les plus forts. Il dépendra des projets éventuels de mise en valeur archéologique qu’il puisse devenir le centre paléochrétien le plus riche du Sud-Ouest.

Vous excuserez, je l’espère, la longueur de ce texte que m’a suscité l’enthousiasme pour votre ville. Veuillez croire, Monsieur le Maire, à l’expression de ma plus haute considération,

Prof. Philippe Pergola


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