Communication longue de Jean-Michel Lassure, Le puits public de la place Saint-Étienne de Toulouse et le mobilier archéologique provenant de son comblement.
Le puits public de la place Saint-Étienne a été fouillé en 1987 alors que prenait fin l’opération archéologique précédant la construction d’un parc de stationnement souterrain. Profond de 16 m à l’origine, il a été utilisé après son abandon comme dépotoir puis définitivement rasé et fermé en 1649. Plusieurs dizaines de poteries datées par 160 monnaies dont les plus récentes sont de 1640 figurent parmi l’important mobilier trouvé dans son remplissage qui fournit de nombreuses données sur la céramique utilisée à Toulouse pendant la première moitié du XVIIe siècle. À côté de poteries à usage culinaire – marmites, coquemars, couvercles, lèchefrites et faisselles – figurent en effet des récipients servant pour le transport et la conservation des liquides – cruches, dournes, pichets, jarres – et divers ustensiles utilisés pour la table – écuelles, tasses, bols, plats, réchauds et albarello. Quelques pots de chambre complètent la liste. Les productions locales constituent une grande part de ces céramiques mais celles des ateliers du groupe de Cox (Haute-Garonne) sont également représentées. Quelle que soit leur provenance, elles sont le plus souvent glaçurées et témoignent pour nombre d’entre elles des techniques décoratives alors en usage : motifs végétaux ou géométriques peints avec des oxydes métalliques et motifs géométriques incisés. Le matériel métallique est extrêmement varié (heurtoir et clous de porte, serrures, clés de porte et de coffret, cadenas, couteaux de table et de boucherie, canifs, écumoires, ciseaux et lime à ongles, marteau, houe, fragment de cotte de mailles, lame d’épée et dagues, guimbardes, sonnaille et fers à cheval), en alliage cuivreux (chaînette, alliance gravée d’un cœur, bague, boucles de ceinture, épingles et dés à coudre), en plomb (balles de mousquet) et en argent (plaque de coffret représentant une Vierge à l’Enfant). Aux objets en os (cure-oreille ouvragé, manches décorés, dés à jouer) s’ajoutent d’autres en cuir (bourses, éléments de chaussures, lanières de ceinture) ou en bois (cuillères et spatule, couvercles, toupies avec axe en fer, peignes simples ou doubles). Parmi les verres figurent des exemplaires dont le pied est décoré de mufles de lion. À signaler enfin un sac constitué de fragments de toile cousus (ensemble) et rempli de chaux. Livrées par un milieu clos et bien calé chronologiquement, ce mobilier permet de mieux cerner à la fois les diverses activités artisanales pratiquées dans le quartier Saint-Étienne et les réalités de la vie quotidienne à Toulouse vers le milieu du XVIIe siècle.
Présents : MM. Cabau, Directeur, Ahlsell de Toulza, Trésorier, Mmes Napoléone, Secrétaire générale, Machabert, Secrétaire adjointe ; Mme Haruna-Czaplicki ; MM. Cazes, Lassure, Penent, Peyrusse, Pradalier, Suzzoni, membres titulaires ; Mmes Krispin, Ledru, MM. Kerambloch, Mange, membres correspondants.
Excusés : Mmes Balty, Czerniak, Pradalier-Schlumberger ; MM. Balty, Garland, Garrigou-Grandchamp, Macé, Péligry, Sournia, Surmonne, Tollon.
La Présidente, Virginie Czerniak, étant retenue, la présidence de cette séance est assurée par notre Directeur. Patrice Cabau effectue, pour débuter, un point d’actualité. Le 5 avril, la très importante exposition « Cathares ». Toulouse dans la croisade a été inaugurée au Musée Saint-Raymond et au couvent des Jacobins. Elle se tiendra jusqu’au 5 janvier 2025. Une visite sera organisée pour la Société à la rentrée. Le catalogue, très riche, a été rédigé par 90 auteurs, dont plusieurs sont membres de la S.A.M.F.
Notre Directeur donne ensuite la parole à Jean-Michel Lassure pour la communication longue du jour intitulée : Le puits public de la place Saint-Étienne de Toulouse et le mobilier archéologique provenant de son comblement.
Le Directeur remercie notre confrère pour cette communication qui est un véritable sauvetage. Les données révélées auraient pu disparaître sans le travail effectué par les archéologues en 1987 et depuis. Jean-Michel Lassure ajoute qu’il existe bien d’autres sites dans le même cas, dont les données ne sont pas publiées. Patrice Cabau regrette la situation de l’archéologie toulousaine. Les archéologues qui ont travaillé sur le terrain ont disparu : pour la place Saint-Étienne ce fut Raphaël de Filippo, pour la place Esquirol Jean-Luc Boudartchouk. Notre Directeur revient ensuite sur une hypothèse de Jules Chalande : ce dernier avait émis l’idée que des éléments de la statuaire du portail de la cathédrale voisine aient pu être précipités en 1556 dans ce puits, qui fut comblé et rasé en 1649. Or, il n’y en a aucune trace, ce qui confirme la version d’Alexandre Du Mège qui considérait que les sculptures ont été vandalisées vers 1790.
Daniel Cazes rappelle que la destruction de ces éléments lapidaires fut motivée par la création du temple décadaire dans la nef. La cathédrale est alors divisée en deux par un mur, le chœur est réservé au culte catholique ancien « constitutionnel » tandis que la nef devient le temple décadaire. Dans ce contexte, la présence sur le portail de certaines statues n’était plus acceptable (celles de saint Étienne, de Denis du Moulin, de Pierre du Moulin notamment). Eu égard à ce qu’il en reste, ce portail devait être d’une qualité exceptionnelle (stéréotomie et mouluration). Il s’agissait du plus beau portail du XVe siècle à Toulouse, souligne Daniel Cazes.
Louis Peyrusse interroge le conférencier sur le temps qu’a pu prendre le comblement du puits. Selon Jean-Michel Lassure l’opération a été assez rapide, peu de temps en 1649. Louis Peyrusse demande ensuite si une comparaison a été réalisée avec le mobilier archéologique trouvé dans les autres puits du centre-ville, notamment celui fouillé officieusement par l’abbé Baccrabère à proximité du quartier Saint-Georges. Jean-Michel Lassure n’a plus en tête les résultats publiés par cet ancien membre concernant le matériel trouvé dans ce puits. Louis Peyrusse exprime sa surprise devant l’état, intact, d’un réchaud à six pieds montré durant la conférence. Aucune trace de feux n’est visible sur la glaçure, il n’a d’évidence jamais servi. Notre confrère précise alors que les objets ont été restaurés. Une partie de cette pièce était d’ailleurs manquante et a été comblée par du plâtre. Guy Ahlsell de Toulza complète en évoquant des exemples de réchauds conservés aux Musées de Rabastens et de Giroussens, également intacts. L’usage réel de ces céramiques est donc autre, sans contact avec des braises.
Les membres reviennent ensuite sur la dernière pièce, énigmatique, présentée par Jean-Michel Lassure. De forme circulaire, elle est en alliage cuivreux et mesure 4,5 cm de diamètre. Elle est ornée en son centre d’une fleur. L’inscription circulaire, ponctuée de fleurs de lys, n’est pas déchiffrée. Notre confrère suggère qu’il puisse s’agir d’un cache-serrure. Ou des phalères de cheval, propose Daniel Cazes. La taille et les fixations ne semblent pas correspondre à cette fonction.
Jean-Michel Lassure souligne le faible nombre de fers à cheval trouvés dans le puits (trois). Sans doute, en raison du bruit et de l’odeur provoqués par cette activité, les maréchaux-ferrants étaient-t-ils installés en dehors de la ville. Les travaux de Jean-Luc Laffont ont montré qu’il y avait très peu de chevaux en ville.
Guy Ahlsell de Toulza demande si d’autres types de productions ont été trouvés, en dehors des poteries vernissées toulousaines et de celles du groupe de Cox ? Jean-Michel Lassure confirme l’absence d’autres productions. Celles de Giroussens sont rares à Toulouse et plus tardives.
Répondant à Henri Pradalier, Jean-Michel Lassure indique que les objets sont actuellement conservés au dépôt de fouilles du S.R.A.
Henri Pradalier se souvient que les conditions de fouilles avaient été difficiles. De fortes pluies ont pu endommager une partie du matériel.
Daniel Cazes rappelle la conclusion incroyable - jamais vue ailleurs - de cette fouille, puisque des vestiges ont été transférés à l’Union à la demande du maire d’alors, qui souhaitait orner un carrefour de sa commune.
Avant de conclure, Jean-Michel Lassure souhaite attirer l’attention de l’assemblée sur le devenir de l’archéologie. Jusqu’à présent, il était relativement facile d’avoir accès aux documents finaux de synthèse et aux rapports réalisés par le S.R.A. ou les associations. Dorénavant les photographies comportent des mentions de droit, leur réutilisation n’est pas libre. Les rapports, quant à eux, sont diffusés de manière partielle. Les données ne sont plus accessibles. Daniel Cazes relève que le devenir de ce matériel archéologique est aussi inquiétant. De nombreuses fouilles ne sont jamais publiées et le mobilier trouvé n’est pas connu. Ces dépôts devraient être accessibles aux chercheurs. Notre confrère ajoute que les moyens - en temps, en personnel et en argent - manquent à Toulouse. L’exemple récent du chantier de l’Arsenal en témoigne.
Au titre des questions diverses, le Directeur relaie une information transmise par Hiromi Haruna-Czaplicki : le 25 avril, à 18 h, à la Bibliothèque d’Étude et du Patrimoine se tiendra une conférence de Camilla Talfani, de l’Université de Lausanne, consacrée au « Chansonnier d’Urfé/La Vallière » exceptionnellement prêté par la B.N.F. dans le cadre de l’exposition « Troubadours, langue d’oc et Jeux floraux » (23 avril-13 juillet). Daniel Cazes signale également que, simultanément à notre séance, notre consœur Hortense Rolland Fabre présente les résultats de sa recherche sur les peintures murales des Jacobins. Il serait intéressant qu’elle puisse nous les présenter lors d’une séance.
Puis notre Trésorier informe l’assemblée que le Bureau, réuni lundi 22 avril, a approuvé la suppression de la ligne téléphonique de la Société, coûteuse et sans utilité.
Il revient ensuite sur le dossier de l’autoroute A 69 qui menace le château de Maurens-Scopont. La S.A.M.F. avait adressé aux autorités un courrier insistant sur le danger que faisait peser le tracé de cet axe routier sur le monument classé (séance du 23 mars 2023). La SAMF autorise la Présidente à acter en justice dans le cadre de la contestation engagée par M. D’Ingrando pour éloigner le tracé de l’autoroute Toulouse - Castres du pavillon néo-gothique du château.
Jérôme Kerambloch effectue ensuite un point concernant un sujet d’actualité important : les vestiges de peintures murales mis à découvert par l’effondrement, dans la nuit du 8 au 9 mars, de l’immeuble numéro 4 de la rue Saint-Rome. Notre confrère présente un ensemble de photographies qui atteste la présence d’une frise peinte en haut du mur. Plusieurs décors distincts sont identifiés, datables de la première moitié du XVIIe siècle. Louis Peyrusse explique que cette datation correspond à la chronologie indiquée par Jules Chalande au sujet des immeubles n° 2 et n° 4. La tour Serta aurait été le lieu de redistribution de deux logis ensuite séparés. Sans action immédiate, ces fragments sont voués à disparaître. Actuellement, aucune protection ne les préserve des intempéries et une détérioration a déjà été constatée depuis la découverte (chute de fragments et noircissement). Les autorités doivent être alertées rapidement.
Daniel Cazes, accompagné de notre Présidente et notre Secrétaire générale, s’est également rendu sur les lieux et a pu constater la gravité de la situation. Il pose la question du devenir de ce périmètre. Selon lui, la Ville de Toulouse pourrait décider de préserver cet espace et de mettre en valeur la tour Serta, protégée au titre des Monuments Historiques depuis 1980. Quant aux peintures, il existe aujourd’hui des techniques permettant de les sauver. Pour cela il faudrait faire appel dans les prochains jours à des restaurateurs pour les prélever.
L’opération de sauvetage est urgente. La Société doit intervenir sans attendre. Notre Secrétaire générale propose d’effectuer une campagne photographique, afin de garder des traces de ces peintures murales. À l’appui de ces documents, un courrier va être adressé à la municipalité.