C’est attendrissant. Mais voyons plutôt…
L’un des premiers grands chantiers de la réorganisation de la circulation dans le centre de Toulouse, antérieur au projet d’ensemble de Joan Busquets, la rue Alsace-Lorraine a été entièrement refaite en 2010-2011, après un réaménagement provisoire en 2007, avec reprise des réseaux d’égout, d’eau, de gaz, etc. et pose du fameux pavement de granite sur couche de béton… Or la rue Alsace-Lorraine est un percement « haussmannien » des années 1860-1870, qui a taillé dans le tissu ancien de la ville depuis le musée des Augustins jusqu’au boulevard de Strasbourg. Avez-vous entendu parler de la moindre découverte archéologique ? Pas le moindre mur du XVIe siècle, pas la moindre piécette du Moyen Âge ? Les archéologues inévitablement affectés à la surveillance du chantier devaient avoir la tête en l’air… ou bien ont-ils oublié d’informer le public ?
Mais vous avez sans aucun doute entendu parler des inévitables découvertes et des fouilles archéologiques faites rue des Lois où des témoins disent avoir aperçu des murs sans doute du Moyen Âge dans d’impressionnantes excavations faites à proximité du Collège de Foix et de la chapelle de Rieux… Rien non plus ?
En 2011 ont été retrouvés sur le site de la future Toulouse School of Economy les murs d’un grand édifice à péristyle du Ve siècle, probablement un monument funéraire wisigoth, dont des vestiges avaient déjà été reconnus en 1995 au nord de l’église Saint-Pierre-des-Cuisines et recouverts par l’école de danse où une portion de mur est néanmoins restée visible dans une cave aménagée à cet effet. Une large partie de ce bâtiment se trouve encore sous l’allée des Tilleuls voisine, et pourra être fouillée un jour. Pensez-vous qu’après avoir déploré la destruction des vestiges du palais des rois wisigoths de l’ancien hôpital Larrey on ait voulu conserver pour les générations futures, dans une crypte archéologique, ceux de la Toulouse School of Economy ? Ils sont partis à la décharge.
En 2013-2015, c’est au tour de la place Saint-Pierre et du port de la Daurade d’être réaménagés. Les bords de Garonne ont vu se développer depuis 2000 ans des activités diverses liées au fleuve et les deux sites sont aussi sur le tracé de l’enceinte romaine et de l’une de ses portes, dont la présence a été signalée avant les travaux. Un diagnostic avait été prescrit pour le site de Saint-Pierre qui a pourtant été décaissé de trois à quatre mètres sans autre forme de procès, les tanneries mises au jour provoquant une fouille d’urgence express de cinq jours avant que tout soit ré-enfoui. Et aucune étude des portions de l’enceinte romaine… mais une opération de communication avec une journée « porte ouverte » afin de montrer aux Toulousains tout l’intérêt de la recherche archéologique !
Et voilà le site de Saint-Sernin décrété « réserve archéologique »… parce que l’archéologie est destructrice ! Et au nom de l’application de la convention européenne sur l’archéologie…
Voyons encore.
L’archéologie est destructrice : certes puisqu’elle détruit les couches qu’elle démonte pour les étudier, mais elle ne manque pas pour autant de discernement. Ce que vous voyez dans les cryptes archéologiques du musée Saint-Raymond, de Saint-Pierre-des-Cuisines ou du palais de justice est le résultat des « destructions » des archéologues.
L’archéologie préventive (de sauvetage) n’aurait pas les moyens de fouilles véritablement scientifiques et c’est la raison pour laquelle il ne faudrait pas fouiller le site de Saint-Sernin. Si la Mairie de Toulouse décidait de faire de telles fouilles, avec pour projet un musée de site, elle n’aurait pas à cœur de faire une fouille exemplaire ? Et ce ne serait pas le rôle de la DRAC de l’y aider ?
Toute fouille étant destructrice, il ne faudrait fouiller que lorsqu’il y a menace de destruction de couches archéologiques, lors de chantiers pour le métro, pour une autoroute, ou pour la construction d’un bâtiment… Donc plus de fouilles programmées, et seulement des fouilles de sauvetage (qui n’auraient pas les moyens etc.). La Dépêche du Midi a pourtant fait état l’été dernier de la reprise des fouilles à Saint-Bertrand-de-Comminges par l’Université : des fouilles programmées, obligatoirement autorisées par la DRAC… Mais à Saint-Sernin, pas de fouilles : une « réserve archéologique », décrète-t-on… En fait, lors du 19-20 de France3 (http://france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/emissions/jt-local-1920-toulouse édition du 17/01/2017), l’interview du responsable du service archéologique de Toulouse métropole ne laissait pas de doute : si la Mairie de Toulouse décidait de fouiller à Saint-Sernin l’année prochaine, elle le pourrait.
La Mairie de Toulouse a parfaitement le droit de ne pas avoir de grand projet pour Saint-Sernin, mais est-ce le rôle de la DRAC de venir à son secours en arguant d’une soi-disant « réserve archéologique » ?
Quant à l’esprit dans lequel a été élaborée la convention européenne pour la protection du patrimoine archéologique, on en est bien loin quand la DRAC y fait référence dans son communiqué de presse du 15 décembre 2016.
Mais jugez-en plutôt…
* La Valette, 16 janvier.1992.
http://www.coe.int/fr/web/conventions/full-list/-/conventions/treaty/143
Définition du patrimoine archéologique
Article 1er
1. Le but de la présente Convention (révisée) est de protéger le patrimoine archéologique en tant que source de la mémoire collective européenne et comme instrument d’étude historique et scientifique.
2. A cette fin, sont considérés comme éléments du patrimoine archéologique tous les vestiges, biens et autres traces de l’existence de l’humanité dans le passé, dont à la fois :
3. Sont inclus dans le patrimoine archéologique les structures, constructions, ensembles architecturaux, sites aménagés, témoins mobiliers, monuments d’autre nature, ainsi que leur contexte, qu’ils soient situés dans le sol ou sous les eaux.
Identification du patrimoine et mesures de protection
Article 2
Chaque Partie s’engage à mettre en œuvre, selon les modalités propres à chaque État, un régime juridique de protection du patrimoine archéologique prévoyant :
Article 3
En vue de préserver le patrimoine archéologique et afin de garantir la signification scientifique des opérations de recherche archéologique, chaque Partie s’engage :
i. à mettre en œuvre des procédures d’autorisation et de contrôle des fouilles, et autres activités archéologiques, afin :
ii. à veiller à ce que les fouilles et autres techniques potentiellement destructrices ne soient pratiquées que par des personnes qualifiées et spécialement habilitées ;
iii. à soumettre à autorisation préalable spécifique, dans les cas prévus par la législation interne de l’État, l’emploi de détecteurs de métaux et d’autres équipements de détection ou procédés pour la recherche archéologique.
Article 4
Chaque Partie s’engage à mettre en œuvre des mesures de protection physique du patrimoine archéologique prévoyant suivant les circonstances :
i. l’acquisition ou la protection par d’autres moyens appropriés, par les pouvoirs publics, d’espaces destinés à constituer des zones de réserve archéologiques ;
ii. la conservation et l’entretien du patrimoine archéologique, de préférence sur son lieu d’origine ;
iii. l’aménagement de dépôts appropriés pour les vestiges archéologiques déplacés de leur lieu d’origine.
Conservation intégrée du patrimoine archéologique
Article 5
Chaque Partie s’engage :
i. à rechercher la conciliation et l’articulation des besoins respectifs de l’archéologie et de l’aménagement en veillant à ce que des archéologues participent :
ii. à assurer une consultation systématique entre archéologues, urbanistes et aménageurs du territoire, afin de permettre :
iii. à veiller à ce que les études d’impact sur l’environnement et les décisions qui en résultent prennent complètement en compte les sites archéologiques et leur contexte ;
iv. à prévoir, lorsque des éléments du patrimoine archéologique ont été trouvés à l’occasion de travaux d’aménagement et quand cela s’avère faisable, la conservation in situ de ces éléments ;
v. à faire en sorte que l’ouverture au public des sites archéologiques, notamment les aménagements d’accueil d’un grand nombre de visiteurs, ne porte pas atteinte au caractère archéologique et scientifique de ces sites et de leur environnement.
Financement de la recherche et conservation archéologique
Article 6
Chaque Partie s’engage :
i. à prévoir un soutien financier à la recherche archéologique par les pouvoirs publics nationaux, régionaux ou locaux, en fonction de leurs compétences respectives ;
ii. à accroître les moyens matériels de l’archéologie préventive :
Collecte et diffusion de l’information scientifique
Article 7
En vue de faciliter l’étude et la diffusion de la connaissance des découvertes archéologiques, chaque Partie s’engage :
i. à réaliser ou actualiser les enquêtes, les inventaires et la cartographie des sites archéologiques dans les espaces soumis à sa juridiction ;
ii. à adopter toutes dispositions pratiques en vue d’obtenir, au terme d’opérations archéologiques, un document scientifique de synthèse publiable, préalable à la nécessaire diffusion intégrale des études spécialisées.
Article 8
Chaque Partie s’engage :
i. à faciliter l’échange sur le plan national ou international d’éléments du patrimoine archéologique à des fins scientifiques professionnelles, tout en prenant les dispositions utiles pour que cette circulation ne porte atteinte d’aucune manière à la valeur culturelle et scientifique de ces éléments ;
ii. à susciter les échanges d’informations sur la recherche archéologique et les fouilles en cours, et à contribuer à l’organisation de programmes de recherche internationaux.
Sensibilisation du public
Article 9
Chaque Partie s’engage :
i. à entreprendre une action éducative en vue d’éveiller et de développer auprès de l’opinion publique une conscience de la valeur du patrimoine archéologique pour la connaissance du passé et des périls qui menacent ce patrimoine ;
ii. à promouvoir l’accès du public aux éléments importants de son patrimoine archéologique, notamment les sites, et à encourager l’exposition au public de biens archéologiques sélectionnés.
(…)