Société Archéologique  du Midi de la France
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Vers l’UNESCO, une très longue route...

L’Auta Août-Septembre 2015, p. 270-273
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Articles reproduits avec l’aimable autorisation de L’Auta.

Vers l’UNESCO, une très longue route...

La route vers la « reconnaissance » de la ville de Toulouse par l’UNESCO sera longue et difficile. Cette aventure dépassera largement la durée du mandat de l’actuelle municipalité qui est déterminée à lancer la Ville dans cette rude escalade...
Tout le monde en est parfaitement conscient. C’est un engagement au long cours sur au moins une décennie et peut-être plus ! Pour ce grand projet, l’installation par notre maire, M. Jean-Luc Moudenc, le 12 mai d’un comité scientifique et le 22 mai d’un comité d’orientation (auquel participent les Toulousains de Toulouse) symbolise le tout premier jalon de ce parcours homérique dont il faut bien évaluer les principales difficultés !

La science des projets, disait le marquis de Vauvenargues, consiste à prévenir les difficultés de leur réalisation.
Plus que jamais ce sage aphorisme mérite d’être médité et appliqué !

D’abord connaître le terrain et la topographie du parcours envisagé. Paradoxalement, l’extraordinaire richesse du patrimoine français peut représenter un premier problème. Sur les 1007 biens actuellement inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO, la France est en effet « très bien servie » puisqu’elle en compte 41. Ceci va peser sur la sélection de la candidature toulousaine comme elle pèse déjà sur les candidatures françaises dont les dossiers sont dès à présent en liste d’attente. Il y a concurrence et la barre est donc placée très haut. Il ne suffit pas de déclarer « Toulouse est une très belle ville » (qui peut et doit être encore embellie !) et « a une histoire très intéressante ». Il faut faire l’inventaire des biens qui peuvent fonder la demande et les rassembler autour d’une ligne de force qui témoigne de l’originalité de la candidature. Cela demande de dégager un thème spécifique véritablement porteur, non redondant (ou le moins possible) avec ceux déjà primés ou ceux de nos concurrents déjà en piste, dont certains attendent depuis plus vingt ans !

A cela, il faut ajouter le nécessaire soutien sans réserve de toute la population toulousaine et l’union parfaite de tous les protagonistes, à la fois des autorités publiques et de la société civile. Un projet innovant (on aime bien ce mot aujourd’hui), culturel, original et populaire ! Nos « joyaux », reconnus actuellement par l’UNESCO, sont d’une part les sites de Saint-Sernin et de l’Hôtel-Dieu au titre des chemins de Saint-Jacques et d’autre part le canal du Midi. Avant même de candidater, il faut les entretenir et les embellir, le plus et le mieux possible, sous risque de déclassement des acquis actuels ou du refus de notre future demande. La Société Archéologique du Midi de la France a déjà souligné, il y a quelques mois, cette importante et incontournable exigence,
Les Toulousains de Toulouse, conscients de tous ces impératifs, se réjouissent néanmoins de la grande « renaissance patrimoniale » qui vient d’éclore dans la Ville rose. Ils participeront sans réserve à cette grande et belle aventure.

JACQUES FREXINOS

Toulouse candidate au patrimoine mondial de l’UNESCO : Une chance pour la basilique Saint-Sernin ?

Toulouse a reçu le qualificatif de « patrie du vandalisme » au XIXe siècle de la part du comte de Montalembert dans une lettre qu’il adressait à Victor Hugo en 1833. Cette appréciation peu flatteuse était-elle justifiée ? Il est vrai qu’après la Révolution, la réquisition de plusieurs monuments religieux (jacobins, Cordeliers) par les militaires s’est soldée par des dégradations majeures de ces édifices. C’est aussi dans les premières années du XIXe siècle que les cloîtres de Saint-Sernin, des Carmes, de La Daurade et de Saint-Etienne ont été vendus et démolis.

Le centre historique de Toulouse limité par la Garonne et son rempart gallo-romain (puis médiéval), occupe une superficie relativement réduite et se caractérise par un enchevêtrement de petites ruelles tortueuses. Il eût été facile de repousser de nombreuses constructions modernes à l’extérieur de ce périmètre. Le rempart, donné à la ville par Napoléon Ier, a été démoli à la fin des années 1820 pour implanter les boulevards. Grâce aux travaux de l’abbé Baccrabère, son tracé était bien connu et il était facile d’émettre des réserves, voire des interdictions de démolition, lors de travaux dans les endroits sensibles. La deuxième moitié du XIXe siècle (1856-1911) n’a pas été plus soucieuse de la préservation du patrimoine architectural toulousain. Elle voit le percement de grandes artères haussmanniennes : Alsace-Lorraine, Languedoc, Metz, Ozenne qui entraînent notamment les disparitions de plusieurs hôtels particuliers et du réfectoire du couvent des Augustins.
Au début du XXe siècle, c’est encore le projet insensé de l’ingénieur Pendariès qui propose la démolition du Pont-Neuf, de l’hospice de La Grave et de l’Hôtel-Dieu qui ralentissent le cours de la Garonne pour protéger Toulouse des inondations ! Les Toulousains de Toulouse et d’autres se sont battus pour s’opposer à ce projet dévastateur et ils ont gagné ! Ils ont réussi à sauver ces éléments inséparables du paysage des bords de Garonne (1).

Rien de tout cela ne serait possible aujourd’hui, nous répondra-t-on !
En effet, il existe aujourd’hui des organismes chargés de protéger notre patrimoine, mais ont-ils de réels moyens d’intervention ? Il s’avère qu’ils sont parfois inefficaces et le jugement de Charles de Montalembert était prémonitoire, car les démolitions et les disparitions se sont poursuivies... encore de nos jours, dans les années 1970 : Porterie et rempart gallo-romain lors du creusement du parking de la place du Capitole, immeuble des Américains et Maison Modèle boulevard Lazare-Carnot, hôtel de l’Automobile-Club du Midi, bases du rempart et d’une tour dans le square De Gaulle (2), la courtine et la tour de la rue Bida, le Palais des Grâces rue Valade, etc., sans oublier la rénovation du quartier Saint-Georges. Plus récemment encore, on constate la destruction des vestiges du palais wisigoth à l’emplacement de l’ancien hôpital Larrey, d’un morceau de monument à l’emplacement de la Toulouse School of Economics, etc. Ces disparitions se déroulent en toute quiétude et avec toujours d’excellentes raisons pour justifier l’injustifiable : on ne pouvait pas faire autrement !

Un projet de réaménagement de la Ville a été confié à l’architecte Joan Busquets en 2010. Entre autres réalisations, le centre-ville s’est ouvert à son fleuve, la priorité de circulation a été donnée aux piétons, le square De Gaulle a été redessiné... Aujourd’hui la nouvelle Municipalité poursuit cet ensemble de projets (14 sont prévus d’ici 2020 avec quelques corrections cependant) et projette de faire inscrire Toulouse au patrimoine mondial de l’UNESCO. C’est une excellente idée et on ne peut que se réjouir de cette initiative, mais comme titrait un journal local « on part de très loin ». C’est tellement vrai !
Les projets présentés par M. Busquets s’inscrivent dans cette perspective de demande de classement : création d’axes rayonnant depuis le Capitole vers la Garonne (après les rues Romiguières et Pargaminières, il y aura l’aménagement des rues des Lois, Gambetta et Jean-Suau) ou vers la gare Matabiau (rues Bayard et allées Jean-Jaurès), liaison des deux rives de la Garonne par les rues de Metz et de la République et aménagement plus vivant des quais et des berges, de la place Saint-Pierre, de la place du Salin, la végétalisation de certains axes, ainsi que la mise en valeur et la restauration de quelques monuments.

Parmi les joyaux de notre ville, il y a la basilique Saint-Sernin. C’est la plus vaste église romane au monde, elle possède le plus grand nombre de reliques après la basilique Saint-Pierre de Rome, inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO en 1998 au titre des chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle.
On peut se demander si cet édifice qui est pourtant classé « monument historique » fait bien l’objet d’un entretien périodique. Il est insupportable de constater qu’aujourd’hui ce prestigieux monument est jour et nuit cerné par des véhicules en stationnement. Par ailleurs, il est de plus en plus urgent d’en restaurer l’enfeu des comtes de Toulouse et la façade dont une partie est entourée d’un filet qui protège les passants des chutes de pierres, mais qui n’empêche pas l’infiltration des eaux de pluie à l’intérieur de l’édifice.
Avant d’être une basilique, elle a été une abbaye située hors les murs et entourée de nombreux bâtiments, certains fonctionnels (greniers, caves, chais, écuries, etc.) qui permettaient de stocker la dîme récoltée en nature et d’autres nécessaires à la vie monastique : cloître (de mêmes dimensions et sans doute de même qualité que celui de Moissac), plusieurs chapelles, logis de l’abbé, campanile, cimetières, le tout entouré d’un fossé et d’un mur d’enceinte dont il ne subsiste qu’un portail en avant de la porte Miègeville et encore les divers bâtiments hospitaliers qui se sont succédé à proximité. Les substructions de tous ces bâtiments existent encore sous terre et des fouilles devraient permettre de mettre à jour leur emprise au sol et de faire quelques découvertes intéressantes concernant notamment les nécropoles antique et paléochrétienne, les dépendances du collège Saint-Raymond, l’ancien hôpital du Petit Saint-Jacques, etc. La Vil le étant l’unique maître d’ouvrage de la basilique, du musée Saint-Raymond et de l’hôtel Dubarry, cela devrait faciliter la mise en œuvre d’un projet de grande ampleur pour cet ensemble exceptionnel d’édifices.

Des sondages ont été réalisés, mais ce ne sera pas suffisant, ils doivent être suivis de véritables fouilles qui conditionneront l’aménagement futur des lieux el la grande question est de savoir ce que l’on va faire après ces indispensables fouilles pour mettre en valeur ce qui aura été découvert et pour restituer ce qui a été l’abbaye de Saint-Sernin et ses dépendances, ce foyer européen de culture qui a fait et qui fera demain – nous l’espérons – la fierté de Toulouse. Une chance pour la mise en va leur de ce patrimoine que l’on ne peut pas laisser passer (3).

JEAN-PIERRE SUZZONI

(1) Voir « Le Pont-Neuf et les Hôpitaux de Toulouse menacés », L’Auta, numéro spécial, n° 16, octobre 1916, & « La Question du Pont-Neuf et des Hôpitaux de Toulouse », L’Auta, numéro spécial, n° 18, avril 1917.
(2) Il semble qu’un petit tronçon du rempart sera remonté prochainement dans le square De Gaulle.
(3) Avec mes remerciements à MM. Daniel Cazes et Georges Brielle.

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