Société Archéologique  du Midi de la France
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Séance du 14 février 2023

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Communication longue de Gilles Séraphin, L’église abbatiale de Conques, une histoire en discussion.

L’abbatiale de Conques a fait l’objet récemment de deux études importantes l’une due à Éliane Vergnolle, Nelly Pousthomis et Henri Pradalier, l’autre à LeÏ Huang. En prenant le contrepied des thèses anciennes, elles convergent quant à l’interprétation de l’édifice et quant à sa place dans l’histoire de l’architecture. Ont-elles pour autant épuisé les questionnements que suscitent les nombreuses discordances qui semblent résister encore à l’analyse. En bref, le scénario historique consensuellement retenu aujourd’hui est-il le seul possible ?

Présents : Mme Czerniak, Présidente, M. Péligry, Bibliothécaire-archiviste, Mmes Napoléone, Secrétaire générale, Machabert, Secrétaire-adjointe ; Mmes Andrieu, Cazes, Jaoul, Pradalier-Schlumberger, MM. Cazes, Garland, Garrigou Grandchamp, Lassure, Peyrusse, Pradalier, Sournia, Stouffs, Testard, membres titulaires ; Mmes Ledru, Rolland Fabre, MM. Bru, Dubois, Kerambloch, Pousthomis, Rigault, Séraphin, membres correspondants.
Excusés : MM. Ahlsell de Toulza, Cabau, Tollon ; Mme Hénocq.

La séance ouverte par la Présidente débute par l’élection d’un nouveau membre correspondant. Jacques Dubois présente le rapport de candidature de Mme Lannie Rollins.
Quitterie Cazes souligne le dynamisme de la candidate, et Virginie Czerniak confirme l’excellence de son travail et l’intérêt de son parcours. Lannie Rollins est élue membre correspondant de notre Société à l’unanimité des 15 suffrages exprimés.
Henri Pradalier nous informe ensuite que Jacqueline Carabia a fait don de 72 volumes des Dossiers de l’archéologie et d’Archéologia, qui viennent compléter ceux qu’elle avait déjà donnés. Au nom de la Société, la Présidente remercie la donatrice.
Elle donne ensuite la parole à Gilles Séraphin pour sa communication longue sur : L’église abbatiale de Conques, une histoire en discussion.
La Présidente remercie notre confrère pour l’intérêt de sa présentation. Louis Peyrusse souhaite savoir pourquoi Jacques Bousquet n’a pas été mentionné dans l’historiographie ? Gilles Séraphin répond qu’il n’a pas été cité lors de la communication mais qu’il est évident que, dans le cadre d’une publication, Jacques Bousquet et ses travaux sur la sculpture du Rouergue seraient incontournables. Louis Peyrusse rappelle que l’historien a proposé des dates hautes. Il était d’ailleurs sur ce point en désaccord avec Marcel Durliat, son directeur de thèse, complète Gilles Séraphin. Quitterie Cazes souligne l’intérêt des questions soulevées par notre confrère. Elle remarque cependant que certaines affirmations sont, de façon inexacte, attribuées à Lei Huang, auteur de la thèse L’abbatiale Sainte-Foy de Conques (XIe-XIIe siècles). Par exemple, ce dernier n’a pas dit que les traces de tailles anarchiques ou obliques se succédaient dans le temps. Il ne fait pas des traces de taille un argument chronologique, en revanche il en fait un argument de géographie artistique, c’est-à-dire qu’il opère un rapprochement avec l’Auvergne. Gilles Séraphin, reprend : il fait référence pour la taille alternée en épis à l’architecture auvergnate en expliquant que, puisqu’à Conques on est au XIe siècle, l’architecture auvergnate date donc de la même période. Quitterie Cazes poursuit : la datation tardive des églises auvergnates avancée par Bruno Phalip, suivi par David Morel, est très discutée ; les études de Jean Wirth, notamment, sont importantes. Elle insiste ensuite sur la nécessité de mettre en perspective cette étude de Conques avec une observation de Compostelle. Par exemple, Bernardus, mentionné sur un chapiteau à Conques, est également présent sur deux chapiteaux à l’entrée de la chapelle d’axe de Saint-Jacques de Compostelle parfaitement datés de 1075. Le sculpteur de Conques intervient également sur les tympans de Compostelle, mis en place au plus tard en 1108 (même s’il y a des remaniements du portail, ils sont en place tels que décrits par l’auteur du Guide du pèlerin au plus tard en 1130). Ainsi, en se rendant à Compostelle, les problèmes de datation seront complètement réévalués.
Henri Pradalier souhaite revenir sur l’évolution de la recherche ces vingt dernières années concernant les chronologies. Le constat est fait qu’il y a eu une tendance, à l’époque de Marcel Durliat et un peu avant, à dater trop bas, tant pour la fin du Xe siècle que pour le XIe siècle. Cette vision a évolué, l’idée que l’an 1000 marque le début de l’art roman a été déconstruite, puisque l’on peut remonter facilement à 975 pour voir commencer à apparaître cette renaissance d’une architecture nouvelle que l’on appellera romane au XIXe siècle. Des exemples fréquents sont connus en Catalogne en particulier. Aussi, il y a eu une remontée générale des chronologies depuis 25 ans, c’est le cas pour Saint-Sernin comme à Conques. Henri Pradalier revient ensuite sur le réemploi des chapiteaux du déambulatoire et des chapelles de l’abbatiale de Conques. S’il est d’accord avec l’hypothèse de ces réemplois, pour lui cela ne signifie pas que le chevet a été reconstruit dans son intégralité. Il mentionne Éliane Vergnolle qui considère que les « fameuses » fissures ont effectivement entraîné une reconstruction, mais, selon elle, il s’agit de la reconstruction du rond-point du déambulatoire et de l’abside, pas des chapelles rayonnantes ni du reste du chevet. Le remploi de chapiteaux, éventuellement destinés à conférer au monument un air de plus grande ancienneté, peut s’être produit à des moments divers de l’avancement de la construction. La récupération et la réutilisation de chapiteaux des origines peut ainsi apparaître parfois au sommet du clocher, comme c’est le cas à Uzès et à Saint-Sernin, explique Henri Pradalier. Il se dit également gêné par la méthode qui consiste à dater systématiquement les motifs signalés quelque part par la date la plus récente. Or, ce n’est pas parce qu’un motif, de détail qui plus est, est observé sur un édifice en 1180, qu’il date de cette même période à Conques. L’approche chronologique peut être inversée : il est possible de penser qu’il date de 1100 à Conques, et qu’en 1180 il est encore exécuté ailleurs. Puis il revient sur l’étude, extrêmement complexe, du massif occidental. Éliane Vergnolle postule qu’à l’origine une tour-porche était prévue et, qu’au cours des travaux, un changement est opéré, entraînant les bouleversements décrits lors de la présentation (passages pour remplacer les tribunes, retombées des arcs décalées…). Il y a eu un changement de parti dans l’extrême partie occidentale, de façon à faire arriver la nef jusqu’au revers de la façade, alors qu’à l’origine la première travée de la nef est beaucoup plus large que les autres. Au sujet de la largeur de la première travée, Gilles Séraphin ajoute qu’un double portail était prévu. Puis Henri Pradalier s’intéresse à la coupole de la croisée du transept et note qu’il y a, aux trompes d’angles, des sculptures qui s’apparentent à celles du tympan – de moindre qualité, en particulier les têtes des évangélistes – mais cela permet de dater cette partie (au moins les trompes) d’une même phase que le tympan. La partie datée plus tard se retrouve-t-elle au portail de Beaulieu ? demande Henri Pradalier. Gilles Séraphin explique que Beaulieu n’est malheureusement pas daté avec certitude ; en revanche Aubazine l’est : la date de la pose de la première pierre est connue.
Henri Pradalier poursuit : pour Conques il existe aussi les textes qui disent qu’Odolric avait bâti la majeure partie de l’édifice, ce qui laisse supposer qu’il y avait déjà son enveloppe. La construction débutant par l’Est, l’édifice antérieur a dû être englobé, avec les difficultés qui peuvent expliquer les « chameaux » visibles à l’extrémité orientale de l’abbatiale. Virginie Czerniak et Gilles Séraphin relèvent que les incohérences détectées sont néanmoins très nombreuses. Pour Henri Pradalier elles tiennent aussi au plan choisi. Il pense qu’au départ les problèmes du chantier ne sont pas maîtrisés. Cette partie de l’édifice date d’avant 1065. Après avoir commencé par les parties orientales, il a fallu bâtir le pourtour pour pouvoir procéder à la dédicace de l’église. En effet, le rituel pour cette cérémonie est précis : l’évêque doit faire un cheminement à l’intérieur de l’édifice qui implique que l’enveloppe soit déjà construite, voire les premières bases des colonnes. Gilles Séraphin répond : si les murs périphériques sont implantés d’abord, comment expliquer les erreurs pour les portails du transept ? Henri Pradalier en revient au plan pour plus de clarté : le chevet est divisé en trois chapelles dédiées à la Vierge, au Sauveur et à saint Pierre. Il y avait un accès direct pour les pèlerins aussi bien pour la chapelle de la Vierge que pour la chapelle Saint-Pierre. Au niveau du bras sud se trouve l’accès pour les moines. Gilles Séraphin s’interroge : si le mur de la nef est déjà mis en place, pourquoi la corniche du portail du bras sud le percute-t-elle ? Henri Pradalier répond que le mur de la nef n’est peut-être pas mis en place sur cette hauteur. Compte-tenu du travail, de qualité, que représente la taille des ouvrages de cette zone, leur implantation a nécessairement été réfléchie, ajoute Gilles Séraphin. Henri Pradalier évoque ensuite la chronologie du portail. Quitterie Cazes rappelle que, si Marcel Durliat proposait une date entre 1130 et 1140, c’est qu’il pensait que les tympans de Compostelle étaient plus anciens car d’exécution plus approximative ; que la réalisation de la porte Miègeville, où l’expression est plus claire, intervenait ensuite ; et que Conques clôturait la série, car l’édifice est bien ordonné et plus grand. Cependant, il a été montré que les tympans de Compostelle ont été conçus et réalisés dans les années 1100-1108 poursuit Quitterie Cazes.
Gilles Séraphin réaffirme deux convictions sur le début et la fin de la construction. Il est convaincu que le chantier se clôture par la tour-clocher ; or son terminus ante quem se situe plutôt en 1160-1180, le chantier n’est donc pas fini à cette date. Pour la borne de début, il s’appuie sur les réemplois des chapiteaux du XIe siècle relevés en nombre dans le chevet et qui impliquent qu’ils sont postérieurs à l’église du XIe siècle dont ils sont issus. Quitterie Cazes souligne que ces chapiteaux peuvent être du Xe siècle, ce qu’approuve Henri Pradalier. Dans ce cas on est en contradiction totale avec toutes les estimations chronologiques de ce type de chapiteaux des autres églises, répond Gilles Séraphin. Quitterie Cazes précise que pour ces chapiteaux à entrelacs on est dans des types qui durent très longtemps ; il n’est donc pas possible de dater cette sculpture avec précision car il y a une permanence. Cette sculpture est caractéristique de la grande floraison carolingienne, qui est un moment très prestigieux, si bien qu’elle est reprise et répétée. Henri Pradalier appuie : il y a d’ailleurs un exemple à Conques puisque dans un des chapiteaux avec entrelacs (4e support de la nef), il y a une citation de ce qui se trouve dans l’abside. Gilles Séraphin considère qu’il s’agit plutôt d’une citation de chapiteaux auvergnats qui présentent la même référence, notamment à Issoire. Pourquoi Conques aurait imité Issoire et pas l’inverse, demande Henri Pradalier. Gilles Séraphin n’est pas d’accord avec cette possible antériorité, les mêmes débats se posent sur les liens entre Moissac et l’architecture limousine. Certes il est possible de discuter de la place dans l’histoire de l’art roman auvergnat, concède Gilles Séraphin ; lui s’est fondé sur les travaux de Morel et Phalip. Si leur théorie est exacte, cela pose question, surtout que l’on a un chantier qui part d’une église reconstruite après destruction vers 1100 et s’achève en 1180, argumente-t-il. Il ne lui semble pas impossible que la sculpture soit de 1110-1120, toutefois il ne croit pas qu’elle puisse être de 1170 en raison de l’état du chevet. En revanche Gilles Séraphin n’exclut pas qu’une grande partie du chantier soit exécutée dans la partie haute de la fourchette chronologique. Il cite comme références Duravel, dont des chapiteaux très proches datent d’après 1055, et Aurillac, où il y a des chapiteaux également proches qui sont actuellement datés de 1090-1100. Pour conclure, Gilles Séraphin clarifie sa position : il n’affirme pas que les chapiteaux de Conques sont de 1100 mais souhaite mettre en évidence un problème de cohérence. Pour le massif occidental, il faut absolument discuter avec Éliane Vergnolle, conseille Henri Pradalier. Selon elle, la tour-porche disparaît au profit d’une façade monumentale avec deux clochers. Gilles Séraphin indique qu’il dispose de relevés précis de cette zone, sur laquelle il se concentrera dans la perspective d’une publication. Henri Pradalier conclut : c’est un édifice extrêmement compliqué ; les discussions pourraient se poursuivre longuement ! Emmanuel Garland signale un élément fondamental et unique à Conques : le dessin à l’intérieur est différent du schéma à l’extérieur. Cela signifie que, dès l’origine, la conception a été pensée pour que l’édifice soit perçu différemment, de l’intérieur et de l’extérieur.

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