Communication longue de Nicolas Bru, Les vitraux modernes de l’église Notre-Dame de Mazamet (Tarn) : un jalon dans le parcours méridional de Charles Plessard, compagnon des Ateliers d’art sacré.
Elève de Maurice Denis puis compagnon des Ateliers d’art sacré, le peintre parisien Charles Plessard (1897-1972) est intervenu à plusieurs reprises au cours de sa carrière dans la ville de Mazamet (Tarn). Il est notamment l’auteur pour l’église paroissiale Notre-Dame de deux ensembles de vitraux exécutés par des ateliers de maîtres-verriers différents. Le premier, réalisé par les frères Rault de Rennes en 1938, est consacré à la Vie de la Vierge dans un style figuratif classique ; le second, figurant les Béatitudes et d’une iconographie plus originale, a été pris en charge par Francis Chigot de Limoges dans des conditions plus aléatoires entre 1940 et 1950. Entre modernité et traditionnalisme, ces vitraux témoignent de l’évolution de l’art sacré au milieu du 20e siècle et inscrivent Mazamet comme un des jalons dans le parcours de l’artiste.
Présents : Mme Czerniak, Présidente, MM. Cabau, Directeur, Ahlsell de Toulza, Trésorier, Mmes Napoléone, Secrétaire générale, Machabert, Secrétaire adjointe ; Mmes Cazes, Haruna-Czaplicki, Merlet-Bagnéris ; MM. Cazes, Garland, Péligry, Peyrusse, Pradalier, Scellès, Surmonne, membres titulaires ; Mmes Dumoulin, Hénocq, Ledru, MM. Bru, Imbert, Mange, membres correspondants.
Excusés : Mmes Balty, Fournié, Pradalier-Schlumberger ; MM. Balty, Penent, Testard, Tollon.
La Présidente ouvre la séance et souhaite la bienvenue à Gabriel Imbert, nouvellement élu membre correspondant. L’Assemblée est informée de la disparition de notre consœur Nicole Andrieu. Dominique Watin Grandchamp, qui lui a succédé au poste de conservateur des Antiquités et Objets d’Art de la Haute-Garonne ayant malheureusement été retenue ce soir, Daniel Cazes accepte d’évoquer sa mémoire :
« Nous avons appris la mort de Nicole Andrieu le lundi 4 mars, ses obsèques ont eu lieu hier, lundi 11. Tous ses proches étaient très inquiets depuis des mois de la santé de notre consœur, atteinte d’une très grave maladie qui avait altéré sa conscience et l’avait éloignée de ses amis.
Nicole était née en 1950. Elle a passé son enfance et sa jeunesse à Paris. C’est là qu’elle s’est déterminée pour faire des études d’histoire de l’art et d’archéologie, qu’elle a effectuées à l’Université de Nanterre. Elle les a faites passionnément, en rencontrant des professeurs qu’elle nous disait être extraordinaires, au premier rang desquels elle citait souvent Carol Heitz, grand spécialiste de l’art carolingien. Après ses études, Nicole Andrieu s’est mariée avec José Andrieu décédé tragiquement à l’âge de 37 ans dans un accident de voiture. Ce qui fut évidemment un drame terrible pour Nicole. À Paris, ils avaient créé un cercle d’amis et se livraient tous deux à des activités dans notre domaine puisque José Andrieu avait effectué à la fois des études de droit et d’histoire de l’art. Ils s’étaient ensuite installés dans le pays natal de José, l’Aveyron. Ils résidaient à Vabres-l’Abbaye, lieu auquel ils se sont intéressés de très près. Leurs recherches n’ont malheureusement été que partiellement publiées, ce qui est dommage car ils étaient très savants sur cette ancienne abbaye. À partir de là, ils avaient développé toute une activité de recherche et de communication sur le patrimoine aveyronnais, plus spécialement dans le sud de ce département, œuvrant pour sa sauvegarde. Ils avaient agrégé autour d’eux des volontaires qui, dans tout ce territoire, faisaient une sorte d’inventaire, non officiel, avec souvent des publications et des échanges d’études. Un second drame avait marqué la vie de Nicole : la fille qu’elle avait eue avec José Andrieu, Laure, était née assez lourdement handicapée.
Venue habiter à Toulouse, Nicole Andrieu s’est rapprochée de notre Société, devenant membre correspondant en 2000. Son centre d’intérêt s’est alors déplacé vers la Haute-Garonne, où elle est devenue conservateur délégué auprès du conservateur en titre, directeur des Archives départementales de la Haute-Garonne, notre consœur Bernadette Suau. Nicole Andrieu a, dès lors, commencé à développer un travail extraordinaire dans tout le département. Avec Bernadette Suau, elles sont parvenues à faire classer et inscrire une grande quantité d’objets d’art religieux, mais aussi de l’histoire technique et industrielle. Le travail a été exceptionnel et passionnant. Les deux femmes sont devenues amies. Nicole fut d’une aide précieuse auprès de Bernadette lorsque celle-ci tomba gravement malade. Après sa disparition, Nicole poursuivit son travail auprès de Jean Le Pottier, lui aussi membre de notre Compagnie. Quand ce dernier, pris par ses responsabilités de directeur des Archives de la Haute-Garonne, dut cesser cette mission, Nicole Andrieu devint conservateur des Antiquités et Objets d’Art du département. Elle occupa ce poste jusqu’à très récemment. Il y a trois ans, la mort de sa fille à l’âge de 45 ans, des suites d’une longue maladie, bouleversa une nouvelle fois la vie de Nicole.
Dans cette brève évocation improvisée, il convient de rappeler ses travaux sur le patrimoine toulousain : entre autres, la Daurade, les reliquaires et ornements liturgiques de Saint-Sernin, les confréries de pénitents à Toulouse en collaboration avec Bernadette Suau, la petite monographie de l’église Saint-Pierre des Chartreux avec le père Galinier. Elle avait constaté que dans les églises du Comminges était conservée une quantité impressionnante de statues en pierre ou en bois, souvent du XIIIe ou XIVe siècle. Elle permit la protection de ces objets, jamais étudiés et souvent pillés, en les présentant en commission départementale des antiquités et objets d’art. Une exposition pour les faire connaître du plus grand nombre fut aussi organisée. Le Museu nacional d’art català de Barcelone a su reconnaître très tôt cette production statuaire commingeoise et acquérir plusieurs de ses œuvres remarquables, aujourd’hui exposées en bonne place dans ce musée.
La cérémonie d’hier à l’église de Pouvourville a été longuement précédée d’une série d’hommages, familiaux, amicaux et professionnels, dont celui de Jean Le Pottier, qui a rappelé le travail mené par Nicole Andrieu. »
La Compagnie observe une minute de silence en hommage à notre consœur.
La Présidente expose ensuite les résultats de la commission des concours de la Société. Sur les quatorze candidatures reçues, seules treize ont été étudiées pour cette session. En effet, aucun relecteur spécialiste n’ayant été trouvé cette année pour évaluer un des mémoires, celui-ci sera soumis à nouveau au concours 2025 ; la candidate en a été informée. Virginie Czerniak insiste sur la grande qualité des travaux présentés ; en conséquence la commission a proposé l’attribution de sept prix et trois médailles :
le Grand prix de la Société Archéologique du Midi de la France, médaille de vermeil : à la thèse de Jean-Paul Rehr, Hérésie politique et inquisition dans le comté de Toulouse. Édition et étude du ms. 609 de la Bibliothèque municipale de Toulouse : le registre de la « grande enquête inquisitoriale » à Toulouse. 1245-1246 (Université Lumière Lyon, 2023) ;
le Prix Ourgaud, ex-aequo : à la thèse de Lionel Germain, La fabrique sociale du gouvernement : pragmatique et symbolique des écrits urbains dans le Rouergue médiéval (milieu XIIe-milieu XIVe siècle) (Université Paris-Saclay, 2022), et au mémoire de Master 2 de Lorenzo Carras-Puigibert, Joseph Granié 1861-1915, portraitiste et enlumineur de la génération symboliste (Université Toulouse 2 Jean Jaurès, 2023) ;
le Prix de Toulza, ex-aequo : au mémoire de Master 2 de Juliette Capdevielle, Approches et limites d’une approche technomorphométrique des hachereaux : le cas de Menez-Dregan I (Finistère) et Lanne-Daré (Hautes-Pyrénées) (Université Toulouse 2 Jean Jaurès, 2021), et celui de Lola Sabardine, L’église romane de Lavernose-Lacasse (Université Paris-Nanterre) ;
deux prix spéciaux de la Société Archéologique du Midi de la France : à la thèse de Clémentine Stunault, Boire et manger à Toulouse : des métiers de bouche à l’alimentation d’une ville médiévale (Université Toulouse 2 Jean Jaurès, 2023), et au mémoire de Master 2 d’Olga Sinkova-Barrere, Reliquaires et dévotions dans le diocèse médiéval d’Elne du premier concile de Latran (1123) au concile de Trente 1542-1563 (Université de Lille) ;
deux médailles d’argent de la Société Archéologique du Midi de la France : à la thèse de Marion Alvergnat, Les établissements monastiques cisterciens du Languedoc méditerranéen et du Roussillon au Moyen Âge, architecture et décor sculpté (Université Montpellier 3 Paul Valéry, 2023), ainsi qu’au mémoire de Master 2 de Laure Domont, La seigneurie partagée de Montpellier 1374-1375, une administration entre France et Navarre (Université Montpellier 3 Paul Valéry, 2021).
Les résultats, soumis au vote de l’assemblée, sont approuvés à l’unanimité. La Présidente rappelle que les prix et médailles seront remis aux lauréats lors de notre séance publique, qui se tiendra dimanche 24 mars à 16 h dans la salle Clémence-Isaure. Elle invite par ailleurs les membres à venir nombreux.
La parole est ensuite donnée à Nicolas Bru pour la communication longue du jour sur : Les vitraux modernes de l’église Notre-Dame de Mazamet (Tarn) : un jalon dans le parcours méridional de Charles Plessard, compagnon des Ateliers d’art sacré.
La Présidente remercie notre confrère pour la découverte du travail de cet artiste. Les questions d’iconographie apparaissent particulièrement intéressantes. De plus, les communications sur l’art contemporain sont rares, et cette diversité est bienvenue. Louis Peyrusse rappelle que les Ateliers d’art sacré fondés par Maurice Denis appartiennent à la tendance de l’art officiel de l’Église. Alors que Maurice Denis avait voulu un art pédagogique, notre confrère remarque que la lecture des vitraux créés par Charles Plessard n’est pas facile, y compris ceux de la vie de la Vierge. Nicolas Bru nuance le terme « art officiel » au sujet des Ateliers d’art sacré. En réalité, les commandes sont très limitées, explique-t-il. Les Ateliers sont exsangues financièrement parce qu’ils n’arrivent pas à toucher le public et les curés des campagnes. Louis Peyrusse relève que la situation est difficile après 1905 : les financements publics disparaissent. Nicolas Bru revient sur la complexité de la lecture des vitraux. Pour l’ensemble consacré à la vie de la Vierge, cela tient notamment à la mixité de techniques de verres découpés, qui répond alors à une volonté de s’affranchir de la peinture en grisaille sur de grandes surfaces au profit d’une multiplicité de morceaux simplement colorés dans la masse. Cette approche « perturbe » une représentation classique, figurative, sans pour autant s’émanciper du motif. Cela induit une lecture difficile entre les visages qui emploient encore la peinture en grisaille et les motifs d’ornements qui, eux, démultiplient les formes.
Christian Mange demande si l’église Notre-Dame de Mazamet est dotée d’un décor peint qui entrerait dans un jeu de correspondance iconographique avec les vitraux. Nicolas Bru répond par la négative. L’église n’a, a priori, jamais eu de décor sur les murs ; seul un chemin de croix a été installé dans les années 1960. Aussi, insérer ces vitraux en 1937 ou 1941 c’est jouer la confrontation avec les vitraux de la fin du XIXe siècle et les grands vitraux de Saint-Blancat (dédiés aux morts de la 1re Guerre mondiale). Notre confrère note que ce choix introduit un rapport de proportion et un rapport plastique qui n’est pas forcément très réussi. Peut-être était-ce voulu de la part de l’artiste ou du maître-verrier. Il n’y a aucune trace de sa venue sur le chantier, ce qui laisse sans explication sur la manière dont la mise en place a été réfléchie par rapport à l’environnement et au contexte. Dans cette église, les vitraux se suffisent à eux-mêmes, en tout cas programme par programme, ajoute Nicolas Bru.
Quitterie Cazes souhaite savoir comment le programme iconographique est décidé : y-a-t-il des discussions préalables ? Pour cette commande aucune information n’est connue, répond Nicolas Bru. Il est possible de déduire que le choix iconographique de la paroisse est probablement donné à l’artiste sans autre indication, à charge pour lui de le traduire en images. Quitterie Cazes est étonnée par la présence de certains symboles : une étoile de David, un coq… Nicolas Bru indique que le coq est associé à la figure de saint Pierre, mais sa place dans la composition est surprenante. Malheureusement, aucun écrit n’a été trouvé. Le conférencier se réfère alors à d’autres vitraux, antérieurs et postérieurs, produits par Charles Plessard. Il existe notamment une correspondance avec Gabriel Loire, chef d’atelier de la maison Lorin à Chartres, au sujet d’une commande pour un édifice situé à côté de Clermont-Ferrand (chapelle des sœurs de Loubeyrat) en 1935-36. Les échanges privés témoignent de la détermination de l’artiste, qui semble faire fi des demandes des commanditaires et des avis des architectes. Nicolas Bru cite un autre chantier réalisé avec le maître-verrier Francis Chicot à Annecy. Les vitraux posés dans la basilique de la Visitation en 1943, financés par le gouvernement de Vichy, comportent une francisque. À la Libération, le vitrail dédicace du donataire est changé, mais la francisque, trop difficile d’accès, est restée.
Virginie Czerniak remarque que Charles Plessard apparaît comme un personnage un peu fourbe, puisqu’il semble être passé outre le maître-verrier Chigot à Mazamet, en confiant la réalisation d’une partie de la commande à un concurrent. Christian Mange s’interroge sur la réception de ces vitraux, notamment dans le cadre des débats sur l’art saint-sulpicien. La critique est faite a posteriori, à partir des années 1937, par le Père Couturier, Dominicain à la tête de la revue L’Art sacré avec le Père Régamey. Le Père Couturier et Charles Plessard ont fréquenté ensemble les Ateliers d’art sacré de Maurice Denis. Le Dominicain se détourne de son enseignement, s’orientant après la Deuxième Guerre mondiale vers les grands maîtres de la modernité, même non chrétiens. Nicolas Bru souligne que l’œuvre de Charles Plessard reste inédite : aucune fortune critique n’est connue. Louis Peyrusse ajoute qu’à Mazamet des propriétaires d’usines, catholiques, étaient en confrontation très forte avec le monde protestant. Le financement de ce chantier s’inscrit dans un contexte de réaction politique.
Maurice Scellès exprime son étonnement sur l’absence de commentaires dans la presse locale, ne serait-ce qu’une mention de l’inauguration du décor. Nicolas Bru explique n’avoir, pour l’heure, consulté que la presse numérisée.
Quitterie Cazes demande à notre confrère s’il prévoit dans sa thèse un chapitre sur le positionnement « politico-religieux » de l’artiste. Nicolas Bru compte bien aborder ce thème complexe à décrypter. Il est connu que Charles Plessard évolue dans des milieux catholiques parisiens et progressistes. Dans un contexte qui peut associer les Ateliers d’art sacré à un « art maurassien », lui peut être qualifié de social-démocrate. Il est en effet affilié à certains personnages de cette mouvance, à l’instar des curés-ouvriers qui portent une parole œcuménique élargie dès le début du siècle. Il est notamment associé à l’abbé Roblot (Jacques Debout), qui est une des figures de la social-démocratie chrétienne. Une correspondance entre les deux hommes est conservée aux archives de la Manche, malheureusement impossible à consulter.
Henri Pradalier demande si Charles Plessard avait des rapports avec le mouvement catholique progressiste « le Sillon ». Nicolas Bru répond que l’abbé Roblot était membre de ce mouvement. Ce dernier a également fondé en 1919 Les Cahiers catholiques, qui organisaient un salon d’art religieux dont Charles Plessard a été le commissaire entre 1934 et 1939. Charles Plessard était dans la tradition du Sillon. Henri Pradalier demande ensuite si les moines d’En Calcat ont joué un rôle pour l’iconographie notamment dans la commande de Mazamet ? Charles Plessard avait des rapports avec Frère Luc, mais celui-ci ne passe que quelques mois à En Calcat, répond Nicolas Bru. Il précise n’avoir jamais trouvé de trace de relation avec l’abbaye d’En Calcat, hormis avec le Père Odilon, architecte qui lui fournit la commande de décors à Marseille, mais ce lien n’existe que plus tard, dans les années 1950.
Daniel Cazes se dit frappé de voir que cet artiste évolue entre deux tendances très opposées. Les deux cycles de l’église Notre-Dame de Mazamet illustrent parfaitement cette ambivalence. Ils s’inscrivent dans la tradition du grand vitrail du XIIIe siècle (fonds bleus, fragmentations des verres…) tout en s’affirmant, par une approche nouvelle, dans un courant moderne. Notre confrère s’interroge : y a-t-il des « suiveurs » de Charles Plessard dans la région et à Toulouse ? Il songe alors aux vitraux de l’église de la Dalbade, dont l’auteur ne lui est pas connu. Ils sont dans l’esprit de certains vitraux produits pour Mazamet. Nicolas Bru juge difficile d’évaluer la postérité d’un artiste qui, dès les années 1940, n’est plus dans la modernité. Il appartient à une manière de faire collective qui tend à disparaître. En effet, la pratique du vitrail évolue totalement dans les années 1950.
Guy Ahlsell de Toulza est ravi d’avoir découvert ce programme décoratif. Il remarque que ces vitraux, au regard de leur positionnement, n’étaient pas destinés à être lus de manière pédagogique. Les textes sont illisibles à cette hauteur. Ils n’ont pas de vocation d’enseignement mais ils existent par leur histoire spirituelle et surtout par la couleur. La postérité de cette tendance conduit aux vitraux abstraits, conçus à partir des jeux de couleurs, en aplats et sans fonction pédagogique. Le Trésorier est par ailleurs interpellé par la typographie employée, typique des années 1930, dans la mouvance Art déco.