Communication courte d’Henri Pradalier, Une source du maître de Cabestany ?
Dans le contexte de la sculpture romane du XIIe siècle l’art du Maître de Cabestany se signale par des formes extrêmement originales. Ses sources sont à la fois antiques et contemporaines. Il est possible que certaines sculptures antiques et des modèles précis permettent d’expliquer le traitement particulier des visages des différents personnages sculptés par le Maître de Cabestany. La question est de savoir où le Maître de Cabestany a croisé ces modèles, ce qui peut se déduire en observant l’aire de diffusion de ses principaux chefs-d’œuvre.
Communication courte de Gilles Séraphin, Le chevet de Saint-Étienne de Périgueux, notes de visite
La cathédrale Saint-Etienne de Périgueux revisitée
A l’occasion d’une visite à la cathédrale Saint-Etienne-de-la Cité à Périgueux, l’examen de la pierre calendaire du 12e siècle insérée dans la travée de chœur a conduit à s’interroger quant à la chronologie de l’édifice. L’histoire des églises à files de coupoles d’Aquitaine pourrait s’en trouver modifiée.
Photo : Saint-Etienne de la Cité à Périgueux, d’après J. de Verneilh, L’architecture byzantine, 1851
Présents : Mme Czerniak, Présidente, MM. Cabau, Directeur, Ahlsell de Toulza, Trésorier, Péligry, Bibliothécaire-archiviste, Mmes Napoléone, Secrétaire générale, Machabert, Secrétaire-adjointe ; Mmes Cazes, Fournié, Pradalier-Schlumberger, MM. Balty, Cazes, Penent, Peyrusse, Pradalier, Sournia, Surmonne, Testard, Tollon, membres titulaires ; Mmes Balty, Hénocq, Rolland Fabre, Rollins, MM. Kerambloch, Rigault, Séraphin, membres correspondants.
Excusés : MM. Garland, Garrigou Grandchamp, Scellès.
Invitée : Jeanne Péligry.
La Présidente ouvre la séance en rappelant aux membres que la séance publique annuelle de notre Société se tiendra dimanche 26 mars à 16 h. Outre l’allocution de la Présidente et la remise des prix, nous aurons le plaisir d’écouter une conférence de Pierre Garrigou Grandchamp, Maurice Scellès et Anne-Laure Napoléone intitulée « Construire et habiter au Moyen Âge dans le Lot ». La Présidente nous informe également du retour, lundi 27 mars, des statues-menhirs prêtées au Musée Henri-Prades. Enfin, Virginie Czerniak fait circuler le programme des évènements culturels et scientifiques organisés autour des centenaires de la naissance, de la mort et de la canonisation de saint Thomas d’Aquin (2023-2025). Michèle Pradalier-Schlumberger signale que, dans ce cadre, une exposition sera proposée à l’Espace muséographique Georges- Baccrabère de l’Institut Catholique de Toulouse. L’invitation pour le vernissage, qui aura lieu le mardi 2 mai 2023 à 18 h, a été diffusée auprès des membres.
La Présidente donne ensuite la parole à Henri Pradalier pour la première communication courte du jour : Une source du maître de Cabestany ?
Daniel Cazes souligne que le Silène ivre conservé au Musée archéologique de Narbonne complète admirablement la série de comparaisons présentée. Henri Pradalier précise que le visage, éloigné des standards du maître de Cabestany, montre qu’il y avait des œuvres de ce type dans la région. Daniel Cazes se demande si le maître de Cabestany a vu des œuvres du Haut-Empire romain telles que celles qui ont été projetées, ou s’il a plutôt été influencé par la sculpture de l’Antiquité tardive, notamment à travers les sarcophages ? En effet, pour le sarcophage de Saint-Hilaire, ce n’est pas qu’une question de visage, il y a aussi une imitation d’un modèle de sarcophage de la fin de l’Antiquité et peut-être chrétien. Daniel Cazes est aussi troublé par une certaine parenté entre les visages du maître de Cabestany et ceux de la frise de sarcophage du IVe siècle provenant de Saint-Sernin présentée au Musée Saint-Raymond. On y retrouve une façon brutale, angulaire, de présenter les profils et les visages ainsi que les coups de trépan caractéristiques de la sculpture paléochrétienne du IVe siècle. Jean-Charles Balty se réjouit d’avoir entendu cette communication qui répond à certaines de ses propres interrogations. Selon lui, deux plans sont à distinguer dans l’analyse : d’un côté, la question de l’iconographie et d’autre part celle du style. Les parallèles proposés avec les représentations du dieu Pan et des satyres relèvent, selon lui, d’un modèle plus général. Ils sont effectivement très proches des modillons de Saint-Papoul ; le maître de Cabestany a vraisemblablement vu des modèles de ce genre. Toutefois, du point de vue du style, les visages, taillés en biseau avec d’énormes yeux placés très haut, des crânes aplatis et des barbes touffues renvoient à des sarcophages romains de la deuxième moitié du IVe siècle. Jean-Charles Balty fait notamment référence à un sarcophage situé dans le porche de Saint-Laurent-hors-les-Murs à Rome, dont les têtes sont similaires à celles du maître de Cabestany. Ces références constituent donc l’influence principale du maître de Cabestany, même s’il est tout aussi indiscutable qu’il a cherché d’autres modèles dans la région : il y a des sarcophages de ce genre à Narbonne, à Gérone aussi (San Feliu). La filiation de ce côté est évidente. Seul Sant’Antimo est éloigné du reste, mais l’idée de pèlerinage est vraisemblable et explique la distance. Le maître aurait ainsi vu davantage de sarcophages de ce type au cours de son cheminement de Narbonne à Pise, notamment à Gênes. Michèle Pradalier-Schlumberger évoque l’hypothèse du transport des œuvres. Les sculptures italiennes, Sugana en particulier, n’ont-elles pas pu être transportées comme cela s’est fait au XIVe siècle, par exemple avec les deux statues attribuées au maître de la chapelle de Rieux de la cathédrale de Tarbes. A priori les pierres sont locales, note Virginie Czerniak. Henri Pradalier confirme, le sculpteur s’est déplacé, pas l’œuvre. Pour notre confrère, la colonne de Sugana n’est pas du maître de Cabestany. Elle est l’œuvre d’un disciple. Sugana dépendait de Sant’Antimo, il y a donc un lien entre les deux, une circulation.
La Présidente donne ensuite la parole à Gilles Séraphin pour la seconde communication courte du jour intitulée : Le chevet de Saint-Étienne de Périgueux, notes de visite.
Virginie Czerniak revient sur la raison du développement des églises à file de coupoles dans le domaine anglo-normand ? qui peut s’expliquer par le matériau, le calcaire, aisé à travailler en Aquitaine. Elle avoue que le rôle des Plantagenêts dans le Midi est un sujet qui l’intéresse particulièrement par rapport à Moissac. Au-delà des liens existant pour les peintures de l’abbatiale, il y a un contexte historique intéressant, avec la coalition entre Henri II et le Roi d’Aragon pour prendre en étau le comte de Toulouse. Gilles Séraphin est convaincu que les ducs d’Aquitaine élaborent un grand projet commercial et non pas seulement militaire. Cet axe Atlantique-Méditerranée passe par une alliance avec les comtes de Barcelone, avec la vicomtesse de Narbonne, avec les Trencavel, et par l’éviction des comtes de Toulouse, dans le cadre de la Guerre de Cent Ans méridionale. La plaque tournante de ce projet est Cahors qui va faire le lien entre la voie terrestre et la voie fluviale. Michèle Pradalier-Schlumberger tient à rappeler que la période « 1200 » est aussi très riche pour l’art. Gilles Séraphin précise qu’il la perçoit comme un « angle mort » dans la recherche, aucunement comme un « vide ». Mme Pradalier-Schlumberger revient ensuite sur les églises à file de coupoles. Lorsqu’elle s’est intéressée à ce sujet, après les travaux de Raymond Rey et ceux de Marcel Durliat, elle avait constaté que la datation de Brantôme par Claude Andrault-Schmitt était beaucoup trop tardive. Par ailleurs, elle avait remarqué l’existence de deux générations d’églises à file de coupoles. La première génération correspond à celle de Saint-Front et de Cahors et la seconde compte la cathédrale d’Angoulême (malgré les restaurations) et Fontevraud. Elles se distinguent par la façon dont les coupoles reposent sur les supports. Pour les plus anciennes coupoles sur pendentifs, les pendentifs se rejoignent par la partie haute avec une coursière, alors que dans la seconde génération les retombées des coupoles se font sur des éléments qui se rapprochent de niches. Les églises de cette dernière catégorie se caractérisent également par un décor plus important. À propos des travaux récents de restauration de Saint-Étienne de Périgueux qui ont provoqué la disparition des marques prouvant la réalisation distincte de deux campagnes architecturales pour les travées, Virginie Czerniak demande : l’architecte a-t-il totalement enduit l’édifice ? Gilles Séraphin confirme que l’enduit masque tous les éléments. Ce cas est l’occasion de rappeler l’importance d’engager un dialogue dépassionné entre architectes du patrimoine et historiens de l’art. Puis Henri Pradalier s’intéresse à la source de la datation de Saint-Front de Périgueux. Gilles Séraphin indique que la mention de l’incendie de 1120 sert d’appui, complétée par des repères stylistiques, sujets à caution puisque Paul Abadie a refait une majeure partie des chapiteaux. Henri Pradalier poursuit : ainsi il est difficile de placer à l’origine un monument qui a été entièrement reconstruit au XIXe siècle sans autre preuve que la mention de l’incendie, d’autant que sa gravité et l’ampleur des destructions ne sont pas connues. Daniel Cazes revient sur l’inscription de la table calendaire et sur l’enfeu : une étude archéologique permettrait notamment d’expliquer plus clairement leur réutilisation et la façon dont on les a replacés. Henri Pradalier note que les murs à petits moellons ne sont qu’une enveloppe et ne supportent rien, aussi peut-être sont-ils réutilisés sans que cela soit un élément possible de datation. Gilles Séraphin précise que les maçonneries du XIe siècle et du début du XIIe siècle peuvent être repérées à l’œil : les petits moellonages sont très bien assisés, à la différence, à partir d’une certaine hauteur, du moellonage supérieur qui est du tout-venant. C’est sans doute en observant ces éléments que Marcel Durliat, se fiant à Jean Secret, a proposé une datation au XIe siècle. Henri Pradalier relève que Marcel Durliat datait de 1110 ; descendre en 1163 lui paraît bas, d’autant que cette date s’appuie sur le très contestable déplacement d’une inscription à l’intérieur de l’édifice. Gilles Séraphin ajoute que la datation est également établie d’après la file de coupoles de l’église de Cahors, désormais associée au grand portail nord que Marcel Durliat date, soit d’un peu avant 1150, soit plus probablement d’après 1150. À Moissac, on sait que la nef à file de coupoles est exactement contemporaine du clocher, et cette nef est sans doute celle consacrée en 1180. Tous ces éléments constituent un faisceau. Gilles Séraphin propose donc cette datation (1ére travée vers 1160), qui lui semble cohérente avec le contexte architectural et historique. Il appuie : il faut s’intéresser aux liens entre l’Aquitaine et le Languedoc, en prenant conscience que Limoges est la capitale de l’Aquitaine dans la seconde moitié du XIIe siècle. Henri Pradalier approuve l’établissement de ce rapport entre le Languedoc et une Aquitaine tentant de peser sur celui-ci comme le prouve l’iconographie du portail occidental de Saint-Sernin de Toulouse qui a été élaborée dans Toulouse sous domination aquitaine avec la volonté de mettre saint Martial au-dessus de saint Sernin. Cela traduit une volonté de mainmise de Limoges sur Toulouse à la fin du XIe siècle. Henri Pradalier demande ensuite une précision sur la manière dont est voûtée l’abside à Solignac. Il s’agit d’un cul-de-four, répond Gilles Séraphin. Il ajoute que ses dimensions sont beaucoup plus restreintes, tout comme à Souillac. Michèle Pradalier-Schlumberger souligne que l’église de Solignac n’est pas très décorée. Gilles Séraphin reprend : à Périgueux dans la première travée, la plus ancienne, ce sont les pilastres plats qui soutiennent la corniche, puis dans la deuxième travée ce sont les demi-colonnes adossées. Ce rythme est reproduit à l’identique pour les deux premières travées de Solignac, ce qui incite notre confrère à supposer que ses constructeurs ont observé Périgueux dans la dernière phase. Pour Brantôme, il faudrait s’intéresser à la frise de pointes de diamant et établir des comparaisons avec d’autres édifices afin d’affiner la datation.
Au titre des questions diverses, Michèle Pradalier-Schlumberger débute par un point sur le château de Scopont régulièrement évoqué en séance ces dernières années. Le château, situé sur la commune de Maurens-Scopont, a appartenu au marquis de Castellane, membre fondateur de notre Société. Le pavillon de style néo-gothique avec des chapiteaux en remploi du XIIIe siècle est classé, tandis que le château et l’orangerie sont inscrits à l’Inventaire supplémentaire des Monuments Historiques. Les deux bâtiments doivent faire l’objet d’une campagne de rénovation portée par la Fondation du Patrimoine (candidature soutenue par la SAMF, séance du 15 février 2022). Aujourd’hui le domaine est menacé par le projet d’autoroute A69 entre Toulouse et Castres. Michèle Pradalier-Schlumberger cite un texte de Rémi Paulin, chargé de mission régional pour la Fondation du Patrimoine, alertant sur la situation. Le tracé de l’autoroute retenu par le Préfet passe à 180 mètres du château. Outre la préservation de ce patrimoine, la sauvegarde des biotopes environnants est également en jeu. Des associations et des avocats ont entamé des démarches pour faire annuler la DUP (Déclaration d’Utilité Publique). Olivier Testard explique que l’urgence serait de restaurer l’orangerie, dont la toiture s’est effondrée en 2021. Actuellement, les décombres appuient sur la façade sud, qui risque de s’effondrer à son tour. Le château est également en danger : des fuites ont considérablement détérioré la toiture et les menuiseries. L’état du pavillon néo-gothique est le moins inquiétant. Daniel Cazes rappelle que le remplacement par des moulages des décors sculptés du pavillon est en discussion depuis plusieurs décennies. Pour l’heure, le danger majeur pour le domaine reste le projet d’autoroute. Le château est entouré de zones humides, l’autoroute risque d’accentuer l’assèchement et de menacer l’équilibre des fondations. La Présidente, au nom de la SAMF, va rédiger un courrier à l’attention du Préfet de Région et du Préfet du Tarn pour manifester l’inquiétude de la Société devant le tracé qui menace un monument classé.
Henri Pradalier aborde ensuite le devenir de la caserne Vion. L’examen du cas du bâtiment, œuvre de l’architecte Pierre Debeaux, était inscrit à l’ordre du jour de la dernière CRPA (Commission Régionale du Patrimoine et de l’Architecture). Il en a été retiré à la dernière minute par le Préfet à la demande du Maire de Toulouse. L’étude du dossier a été reportée à la prochaine séance. La situation de la caserne est remontée jusqu’au Ministère et, à ce jour, le bâtiment est toujours en danger. Aline Tomasin, au nom de l’association des Toulousains de Toulouse, va demander une instance de classement en urgence. La SAMF va effectuer la même démarche de son côté. Louis Peyrusse et Daniel Cazes rappellent la grande qualité architecturale de cet ensemble.
Enfin, Daniel Cazes nous informe que, dans le cadre d’une quinzaine dédiée à l’action des femmes, le jeudi 16 mars, les Archives départementales des Pyrénées-Orientales ont rendu hommage à Yvette Carbonell-Lamothe, enseignante aux universités de Toulouse et Perpignan, conservateur des antiquités et objets d’art des Pyrénées-Orientales, décédée, qui fut un membre actif de notre Société. Cet hommage fait suite au volume publié sous la direction de Géraldine Mallet et Agnès Carbonell, Yvette Carbonell-Lamothe, la passion du patrimoine, 2021, 247 p. (conservé à la bibliothèque de la SAMF). Plusieurs de nos membres ont pu assister à cet hommage et à la conférence donnée par Géraldine Mallet et Agnès Carbonell, cette dernière, fille de la défunte, ayant remarquablement évoqué l’épisode peu connu de la récupération par Yvette Carbonell-Lamothe du reliquaire byzantin de saint Jean-Baptiste, volé à la cathédrale de Perpignan.