Communication courte de Jacques Dubois, La reconstruction de l’église abbatiale de Moissac à la fin du Moyen Âge ; Communication courte de Sophie Brouquet, Le diable au couvent, le monastère de Prouilhe au milieu du XVe siècle et Addenda à la communication de Bernard Sournia, Sainte-Marie de Bayonne, Chronique de chantier suite et fin.
Jacques Dubois, La reconstruction de l’église abbatiale de Moissac à la fin du Moyen Age
De l’ensemble monastique de Moissac, l’abbatiale, reconstruite à la fin du Moyen Age, est la grande délaissée de l’historiographie. Ce désintérêt pour cette partie-là de l’abbaye est sensible par une datation variable et imprécise de l’église selon les auteurs, de même par l’absence de consultation des sources manuscrites signalées comme l’indiquent des propos totalement erronés. Si Marcel Durliat a bien identifié deux campagnes distinctes dans ce programme de reconstruction et en a précisé la chronologie (chevet en premier et nef en second), en revanche, leur datation et leur attribution, à Aymeric de Roquemaurel (1423-1449) pour l’une et à Pierre de Caraman (1449-1484) pour l’autre, doivent être entièrement revues à la lumière de la relecture des pièces manuscrites et du monument sur lesquels l’historiographie s’est appuyée. Ainsi, entre autres documents, un arrêt du Parlement de Toulouse de 1490 rendu contre l’abbé – source méconnue des historiens de l’abbaye – vient participer à la nouvelle proposition faite à l’occasion de cette communication. De même, la prise en compte de l’économie de la construction, par l’étude de la mise en œuvre des matériaux, fournit un bon indice de l’investissement limité des abbés dans les chantiers, surtout lors de la deuxième campagne de construction vers 1495.
Sophie Brouquet, Le diable au couvent, le monastère de Prouilhe au milieu du XVe siècle
Fondé par saint Dominique en juillet 1206, le monastère de Prouilhe s’est implanté à proximité d’une chapelle dédiée à la Vierge, devenue Sainte-Marie de Prouilhe. Le lieu fut choisi en raison de sa situation privilégiée, à la croisée des routes du Lauragais et en terre hérétique, permettant d’accueillir les nouvelles converties au catholicisme par le chanoine d’Osma. Ce couvent de femmes est le premier des Dominicaines, abritant des sœurs cloîtrées, vouées à la prière. Comme souvent, les historiens se sont moins intéressés à son sort à la fin du Moyen Âge. Aussi, est-il intéressant de saisir un témoignage concernant l’abbaye à cette époque.
Présents : Mmes Czerniak, Présidente, Napoléone, Secrétaire générale, Machabert, Secrétaire adjointe, MM. Cabau, Directeur, Ahlsell de Toulza, Trésorier ; Mmes Brouquet, Fournié, Jaoul, Pradalier-Schlumberger, Watin-Grandchamp, MM. Cazes, Garland, Garrigou-Grandchamp, Lassure, Macé, Pradalier, Sournia, Surmonne, Testard, membres titulaires ; Mmes Dumoulin, Rollins, Rousset, Tollon, Vène, Viers, MM. Dubois, Kérambloch, Rigault, membres correspondants.
Excusés : MM. Balty, Péligry, Peyrusse ; Mmes Balty, Merlet-Bagnéris.
Invitée : Gabriella Chiwood.
Virginie Czerniak ouvre la séance en accueillant notre invitée Gabriella Chiwood, jeune doctorante en Histoire de l’Art inscrite à l’Université de l’Oregon et invitée par notre consœur Lanie Rollins.
La Présidente annonce par ailleurs à l’assemblée que le volume 2019 de nos Mémoires est chez l’imprimeur ; nous devrions pouvoir le récupérer à la séance du 13 juin. Le retard de parution de nos Mémoires est donc enfin rattrapé. Elle fait ensuite circuler le programme du 58e colloque de Fanjeaux consacré cette année – sous la direction d’Anne Massoni, de Limoges –, aux « Chanoines et chapitres du Midi ». Il se tiendra du 3 au 6 juillet prochains.
Puis elle donne la parole à Michelle Fournié pour nous parler d’un autre colloque auquel elle a participé récemment autour de saint Thomas. En parallèle à l’exposition qui se tient actuellement et que les membres de la Société sont invités à visiter mardi 6 juin prochain à l’Institut Catholique, ce colloque regroupait un certain nombre de communications sur la théologie, la liturgie et quelques communications historiques. Notre consœur intervenait à partir du manuscrit de la translation des reliques de saint Thomas aux Jacobins à la fin du mois de janvier 1369 et à partir du manuscrit 610 de la Bibliothèque Municipale de Toulouse rédigé par le Dominicain Raymond Hugues. Ce manuscrit transcrit par Sylvie Caucanas va donc être publié et traduit. Notre consœur a plus particulièrement travaillé sur le corpus des miracles à partir de ce document. À l’occasion de ce colloque, elle a rencontré d’autres chercheurs, en particulier Marika Räsänen, Finlandaise, de l’Université de Turku et spécialiste des reliques de saint Thomas. Elle travaille avec le chercheur australien Constant Mews sur d’autres manuscrits de la translation des reliques. Michelle Fournié a donc appris qu’il existe trois autres manuscrits (à Bologne, à Yale et à Venise) dont le corpus des miracles est plus complet que celui qui apparaît dans le manuscrit toulousain. Notre consœur est ravie à la perspective de travailler avec ces chercheurs pour la publication.
La parole est à Daniel Cazes pour une information ponctuelle. En faisant visiter Moissac à un groupe, il est passé par Saint-Nicolas-de-la Grave où se trouve le château de campagne de l’abbé de Moissac Bertrand de Montaigu. Préalablement, il avait pris contact avec la Mairie pour savoir ce que devenait cet édifice, laissé jadis quasiment à l’abandon. Or, il se trouve que la Municipalité de Saint-Nicolas-de-la-Grave a racheté l’ensemble des lots constituant l’édifice pour y installer la mairie et a fait restaurer le château par tranches successives ; voilà qui est à son sens tout à fait remarquable. Notre ancien Président demande à l’assemblée d’aller voir ce château pour envisager la remise d’une médaille de la Société pour cette heureuse initiative, comme nous l’avions fait il y a quelques années à La Salvetat-Saint-Gilles. Pierre Garrigou Grandchamp fait remarquer qu’une très bonne étude de cet édifice a été publiée il y a deux ans par notre confrère Gilles Séraphin dans le Bulletin de la Société Archéologique de Tarn-et-Garonne.
Virginie Czerniak donne ensuite la parole à Bernard Sournia pour un addendum à la communication qu’il a faite lors de la séance précédente : Sainte-Marie de Bayonne : chronique de chantier, (suite et fin).
La Présidente remercie notre confrère et lui demande de veiller à publier tous les dessins qui ont illustré sa communication : ce sont des documents de travail extraordinaires et indispensables à la compréhension de l’édifice. Michèle Pradalier se dit également admirative devant toute cette documentation. Elle est toujours à la recherche de sculptures pour cet édifice, notamment des clés de voûte. Le collage entre deux parties avec des chapiteaux trahissant deux époques différentes l’intéresse beaucoup ; les corbeilles à crochets peuvent être datées du milieu du XIIIe ou de la seconde moitié de ce siècle au plus tard. Cela correspond à la chronologie établie lors de l’étude, répond Bernard Sournia. Selon lui, cette première phase se situerait entre 1258 et 1278. Pour la seconde phase, les chapiteaux à feuillages boursouflés accusent plutôt la première moitié du XIVe siècle, ajoute Michèle Pradalier, ce qui correspond bien à la datation proposée par notre confrère. Enfin, les vitraux de la belle rose sont-ils d’origine, demande-t-elle, et, si c’est le cas, n’y a t-il pas derrière l’idéal cistercien ? Bernard Sournia se dit incapable de parler du vitrage qu’il n’a pas pu voir de près, mais cela résulte plutôt selon lui d’une restitution du XIXe siècle. Michèle Pradalier pense qu’il est important de faire une publication complète de toute la documentation graphique du XIXe siècle, qui est inédite. Bernard Sournia confirme en effet avoir découvert ce fonds, jusqu’ici non exploité, aux Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques. Laurent Macé demande si, dans la phase de reconstruction de l’édifice, les matériaux de l’ancienne cathédrale ont été remployés et si ces remplois sont visibles. Bernard Sournia répond que l’appareil est d’une belle régularité et que les formats des éléments ont été standardisés en carrière ; les remplois ne sont donc pas apparents. Le mur gouttereau de l’ancienne cathédrale avait été conservé en remploi, sur place, mais il a été supprimé quand fut bâtie au XIXe siècle la chapelle paroissiale. Cette maçonnerie apparaît cependant sur les dessins anciens. Olivier Testard fait remarquer que les matériaux anciens sont souvent jetés dans les fondations des nouvelles constructions. Concernant la chronologie « des Deschamps », reprend Michèle Pradalier, elle a été renouvelée dans la thèse de Christian Freigang, qui n’a malheureusement jamais été traduite. Il a cependant publié un article dans le Bulletin Monumental où il montre clairement qu’il n’y a pas « un » seul Deschamps : il y a celui de la cathédrale de Clermont-Ferrand, puis les autres. Le terme de « firme » utilisé par notre confrère est donc tout à fait adéquat.
Virginie Czerniak donne ensuite la parole à Jacques Dubois pour une seconde communication courte, intitulée La reconstruction de l’église abbatiale de Moissac à la fin du Moyen Âge.
La Présidente remercie notre confrère pour ses propos, qu’elle a trouvés très intéressants, et note que les reconstructions qu’il a évoquées sont générales pour les églises du Quercy à la fin du XVe siècle. Elle renvoie aux statistiques effectuées par Jean Lartigaut sur les églises partiellement ou entièrement détruites à la fin de la Guerre de Cent Ans. Il lui semblait cependant que la file de coupoles qui devait couvrir la nef de l’édifice au XIIe siècle n’était qu’une hypothèse. Elle se demande par ailleurs comment étaient couverts les murs gouttereaux romans et comment se faisait le raccord avec le reste de la maçonnerie. Notre confrère note le départ des pendentifs qui a suscité l’hypothèse de la file de coupoles et montre les reprises et les sculptures du XIIIe siècle qui semblent indiquer que le projet de cette construction est resté sans suite. Virginie Czerniak demande à notre confrère s’il compte pousser plus loin l’étude du bâti. Celui-ci répond qu’il se concentrera sur la fin du Moyen Âge. Henri Pradalier questionne notre confrère sur l’emplacement de l’écu de l’abbaye par rapport à la porte du cloître. Il se trouve au niveau de la porte, répond Jacques Dubois. Daniel Cazes demande ensuite à notre confrère s’il a une idée de l’organisation du chœur après les travaux qu’il a évoqués. Celui-ci répond que la communauté s’est en effet réduite au XVe siècle mais qu’il n’a pas trouvé de mentions à ce sujet dans les textes qu’il a consultés. Dominique Watin Grandchamp voudrait savoir à quel moment les deux plaques de dédicace de l’église du XIe siècle ont été ancrées dans le mur nord ? Jacques Dubois pense qu’il faut situer cette insertion après les travaux de la fin du Moyen Âge. Notre consœur considère qu’elles ont pu être encastrées après les derniers travaux du chœur, dans le cadre d’une récupération au moment d’une nouvelle consécration. Elle demande enfin si les dates de consécration sont connues. Les documents ne signalent aucune cérémonie en 1435, répond Jacques Dubois.
La parole est enfin donnée à Sophie Brouquet pour une communication courte, Le diable au couvent, le monastère de Prouilhe au milieu du XVe siècle selon les archives du Parlement de Toulouse.
La Présidente remercie notre consœur pour ce récit édifiant. Elle lui demande si les textes qu’elle a consultés évoquent les origines de ce personnage haut en couleur qui se nomme Labastrou. C’est un Dominicain, répond notre consœur, probablement de Toulouse car il semble y avoir des relations. Un registre de mains courantes de Pamiers montre qu’il se passe beaucoup de choses dans les couvents des Dominicains et des Cordeliers. Elle évoque également un autre procès à Millau concernant un Cordelier pris en otage dans une maison de Clarisses. Michelle Fournié avoue avoir trouvé l’histoire peu compréhensible, tout d’abord quant au nombre des prêcheurs. Sophie Brouquet répond que le texte indique qu’il y en a beaucoup, car les Dominicaines de Prouilhe se confessent tous les jours. Mais il y a aussi des oblats et des donats qui ne confessent pas. Le nombre exact des frères n’est pas connu. Où habitent ces hommes ? demande encore Michelle Fournié. Ils logent dans le prieuré qui est à côté du couvent des femmes, à l’intérieur de l’enceinte, répond notre consœur. C’est donc un prieuré d’une centaine de personnes implanté à Prouilhe, distinct du couvent de Fanjeaux. Michèle Pradalier évoque l’église de Prouilhe, qui a fait au XIXe siècle l’objet d’un projet démesuré, équivalent de celui de l’église Saint-Aubin de Toulouse. Malheureusement, la communauté n’arrive pas aujourd’hui à achever les travaux, les fenêtres restent sans vitraux et des palissades en bois s’élèvent sur le chantier. Daniel Cazes signale la parution, dans un numéro récent du Bulletin Monumental, d’une étude portant sur les topographies ancienne et récente du monastère de Prouilhe (Haude MORVAN, « La Gallia Dominicana de Georges Rohault de Fleury. Restituer les couvents médiévaux à l’aube du XXe siècle », dans Bulletin Monumental, t. 180-4, 2022, p. 325-340). Elle montre bien la disposition des deux communautés, avec des informations intéressantes sur les édifices qui précédaient ceux qui s’élèvent actuellement sur le site et enfin sur l’utilisation de la même église pour les deux communautés, le tout cerné par une grande enceinte. Michelle Fournié fait enfin remarquer que le couvent des femmes avait été conçu au départ pour être la base du financement de l’Ordre dans la province dominicaine. À son apogée, c’est-à-dire à la fin du XIIIe siècle, le couvent comptait entre 130 et 200 femmes, mais les effectifs s’effondrent à partir du milieu du XIVe siècle. En 1435, il n’en reste plus que 60 à 80.