Société Archéologique  du Midi de la France
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Gustave DE CLAUSADE (1816-1889)

président de la S.A.M.F. (1880-1889)
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NOTICE NÉCROLOGIQUE SUR
M. GUSTAVE DE CLAUSADE DE SAINT-AMARAND

par TH. DE SEVIN

Extrait des Mémoires de la Société Archéologique du Midi de la France, t. XIV, 1886-1889, p. 317-324.

 

 

MESSIEURS ,

Désigné par vous pour rendre un tribut d’hommage à la mémoire de M. de Clausade, mon insuffisance devait me faire décliner cet honneur, mais il est des charges qui ne se refusent pas, des dettes de reconnaissance que l’on doit acquitter.
Vos regrets et les miens, Messieurs, sont bien vifs de ne plus retrouver au milieu de nous Gustave de Clausade, cet érudit, cet homme de bien. Nous, les derniers venus, nous lui avions voué amitiés et respects.
Je ne vois plus ici aucun de ses premiers collègues, mais un compagnon de ses jeunes ans m’écrivait naguère : « Je lui suis resté attaché par des liens étroits, que l’absence et le temps n’ont pu rompre ; nous nous aimions comme deux frères, et j’ai pu ainsi reconnaître ce qu’il y avait de délicat et de distingué dans sa nature et son caractère. » Ce que je pourrais ajouter ne ferait qu’affaiblir un témoignage d’estime et d’affection aussi vivace après un demi-siècle. Gustave de Clausade, né à Rabastens en août 1816, fil de fortes éludes à Montauban et obtint les diplômes de bachelier ès lettres et de bachelier ès sciences ; il suivit ensuite les cours de la Faculté de droit, mais le Digeste et le Code civil ne le captivaient pas entièrement ; ses goûts le portaient vers la littérature et l’histoire locale. Son grand plaisir était de retrouver de vieux manuscrits, de collectionner de vieilles monnaies, vaste matière à recherches.
Reçu licencié et docteur en droit à Toulouse, il fit son stage d’avocat à Paris. Il se préparait en même temps à entrer à l’école des Chartes, lorsqu’une grave maladie de son père le rappela à Rabastens, où, dès lors, il dut se fixer ; conseiller municipal, il fut nommé maire ; bientôt après élu au conseil général et pendant près de vingt ans secrétaire de celle assemblée, il se montra digne du choix de ses collègues par l’exactitude et l’élégance de ses procès-verbaux.
En 1850, il fut nommé correspondant du Comité historique des arts et des monuments, membre de la société des antiquaires de France, de la société de numismatique et de nombreuses sociétés savantes.
Sa place était marquée à l’Académie des sciences, inscriptions et belles-lettres, où il fut reçu en 1853 comme correspondant et en 1859 comme membre résidant.
Entré en 1847 à la Société archéologique du midi de la France, résidant en 1852, il devint directeur, puis président en 1880.
Ses travaux imprimés ne représentent que la très minime partie de toute une vie de travail. A partir de 1851, il fut soutenu pendant ce long labeur par une compagne dévouée Mlle de Fleury. Il avait alors trente-cinq ans, tout lui souriait ; à une haute situation, rehaussée par les dons de l’esprit et du cœur, venait s’ajouter le lustre d’une belle alliance. Mais qui peut se flatter de bonheur en ce monde ; vingt ans se passent, sa fille unique, sa joie, son espérance, lui est ravie. Jamais il n’en parlait ; les grandes douleurs sont muettes, mais ce deuil resté au fond de son cœur a avancé le nôtre. Profond chrétien, sa foi vive put seule lui donner la résignation nécessaire à une vie désormais brisée !... Reportons-nous par la pensée à la jeunesse studieuse el pleine de promesses de Gustave de Clausade. C’était vers 1840, époque de renaissance pour les études historiques ; on se rattachait au passé dans ce qu’il avait produit de grand et d’original ; plus de style imposé, plus de parti pris. Partout des archives à fouiller, des monuments non décrits, des ruines inexplorées, le champ était vaste et riche, la moisson assurée.
Sa première notice, que je n’ai pu retrouver, fut sur le Jacquemart de Lavaur. Il se repentit sans doute que Rabastens n’ait pas eu les prémices de sa plume et, dès 1841, parut dans la Mosaïque du midi un article sur Augé Gaillard, dit le Rodier de Rabastens, poète du seizième siècle.
L’enthousiasme qu’il montre pour une des gloires alors méconnue de l’Albigeois, pour ce dernier héritier des troubadours, s’allie à une saine critique et à des citations heureuses. Il s’attache à faire aimer le poète, non sans blâmer parfois sa licence ; il nous le dépeint calviniste militant, chassé de Rabastens, réduit à la misère et payant avec usure ses nombreux protecteurs en les inscrivant par ses vers au temple de Mémoire. Il nous le représente ami de Salluste du Bartas, tâchant de se former à l’école de Ronsard, tout en répudiant la dureté de ses vers et sa mythologie grecque.
Gustave de Clausade ne croit pas avoir assez fait ; en 1843, il publie les œuvres languedociennes et françaises d’Auger Gaillard avec des observations sur l’orthographe et la prononciation du dialecte albigeois. Le livre commence par un abrégé de la notice parue dans la Mosaïque du midi et se termine par un glossaire. De Clausade a devancé son époque, honneur à lui d’avoir ouvert la voie aux félibres de nos jours.
Avec la jeunesse se forment facilement ces amitiés que la mort seule peut rompre. Nous devons à une de ces liaisons, fortifiées par une conformité de goûts et d’études, un beau livre : Une visite au bon Henri, suivie d’une excursion en Guipuscoa par Bayonne. Texte par G. de Clausade, dessins par E. de Malbos, 1843.
Ces jeunes gens, deux enthousiastes rêvant de la cour si brillante de Gaston Phoebus, de Jeanne d’Albret, d’Henri IV, se lancent dans un voyage d’exploration des pays basques : Lourdes, Pau, Couarraze, Bayonne, Fontarabie et Saint Sébastien sont les principales étapes des touristes.
Le dessinateur et l’archéologue se donnent un mutuel secours : s’entr’aider est loi de nature ; peut seul s’en passer tel d’entre nous qui manie aussi bien la plume que le crayon.
Gustave de Clausade, dans sa modestie, ne veut pas agrandir l’horizon de la science mais seulement marcher le long des sentiers frayés.
Il n’en est pas moins un initiateur aux fortes études archéologiques, donnant le texte à l’appui avec toute la saveur de l’idiome du temps, ne citant que les maîtres. Ses descriptions, courtes et imagées, forment des tableaux aux vives couleurs, sa plume vaut le crayon de son ami.
Augé Gaillard, chassé de Rabastens, s’était retiré à Montauban ; Gustave de Clausade l’y suit, et en recherchant si son poète y a laissé des souvenirs et son tombeau, il se met à écrire les principaux faits de l’histoire de cette ville singulière s’élevant au douzième siècle sur les terres d’une abbaye, soutenant les albigeois, prenant le parti de la Réforme, résistant à Montluc, àTerride, à Louis XIII lui-même, et, malgré une soumission apparente, empêchant l’exercice du culte catholique jusqu’à la répression sanglante de la sédition de 1661.
A Montauban, rapporte G. de Clausade, la huguenoterie se montra rarement disputeuse de mots, elle préféra toujours une bonne arquebuse à une argumentation ; elle brûla sa vieille cathédrale remplacée maintenant par une église massive de la régence où, par un saisissant contraste avec les passions de la vieille cité rebelle, Ingres a déposé son célèbre vœu de Louis XIII.
Ce ne fut pas pour de Clausade un vain titre que celui de correspondant du Comité historique des arts et des monuments ; pénétré de la nécessité de sauver de la destruction ou de l’aliénation le vieux mobilier des églises du Tarn, il s’adresse à Mgr de Jerphanion, le supplie d’envoyer des circulaires à ses prêtres, d’établir dans son grand séminaire une chaire d’archéologie pour que le style des églises du diocèse soit respecté par ceux mêmes qui ont mission de les entretenir ou de les restaurer. Son zèle s’étend à la conservation de tous les monuments anciens ; il demande aux prêtres une statistique générale, une carte archéologique, des études descriptives et propose la création d’un musée diocésain. Il demande aussi le consentement préalable d’une commission ecclésiastique pour un changement quelconque à l’extérieur et à l’intérieur des églises. Même dans notre département doté d’une société archéologique, dont les membres, nos prédécesseurs, se sont toujours distingués par leur savoir et leur zèle, l’inventaire des richesses d’art était encore à faire. Nous avons dû l’année dernière, pour marcher vite et sûrement, demander le précieux patronage de l’autorité ecclésiastique et le concours de MM. les curés. C’est encore du vieux neuf, et si notre président n’avait pas été par la maladie retenu loin de nos séances il aurait pu revendiquer l’honneur de l’invention.
Le retour du jubilé universel de l’année sainte, en 1850, fournit à Gustave de Clausade l’occasion d’une excellente élude sur les jubilés, d’abord centenaires, puis à dates plus rapprochées. Le chrétien lira avec édification, l’archéologue avec intérêt, le résumé, en quelques pages élégamment écrites, de ces grands jubilés qui entraînaient les multitudes vers le tombeau des apôtres et donnèrent, par quelques abus, prétexte à la réforme.
Avant de continuer l’énumération de ses travaux, disons que les quelques monnaies qu’il avait achetées dans sa jeunesse décidèrent de sa vocation ; il fut avant tout collectionneur. Le voile de tristesse qu’il portait toujours sur son visage s’éclaircissait, son œil s’allumait dès qu’il parlait d’une trouvaille, il revenait à vingt ans avec toutes les ardeurs juvéniles. Je n’entreprendrai point de décrire toutes les merveilles qui sont entrées dans son cabinet, porcelaines, faïences, argenterie, tableaux et meubles anciens ; mais tous ses soins se reportaient à compléter et à épurer d’admirables séries de médailles et de monnaies qu’il classait, comparait et étudiait sans cesse ; de nouveaux achats retardaient toujours la confection de son catalogue en le jetant dans des recherches nouvelles.
Passons maintenant au tribut qu’il a payé à l’Académie des sciences par sept communications ou rapports sur des sujets les plus variés.
Tout d’abord sa pensée se porte sur les souvenirs historiques du château de Bruniquel appartenant à l’ancienne famille d’Ouvrier de Villegly, dont sa mère était issue. Là se déroule l’existence si dramatique de Baudoin de Toulouse, chanté par Guillaume de Tudela, ce poète troubadour dont la muse vénale, après la mort de son bienfaiteur, passa du camp des Croisés dans celui de Raymond VI (1).
Puis vient un second travail sur les premiers vicomtes de Bruniquel, cherchant par des alliances à se rendre indépendants de leurs aînés et suzerains les comtes de Toulouse, avec des détails intéressants sur une fausse charte d’Adhémar III.
En 1843 paraît dans les Mémoires  : « Instruction primaire dans le département du Tarn , » fruit de ses préoccupations et de ses études comme conseiller général.
En 1867 et 1868, il revient aux recherches historiques par deux rapports sur la vicomté d’Auvillar et sur l’origine de Cordes. Il relaie, dans ce dernier travail, une fausse indication d’une charte donnée successivement par MM. Compayré, Croze et Rossignol ; lui seul avait connaissance du texte et en avait pris copie à la Bibliothèque nationale, il triomphe de ses rivaux avec un malin plaisir ; l’exposition est un peu lente, mais si le dénouement se fait attendre, il pique la curiosité. Ce n’est pas vous, Messieurs, qui blâmerez un peu de mise en scène, il faut faire la part du temps. Edward Barry, notre ancien secrétaire général, était chef d’école et aussi un peu avare de ses découvertes ; il disposait avec art de nombreux préambules et sa précieuse communication n’arrivait souvent qu’à une autre séance et comme deus ex machina, – mais quelles bonnes heures passées à l’écouler, soit à la Société, soit à son cours.
En 1871, de Clausade traite un sujet se rattachant à la direction dès lors constante de ses études et surtout de ses recherches comme collectionneur : « Note sur une monnaie grecque trouvée dans le sol de Toulouse ; » c’est une monnaie de Ptolémée reposant dans une couche profonde au même niveau que les pièces gauloises et celtibériennes, car la numismatique a sa stratification comme la géologie.
En 1872, il dit adieu à ses collègues par un excellent rapport sur le concours de l’année : il avait surtout à apprécier le livre de Charles Barry sur La Baumelle et il ne se montre au-dessous ni de l’œuvre ni de l’homme.
Rattaché de bonne heure à la Société archéologique comme membre correspondant, il ne se presse pas de faire ses preuves, pensant répondre à son heure aux espérances qu’on avait fondées sur lui.
Pour la première fois en 1869, à propos d’un sou d’or de Childebert, il fait un petit traité de l’étal actuel de la numismatique mérovingienne avec les réserves du vrai savant pour l’attribution de la pièce à l’un des trois Childebert, mais en se laissant aller à la douce folie des numismates qui abusent un peu du mot inédit pour un fleuron remplaçant une lettre ou pour un point déplacé.
Après avoir lu la première partie d’un travail sur les monnaies des papes dont malheureusement le Bulletin ne contient qu’une simple indication, il rend compte de l’achat pour la Société de quelques monnaies gauloises du trésor de Béziers et fait une étude critique des travaux de Lelewel, de Chaudruc de Crazannes et du marquis de Lagoy , sur les monnaies des Volkes à l’imitation du type de Rhoda.
A propos du pape Alexandre III vient une savante dissertation sur les bulles de plomb qui authentiquaient les documents officiels de la cour romaine et sur leur difficulté d’attribution quand, séparées de leurs chartes, elles ne portent pas une indication numérale.
Il décrit ensuite des substructions romaines découvertes à une de ses propriétés près de Rabastens ; dans la même séance, passant en Bretagne, il montre à ses collègues une médaille, unique en argent, frappée pour la construction d’un pont à Rennes en 1612, portant au droit les bustes accolés de Louis XIII enfant et de Marie de Médicis, au revers les armes de Rennes.
Traversant Lyon au moment où on retirait de la Saône des plaques de pèlerinage en plomb, il les achète, les décrit, les compare à d’autres plaques similaires et indique que, plus lard, on y joignait de vrais passeports sur parchemin comme celui de 1620 qu’il présente à la Société.
Depuis 1881, sauf une courte notice sur Chalande que lui seul pouvait louer dignement, il ne s’occupe plus que d’encourager et de stimuler nos travaux, de diriger nos discussions avec cette aménité de bon ton et cette exquise politesse dont il ne se départit jamais. C’était le vrai président ; ce titre était, je suis sûr, celui auquel il tenait le plus, pas peut-être toutefois autant que nous à le lui conserver ; aussi, malgré une maladie implacable qui le retenait loin de nos séances, nous n’aurions jamais songé à lui donner un successeur : il m’aurait semblé, pour ma part, faire une mauvaise action. Le titre de président d’honneur, s’il avait été dans nos usages, ne nous eût pas paru suffisant, car il était toujours à la peine, se préoccupant de nos travaux et de nos conditions d’existence un peu précaires ces dernières années.
Il semble qu’il était le palladium de la Société archéologique ; tant qu’il a vécu notre subvention a été respectée.
Qu’il eût été heureux de se retrouver à notre tête dans notre vieux palais municipal, même rajeuni. Quoique archéologue intransigeant, il eût été peut-être, sans s’en douter, plus indulgent pour des ventes imprudentes, des démolitions à jamais regrettables et des reconstructions sans caractère.
Ses dernières communications n’étaient que de courtes notes à l’occasion de dons qu’il faisait à la société d’œuvres d’artistes toulousains ou de monuments de notre histoire locale : d’abord les portraits de Jean-Pierre et d’Antoine Rivais gravés par leur neveu Barthélemy, d’après les tableaux du musée, pièces fort rares ; la pierre tombale des mêmes peintres trouvée à Saint-Cyprien et provenant du cloître de la Daurade ; le plan des promenades projetées à Toulouse, gravé par Baour en 1752, où l’on voit des monuments disparus et des embellissements exécutés seulement de nos jours, et enfin un-dessin d’Antoine Rivals, gravé par Ambroise Crozat, représentant le feu d’artifice tiré sur la Garonne, le 29 septembre 1729, à l’occasion de la naissance du dauphin.
Ces dons n’étaient que le prélude d’une plus grande libéralité que nous devons à des intentions nettement exprimées et pieusement recueillies par Mme et Mlle de Clausade. Nous avions à donner le prix Ourgaud ; nous aurons un prix plus considérable, le prix de Clausade : les érudits seront encore plus portés à nous adresser leurs œuvres et le nom vénéré de notre président reviendra à époques périodiques sur nos lèvres et sur celles de nos futurs collègues, car si les hommes passent les fondations restent.
Si j’ai donné à cet éloge plus de développement que de coutume, c’est qu’honoré de l’affection de notre regretté président il m’a semblé payer une dette sacrée en relisant et en consignant tout ce qu’une main amie a tracé.

(1) La critique moderne n’a plus les mêmes sévérités.

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