Société Archéologique  du Midi de la France
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SÉANCE DU 15 MARS 2016

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Communication de Pascal JULIEN

Architecture et décors de l’hôtel de Molinier : « demeurance » parlementaire de la Renaissance toulousaine

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La richesse de l’architecture de la Renaissance toulousaine est trop souvent assimilée à un « âge d’or du pastel » porté par la fortune de grands commerçants, à l’origine d’hôtels particuliers fastueux. Ce ne furent cependant pas des marchands mais des hommes de robe qui firent construire la majorité des demeures de qualité d’une ville où le parlement était dit second en ordre après celui de Paris, avec des prérogatives pour le moins égales, notamment dans le fait de représenter le souverain. Parmi les édifices qui témoignent encore de ces précellences se distingue tout particulièrement l’hôtel de Molinier, dont l’architecture en grande partie conservée, mais aussi transformée au cours des siècles, mérite d’être relue à la lumière de documents inédits. Cet édifice est riche d’une brillante façade marmoréenne et d’une éloquente cheminée sculptée qui incarnent la volonté de célébrer mais aussi d’approcher une « majesté royale ».


Présents : MM. Cazes, Président, Ahlsell de Toulza, Trésorier, Scellès, Secrétaire général, Cabau, Secrétaire-adjoint ; Mmes Andrieu, Cazes, Fournié, Haruna-Czaplicki, Napoléone, Pradalier-Schlumberger, Watin-Grandchamp, M. Julien, le Père Montagnes, MM. Surmonne, Testard, Tollon, membres titulaires ; Mmes Bessis, Krispin, Queixalós, Vène, MM. Chabbert, Gardes, Penent, Suzzoni, membres correspondants.
Excusés : MM. Pradalier, Directeur, Péligry, Bibliothécaire-Archiviste, Latour, Bibliothécaire-adjoint ; Mmes Czerniak, Lamazou-Duplan, MM. Bordes, Boudartchouk, Darles, Garland, Garrigou Grandchamp, Peyrusse, Sournia.
Invitée : Mmes Andrée de Pérignon, assistante de conservation au Musée du Vieux Toulouse, Sarah Munoz, doctorante en histoire de l’art à l’Université Toulouse-Jean Jaurès, MM. de Felzins, Colin Debuiche, doctorant en histoire de l’art à l’Université Toulouse-Jean Jaurès.

Le Président ouvre la séance en souhaitant la bienvenue à nos invités.
Faute d’en avoir achevé la rédaction, le Secrétaire général annonce le report de la présentation du procès-verbal de la séance du 1er mars.
Le Président rend compte de la correspondance reçue, parmi laquelle plusieurs lettres d’excuse pour la séance publique, ainsi que l’annonce de la conférence de M. Christophe Marquez sur Aymeric de Panat (1886-1963), artiste toulousain, organisée par la Société du Patrimoine toulousain, et celle du Congrès de la Société Française d’Étude de la céramique antique de la Gaule, qui se tiendra à Autun du 5 au 8 mai 2016.
Nous avons également reçu des candidatures au titre de membre correspondant de notre Société, de la part de Mme Sarah Munoz et de M. Colin Debuiche, que nous avons le plaisir de compter parmi nos invités de ce soir. Mme Geneviève Baillon nous demande s’il lui serait possible d’assister à nos séances, joignant son curriculum vitae à sa lettre mais sans présenter sa candidature.
Le Président signale par ailleurs l’arrivée du numéro 21, de décembre 2015, de Románico, Revista de arte de amigos del románico, dans lequel est paru son article S.O.S. Románico. Saint-Sernin, ¿ Hacia una remodelación original y exitosa de su entorno ? (p. 70-75).

L’ordre du jour appelle la poursuite de l’examen des rapports pour le concours.

La parole est ainsi successivement à :

- Quitterie Cazes pour son rapport sur le travail de M. Stéphane Abadie, Un temporel monastique dans l’espace médiéval gascon : l’abbaye prémontrée de la Casedieu (Gers), XIIe-XVIe s., thèse soutenue en 2016 à l’Université de Toulouse II - Jean Jaurès en vue de l’obtention du doctorat d’Histoire, 6 volumes.

Sous le titre Un temporel monastique dans l’espace médiéval gascon : l’abbaye prémontrée de la Casedieu (Gers), XIIe-XVIes., Stéphane Abadie a soutenu sa thèse en janvier 2016. Préparée sous la direction de Nelly Pousthomis et Jean-Loup Abbé à L’université de Toulouse Jean-Jaurès, cette thèse est à tous les points de vue un monument. L’auteur a tenté de reconstituer l’abbaye prémontrée de la Casedieu, fondée au XIIe siècle et disparue en 1790. Pour cela, il a mis en œuvre plusieurs démarches parallèles :
- Une prospection très large et systématique autour de l’abbaye pour retrouver des éléments architecturaux et lapidaires, croisée avec la recherche systématique de documentation graphique : ceci lui a permis de proposer une vision de l’évolution de l’abbaye de sa fondation à sa démolition. (Le volume V est constitué de l’inventaire des éléments lapidaires découverts)
- Plus largement, il a traqué les éléments du patrimoine de l’abbaye, prospectant 70 communes environ, pour retrouver les moulins et les granges. Il en analyse les parcellaires pour mettre en évidence la dynamique de d’acquisition des terres et de transformation de certaines granges en bastides (Mourède, Plaisance-du-Gers, Beaumarchès, Marciac). Dans certaines d’entre elles, il analyse le patrimoine médiéval, comme la très intéressante maison des abbés à Marciac. (le volume IV comprend toutes les fiches concernant les éléments du patrimoine monumental relevant de l’abbaye : églises, granges moulins, hôpital de Vic-Fezensac, maisons possédées dans différentes bastides et à Toulouse, jusqu’aux couvents mendiants de ces bastides qui viennent en quelque sorte en consacrer le caractère urbain).
- Les mentions régulières d’abbayes-filles dans les actes de la Casedieu l’ont entraîné à étudier la circarie de Gascogne, avec ses 18 abbayes et ses 17 prieurés qui font l’objet de monographies plus ou moins développées dans le volume III.
- Il a également reconstitué une partie du chartrier de l’abbaye (175 pièces médiévales connues par des copies d’époque moderne, une cinquantaine de pièces d’époque moderne, pour la plupart inédites), présentées dans le volume II. Le chartrier complet sera publié avec X. Ravier.

Les 6 volumes de la thèse sont parfaitement présentés, clairement structurés, et témoignent d’une forte maîtrise de la documentation. La thèse proprement dite, de 340 p. environ, est bien écrite. Elle comprend trois parties, respectivement consacrées à :
-  1 – La « maison-mère » : essai d’histoire monumentale (qui s’appuie sur les sources écrites, iconographiques et archéologiques pour proposer des restitutions) qui s’élargit ensuite aux « abbayes filles » dont les rythmes et les raisons des fondations sont analysés tout comme leurs vestiges monumentaux. Ici, il met en évidence le réseau des abbayes et prieurés prémontrés de la circarie de Gascogne, dans un rythme similaire à celui des Cisterciens, connaissant des à-coups lorsque les Mendiants prennent le dessus
-  2 – Former un patrimoine en Gascogne, XIIe-XVe s. Il s’agit ici de retrouver et analyser le patrimoine de l’abbaye, ses casaux, granges et autres moulins, et leur insertion dans la structure rurale gasconne : donc, ici, à la fois l’étude de la structure foncière et des vestiges architecturaux. Sont également analysés deux prieurés mal connus, Sainte-Anne-des-Arres et Vic-Fezensac. Un troisième chapitre est consacré au patrimoine hydraulique.
-  3 – La troisième partie analyse « un patrimoine en évolution, XIIe-XVIe s. ». La fondation des « bastides prémontrées » est vue sous l’angle à la fois juridique, foncier (avec l’analyse des parcellaires ) et de la fabrique urbaine. Elle se conclut par l’étude de la mise en commende de l’abbaye et sa mise en défense à la fin du XVe- début du XVIe siècle, et les conséquences des destructions du XVIe siècle.

Au total, il s’agit d’un essai de reconstitution de la grande abbaye, sur le plan historique comme sur le plan monumental et, au-delà de ces objectifs, qui sont largement remplis, l’auteur analyse également son patrimoine économique, ses relations avec ses vassaux ou les seigneurs et communautés villageoises voisines, son impact sur le territoire qu’elle contribue à modeler.
L’auteur, qui est enseignant dans le secondaire, a passé une dizaine d’années à ce travail impressionnant d’érudition, de passion sous-jacente à la fois pour les recherches en archives et pour un territoire qu’il a largement arpenté : sans aucun doute, un modèle du genre.

- Nicole Andrieu pour son rapport sur le travail de M. Laurent Fontquernie, La coiffe catalane, symbole d’une culture singulière, 2015 ;

- Quitterie Cazes pour la lecture du rapport de Virginie Czerniak sur le travail de Mme Anne Leturque, Sensim per partes discuntur quaelibet artes... Chaque art s’apprend lentement, pas à pas..., thèse présentée en 2015 devant l’Université Paul-Valéry, Montpellier 3, et l’Universitat autonoma de Barcelona en vue de l’obtention du grade de docteur ;

- Patrice Cabau pour son rapport sur le travail de M. Denis Mirouse, Les circonscriptions intermédiaires du sud du pagus de Toulouse aux Xe et XIe siècles (ministerium, vicaria, suburbium...), mémoire de master II en études médiévales soutenu en 2015 à l’Université de Toulouse II - Jean Jaurès :

M. Denis Mirouse, que l’on connaissait pour des articles publiés à partir de 2007 sur l’histoire de l’Ariège, a soutenu le 18 juin 2015 un mémoire de master II en études médiévales, travail réalisé au cours de l’année universitaire 2014-2015 sous la direction d’Hélène Debax, Professeur à l’Université Toulouse Jean-Jaurès, et intitulé « Les circonscriptions intermédiaires du sud du pagus de Toulouse aux Xe et XIe siècles (ministerium, vicaria, suburbium...) ».
Ce titre à l’aspect technique, annonçant une recherche précise sinon « pointue », ne doit pas tromper par la neutralité de sa formulation. L’ambition de l’auteur, déclarée dès l’introduction, est en effet d’établir les prémisses d’une étude des origines du comté de Foix, entité historiquement atypique mentionnée tardivement en 1167.

Le mémoire consiste en un volume de 195 pages abondamment illustrées (81 cartes en couleurs, 2 photographies de documents d’archives, 20 tableaux, 2 diagrammes) et s’organise en cinq séquences.

Une section introductive (p. 10-41) présente le sujet et l’objectif de l’étude : une géographie des territoires plus petits que le pagus et plus grands que la villa, territoires que des textes nombreux rédigés entre la fin du IXe siècle et celle du XIIIe désignent par le mot de ministerium ou des termes équivalents : vicaria, suburbium... L’examen de ce lexique amène à conclure que ces subdivisions, qui ont pu correspondre à des ressorts juridiques ou administratifs, ont surtout une acception spatiale, avec valeur de localisation dans un espace hiérarchisé.
Les cadres géographique et chronologique retenus, la partie méridionale du pagus Tolosanus, comprise entre les cours supérieurs de la Garonne et de l’Hers mort, aux Xe et XIe siècles, tiennent essentiellement à la documentation utilisée.
Celle-ci apparaît comme tout à fait exceptionnelle, ainsi que l’indique l’aperçu historiographique : pour la plupart des régions, les sources textuelles sont trop rares pour permettre de préciser la géographie des « circonscriptions intermédiaires ». Tel n’est pas le cas du « Sud toulousain », pour lequel on dispose d’un très abondant corpus de 158 textes mentionnant une localisation dans un ministerium. Il s’agit principalement d’actes compilés un peu avant le milieu du XIIIe siècle dans le cartulaire de l’abbaye de Lézat (objet dans les années 1980 d’une publication remarquable due à Paul Ourliac et Anne-Marie Magnou) : environ 130 mentions, soit beaucoup plus tous les autres recueils de chartes exploitables : Lagrasse (15), Saint-Sernin de Toulouse (5), Cluny (3), Saint-Victor de Marseille (1).

Une section géographique (p. 42-163), de loin la plus fournie (60 % du volume), propose la cartographie détaillée de chacune des « circonscriptions intermédiaires », établie selon un schéma d’étude systématique : carte, étendue et confronts, « dynamique », axes, sites éponymes ou chef-lieux, tableau récapitulatif des mentions textuelles d’appartenance à la zone aux Xe-XIe siècles.
L’étude s’attache à décrire quinze ministeria initiaux (Campezense, Coliense, Cortinense, Dalmacianense, Fuxense, Lesatense, Licianense, Olmense, Potamianense, Savartense, Saltense, Supernicum, Tindirandense, Vadezense, Volvestrense), trois ministeria issus de redécoupages (Chercorbense, Ciurenense, Garnagense), ainsi que des ministeria supposés, correspondant à des « territoires de même niveau d’emboîtement » (Le Bancel, territoires des abbayes de Frédelas et du Mas-d’Azil, seigneurie d’Alzen, villae isolées).
L’examen porte en outre sur les entités spécifiques qu’ont constituées deux suburbia (suburbium Savartense, suburbium castri Fuxensis), d’étendue fort variable, puis sur des espaces vacants ou indéterminés (forêt de Boulbonne) et d’autres objets géographiques (voies ou itinéraires de long parcours, limites, interfaces).
La représentation des confins a été précisée autant que possible, avec restitution raisonnée des limites certaines, probables ou seulement possibles.

Une section chronologique (p. 164-171) se limite à un essai de jalonnement temporel de la « dynamique » des « circonscriptions intermédiaires » entre la fin du IXe siècle et le début du XIIe : fondations de monastères, mouvements de division, création, rétraction, extension... En raison de l’insuffisante teneur des documents utilisés, les aspects historiques relatifs à l’environnement social et politique n’ont pas été traités à ce stade de la recherche.

Une section conclusive (p. 172-177) dresse un bilan de cette approche de géographie historique du sud du pagus Tolosanus aux environs de l’an mil, avant d’ouvrir des perspectives d’approfondissement et d’élargissement aux époques tant antérieures qu’ultérieures.

Une section complémentaire (p. 178-195) regroupe les annexes, documentaire et bibliographique. Celle-là présente la reproduction et (ou) la transcription de textes importants :
- la Vita vel passio gloriosi martiris atque pontificis Volusiani, d’après Grégoire de Tours, extraite d’un registre du Vatican (Arch. Cap. S. Pietro D 175, f. 309’) ;
- le récit de la fondation de l’abbaye de Lézat (vers 940), inclus au XIIIe siècle dans le cartulaire du monastère, connu indirectement par une analyse du XVIIIe siècle, mais depuis disparu ; le texte latin en est ici publié pour la première fois d’après une copie prise par Claude Estiennot (B.N.F., ms. lat. 12751, f. 606-607) ;
- la convention de partage conclue dans les années 1030/1050 entre Pierre Roger, évêque de Gérone, héritier d’une partie du comté de Carcassonne, et son neveu le comte de Foix Roger Ier : cette pièce a été éditée au XVIIIe siècle, mais de manière imparfaite ; le parchemin original (A.D. Ariège, E 1, n° 3) est ici analysé en unités textuelles dont la chronologie relative est indiquée sous forme de diagramme.

Le mémoire présenté par M. Mirouse est le résultat d’un travail considérable, mené de façon convaincante par quelqu’un qui connaît bien la région étudiée, et qui a pu ainsi identifier et localiser nombre de toponymes. L’auteur fait preuve des qualités requises par la recherche : il sait s’informer, réfléchir, s’interroger, douter, exercer son sens critique... Son étude, agréablement mise en forme, solidement documentée, clairement raisonnée, pertinemment argumentée, assez nettement rédigée, se lit avec intérêt.
En particulier, nous y apprenons que le comte de Foix donateur du monastère Saint-Antonin de Frédelas à Cluny, au XIe siècle, était Roger II, beaucoup plus certainement que Roger Ier — lequel n’était pas, comme on l’a cru sur la foi d’une transcription erronée, l’époux d’une Amica imaginaire.
À la suite de la soutenance, ce travail a bénéficié de divers « perfectionnements » : adjonction de deux chapitres liminaires, normalisation des cartes... Il gagnerait à intégrer de nouveaux amendements : amélioration de la ponctuation et des graphies, correction de quelques transcriptions, rectification de dates approximatives ; un index serait bien utile, notamment pour les noms de lieux.
Les travaux pionniers d’Auguste Longnon pour son Atlas historique de la France (1885-1889, 2e livraison) et d’Auguste Molinier, note « Sur la géographie de la province de Languedoc au moyen âge » rédigée pour la deuxième réédition de l’Histoire générale de Languedoc (tome XII, 1889), auraient dû être mentionnés — à moins que l’auteur n’ait pas connu les études de ces illustres devanciers, fondées déjà sur les données du cartulaire de Lézat.

En somme, cet ouvrage soumis au concours nous paraît fort digne d’être distingué ; la Société archéologique du Midi de la France encouragerait ainsi une recherche prometteuse sur la genèse du comté de Foix.

- Michèle Pradalier-Schlumberger pour son rapport sur le travail de M. Émeric Rigault, Le Sacrifice d’Abraham dans le décor monumental roman du Sud-Ouest de la France et du Nord de l’Espagne (XIe-XIIIe siècles), mémoire de master soutenu en 2015 à l’Université de Toulouse II - Jean Jaurès.

Le sujet concerne un des thèmes les plus fréquents de l’iconographie chrétienne, qui illustre le récit d’un non-sacrifice infantile, exigé puis interrompu par Dieu. Selon le texte de Genèse 22, le vieux patriarche Abraham, sur ordre divin, gravit seul le mont Moriah avec son jeune fils Isaac pour l’y offrir en sacrifice ; il obéit aveuglément à l’implacable ordre divin, au risque de mettre en danger sa propre lignée pour prouver sa soumission à Dieu. Un ange intervient en interrompant le geste meurtrier et en remplaçant le jeune garçon par un bélier.
Selon le schéma habituel du master, l’auteur, dans une première partie, a rédigé l’historiographie du sujet et constaté l’ancienneté des études sur le sacrifice d’Abraham depuis la fin du XIXe siècle.
La deuxième partie s’appuie sur un corpus de 65 représentations de ce qu’on appelle aussi la « ligature d’Isaac », ou Akedah dans la tradition hébraïque. Pour moitié ces œuvres sont à chercher dans le cadre monastique, l’histoire d’Abraham trouvant une résonance précise dans les vœux d’obéissance religieuse prononcés par les moines. Dans les églises romanes, l’auteur observe, comme c’était déjà le cas dans les monuments paléochrétiens, que les chœurs liturgiques furent les lieux favoris du sujet, au-dessus de l’autel majeur où le sacrifice d’Isaac est lié au sacrifice eucharistique.
On trouve ensuite dans le mémoire une typologie des images du sacrifice, que l’auteur organise autour de huit formules iconographiques, ou schémas de composition, selon la présence ou non de l’autel du sacrifice, de l’ange, du bélier, des serviteurs, de l’âne qui a transporté Isaac.
Un chapitre très important et neuf du mémoire s’attache à la fabrication de cette image à la période romane dont les sources sont à chercher dans l’exégèse patristique, chez Tertullien, Origène, saint Ambroise ou saint Augustin. L’exégèse médiévale a également joué un rôle majeur, par exemple Rupert de Deutz ou Hugues de Saint-Victor, qui mettent l’accent sur le sens moralisateur de l’épisode. Enfin, et c’est l’une des qualités du mémoire, l’auteur donne une place importante aux sources hébraïques.
La troisième partie intitulée « étude de cas », est consacrée au sacrifice d’Abraham dans la sculpture romane du Bordelais. Elle regroupe l’étude de douze chapiteaux situés dans des églises des diocèses de Bordeaux et de Bazas. Le prototype est un chapiteau placé dans le porche de la collégiale Saint-Seurin de Bordeaux, dont il est l’unique chapiteau historié. La réception du thème est visible dans les églises de Sainte-Croix de Bordeaux, Soulac-sur-mer, Sainte-Croix-du-Mont, Rions et Saint-Macaire, où les chapiteaux sont systématiquement situés dans le chœur. Un deuxième prototype a été observé dans l’abbaye de la Sauve-Majeure, avec la présence de Sarah avertie par un ange de la naissance prochaine d’Isaac (l’annonciation à Sarah), l’absence de l’autel et l’accent mis sur le geste du père. Le modèle de la Sauve-Majeure reparaît à Saint-Quentin-de-Baron, et Saint-Vincent de Pertignas. On notera au milieu du XIIe siècle une version originale du thème à Saint-Caprais de Bordeaux, où l’influence juive se traduit par la présence de l’archange Samaël, envoyé par le diable : cette créature tire Isaac en arrière pour contrecarrer les dessins divins.
Le master d’Émeric Rigault débouche sur des conclusions novatrices. Il met l’accent sur la popularité du thème dans la période médiévale, à cause de son statut de préfigure du sacrifice christique. En conclusion, il s’agit d’un mémoire d’une grande qualité d’écriture, qui met en valeur une recherche érudite et originale solidement ancrée sur un corpus d’œuvres, qui même si elles ne sont pas inédites, ont été soigneusement analysées. Le master d’Émeric Rigault mérite d’être récompensé par notre Société.

L’ensemble des rapports ayant été entendu, la Compagnie se félicite du succès rencontré par le concours 2016, qui a suscité la présentation de travaux nombreux (quatorze !) et pour la plupart de grande qualité.
De la discussion qui s’ensuit pour l’attribution des diverses récompenses se dégage finalement une proposition qui obtient l’unanimité des suffrages :

- Prix de Champreux, doté de 1 000 euros et accompagné de la médaille d’argent de la Société archéologique du Midi de la France, décerné à Mme Anna Thirion ;
- Prix Ourgaud, doté de 1 000 euros et accompagné de la médaille d’argent de la Société archéologique du Midi de la France, décerné à M. Stéphane Abadie ;
- Prix spécial de la Société archéologique du Midi de la France, doté de 500 euros et accompagné de la médaille d’argent de la Société, décerné à M. Benjamin Marquebielle ;
- Prix spécial de la Société archéologique du Midi de la France, doté de 500 euros et accompagné de la médaille d’argent de la Société, décerné à Mme Stéphanie Adroit ;
- Médaille d’argent de la Société archéologique du Midi de la France décernée à titre d’encouragement à M. Émeric Rigaut ;
- Médaille d’argent de la Société archéologique du Midi de la France décernée à titre d’encouragement à M. Denis Mirouse.

L’ordre du jour appelle pour la seconde partie de la séance une communication de Pascal Julien intitulée Architecture et décors de l’Hôtel de Molinier, « demeurance » parlementaire de la Renaissance toulousaine .

Le Président remercie notre confrère pour sa communication, qu’il qualifie de « magnifique ». Il rappelle qu’elle s’inscrit dans la série des études consacrées par les membres de notre Société à l’Hôtel de Molinier, série inaugurée en 1832 ou 1833 par Alexandre Du Mège dans le premier tome de nos Mémoires (1834) avec une « Notice sur une maison du XVIe siècle » illustrée de dessins de Jules Boilly (p. 351-[36]9 et pl. XVIII-XX). Daniel Cazes constate que, depuis, la connaissance scientifique de l’édifice a largement progressé. Il souligne à son tour la qualité admirable du décor cul-de-lampe de la tourelle, qui lui évoque la grande sculpture romaine. Enfin, concernant les médaillons de marbre blanc de la cheminée, il suggère qu’il puisse s’agir d’œuvres importées.
Guy Ahlsell de Toulza interroge M. Julien sur plusieurs points. Il résulte de leur échange que : 1. la petite porte basse situé à gauche de la porte de l’escalier en vis, ouvrant vers un passage sous la vis, permettait de descendre dans la cave ; 2. la relation entre le portail de 1556 et la façade de la galerie de 1560 demeure un peu problématique, en l’absence d’indication sur l’emplacement de l’entrée précédente ; 3. au portail d’entrée ne s’adossait à l’origine aucun corps de bâtiment, tout comme au collège de l’Esquile dans son état antérieur à l’adjonction de la fin du siècle dernier ; 4. sur l’arrière de l’Hôtel, vers l’Est, n’existait primitivement aucun corps de logis, seulement un mur de clôture.
Dominique Watin-Grandchamp propose à son tour une série d’interrogations, auxquelles Pascal Julien tâche de fournir réponse : 1. le bâtiment situé en fond de parcelle, secteur dans lequel existait une venelle médiévale axée Nord-Sud, était en cours d’achèvement au début des années 1830, ainsi qu’on l’apprend par l’article de Du Mège ; 2. l’édification d’un portail à l’abondant décor marmoréen pourrait peut-être avoir servi de « vitrine » à un maître des marbres, mais cette identification hypothétique avancée sur la base d’un propos de Scaliger n’est pour l’instant pas prouvée ; 3. la moulure inférieure du cadre carré placé au-dessus de la corniche peut paraître lacunaire, en vue frontale, mais il faut tenir compte de la perspective.
La discussion se poursuit avec des interventions de Guy Ahlsell de Toulza concernant la chronologie relative des constructions occupant les diverses parcelles de l’Hôtel, de Michelle Fournié portant sur l’interprétation de la formule d’Épictète gravée au-dessus du portail, de Geneviève Bessis touchant le lien de parenté ayant existé entre Gaspard de Molinier et Alciat, auteur d’un recueil d’emblèmes.
Bruno Tollon, après s’être déclaré « très admiratif » devant l’« exposé remarquable » de Pascal Julien, bel exemple d’étude interdisciplinaire, annonce son intention de consacrer une communication brève à l’emblématique à Toulouse, dans le contexte de la venue du roi Charles IX dans notre ville.

Au titre des questions diverses, Guy Ahlsell de Toulza présente :
- Le martyre de Saturnin, tableau de Paul Pujol daté de 1890 (voir le compte rendu de la séance du 3 novembre 2015) récemment acheté pour la Société, qu’il vient de faire restaurer et encadrer ;
- des photographies de deux chapiteaux en marbre blanc, du XIVe siècle, dont l’un paraît appartenir à la même série que ceux provenant de l’ancien couvent dominicain de Rieux et qui ont été acquis en 1977 par le Musée des Augustins ; les deux pièces seront proposées à la vente aux enchères publiques le 24 mars prochain [complément d’information donné depuis par M. de Toulza : le chapiteau similaire à ceux de Rieux a été adjugé pour la somme de 1 200 euros, plus les frais].

Innocencia Queixalós donne des informations sur les mesures récentes agrégeant la profession de restaurateur du patrimoine aux métiers d’art. Elle signale plusieurs articles de presse alertant l’opinion à ce sujet ainsi que la mise en ligne d’une pétition sur le site « change.org » :

« ALERTE !
LES RESTAURATEURS DU PATRIMOINE SONT EN DANGER
LES ŒUVRES D’ART SONT EN DANGER

La profession de restaurateur du patrimoine est en grande souffrance. Au bord du gouffre. De plus en plus nombreux sont ceux qui abandonnent le métier, les commandes publiques se raréfient, les revenus sont en chute libre. 40 ans après la création des formations supérieures, très exigeantes, voulues par l’Etat, les professionnels de la conservation-restauration n’ont toujours pas de titre protégé, ni de fonctions permanentes dans les institutions publiques sauf de rares exceptions, les marchés publics ignorent la spécificité de leurs prestations, les dimensions scientifique et intellectuelle du métier continuent à être méconnues. Deux rapports très complets établis en 2003 et 2006 sur la profession sont restés lettre morte. Les avis et recommandations des organisations professionnelles française et européenne sont ignorés. Aujourd’hui, une note interne du ministère de la culture du 22 février 2016 appelle à "un plan d’action indispensable à la survie" de la profession. Sans les professionnels de la conservation - restauration, il n’y aura plus d’expositions, plus de partage, plus de transmission des œuvres de l’esprit, ni aujourd’hui ni demain. Le patrimoine et sa démocratisation sont menacés.

Nous, artistes, conservateurs, universitaires, professionnels de la conservation-restauration, défenseurs du patrimoine, demandons avec force que les compétences spécifiques et la nécessaire haute qualification (master) des restaurateurs des biens culturels soient pleinement reconnues et les conditions d’exercice de leur profession, modifiées. Alors que la restauration du patrimoine, qui n’est pas un métier de création, vient d’être autoritairement et contre toute logique incorporée aux métiers d’art par arrêté publié au JO du 31 janvier 2016, et qu’une loi relative à la création, à l’architecture et au patrimoine est sur le point d’être votée sans aucune référence à l’indispensable rôle des professionnels de la conservation- restauration dans la gestion du patrimoine, nous attendons des clarifications et des initiatives immédiates afin de sauver cette profession d’excellence sur laquelle reposent l’intégrité et la pérennité des œuvres et objets d’art. Nous demandons que lui soit donnée toute la dignité nécessaire au sein des institutions culturelles publiques. »


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