Société Archéologique  du Midi de la France
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Séance du 19 décembre 2023

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Communication longue de Gilles Séraphin, Itinéraires des tailleurs de pierre limousins en Périgord, Quercy et Gascogne à la fin du XVe siècle

Au lendemain de la violente récession qui touche le plat pays aquitain au 14e siècle, les maçons limousins, au gré des marchés qui leur sont ouverts, exportent vers les Pyrénées, à travers le Périgord, le Quercy et la Gascogne, des répertoires formels élaborés dans des terres de granit. A partir des observations faites naguère par Jean Henri Ducos pour la Gascogne gersoise (1965), l’identification des standards stylistiques propres à ces « lapicides » exogènes permet de suivre leur parcours de la Corrèze jusqu’en Astarac et même d’identifier certains de leurs ateliers itinérants.

Présents : Mme Czerniak, Présidente, MM. Cabau, Directeur, Ahlsell de Toulza, Trésorier, Mmes Napoléone, Secrétaire générale, Machabert, Secrétaire adjointe ; M. Péligry, Bibliothécaire-Archiviste ; Mmes Brouquet, Cazes, Watin-Grandchamp, MM. Cazes, Garrigou Grandchamp, Peyrusse, Sournia, Testard, membres titulaires ; Mmes Ledru, MM. Mange, Séraphin, membres correspondants.
Excusés : Mmes Balty, Fournié, Henocq, Jaoul, Rolland Fabre, MM. Balty, Garland, Scellès, Surmone, Tollon.

La Présidente ouvre la séance en faisant passer parmi les membres l’ouvrage tout juste imprimé Demeures du Moyen Âge dans le Lot, publié sous la direction de Pierre Garrigou Grandchamp et Maurice Scellès, offert à la Société par les auteurs. Elle rappelle que celui-ci avait été présenté à la faveur de la dernière séance publique et que tous les auteurs sont membres de la Société. Elle les félicite pour ce très bel ouvrage.
Virginie Czerniak annonce ensuite qu’à la prochaine assemblée générale, prévue pour le 6 février, il faudra procéder à trois élections ou réélections, pour la présidence, le secrétariat et la bibliothèque. Elle déclare qu’elle se représentera, ainsi que la Secrétaire générale, mais Christian Péligry, notre Bibliothécaire, a fait part de son désir de passer la main après dix années d’activité. Elle informe donc les membres qu’il va falloir pourvoir ce poste important et poursuivre le travail considérable d’inventaire et de catalogage qu’il avait mené avec Jacques Surmone et Geneviève Bessis. Elle fait donc appel à candidature en précisant que Christian Péligry restera présent pour assurer la transition. Notre Présidente nous dit avoir cherché une candidate en la personne de Mme Catherine Péo’ch, qui travaille actuellement sur le fond ancien de la Bibliothèque municipale, mais celle-ci n’est pas encore membre et ne sera disponible qu’à la retraite, dans deux ans. Il nous faut donc assurer un mandat avant son arrivée. Christian Péligry ajoute qu’il n’est pas nécessaire d’être archiviste-paléographe pour s’occuper de la bibliothèque et assure le prochain candidat de son aide.

La Présidente donne ensuite la parole à Gilles Séraphin pour sa communication longue, Les tailleurs de pierre limousins du XVe siècle en Quercy et en Gascogne.
Elle remercie notre confrère pour cette présentation très intéressante. Elle évoque le travail de Jean Lartigaut, pour la région du Quercy, qui décrit une zone désolée après la Guerre de Cent ans et dont les campagnes ont été repeuplées par des Auvergnats. Dans ce cadre, la production artistique a évidemment du mal à redémarrer. Il n’est donc pas étonnant de voir des flux venus du Nord (le Limousin) conquérir la Gascogne et le Quercy. Selon Gilles Séraphin, le Limousin, le Rouergue et la Bretagne sont surtout de pays « de Haut » qui ont été moins touchés par la peste. Pierre Garrigou Grandchamp précise que ces régions ont toujours été des « châteaux d’eau démographiques » qui viennent repeupler les zones de « basse pression démographiques ». Dans ce cas précis, répond Sophie Brouquet, ce sont les Auvergnats qui sont venus (la Corrèze ayant été dévastée comme on peut le lire dans l’ouvrage de Froissart). Gilles Séraphin avoue qu’il n’est pas allé prospecter en Auvergne, mais il n’exclut pas que les caractéristiques de l’architecture limousine, qu’il a présentées, prennent leur source en Auvergne. Il s’en est tenu aux deux prix-faits gascons : ceux de 1469 et de 1485, qui donnent l’origine des tailleurs de pierre ; ceux-ci venant de Corrèze, ont quand même parcouru pas moins de 200 km pour aller construire un château au cœur de la Gascogne en venant de Corrèze. Pierre Garrigou Grandchamp se dit intéressé par la méthode mise en œuvre : partant de deux baux à besogne, il a été possible de mettre en évidence l’utilisation de deux « langues » différentes. Cette différence avait été notée en Limousin et ailleurs au XIIIe siècle entre l’architecture urbaine et l’architecture seigneuriale. Cette dernière maintenait des formes romanes alors que l’architecture civile adoptait le vocabulaire, plus moderne, apporté par les chantiers religieux. L’exposé de Gilles Séraphin montre bien l’utilisation au même moment de deux « langues » différentes en Quercy et en Gascogne, selon les bâtiments et selon l’origine de la main-d’œuvre utilisée. La mise en évidence de « fossiles directeurs », l’accumulation d’aspects formels permettent de définir des profils et des manières que Pierre Garrigou Grandchamp trouve pertinents. Gilles Séraphin fait remarquer qu’en l’absence de texte (le bail à besogne), un historien de l’art serait perdu face à ces formes différentes et pourtant contemporaines. Dominique-Watin Grandchamp pense qu’il serait intéressant de voir quel est le terme exact utilisé dans le texte des baux car elle trouve que la sculpture n’est pas très raffinée ; est-ce un maçon ? un lapicide ? Gilles Séraphin répond que les termes employés sont « lapicide » et « peyré ». Un « lapicide », poursuit notre consœur, est quelqu’un qui travaille la pierre et le « peyré » est tailleur de pierre. Le conférencier précise que les individus ne se présentent pas comme sculpteurs mais comme maîtres maçons. Dominique Watin-Grandchamp note par ailleurs que ces maître maçons ont surtout repris des édifices plus anciens, elle se demande s’il se trouve, dans le groupe présenté, un édifice entièrement bâti à cette époque pour avoir une idée des types de plans utilisés. Pour répondre à cette question, dit Gilles Séraphin, il faudrait faire une analyse du bâti de tous les édifices. Il prend cependant pour exemple le château de Vaillac avec les tours en « paquet de chandelles » qui a été bâti ex nihilo, puisque le château médiéval se trouve à 2 km. Il pense également au château de Maumont en Corrèze. Il remarque qu’il n’y a pas cependant dans ces édifices la volonté de faire un château quadrangulaire avec un plan réglé, tours aux angles et tours d’escalier à l’angle de deux ailes de logis, comme à Fourcès. Cela voudrait dire, ajoute Quitterie Cazes, que l’on a vraiment des tailleurs de pierre et pas des architectes ; quand le commanditaire demande une forme, ils viennent pour tailler les pierres et pour les maçonner. Qu’amènent-ils donc de neuf demande Dominique Watin-Grandchamp ? Rien, répond Gilles Séraphin, sinon leur force de travail. Le commanditaire d’Esclignac, Bertrand de Preissac, est un grand personnage, c’est le Sénéchal de Labour, il a un office relativement important et on peut s’attendre à ce qu’il commandite, en 1485, un édifice qui ait plus d’allure. En fait, il fait faire des travaux relativement modestes dans le château éponyme de sa famille. À Esclignac, les Preissac feront remplacer le linteau de la porte en accolade pour ajouter une couronne de duc au blason familial tout en conservant scrupuleusement le château dans son état du XVe siècle. Certains exemples montrés, dit Quitterie Cazes, sont très éclairants, ils sont très précis et illustrent parfaitement le propos. Elle reste cependant plus réservée sur l’exemple de la maison de la place Chapou à Cahors. Les moulurations ne sont en effet pas les mêmes aux deux étages, mais il peut s’agir dans ce cas précis d’une hiérarchisation des niveaux. Par ailleurs les bases prismatiques alignées ne peuvent-elles pas être interprétées comme un archaïsme issu de l’art gothique que l’on répète depuis longtemps, plutôt que la marque d’un atelier particulier ? Il y a le temps qu’on y passe et l’argent qu’on y met et à certains endroits de l’édifice on peut faire des économies en faisant des choses plus simples. De la même façon, elle n’a pas été convaincue par les séries de portes (Esclignac, Salignac, Fénelon, Lanquuais…), dont certaines sont dans l’air du temps. Elle propose à Gilles Séraphin de restreindre les exemples pour garantir la solidité de son propos, une dizaine d’exemples en moins sur la carte ne changerait rien à la démonstration. Gilles Séraphin répond que l’enquête est en effet très vaste sur le plan géographique. Pourtant dans tous les cas présentés une caractéristique (telle que celles qui ont été présentées) entraîne systématiquement toutes les autres, c’est le cas par exemple au château de Fénelon ; c’est un ensemble de caractéristiques qui « fait système ». Pour Quitterie Cazes, il s’agit d’un effet de mode, mais peut-on aller plus loin ? Est-il possible de tisser des relations féodales directes entre tous ces édifices demande notre Présidente ? Gilles Séraphin répond que non. Quitterie Cazes pense qu’il serait intéressant de voir s’il y a des entrepreneurs de maçonnerie qui envoient leurs artisans et qui « prennent des marchés », mais il s’agit là d’une autre recherche qui doit se mener en archive. Gilles Séraphin déclare qu’il a exploré la Charente, la Dordogne et le Rouergue et qu’il n’a rien trouvé de tel. Sophie Brouquet voudrait faire remarquer que l’on est dans le laps de temps très court entre la guerre de Cent Ans et les guerres de religion. Par ailleurs, il n’y a pas de documents écrits car ils ont souvent flambé. De façon générale, on commence à restaurer les bâtiments vers 1470 car les gens ne sont pas encore sûrs que la guerre est finie, mais, par la suite, les guerres de religion occupent longtemps la région. Notre consœur dit en revanche avoir trouvé dans les sources corréziennes de nombreux baux de charpentiers et de sculpteurs des XVIIe-XVIIIe siècles qui prenaient des chantiers de plus en plus lointains, jusqu’en Espagne. Gilles Séraphin rappelle que Jean-Henri Ducos a trouvé de très nombreux baux à besogne dans le Gers. Ils n’ont malheureusement jamais été publiés répond Dominique Watin-Grandchamp. Certains ont été publiés, reprend Gilles Séraphin, parmi les plus intéressants, comme ceux du château de Mérens. Ces Limousins, demande Dominique Watin-Grandchamp, ne sont-ils pas des gens qui sont arrivés depuis un certain temps dans le cadre du repeuplement du Quercy après la guerre de Cent Ans (cf. thèse de Jean Lartigaut), avec ces acensements collectifs effectués par de grandes abbayes qui ont encore les moyens, alors que les villes et les féodaux locaux sont très appauvris ? Ils sont donc peut-être déjà dans le Quercy depuis le début du XVe siècle. Gilles Séraphin confirme que les populations acensées proviennent du Limousin, de l’Auvergne, du Rouergue et des Pyrénées. Virginie Czerniak demande s’il y a eu des travaux au château d’Esclignac (aujourd’hui inscrit sur la liste des MH) depuis le décès des frères Bogdanoff ? Les héritiers ont-ils accepté l’héritage ? Gilles Séraphin avoue ne pas en savoir plus, il a été contacté il y a plus de deux ans par l’architecte issu de l’agence Ricciotti qui s’est mis en relation avec Judicaël de la Soudière, architecte du patrimoine, afin de les suivre dans le travail de restauration car il détient énormément de documentation sur l’édifice. Il n’a cependant plus de nouvelles depuis un an. On lui avait dit à l’époque que les héritiers ne se mettaient pas d’accord pour une action. Malheureusement, plus on attend, plus les apports financiers seront importants pour le restaurer. Peut-on faire un courrier à la DRAC, pour poser des questions et s’inquiéter de l’état de l’édifice, demande la Présidente ? Il faut qu’il y ait un héritier et un interlocuteur précise Dominique Watin-Grandchamp. Quitterie Cazes pense qu’il faudrait en effet rédiger un courrier, même si elle doute de l’effet qu’il pourrait avoir, et l’adresser au DRAC pour s’inquiéter en tant que Société. Dominique Watin-Grandchamp fait remarquer qu’il y a déjà de nombreux articles dans la presse. Daniel Cazes note qu’il y a malheureusement de nombreux châteaux gersois qui sont dans le même état et rappelle qu’à la suite d’une communication de Jean-Michel Lassure, nous avions fait un courrier pour le château de Saint-Blancard qui est resté lettre morte. Dominique Watin-Grandchamp pense qu’il va être dorénavant difficile de sauver un certain nombre de bâtiments qui arrivent « en bout de course », malgré la volonté formidable des gens qui s’occupent de la Fondation du Patrimoine. Les maires des petites communes n’y arrivent plus. Quitterie Cazes propose de faire une lettre-type qui servira pour tous les courriers.
Pour échapper à la morosité ambiante, Louis Peyrusse voudrait dire que la communication de Gilles Séraphin aurait ravi Ducos qui était un analyste extraordinairement précis de la moindre moulure, du petit détail qui permettait de distinguer une entrée, une fenêtre etc. et qui aurait été ravi de voir l’amont de son travail d’analyse sur les châteaux gascons. Il rappelle également qu’il avait joué un très grand rôle dans les VMF., dont il a été le moteur durant des décennies. C’est à son contact, avoue Gilles Séraphin, que s’est déterminée sa vie professionnelle. C’est en voyant les erreurs de restauration au château d’Esclignac que sa vocation d’archéologue du bâti s’est déclarée. Ducos utilisait d’ailleurs un terme particulier pour caractériser les bases dont il a été question, il parlait de bases « buticulées », c’est-à-dire, en forme de bulbes ou de boutons. Dominique Watin-Grandchamp voudrait revenir sur les moulures des fenêtres à meneaux, les moulures croisées dont elles sont décorées dans les angles semblent plus évoluées que les tores « gras » continus, s’agit-il d’un autre style ? Non, répond Gilles Séraphin, il s’agit d’une autre « langue », un autre vocabulaire, une autre culture, comme l’a dit Pierre Garrigou Grandchamp. Il s’agit donc, reprend notre consœur d’un vocabulaire plus élaboré, plus sophistiqué et donc d’un apport nouveau et extérieur au milieu décrit qui est plutôt vernaculaire. Il s’agit sans doute d’un « parler ligérien » qui cohabite et qu’il reste à étudier, répond Gilles Séraphin.
Virginie Czerniak sollicite enfin notre confrère, qui a étudié la Maison du Sénéchal à Gourdon, car la directrice du Centre d’interprétation de l’architecture et du patrimoine, installé dans cet édifice, a besoin d’aide pour secouer les autorités communales, notamment pour la restauration des peintures de la salle principale. Notre Présidente lui a promis de faire une conférence sur le décor peint à l’occasion des journées du Patrimoine et la directrice aimerait bien trouver quelqu’un pour présenter l’architecture.
Notre Présidente passe la parole à Daniel Cazes pour une question d’actualité concernant le centenaire de notre Société. Il pense qu’il faut commencer à faire fonctionner sans tarder la Commission que l’on avait prévu de mettre en place et que l’on ait aussi un débat général en séance plénière pour définir ce que nous voulons faire car le temps passe et si nous voulons faire quelque chose qui soit à la hauteur de l’histoire de notre Société, il faut que fin 2029 tout soit prêt ; il nous reste donc 6 ans. Virginie Czerniak répond que nous avons déjà commencé à en parler, des pistes ont été lancées et des contacts ont été pris. La Commission sera formée très prochainement, dès le mois de janvier prochain. On se lancera ensuite dans un calendrier précis (des réunions tous les deux ou trois mois) et on déterminera le rôle de chacun. Elle rassure notre confrère : l’objectif n’a pas été perdu de vue. Il faut, reprend Daniel Cazes, qu’il y ait un débat général en séance plénière pour recueillir les avis de tout le monde sur ce que nous voulons faire et ce que nous sommes capables de faire et avec qui ? Tout cela est prévu, répond Virginie Czerniak.

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